Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur le défi de l'élargissement de l'Union européenne et de la fédération des "Etats-nations" d'Europe, le calendrier de l'adhésion de la Pologne, le cadre financier de l'Union européenne, la négociation de l'Agenda 2000 et de la réforme de la PAC, Natolin (Pologne) le 8 février 1999.

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Circonstance : Voyage en Pologne les 8 et 9 février 1999-intervention devant le Collège d'Europe à Natolin le 9

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Cest un grand plaisir de me trouver parmi vous, à loccasion de la visite que jeffectue en Pologne aujourdhui et demain.
En ouvrant ici, à Natolin, en 1994, son deuxième campus, le Collège dEurope ne pouvait pas être plus en harmonie avec lévolution de notre continent. Créé au lendemain de la guerre, alors même que les « Pères fondateurs » de lEurope étaient sur le point de jeter les bases de la construction européenne, le College dEurope représente, depuis 50 ans, à Bruges et désormais en Pologne, un brillant symbole de rapprochement entre les jeunes de notre continent. La présence, depuis plusieurs années, sur le campus de Natolin dun nombre important détudiants en provenance des pays de lUE, et notamment de France en est le témoignage.
Cest pourquoi jai répondu sans hésiter à linvitation qui ma été faite de mexprimer devant vous, afin de vous exposer la vision française de notre Europe commune, en ce tournant du siècle.
Je voudrais dabord, me trouvant en Pologne, évoquer le défi de lélargissement, de lunification de lEurope, qui souvre à nous, avant de dresser les grands traits de lEurope renforcée et élargie, telle que nous la voyons pour les prochaines décennies.
I.Nous devons dabord réussir lélargissement : cest notre devoir commun et le défi que nous devrons relever ensemble.
1.Je voudrais souligner en premier lieu lenjeu que représente lélargissement de lUnion européenne à lEst, en marquant bien que la France sy sent totalement impliquée.
LEurope na jamais véritablement été unie dans lhistoire. Lesprit européen a existé - la Pologne en a fourni dadmirables exemples, de Frédéric Chopin à Marie Curie -, lEurope des marchands a été une réalité, dès le XVIème siècle, mais notre continent na jamais connu dunité politique.
Cest donc une chance historique que nous offre la chute du rideau de fer. Nous devons la saisir, pour aboutir, plus quà un nouvel élargissement, à une véritable unification de lEurope.
Cette unification est une chance pour les pays dEurope centrale et orientale. Elle leur permettra de tourner définitivement la page de la guerre froide, et, plus encore, den finir avec une histoire marquée par de nombreux conflits et bouleversements, et je sais quel a été le tribut de la Pologne en ce siècle.
Lélargissement sera aussi une formidable chance de développement économique et social, lopportunité de rattraper plus rapidement les retards dus aux impasses des politiques menées par les régimes de ces pays dans laprès-guerre.
Mais lélargissement est également une chance pour les membres actuels de lUnion. Une Union plus large, se rapprochant des frontières naturelles de lEurope, accueillant un pays comme la Pologne avec sa population jeune, son dynamisme, ses atouts son génie propre cest une Europe plus forte. Vous-mêmes qui êtes rassemblés ici, pendant que vos camarades étudient à Bruges, vous en êtes la meilleure illustration.
Face à cette perspective, je veux vous convaincre que la France est totalement engagée dans cette tâche historique de lunification européenne. Je sais que certains ont voulu répandre limage dune France réticente à lélargissement, soucieuse de se retrancher dans le confort dune Europe à Quinze. Cela est faux : la France veut réussir lélargissement à lEst et pour cela, elle souhaite que tous les atouts en soient réunis.
Nous souhaitons aider les pays candidats à satisfaire, le plus rapidement et dans les meilleures conditions possibles, aux exigences requises par ladhésion. Les autorités polonaises, dont je tiens
à saluer les efforts méritoires déjà accomplis et la détermination à accélérer la préparation de leur pays à lentrée dans lUnion européenne, connaissent nos propositions de « jumelage » dans le cadre des « partenariats pour ladhésion ».
