Interview de M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, sur "RMC Info" le 21 décembre 2006, sur la politique fiscale du gouvernement, sur le bouclier fiscal qui limite, à partir de 2007, la totalité des impôts à 60% des revenus, sur les délocalisations fiscales des entreprises.

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Texte intégral

J.-J. Bourdin - T. Breton, bonjour et d'abord votre question aux auditeurs de RMC ?
R - Vous savez que nous avons décidé de mettre en place le bouclier fiscal qui fait que désormais, à compter du 1er janvier 2007, les Français - c'est dans le Code général des impôts, à l'article premier - les Français ne pourront plus payer plus de 60 % d'impôt sur le revenu, à quelque niveau qu'ils soient, qu'ils soient petits, moyens, grands, qu'ils aient hérité par exemple d'une maison qui elle-même est assujettie à l'ISF, désormais ils sont protégés. Alors oui ou non, les Français veulent-ils garder le bénéfice de ce bouclier fiscal ?
Q - Donc pas plus de 60 % d'imposition sur les revenus.
R - Sur l'ensemble des impôts.
Q - D'accord. On va parler de la fiscalité évidemment mais puisqu'on en est là, regardons l'actualité avec cette nouvelle déclaration de J. Hallyday qui dit qu'il ne veut plus être un mouton qui se fait tondre. Est-ce qu'il se fait "tondre" en France Johnny, franchement ?
R - J'ai entendu cette polémique, j'ai entendu aussi les déclarations d'affection, des uns et des autres. En tant que ministre des Finances, je ne dis qu'une seule chose à tous ceux qui seraient tentés de quitter le territoire national car ils estiment que l'impôt en France est confiscatoire : attendez le 1er janvier 2007, car au 1er janvier 2007, j'ai souhaité précisément - et nous l'avons fait voter l'année dernière au Parlement - que la France redevienne un pays normal en matière de fiscalité, à savoir que désormais, l'impôt sur les revenus soit plafonné à 40 %, c'est le taux marginal, ce qui fait que maintenant la France est dans la moyenne européenne - ce qui est normal, on est un pays ouvert - et également que lorsque l'on additionne tous les impôts des Français, que ce soit l'impôt sur le revenu, l'impôt foncier, l'ISF pour ceux qui le payent, ces impôts additionnés ne dépassent pas 60 % des revenus. J'estime que c'est légitime, raisonnable et ça protège précisément. Donc je dis à Johnny et aux autres candidats, d'attendre le 1er janvier puisque précisément vous serez protégés. Par contre, c'est vrai que si vous entendez les déclarations de F. Hollande qui m'ont effondré, comme beaucoup de Français - j'ai eu des dizaines et des dizaines d'appels depuis lundi - lorsque F. Hollande à la une du Monde indique tout de go, que si jamais lui-même et Mme Royal arrivaient au pouvoir, ils reviendraient sur toutes, je dis bien toutes les baisses d'impôt dont ont bénéficié tous les Français. Après les sourires, après les périodes fastes et douces, on rentre enfin dans la dure réalité de la campagne, c'est une bonne chose, les Français jugeront.
Q - On va revenir sur Johnny encore quelques instants, F. Hollande dit : "retour au niveau de 2002 pour les tranches supérieures de l'impôt sur le revenu, suppression du bouclier fiscal plafonnant à 60 % des revenus des impôts directs et impôts locaux...
R - Y compris pour les plus fragiles...
Q - Il dit aussi qu'il n'y aura pas de baisse du niveau des prélèvements obligatoires durant la prochaine législature, et que tout candidat qui promettra une baisse des impôts générale et massive est soit dans le mensonge, soit dans l'irresponsabilité.
R - Il le dit à la une du Monde : "Nous reviendrons sur toutes les baisses des impôts de tous les Français". Alors, comme on a baissé pour tout le monde de 20 %, les Français savent désormais à quoi s'en tenir. Certains croyaient que finalement tout ça c'était bien gentil. Eh bien, voilà, on sait que si les socialistes arrivent au pouvoir, l'impôt de tous les Français va réaugmenter. Je me bats de toutes mes forces pour que précisément ceci n'arrive pas, et c'est la raison pour laquelle avec N. Sarkozy, je suis déterminé à ce qu'il soit notre candidat et qu'il puisse précisément protéger la fiscalité des Français.
Q - Eh bien, vous savez ce qu'il dit, N. Sarkozy ? Alors mettez vous d'accord.
R - Mais on est très d'accord.
Q - Il dit qu'un pays où tant de nos artistes, de nos créateurs, de nos chercheurs, où tant de gens se disent qu'il faut partir, c'est bien qu'il y a un problème.
R - Eh bien voilà, il est réglé à partir du 1er janvier. C'est vrai qu'il y avait un problème et je l'ai vécu puisque j'ai le montant et j'ai voulu arrêter ceci pour faire en sorte que la France redevienne un pays dans son temps, moderne.
