Texte intégral
Monsieur le Président du Sénat de la République tchèque,
Mes chers Collègues,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Le thème de notre réunion nous invite à nous tourner vers l'avenir, mais je voudrais, pour commencer, vous exprimer toute ma joie d'être ici dans cette merveilleuse ville de Prague pour fêter ensemble le 10ème anniversaire d'une belle institution. Les Chambres Hautes, en ce début de XXIe siècle, affichent leur vitalité.
Il y a, dans leurs fonctions, des éléments permanents, par lesquels je commencerai, avant d'évoquer ensuite les aspects qui me paraissent devoir évoluer pour mieux tenir compte des nouveaux équilibres qui organisent nos sociétés démocratiques.
Tout d'abord, les Chambres hautes auront pour tâche, demain comme hier, de favoriser un fonctionnement équilibré des institutions. Il y a toujours, dans la démocratie représentative, le danger qu'un des centres du pouvoir prenne une importance excessive et ne soit plus véritablement contrôlé.
On risque alors l'abus de pouvoir.
Certes, dans l'Europe d'aujourd'hui, où les conflits politiques ont perdu en intensité, le risque d'abus de pouvoir caractérisés est sans doute plus faible. Mais l'histoire n'est pas finie, et nous ne savons pas ce que nous réservera le siècle qui commence. L'existence d'une seconde Chambre sera toujours une protection contre « l'abus de position dominante » qui est la tentation de toute majorité.
Les Chambres hautes sont par nature des Chambres de réflexion. Les détenteurs du pouvoir, faute de contrepoids, peuvent prendre des décisions insuffisamment mûries ou mal adaptées aux réalités.
Un examen conduit par une seconde chambre permet de corriger les textes, de prendre en compte des difficultés qui n'avaient pas été envisagées. Le double examen des textes permet d'ailleurs à l'opinion publique -qui est souvent lente à réagir- de se manifester.
Plus d'une fois, en France, on a vu une forte mobilisation de l'opinion publique se produire après le vote d'un texte par l'une des deux Chambres. L'examen par l'autre Chambre est alors l'occasion de tenir compte de cette mobilisation en apportant des précisions ou des apaisements, voire en retirant les éléments les plus contestés. C'est une caractéristique du bicamérisme que de créer un espace de dialogue favorable aux compromis.
Le bicamérisme me paraît donc parfaitement adapté aux lois de la « gravitation politique », qui ne cesseront pas de jouer demain. Les secondes Chambres jouent le rôle « d'équilibreur » des institutions.
Un second aspect permanent du rôle des secondes Chambres est de compléter la représentation assurée par la première Chambre.
Il n'y a pas de mode de scrutin parfait. Aucun n'assure à la fois l'existence d'une majorité stable, l'expression de toutes les minorités, la prise en compte de la personnalité et de l'action de chaque candidat ou encore l'association des pouvoirs locaux.
On ne peut tout avoir dans la composition d'une seule Chambre.
L'existence d'une seconde Chambre permet d'avoir une représentation plus nuancée et plus complète. À partir d'un certain degré de diversité culturelle et régionale, c'est une exigence incontournable, et ce n'est pas un hasard si, en en Europe, à partir d'un certain niveau de population, les États ont tous des parlements bicaméraux. Le bicamérisme permet de mieux représenter la diversité, qui, en Europe, caractérise souvent les pays peu peuplés, et toujours les pays les plus importants par leur population.
Les secondes Chambres exercent aussi, au jour le jour, une double mission de législation et de contrôle. C'est cette double mission qui me paraît le plus susceptible d'évoluer au XXIe siècle.
D'une manière générale, la fonction législative apparaît de plus en plus encadrée par le contrôle de constitutionnalité et de conventionnalité. De plus, c'est souvent le Gouvernement qui a l'initiative des lois, le rôle des Assemblées à cet égard étant complémentaire ou, si l'on préfère, subsidiaire.
Dès lors, c'est avant tout par le biais des amendements que les parlementaires exercent un travail législatif. Il est rare que la majorité de la première Chambre conteste le principe même d'un texte présenté par le Gouvernement.
Cette évolution du travail législatif ne permet pas toujours de bien prendre en compte certaines préoccupations qu'on peut regrouper sous le terme de « qualité de la législation ». Les lois sont très nombreuses et souvent obscures. Les strates législatives successives s'empilent, produisant fréquemment des ambiguïtés. Les citoyens, les agents économiques, les administrations et même les juges se retrouvent difficilement dans ce foisonnement législatif -que nul n'est pourtant censé ignorer...