Je veux bien faire comprendre la position de la France. Nous ne sommes pas réservés par rapport à lélargissement, nous y sommes favorables, nous voulons vous aider à le réussir. Nous ne serons pas démagogues, mais nous voulons être réalistes et sérieux dans la conduite des négociations.
2.En effet, et je voudrais y venir maintenant, lélargissement, sil est une chance historique, représente également un réel défi, pour les pays candidats comme pour lUnion actuelle.
Pour les pays candidats, leffort demandé pour reprendre, selon le jargon européen, « lacquis communautaire », cest-à-dire lensemble des règles et disciplines qui conditionnent le fonctionnement de lUnion, est tout à fait considérable : nous en avons conscience.
Les pays candidats ont un niveau de développement économique encore largement inférieur à la moyenne communautaire, ils possèdent des structures économiques et sociales qui en dépit des considérables réformes courageusement menées depuis quelques années restent différentes. Or il est bien clair quune adhésion précipitée de ces pays à un environ totalement concurrentiel, en même temps quà un marché régi par des disciplines contraignantes et des contrôles rigoureux, représenterait une menace majeure pour leur équilibre économique, social et même politique.
Les négociations seront exigeantes. Vous savez que 11 pays sont à lheure actuelle, candidats à lUnion européenne et que les négociations ont démarré, en mars 1998, avec six dentre eux : la Pologne, Chypre, lEstonie, la Hongrie, la Slovénie et la République tchèque. Les pays candidats devront adapter des pans entiers de leur économie, de leurs structures sociales. Beaucoup de ces réformes ont été engagées. Nombre dentre elles auraient été, de toute façon, nécessaires.
Mais il ne faut pas mésestimer non plus le poids quelles représentent, en termes financiers mais aussi sociaux, et les tensions quelles pourraient susciter.
Cest pourquoi, je voudrais rappeler que ce qui importe le plus, à nos yeux, cest la conduite sérieuse de ces négociations, sans quil soit utile dêtre obsédé par la date de leur conclusion. Autant il est important et positif que les pays candidats se fixent des objectifs et un calendrier pour leurs réformes internes, autant il ne serait pas productif, en effet, que lUnion se fixe une échéance pré-déterminée. Car lorsque lon parle de date de qui sagit-il et de quoi parle-t-on ? Chacun risque de la comprendre de manière différente : sagit-il de la date dadhésion du ou des candidats les plus avancés ? Quelles conclusions doivent alors en tirer les autres candidats ?
Sagit-il dune date indicative, celle à laquelle on espère aboutir dans la négociation ? Dune date destinée à stimuler les efforts de chacun des candidats pour la reprise de lacquis communautaire ?
On voit bien à la fois les raisons pour lesquelles les pays candidats, eux-mêmes, ont intérêt à se fixer sur le plan interne une date dobjectif mais aussi lambiguïté qui découlerait de laffichage, par lUnion elle-même, dune échéance au contenu aussi ambigu ?
Elle ne pourrait, au contraire, que compliquer le bon déroulement du processus, voire retarder les candidats les plus avancés - et en disant cela, jai bien sur la Pologne à lesprit. Encore une fois, limportant nest pas de figer le processus, au risque de déstabiliser certains candidats, mais de réussir lélargissement, dabord dans votre propre intérêt.
Leffort sera dune nature différente, mais tout aussi considérable, pour les pays actuels de lUnion.
Il est vital. en effet, pour nous, que lélargissement ne se traduise pas par une perte de substance pour lUnion européenne, pour la force de ses politiques communes et pour ses ambitions politiques. Lélargissement ne doit pas entraîner une dilution de lidée européenne dans une zone de libre-échange.
Deux défis doivent donc être relevés.
A court terme, nous devons réformer le cadre financier et les politiques communes de lUnion afin de les adapter à la perspective de lentrée de pays qui auront, au départ, et en dépit de leurs efforts, des capacités contributives modestes au budget européen et, en revanche, des besoins considérables en matière de solidarité, quil sagisse de la politique agricole ou des politiques structurelles.