Q - Alors un Johnny, puisque c'est un exemple, pourrait revenir en France à partir du 1er janvier donc, si je vous écoute bien.
R - Il n'a qu'à tout simplement ne pas partir, qu'il attende encore une semaine, c'est au 1er janvier, voilà.
Q - C'est irresponsable de sa part ou c'est condamnable sur le plan de la citoyenneté ? C'est ce qu'a dit S. Royal ce que je vous dis.
R - Je ne rentre pas dans le jeu des personnes...
Q - Non, c'est un exemple vous savez bien.
R - Mon rôle à moi, c'est d'éviter que ce type de situation puisse perdurer en France, c'est la raison pour laquelle, grâce au bouclier fiscal qui protège, je le redis, contrairement à ce que j'entends ici ou là, bien sûr des cas qui sont des cas tels que ceux que vous venez d'évoquer mais aussi les plus fragiles. Je prends un exemple, on en a beaucoup parlé, le petit contribuable, le petit retraité de l'Ile de Ré qui habite dans une maison dans laquelle il a vécu depuis 35 ans, qui a pris du terrain parce qu'il y a par exemple des stars soit de la politique, soit du show-business qui viennent s'installer autour de sa maison, qui font que le prix de son immobilier augmente, il a une petite retraite pour vivre de quelques milliers d'euros par an et par ailleurs il a une maison qui a pris de la valeur, dans laquelle il veut vivre et qui est assujettie à l'ISF. Eh bien, désormais, grâce au bouclier fiscal il ne paiera plus l'ISF comme il le payait avant, il sera protégé. C'est une mesure de justice sociale pour tous que j'ai mis en oeuvre. Alors, de grâce, n'ostracisons pas. Nous avions dans notre Code général des impôts des aberrations héritées des socialistes avec l'ISF, je les ai corrigées en faisant en sorte que le Code général des impôts dans son article premier stipule désormais que pour la première fois, dans notre histoire fiscale, il est impossible en France de prélever plus de 60 % sur ces revenus par l'impôt. Je crois que c'est une mesure de justice sociale et de modernité.
Q - J'en finis avec Johnny ; le chanteur blâme le système fiscal français, il dit qu'il pénalise ceux qui réussissent et gagnent de l'argent, il estime que les gens au service de l'Etat jouent avec l'argent du contribuable, il cite la dette publique et déplore maintenant que le contribuable paie les pots cassés, il promet qu'il reviendra en France si N. Sarkozy est élu et s'il tient sa promesse de réformer l'impôt sur la fortune, vous entendez ? "Les hommes politiques de droite comme de gauche fréquentent des gens : banquiers sportifs, écrivains qui sont aussi des réfugiés fiscaux, il y a beaucoup d'hypocrisie", regrette-t-il, etc.
R - On va faire court, toutes ces questions, j'ai des réponses parce que c'est mon travail depuis deux ans à Bercy. Vous savez, le débat public que j'ai voulu sur la dette, vous savez la réduction de l'endettement que j'ai mis en oeuvre dès cette année, avec une réduction de deux points de PIB, ce qui est gigantesque, pour la première fois dans notre histoire économique... Alors, on va faire simple, que Johnny vienne me voir, et puis je lui expliquerai toutes les réformes fiscales et les réformes économiques entreprises en France. Pas pour parler de sa propre situation fiscale, il a certainement des conseillers fiscaux mais déjà, pour qu'il ait des réponses à toutes ces questions, et j'ai bon espoir qu'au 1er janvier, nous voyions encore Johnny en France, ce qui sera une bonne nouvelle pour tout le monde.
Q - C'est un appel lancé ce matin à Johnny par le ministre des Finances... Une question de Pascal, lui, qui n'est pas Johnny : "Je suis gérant de société, j'ai une PME de 25 salariés, depuis un an et demi, j'ai subis un contrôle URSAFF, un contrôle des douanes, un contrôle de la répression des fraudes, un contrôle fiscal ciblé, facturation et TVA, tous négatifs, pas un centime de redressement. J'ai reçu ce matin - c'était hier - un recommandé m'annonçant un contrôle fiscal complet, le 11 janvier. Chaque contrôle me bloque au bureau pour un temps indéterminé et m'oblige à ressortir des tonnes de papiers sur les trois dernières années. Je vais arrêter dès la fin de ce dernier contrôle et faire passer ma boîte en administration judiciaire si personne ne reprend. Je rêve de redevenir salarié, à l'étranger bien sûr". Voilà ce que dit Pascal.
