Interview de M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire et président de l'UMP, dans "Midi-Libre" du 27 octobre 2006, sur l'aménagement du territoire en zone rurale.

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Circonstance : Déplacement à Mende, en Lozère, le 27 octobre 2006

Média : Le Midi Libre - Midi libre

Texte intégral

Question - La démographie lozérienne est à la hausse. Le rêve des élus locaux est d'atteindre, dans un avenir proche, 100 000 habitants. Comment concilier cette nécessité vitale de développement et la qualité environnementale de notre territoire, qui en fait un des principaux atouts ?
R - Partant de 75 000 habitants, au recensement de 1999, l'objectif d'une population de 100 000 apparaît comme un très beau défi. Ce serait, reconnaissez-le, une belle revanche sur l'histoire, sur l'exode rural et sur la désertification, que d'inverser la tendance aussi spectaculairement. Je ne crois pas qu'il y ait de craintes à avoir face à ce développement. En Lozère, même avec 100 000 habitants, l'espace resterait très abondant et l'habitat peu dense. Je suis élu des Hauts-de-Seine, croyez-moi, je sais ce que c'est que la densité. Mais surtout, il ne tient qu'à nous de mieux concilier croissance et développement durable, activités humaines et respect de l'environnement.
Question - Comment accueillir ces nouvelles populations, déjà très nombreuses sur le littoral languedocien, quand les services publics (Poste, SNCF, impôts) se réduisent désormais au strict minimum dans certaines zones ?
Nicolas Sarkozy - Dès mon arrivée à l'Intérieur, j'ai demandé que l'on arrête les restructurations de services de l'Etat à motivations purement budgétaires. J'ai voulu au contraire qu'on prenne le problème différemment, en partant, cette fois, des besoins des populations, non des soucis financiers de nos grandes administrations. Comme chacun travaillait dans son coin, c'était toujours dans les mêmes régions rurales que l'on voulait fermer les services publics. Cette logique était inepte et injuste, car lorsque tout ferme partout à cause du manque de population, il ne faut pas s'étonner ensuite qu'il y ait encore moins d'habitants. En revanche, il n'y avait personne pour proposer non plus l'ouverture de nouveaux points de contact dans des zones en forte croissance.
Je suis convaincu que les services publics doivent parfois évoluer pour être plus économes des deniers publics - nous sommes tous des contribuables, je le rappelle -, mais la priorité absolue pour moi, c'est bien le service rendu aux populations. En tout point du territoire, je veux garantir une égalité d'accès aux services publics. C'est pour moi un sujet essentiel d'égalité des chances. Dans les zones rurales, on peut assurer la permanence des services en jouant sur la polyvalence des agents et sur la mutualisation des moyens. C'est dans cet esprit, que j'ai récemment lancé l'initiative des « Relais de services publics » qui offrent, au coeur de la ruralité, toute la gamme des services de l'Etat, avec des horaires d'ouverture très élargis.
En revanche, si la population augmente dans certaines zones, alors bien sûr il faut y développer des services publics. Cela doit être rigoureusement symétrique. Il n'est pas logique, par exemple, de fermer des classes en-dessous de 9 élèves, mais de n'accepter de les rouvrir qu'à partir de 14 ou 15.
Question - En juin dernier, en Lozère, le Premier ministre Dominique de Villepin a présenté les pôles d'excellence rurale et annoncé les quatre premiers dossiers retenus pour le département. Où en est-on ?
Nicolas Sarkozy - Les élus, les acteurs économiques et toutes les parties prenantes n'ont pas perdu de temps cet été. Les quatre pôles d'excellence rurale labellisés en juin ont bien avancé et sont désormais sur le point de fonctionner. Ce matin, je me rends d'ailleurs à Rieutort-de-Randon pour signer la convention cadre du pôle de valorisation du lait des montagnes de Margeride. L'Etat s'est engagé fortement dans cette politique de dynamisation du tissu économique rural, avec une démarche nouvelle car il s'agissait cette fois de laisser monter du terrain les initiatives et les projets, non de les imposer d'en haut. C'est une nouvelle manière de pratiquer l'aménagement du territoire dont je suis très fier. Je précise que l'Etat a promis près de 3,5 millions d'euros aux quatre pôles lozériens et que les engagements seront tenus.
Question - D'autres dossiers sont en cours d'instruction sur des problématiques différentes. Quels sont les moyens dévolus au développement rural et à l'aménagement du territoire ?
Nicolas Sarkozy - C'est vrai, la démarche des pôles d'excellence rurale a du succès en Lozère puisque quatre nouvelles demandes ont été soumises lors de l'appel à projets de septembre. Elles portent sur la télé-médecine en zone rurale, sur le tourisme équestre en Margeride Aubrac, sur l'accueil chasse et pêche en Lozère et sur la création d'un « éco-site » de valorisation des déchets. Elles sont toutes très intéressantes, je crois, et je peux vous garantir qu'elles seront étudiées avec beaucoup d'attention.
Je profite de mon passage dans le département pour me rendre à l'hôpital de Mende pour rencontrer les acteurs du projet de pôle « Télé-médecine en zone rurale de montagne » qui me paraît très innovant. La question de l'accès aux soins en zone rurale est pour moi cruciale - les soins de qualité sont au premier rang des services au public - et cette initiative me semble aller résolument dans le bon sens.
Comme pour les autres projets, déjà validés, l'Etat est sollicité sur des montants importants, près de trois millions je crois. Si l'Etat labellise ces projets de pôles, il tiendra parole.