Cest lobjet des négociations actuelles, dites de « lAgenda 2000 », qui doivent offrir, de toute façon, lopportunité de réformer les politiques communes dans le sens de la rigueur budgétaire, dune meilleure efficacité et dun meilleur ciblage vers les régions ou les activités qui ont réellement besoin dun effort de solidarité.
La France est déterminée à ce quun accord soit conclu selon le calendrier prévu, cest-à-dire dici la fin du mois de mars, en souhaitant que chacun fasse un effort vers le consensus.
Le deuxième impératif est celui de la réforme institutionnelle. LEurope à Quinze fonctionne déjà de manière imparfaite dans ses structures actuelles, qui avaient été prévues pour six.
Elle ne fonctionnera plus du tout à 20, 25, ou plus, si rien nest fait pour remédier aux dysfonctionnements constatés. Vous le savez, tel était lobjet de la Conférence intergouvernementale qui sest réunie en 1996 et 1997, et qui a abouti au Traité dAmsterdam. Elle a malheureusement échoué sur ce point, dont limportance demeure cruciale pour lavenir même de lUnion européenne.
Cest pourquoi, dès la signature du nouveau traité, la France a indiqué le, plus clairement quil était impératif quune réforme profonde des institutions ait lieu avant tout nouvel élargissement. Elle le redira à loccasion de la ratification, par notre Parlement, dans les toutes prochaines semaines, du Traité dAmsterdam. Cette réforme est nécessaire pour lEurope des Quinze ; cest dabord pour cela que nous la souhaitons. Elle est vitale dans la perspective de lEurope réunifiée : elle est donc vitale pour la Pologne comme pour les autres pays candidats.
Cette position, partagée au début par seuls quelques uns de nos partenaires - doù, peut-être, cette légende dune réticence française à lélargissement -, fait désormais lobjet dun relatif consensus.
Je sais que les discussions seront difficiles ; léchec de la CIG sur ce point a montré les divergences qui existaient entre les vues des uns et des autres. Pour autant, il en va du devenir de lEurope, tant il est vrai quil ny aura pas dEurope forte avec des institutions faibles.
Il ny a donc pas de temps à perdre. Nous attendons les propositions de méthode et de calendrier que la présidence allemande de lUnion européenne doit faire à la fin de ce semestre. Il faut que les réflexions reprennent dici la fin de cette année afin de pouvoir aboutir dici la fin de lan 2000, de façon à entrer dans la phase décisive des négociations dadhésion à partir de 2001. Ainsi, aucun retard ne sera pris pour lélargissement lui-même, et nous pourrons alors faire de cette Europe élargie un ensemble plus fort et plus stable, en un mot, lUnion politique que nous souhaitons.
II.Cest pourquoi, après avoir rappelé devant, vous les principaux enjeux de lélargissement, je voudrais maintenant vous exposer nos vues de ce que pourrait être lEurope élargie et renforcée du siècle prochain.
LEurope de demain devrait, selon moi, se donner trois grandes ambitions :
· être un modèle politique, fondé sur les valeurs de démocratie et de paix, à lintérieur de ses frontières et sur la scène internationale ;
· être un modèle économique et social, articulant au mieux la prospérité économique et le progrès social ;
· être un modèle culturel, fondé sur notre communauté de valeurs.
1.Première ambition, donc, lEurope de demain devra être un modèle politique, cest-à-dire une forme inédite dorganisation démocratique regroupant, dans un but commun, des Etats indépendants et jouant tout son rôle sur la scène internationale.
Nous savons que lengagement européen continue de susciter des peurs, liées à léventualité dune dilution de lidentité nationale et de la spécificité, tant politique que sociale, culturelle ou linguistique de chacun.
Face à cela, lenjeu est de faire apparaître lespace européen comme le lieu dune nouvelle affirmation dune identité démocratique et républicaine, on pourrait dire « citoyenne », ce qui est, en fait, une façon de répondre à la question : lEurope, pour quoi faire ?