Au XXIe siècle, plus que jamais, il convient de poser un certain nombre de questions avant de légiférer :
- une loi de plus est-elle indispensable ?
- le nouveau texte s'insère-t-il de manière cohérente dans l'ensemble du droit ?
- ne peut-on pas envisager un texte plus simple ?
- quels problèmes d'application pourrait-on rencontrer sur le « terrain » ?
Voilà autant de questions que les secondes Chambres sont bien placées pour mettre en avant, grâce au recul dont elles bénéficient. Cette approche en termes de qualité et de simplicité de la législation me paraît appelée à prendre de plus en plus d'importance.
La fonction de contrôle des assemblées est également appelée à évoluer.
Le contrôle parlementaire me paraît, en effet, appelé à se développer. C'est un instrument essentiel pour faire en sorte que les politiques publiques soient effectivement au service des citoyens. Trop souvent, l'enquête parlementaire n'est lancée qu'à l'occasion d'une crise. Elle doit devenir une dimension essentielle et constante du travail parlementaire. C'est ainsi que nous pourrons apporter cette transparence accrue à laquelle aspirent nos concitoyens.
L'État est fait pour eux..
Le contrôle parlementaire est un moyen pour que les citoyens, par l'intermédiaire de leurs représentants, se réapproprient une sphère publique de plus en plus lourde et complexe. Or, les secondes Chambres, généralement plus indépendantes du Gouvernement, sont bien placées pour répondre à ce besoin constant de contrôle parlementaire.
Dans le même sens, il me paraît important que les Parlements, dans le cadre de leur fonction de contrôle, soient le cadre de grands débats qui aident les citoyens à se forger leur opinion sur des sujets importants et controversés. Les médias sont par nature très événementiels. Là encore, je crois que les secondes chambres, par leur indépendance, leur recul, sont à même d'organiser de tels débats de fond de manière pluraliste, en dépassant les préoccupations étroitement partisanes. Cela suppose, bien entendu, que ces débats soient facilement accessibles soit sur Internet, soit grâce à des chaînes de télévision spécialisées.
Les secondes chambres, mes chers collègues, évoluent, mais gardent et, même, renforcent leur spécificité. Demain comme hier, sous des formes renouvelées, le bicamérisme restera un instrument essentiel d'une démocratie équilibrée, efficace et vivante.Source http://www.senat.fr, le 9 octobre 2006
Mes chers Collègues,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Le thème de notre réunion nous invite à nous tourner vers l'avenir, mais je voudrais, pour commencer, vous exprimer toute ma joie d'être ici dans cette merveilleuse ville de Prague pour fêter ensemble le 10ème anniversaire d'une belle institution. Les Chambres Hautes, en ce début de XXIe siècle, affichent leur vitalité.
Il y a, dans leurs fonctions, des éléments permanents, par lesquels je commencerai, avant d'évoquer ensuite les aspects qui me paraissent devoir évoluer pour mieux tenir compte des nouveaux équilibres qui organisent nos sociétés démocratiques.
Tout d'abord, les Chambres hautes auront pour tâche, demain comme hier, de favoriser un fonctionnement équilibré des institutions. Il y a toujours, dans la démocratie représentative, le danger qu'un des centres du pouvoir prenne une importance excessive et ne soit plus véritablement contrôlé.
On risque alors l'abus de pouvoir.
Certes, dans l'Europe d'aujourd'hui, où les conflits politiques ont perdu en intensité, le risque d'abus de pouvoir caractérisés est sans doute plus faible. Mais l'histoire n'est pas finie, et nous ne savons pas ce que nous réservera le siècle qui commence. L'existence d'une seconde Chambre sera toujours une protection contre « l'abus de position dominante » qui est la tentation de toute majorité.
Les Chambres hautes sont par nature des Chambres de réflexion. Les détenteurs du pouvoir, faute de contrepoids, peuvent prendre des décisions insuffisamment mûries ou mal adaptées aux réalités.
Un examen conduit par une seconde chambre permet de corriger les textes, de prendre en compte des difficultés qui n'avaient pas été envisagées. Le double examen des textes permet d'ailleurs à l'opinion publique -qui est souvent lente à réagir- de se manifester.
Plus d'une fois, en France, on a vu une forte mobilisation de l'opinion publique se produire après le vote d'un texte par l'une des deux Chambres. L'examen par l'autre Chambre est alors l'occasion de tenir compte de cette mobilisation en apportant des précisions ou des apaisements, voire en retirant les éléments les plus contestés. C'est une caractéristique du bicamérisme que de créer un espace de dialogue favorable aux compromis.