Question - Avec ses conseils régionaux, ses conseils généraux, ses communautés d'agglomération ou de communes, ses pays et ses villes, la France est un véritable millefeuille administratif. Cette sur-administration vous satisfait-elle ? Ou, au contraire, pensez-vous qu'il est nécessaire et urgent de simplifier ce paysage en supprimant un ou plusieurs échelons ?
Nicolas Sarkozy - Pardonnez-moi, c'est typiquement une question de grand oral de l'ENA. Mais sur le terrain, je n'ai jamais rencontré beaucoup de citoyens pour m'expliquer qu'il faille supprimer des collectivités locales et des élus de proximité. Et puis, que voulez-vous honnêtement supprimer ? La seule différence notable avec les pays voisins, c'est le nombre de nos communes. Mais lorsque l'on dit ça, on n'a rien dit. Je vous rappelle que nous avons le territoire le plus grand d'Europe après la Russie. Nos communes sont directement issues des anciennes paroisses dont la plupart sont plus que millénaires. La commune reste notre cellule sociale et politique de base. Les maires sont les responsables politiques les plus respectés de France et dans les conseils municipaux des centaines de milliers de Français travaillent au bien-être de leurs concitoyens, bénévolement pour l'essentiel. Qui voudrait supprimer tout cela ? Pas moi. C'est d'ailleurs pour cela que je suis si favorable à l'intercommunalité, car elle respecte les communes, tout en regroupant leurs forces dans les domaines où c'est utile.
Ce que demandent les Français, en revanche, ce sont des partages des rôles compréhensibles et des responsabilités claires pour les différentes structures. Là, c'est manifeste, nous en sommes encore loin. Après deux phases de décentralisation en 1982 et en 2004, comme tous les Français, je voudrais vraiment y voir clair. Il y a des politiques qui doivent être conçues et mises en oeuvre localement, comme le logement, où à mon avis, la décentralisation doit progresser. Mais sur certains sujets, touchant à l'emploi ou à la solidarité par exemple, l'Etat doit demeurer fort et doit certainement se renforcer. En tout cas, s'agissant des impôts, je souhaiterais que le partage soit lui aussi simplifié fortement en affectant aux communes, aux intercommunalités, aux départements et aux régions un impôt distinct. Ainsi, les citoyens verraient quels sont les élus qui gèrent vertueusement leur collectivité.
Question - L'agriculture est le secteur d'activité principal de la Lozère. La viticulture subit une grave crise en Languedoc-Roussilon... Comment maintenir une activité forte alors que le revenu de ses agriculteurs diminue et que beaucoup d'exploitations disparaissent ?
Nicolas Sarkozy - Je suis absolument convaincu qu'il est stratégique pour notre pays de conserver une agriculture forte sur l'ensemble de notre territoire. L'agriculture française est un atout économique majeur. Elle a de l'avenir, cela est parfaitement indiscutable. Si nous voulons qu'elle demeure forte et attractive, alors il n'est pas possible de ravaler les agriculteurs au rang de « jardiniers de la nature », ni d'accepter des baisses de revenus effarantes qui non seulement paupérisent les exploitants, mais les privent largement des moyens de s'adapter aux évolutions des marchés et de la consommation. J'ai un grand respect pour les valeurs de travail, de courage et d'opiniâtreté des agriculteurs. Je veux prendre les choses dans l'ordre. Je crois tout d'abord qu'il faut agir au niveau européen pour réactiver la préférence communautaire. Ensuite, il faut trouver un meilleur équilibre entre la rémunération par le prix des produits et les aides. Les aides sont nécessaires, notamment pour compenser des handicaps comme ceux de l'agriculture de montagne. Mais il nous faut aller le plus possible vers des prix rémunérateurs dans les différentes filières. Ce sera d'autant plus facile que nous innoverons dans l'organisation de la commercialisation et que nous parviendrons à valoriser au mieux les usages non-alimentaires de l'agriculture, comme les biocarburants ou la chimie verte.
Pour la viticulture, il y a à la fois une situation d'urgence et un problème de long terme. Je crois donc qu'il serait nécessaire d'engager un vaste plan de restructuration et de relance de la filière, afin d'organiser la reconquête des parts de marché perdues à l'export et d'accompagner les viticulteurs en difficultés.
Question - La Lozère est un département relativement épargné par toute forme de délinquance... Ses résultats sont souvent exemplaires : examens scolaires, solidarité, sécurité... Quelle leçon en tirer pour la France ?
Nicolas Sarkozy - C'est vrai qu'en termes de criminalité, la Lozère est le 3ème département de France le plus tranquille. Il ne faut pas s'en contenter. La délinquance existe quand même en Lozère et nous devons rester très vigilants. Sur un plan général, depuis 2002, la délinquance a baissé en France de 9% alors qu'elle avait augmenté de 15% entre 1998 et 2001, sous nos prédécesseurs. Nous avons épargné un million de victimes. Mais Il faut poursuivre le combat contre l'insécurité chaque jour et mois après mois nous faisons reculer la délinquance. Il faut aussi aller plus loin. C'est pour cela que je défends actuellement au Parlement un projet de loi sur la prévention de la délinquance, et que je plaide pour que les sanctions judiciaires soient plus sévères.
Sur les autres sujets d'excellence de la Lozère, le raisonnement est le même. Ce pourrait d'ailleurs être un bel axe de réflexion politique : donnons-nous comme objectif de hisser chacun au niveau des meilleurs, regardons ceux qui réussissent autour de nous, plutôt que ceux qui échouent, et essayons surtout de nous inspirer de ce qui fonctionne. Source http://www.u-m-p.org, le 27 octobre 2006