Ce modèle politique doit comprendre, selon moi, trois volets : des institutions européennes démocratiques et efficaces, un espace européen de liberté et de sécurité, une politique étrangère et de sécurité à la mesure de ses ambitions.
Sagissant du premier volet, les institutions, je voudrais dire de façon préliminaire, que je ne crois pas, personnellement, aux débats quelque peu théologiques sur le caractère fédéral que devra avoir, ou pas lEurope de demain. Je crois ces débats anachroniques ou prématurés.
LEurope développe dores et déjà des politiques fédérales ; leuro en est évidemment un exemple. En même temps, il serait vain de nier lattachement légitime des citoyens à leurs propres nations, qui restent le cadre naturel dans lequel se développe le génie propre de chaque peuple.
Cest donc à une construction inédite, pragmatique et ambitieuse quil faut sattacher, en faisant la part, du mieux possible, entre les compétences qui demeureront en tout état de cause du ressort des Etats et celles qui gagneront à être conservées ou transférées au niveau européen.
Le concept de subsidiarité, en dépit de ce terme incompréhensible, dont les technocrates de lEurope ont - après les spécialistes du droit canon - le secret, est une des clés de cette problématique : il revient à ne faire au niveau européen que ce qui serait fait de façon moins efficace au niveau national.
Mais je préfère encore la notion de « fédération dEtats-nations », introduite par Jacques Delors et qui reflète bien lidée, à laquelle je tiens, que les nations acceptent dunir leurs forces au service dun projet commun.
Ceci posé, lEurope devra tout dabord être dotée dinstitutions démocratiques et efficaces afin de pouvoir fonctionner avec 20, 25, voire 30 Etats membres. Je lai dit, cest une question que les 15 membres actuels doivent impérativement régler avant lélargissement.
Sans rentrer dans les détails, une telle architecture institutionnelle suppose, selon moi une Commission européenne à leffectif limité, au profil politique rehaussé, au fonctionnement plus collégial, et plus soucieuse de rendre compte de son action aux citoyens européens, un Conseil des ministres pratiquant le plus souvent possible le vote à la majorité qualifiée avec, en corollaire, une repondération des voix entre Etats et, enfin, un Parlement européen fort, légitime, creuset de la démocratie européenne.
Pour autant, et quelle que soit ladéquation des institutions aux défis de lEurope à 25 ou à 30, il est bien clair que cette Europe aura un mode de fonctionnement différent. Elle devra faire preuve de plus de souplesse, compte tenu de son nombre et de la disparité accrue entre ses membres. Afin déviter une perte dambition collective, il sera donc nécessaire quun certain nombre dEtats soient en mesure, en quelque sorte, dentraîner les autres, de montrer le chemin, dêtre une avant-garde de lUnion.
Cest le sens même des « coopérations renforcées » introduites au sein même de lUnion par le Traité dAmsterdam : il sagit de permettre lémergence de groupes de pays souhaitant mettre en oeuvre des politiques communes nouvelles, quand bien même la totalité des Etats membres ne serait pas en mesure de suivre au même pas.
Leuro à 11, aujourdhui, est un bon exemple de ce que peut être cette Europe plus pragmatique, plus souple, qui continue à avancer sans pour autant devenir une Europe « self-service », où chacun ne prend que ce qui répond à ses intérêts immédiats.
Le deuxième volet du modèle politique doit être celui des libertés et de la sécurité intérieure. La construction européenne doit avoir pour ambition doffrir à ses citoyens plus de libertés et plus de sécurité.
Beaucoup de chemin a été parcouru dans ce domaine, en dernier lieu avec le Traité dAmsterdam qui fixe clairement comme objectif la mise en place dun « espace de liberté, de sécurité et de justice », et met laccent sur la coopération judiciaire et policière entre les Etats.