R - Ce que je dis à Pascal, c'est que j'ai été moi-même, - pardon de parler de cette expérience, mais vous le savez, puisque vous m'avez connu à l'époque, j'étais un jeune chef d'entreprise, j'ai été une jeune entrepreneur. J'ai connu cette situation, c'est vrai, j'ai connu exactement ce que dit Pascal. J'ai dû l'intégrer et puis finalement, on s'en sort, ce n'est pas non plus une situation inextricable. C'est vrai qu'elle n'est pas agréable, c'est vrai qu'il faut la simplifier et pour cela, voyez-vous, dès que je suis arrivé à Bercy, j'ai souhaité réformer l'administration fiscale dont j'ai la charge. Comment ? Jusqu'à présent, c'était le contribuable qui devait se justifier devant l'administration pour expliquer quels étaient ses revenus, qu'il soit du reste chef d'entreprise ou qu'il soit particulier ? J'ai souhaité faire l'inverse et notamment avec la déclaration pré remplie - ce que les Français ont pu avoir cette année, c'est une révolution, formidable - c'est la première fois dans notre histoire où en fait, j'ai demandé à l'ensemble des entreprises de faire connaître immédiatement, en temps réel, à l'administration fiscale, ce qu'elles versaient à leurs salariés. Ce qui fait que moi je peux intégrer dans nos ordinateurs la situation fiscale de tous les contribuables français et je n'attends pas qu'ils déclarent, c'est moi qui vais leur dire : "Voilà ce que je vois de votre situation fiscale et c'est vous qui devez me contrôler". On a inversé la charge de la preuve. Cela s'appelle "la déclaration pré remplie". Vous savez pourquoi on a fait ça avec mes collaborateurs ? Cela nous a pris deux ans, parce que d'abord c'est une modernité, deuxièmement c'est vrai aussi que ça libère des postes, parce que du coup on peut être beaucoup plus réactifs, ensuite parce que ça change le rapport entre le contribuable et l'administration, et enfin, parce que c'est la phase qui prépare à la situation d'après, qui est la retenue à la source - on va y revenir dans un instant ; avant de pouvoir mettre la retenue à la source en oeuvre, c'est-à-dire que lorsqu'on paye un salaire à un salarié, on prélève immédiatement dessus l'impôt qu'il a à payer pour qu'il n'ait plus à le payer après, il fallait pouvoir réussir avant avec d'abord un mariage de nos systèmes informatiques de la comptabilité publique et de la direction générale des impôts d'une part et deuxièmement, la réussite de la déclaration à la source, c'est-à-dire la fiabilité qui aujourd'hui est reconnue à 100% après deux ans de travail des entreprises françaises qui déclarent directement à l'administration fiscale tout ce qu'elles savent sur un salarié, nous avons maintenant préparé pour aller à la dernière étape, la retenue à la source. Je rappelle que l'on est l'un des deux derniers pays de l'OCDE à ne pas l'avoir mise en oeuvre. C'est une modernité et je la souhaite pour mon pays, on pourrait en reparler, si vous le souhaitez.
Q - J'ai une autre question sur la fiscalité : que faire pour empêcher ou pour inciter les entreprises à ne pas délocaliser fiscalement ? Il y a des quantités d'entreprises, de grosses entreprises notamment qui délocalisent leurs sièges sociaux, aux Pays-Bas, en Suisse et ailleurs, vous le savez bien.
R - Je le sais d'autant mieux que là aussi, vous le savez, j'en ai dirigées, donc je sais comment ça se passe et pourquoi on le fait ou pourquoi on ne le fait pas. Aujourd'hui, nous avons une fiscalité et c'est la raison pour laquelle nous nous battons et je me bats en particulier au nom de la France, au nom du Gouvernement, à la demande du président de la République et du Premier ministre, pour avoir une base d'imposition sur les sociétés qui soit équivalente dans tous les pays européens. C'est mon combat. On n'est plus très loin, je pense qu'à partir du moment où nous avons la même base de fiscalité pour les entreprises, que l'on soit en France, en Allemagne, en Grande-Bretagne ou au Luxembourg, ça évite cela.
Q - Je prends l'exemple de Colgate, la firme a installé son siège ne Suisse, elle a transformé ses usines européennes en sous-traitants, le siège vend à ses usines par exemple en France, les matières premières et leur rachète les produits finis, Colgate leur laisse juste assez de marges financières pour payer les salariés.
R - La réponse à ça c'est effectivement ce que l'on est en train de faire, c'est dire : harmonisation des bases fiscales au niveau européen. Et ce combat-là, je suis sûr qu'on va réussir à le gagner. Il est important pour l'emploi et puis il est important parce que l'Europe est un marché de 460 millions d'habitants et qu'il faut les traiter de façon identique. C'est vrai aussi, je le redis, pour la fiscalité des personnes te c'est pour ça que je trouve irresponsable, alors que nous venons de proposer une réforme fiscale qui va rentrer en vigueur le 1er janvier 2007, qui va faire que la France se retrouve dans la moyenne européenne, c'est irresponsable que le Parti socialiste dise qu'il va ré-augmenter l'ensemble de l'impôt des Français pour faire en sorte que la France redevienne le pays où on paye le plus d'impôts au monde. Je trouve ça tout simplement irresponsable.
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source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 27 décembre 2006