Le bicamérisme me paraît donc parfaitement adapté aux lois de la « gravitation politique », qui ne cesseront pas de jouer demain. Les secondes Chambres jouent le rôle « d'équilibreur » des institutions.
Un second aspect permanent du rôle des secondes Chambres est de compléter la représentation assurée par la première Chambre.
Il n'y a pas de mode de scrutin parfait. Aucun n'assure à la fois l'existence d'une majorité stable, l'expression de toutes les minorités, la prise en compte de la personnalité et de l'action de chaque candidat ou encore l'association des pouvoirs locaux.
On ne peut tout avoir dans la composition d'une seule Chambre.
L'existence d'une seconde Chambre permet d'avoir une représentation plus nuancée et plus complète. À partir d'un certain degré de diversité culturelle et régionale, c'est une exigence incontournable, et ce n'est pas un hasard si, en en Europe, à partir d'un certain niveau de population, les États ont tous des parlements bicaméraux. Le bicamérisme permet de mieux représenter la diversité, qui, en Europe, caractérise souvent les pays peu peuplés, et toujours les pays les plus importants par leur population.
Les secondes Chambres exercent aussi, au jour le jour, une double mission de législation et de contrôle. C'est cette double mission qui me paraît le plus susceptible d'évoluer au XXIe siècle.
D'une manière générale, la fonction législative apparaît de plus en plus encadrée par le contrôle de constitutionnalité et de conventionnalité. De plus, c'est souvent le Gouvernement qui a l'initiative des lois, le rôle des Assemblées à cet égard étant complémentaire ou, si l'on préfère, subsidiaire.
Dès lors, c'est avant tout par le biais des amendements que les parlementaires exercent un travail législatif. Il est rare que la majorité de la première Chambre conteste le principe même d'un texte présenté par le Gouvernement.
Cette évolution du travail législatif ne permet pas toujours de bien prendre en compte certaines préoccupations qu'on peut regrouper sous le terme de « qualité de la législation ». Les lois sont très nombreuses et souvent obscures. Les strates législatives successives s'empilent, produisant fréquemment des ambiguïtés. Les citoyens, les agents économiques, les administrations et même les juges se retrouvent difficilement dans ce foisonnement législatif -que nul n'est pourtant censé ignorer...
Au XXIe siècle, plus que jamais, il convient de poser un certain nombre de questions avant de légiférer :
- une loi de plus est-elle indispensable ?
- le nouveau texte s'insère-t-il de manière cohérente dans l'ensemble du droit ?
- ne peut-on pas envisager un texte plus simple ?
- quels problèmes d'application pourrait-on rencontrer sur le « terrain » ?
Voilà autant de questions que les secondes Chambres sont bien placées pour mettre en avant, grâce au recul dont elles bénéficient. Cette approche en termes de qualité et de simplicité de la législation me paraît appelée à prendre de plus en plus d'importance.
La fonction de contrôle des assemblées est également appelée à évoluer.
Le contrôle parlementaire me paraît, en effet, appelé à se développer. C'est un instrument essentiel pour faire en sorte que les politiques publiques soient effectivement au service des citoyens. Trop souvent, l'enquête parlementaire n'est lancée qu'à l'occasion d'une crise. Elle doit devenir une dimension essentielle et constante du travail parlementaire. C'est ainsi que nous pourrons apporter cette transparence accrue à laquelle aspirent nos concitoyens.
L'État est fait pour eux..
Le contrôle parlementaire est un moyen pour que les citoyens, par l'intermédiaire de leurs représentants, se réapproprient une sphère publique de plus en plus lourde et complexe. Or, les secondes Chambres, généralement plus indépendantes du Gouvernement, sont bien placées pour répondre à ce besoin constant de contrôle parlementaire.
Dans le même sens, il me paraît important que les Parlements, dans le cadre de leur fonction de contrôle, soient le cadre de grands débats qui aident les citoyens à se forger leur opinion sur des sujets importants et controversés. Les médias sont par nature très événementiels. Là encore, je crois que les secondes chambres, par leur indépendance, leur recul, sont à même d'organiser de tels débats de fond de manière pluraliste, en dépassant les préoccupations étroitement partisanes. Cela suppose, bien entendu, que ces débats soient facilement accessibles soit sur Internet, soit grâce à des chaînes de télévision spécialisées.
Les secondes chambres, mes chers collègues, évoluent, mais gardent et, même, renforcent leur spécificité. Demain comme hier, sous des formes renouvelées, le bicamérisme restera un instrument essentiel d'une démocratie équilibrée, efficace et vivante.Source http://www.senat.fr, le 9 octobre 2006