Nous devons nous rendre à lévidence : plus aucun pays ne peut apporter seul une réponse à laction transnationale des mafias ou à lextension de la criminalité organisée, pas davantage quà la question de la nécessaire maîtrise des flux migratoires.
Sur ce point nous savons la préoccupation de nos amis polonais de ne pas voir édifié un nouveau Mur qui les couperait de leurs voisins orientaux. Tel nest évidemment pas lobjectif de lUnion européenne. Nous souhaitons aider les pays dEurope centrale à ne pas être transformés en « pays de rebond » utilisés par des filières dimmigration clandestines, véritables nouveaux marchands desclaves modernes.
Nous sommes prêts à apporter notre expérience et notre aide aux autorités locales pour permettre un meilleur contrôle des entrées sur le territoire. Il est clair en effet que la liberté de circulation des personnes et des biens à lintérieur de lespace commun que constitue lUnion euroépenne doit avoir pour contrepartie lassurance que lEurope est en mesure de maîtriser la pression des flux migratoires que suscite sa prospérité.
Il convient, dautre part que lEurope soit en mesure de conduire une action efficace et équilibrée, entre les mesures destinées à assurer la sécurité des citoyens et celles permettant la mise en place dun espace de liberté européen. Ces évolutions sont de nature à rapprocher lEurope du citoyen, dont les préoccupations prioritaires seront mieux prises en compte dans la construction européenne.
Troisième volet, une Europe-modèle politique, ce doit être également une Europe qui trouve dans le monde un rôle à sa mesure et, surtout, qui soit capable dassurer sa propre sécurité.
Les crises actuelles, en Iraq comme sur notre continent - je pense bien sûr à la situation dramatique au Kossovo, comme hier à la Bosnie - montrent à la fois les lacunes de la Politique étrangère et de sécurité commune telle quelle sexerce aujourdhui et lexigence qui existe en la matière.
Ces lacunes doivent nous inciter, nous obliger à plus dEurope : cela signifie des moyens plus efficaces pour la PESC, comme ils commencent à être envisagés par le Traité dAmsterdam, cela signifie surtout une volonté politique forte. Je veux être optimiste et penser que les Européens, daujourdhui et de demain, sauront montrer autant de détermination dans ce domaine quil en a fallu pour que naisse la monnaie unique.
De fait, comme leuro, une politique étrangère et de sécurité européenne est un aspect essentiel de laffirmation de lEurope dans le monde et de la préservation de nos valeurs.
Cette politique devra, selon moi, ouvrir la voie à une politique de défense commune. Lintégration européenne demeurerait, en effet, incomplète si elle noffrait pas à ses citoyens lassurance
quelle peut contribuer à leur sécurité extérieure. Il est sûr que beaucoup de chemin reste à faire, notamment en raison des différences de traditions et de perception qui existent chez les Etats
membres actuels comme chez nos futurs partenaires,
Mais les esprits évoluent, comme la montré la déclaration franco-britannique adoptée lors du Sommet de Saint-Malo, en décembre dernier, et qui affirme lobjectif dune capacité autonome daction des Européens, appuyée sur des forces crédibles, tout cela devant contribuer également à la vitalité dune Alliance atlantique elle aussi élargie et rénovée.
2.La deuxième grande ambition de lEurope de demain doit être de devenir un modèle économique et social, garant de la meilleure articulation possible entre performance économique et progrès social.
LEurope doit sefforcer de demeurer, ou plutôt devenir, avec leuro, après leuro, un espace de croissance économique.
A linitiative de la France, un Conseil de leuro a été créé. Il doit être la préfiguration dun véritable gouvernement économique, qui aurait pour ambition, face à la Banque centrale européenne indépendante, de définir une politique économique européenne tournée vers la croissance, grâce à un achèvement du marché intérieur et à une coordination et une harmonisation plus poussées entre les Etats membres, notamment en matière fiscale.
