Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur la croissance en Europe, la poursuite des réformes structurelles, la compétitivité de l'économie européenne et la libéralisation des industries de réseaux, Stockholm le 23 mars 2001.

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Circonstance : Conseil européen à Stockhom (Suède), les 23 et 24 mars 2001

Texte intégral

Depuis trois ans, le retour de la croissance en Europe qui s'est déroulé sans déséquilibre, et notamment sans inflation, a permis le recul sensible du chômage de masse. La coordination des politiques économiques en Europe a joué un rôle déterminant. Le potentiel européen de croissance a également été augmenté par les réformes structurelles mises en uvre depuis une dizaine d'années.
Nos conclusions doivent maintenir un équilibre entre la nécessité de préserver la croissance et celle de poursuivre les réformes microéconomiques
I - A l'heure où un ralentissement sérieux de l'activité se produit aux Etats-Unis, et où d'autres grands pays (Japon) connaissent des difficultés persistantes, il ne faut pas ajouter à l'incertitude extérieure une incertitude intérieure. Nous avons les moyens, en 2001, de préserver la croissance en Europe, grâce au dynamisme de notre demande intérieure et à la compétitivité de nos entreprises. Comme en 2000, l'Europe peut avoir une croissance d'au moins 3 % cette année, c'est à dire l'objectif fixé à Lisbonne il y a un an.
Seul le maintien d'une croissance forte permettra de poursuivre les réformes structurelles.
En France, pour la 3ème année consécutive, la croissance a été en 2000 supérieure à 3 %. L'investissement est resté très dynamique, notamment dans les technologies d'avenir. En matière d'emploi, 2000 aura été une année exceptionnelle : plus de 520000 emplois créés, 1,5 point de taux de chômage en moins. La baisse sensible du chômage des jeunes, du chômage de longue durée, le recul de la précarité et de l'exclusion montrent que notre marché du travail est devenu plus ouvert et moins inégalitaire et confirment que notre chômage structurel a baissé.
En 2001, la France, comme ses voisins, subira les effets du ralentissement économique américain, mais sa croissance demeurera comprise entre 2,7 et 3,1 %. Nous attendons encore de fortes créations d'emploi, en lien avec la poursuite des 35 heures, tandis que notre programme de baisses d'impôt va contribuer à maintenir un socle robuste de croissance de la demande intérieure.
Une réforme fiscale importante, la création de la Prime pour l'Emploi, permettra de rendre le travail plus rémunérateur pour 10 millions de personnes, améliorant ainsi l'incitation à travailler pour les personnes à faible qualification. C'est une mesure de justice sociale et d'efficacité économique.
Les Grandes Orientations Politiques Economiques (GOPE) sont l'instrument principal de la coordination des politiques économiques. Les progrès accomplis dans leur méthode d'élaboration et de suivi depuis Lisbonne doivent être salués et poursuivis. Elles pourraient sans doute être encore plus précises pour ce qui concerne la zone euro. Le document élaboré par la présidence constitue une bonne base de travail pour leur élaboration. Nous pouvons néanmoins exprimer un regret : leur discrétion sur l'harmonisation fiscale, en particulier la fiscalité des entreprises et celle de l'énergie.
Enfin, à moins de 300 jours de l'arrivée de l'euro, je souhaite que nous adressions à nos concitoyens un double message : notre confiance dans l'état de préparation de cette réforme monétaire historique et un appel à la mobilisation de tous les acteurs pour qu'elle s'opère sans difficultés.
II - L'Europe que nous voulons ne saurait se limiter à un espace marchand. Nous voulons une Europe qui crée de la civilisation et tienne compte de la diversité nationale. L'attachement des Français à des services publics de qualité participe de cette diversité. Parce que leur fonctionnement garantit un égal accès de tous les citoyens, ces services publics constituent un facteur de cohésion sociale et territoriale.
La libéralisation des industries de réseaux n'est donc pas une fin en soi. Elle ne saurait tenir lieu de modèle économique de l'Europe. C'est un instrument qui n'a qu'un objectif : des services plus efficaces et plus proches des usagers.
Pour autant, nous ne refusons pas cette évolution. La France s'est engagée dans cette voie. Durant sa Présidence, elle s'est acquittée de ses obligations en la matière (paquet ferroviaire, directive postale, dégroupage de la boucle locale). Mais ce processus doit être progressif, maîtrisé et socialement acceptable par les entreprises concernées. Cette question du rythme, nous l'avons prise en compte pour l'harmonisation fiscale : la taxation minimale de l'épargne n'interviendra pas, dans le scénario de Feira, avant 2009. Pourquoi deux poids, deux mesures ? Nous sommes donc opposés à la fixation précipitée de dates de libéralisation totale, concernant notamment les marchés de l'électricité et du gaz. Nous proposons donc que le Conseil européen prenne note à ce stade de la proposition de la Commission et renvoie l'examen de celle-ci au Conseil.
Cette ouverture progressive à la concurrence ne saurait être appréhendée à travers le seul prisme de la baisse des prix. Elle doit aussi prendre en compte les obligations de services publics (sécurité, continuité, égal accès) et préserver l'emploi. Les exemples de rupture d'électricité en Californie et les problèmes de sécurité des transports ferroviaires rencontrés dans certains pays européens ont montré qu'il ne peut y avoir de libéralisation sans régulation.
C'est pourquoi, nous sommes attachés à la mise en uvre rapide de la déclaration de Nice sur les services d'intérêt économique général, à travers la question du financement public de ces services (qui nécessite un traitement spécifique au regard du régime des aides d'Etat) et de l'évaluation des prestations aux usagers. Les conclusions de ce Sommet devront y faire explicitement référence en demandant à la Commission des propositions sur ces deux registres.
III - Ma conclusion sera pour poser la question suivante : quel message économique voulons-nous donner dans ce Conseil européen ? Je pense que nous serons tous d'accord pour donner un message d'optimisme. Optimisme réaliste, bien sûr, mais optimisme. L'Europe est la principale zone de stabilité et de croissance dans le monde. Chaque année, se produisent des aléas internationaux : crise asiatique en 1997, crise russe en 1998, crise brésilienne en 1999, choc pétrolier en 2000, cette année les difficultés américaines. Chaque fois, nous les avons surmontés. Nous savons que nous devons agir dans un environnement qui bouge, qui subit des secousses. Ce qui est remarquable, c'est que nous avons, dans ce contexte, nous Européens, maintenu notre cap, progressé vers un développement économique et social plus équilibré, constitué un pôle de stabilité, de croissance et d'innovation.
C'est ce message positif que je souhaite que nous donnions.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 26 mars 2001)