La performance économique doit être mise au service dune Europe des solidarités, car telles sont nos valeurs communes, et la Pologne est un bel endroit pour le proclamer, vingt ans après quun électricien des chantiers navals de Gdansk a montré la voie au monde. Cela signifie avant tout que la croissance doit être mise au service de lemploi, alors que le chômage frappe encore lourdement nos pays. Là aussi, la France a contribué grandement, depuis 1997, avec dautres à faire de la lutte contre le chômage une priorité de laction de lEurope, notamment avec le « Pacte européen pour lemploi » qui va se mettre en place cette année.
LEurope sociale devra également signifier, plus quaujourdhui, des avancées en matière de droits sociaux - je pense à la durée du travail, au revenu minimum, aux conditions de travail -, mais aussi linstauration dun dialogue social à léchelle européenne et la préservation du rôle des services publics, auxquels la France tient beaucoup.
Dans cet ordre didée, nous réfléchissons à létablissement dune Charte des droits politiques et sociaux du citoyen, qui pourrait, en plus dorientations générales, de caractère politique, rappelant lattachement de lUnion aux libertés, à la démocratie et aux droits de lhomme, consacrer un certain nombre de droits économiques et sociaux nouveaux : droit à léducation, à la santé, au logement, au revenu minimum... Une telle Charte pourrait permettre de retremper, en quelque sorte, le pacte fondateur de lEurope des peuples.
La solidarité européenne devra également continuer à se mesurer entre régions riches et régions pauvres, entre zones prospères et zones en déclin : cest lun des principaux acquis de la construction européenne dêtre parvenu, depuis plusieurs décennies, à instaurer ces politiques qui ont largement contribué à réduire les écarts de richesse entre pays membres.
Cet effort doit certes être aujourdhui redimensionné, dune part, comme je lai déjà évoqué, du fait de la perspective de lélargissement vers des pays ayant des besoins considérables et, dautre part, afin de recentrer laide sur les régions qui en ont véritablement besoin, face à une sorte de dilution qui est intervenue au cours des dernières années.
3.Enfin, lEurope doit avoir pour ambition de devenir un véritable modèle culturel, fondé sur notre identité européenne commune.
Dès 1950, Robert Schuman pensait que la culture devait être la première dimension de lEurope. Pourtant, trop peu de choses existent encore dans ce domaine. Nous devons avancer vers une Europe de la création et des industries culturelles, faute de quoi notre « exception » aura de plus en plus de mal à résister à luniformisation du modèle américain.
Je pense également, bien sur, à léducation. Jai bien conscience dêtre ici, au Collège dEurope, parmi des précurseurs. Votre exemple est éloquent et doit nous montrer la voie vers lobjectif de « luniversité européenne ». Jai moi-même proposé lidée dun « Acte unique de lEurope de la connaissance » pour rendre effective lEurope de la connaissance, en supprimant toutes les entraves à la liberté de circulation des étudiants, des enseignants et des chercheurs, à un horizon donné. Car cest bien la question de ladhésion de la jeunesse à lidéal européen qui est finalement posée et qui déterminera tout le reste. LEurope doit apparaître à ses yeux, à vos yeux, comme lidée neuve du siècle prochain.
En conclusion, je voudrais vous dire - même si lexpression est trop souvent galvaudée - que lEurope, cinquante ans après la déclaration Schuman, se trouve à un tournant de son histoire.
Alors quelle vient de franchir létape décisive de leuro, elle se trouve face au triple défi de la réforme de ses structures et de ses politiques, de son élargissement et, avant tout, je crois lavoir montré, de son enracinement comme projet collectif des peuples.
Je souhaite profondément que Français et Polonais - et en disant cela je noublie pas, bien sur, nos autres amis ici présents - puissent franchir ensemble ces étapes. Que notre très ancienne et profonde amitié, que les liens humains et affectifs forgés à travers les siècles entre nos deux peuples, et qui me rattachent personnellement à votre pays, nous donnent lénergie et lenthousiasme pour bâtir, de Paris à Varsovie, lEurope, la grande et belle Europe de demain.
Je vous remercie de votre attention./.
(Source http://www.france.diplomatie.gouv.fr, le 15 février 1999)