Déclaration de M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie des finances et de l'industrie, notamment sur le commerce électronique crypté et un internet au service des citoyens, Paris, le 4 février 1999.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Colloque du Ministère de l'économie des finances et de l'industrie : "La nouvelle donne du commerce électronique : réalisations 1998 et perspectives", à Paris, le 4 février 1999

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Je suis ravi de vous accueillir à Bercy, car ce mot que l'on associe souvent à l'impôt, est aussi l'anagramme, ou pour être plus précis le " verlan ", de cyber.
1. La mission confiée à Francis Lorentz reflète la mobilisation croissante de notre pays pour entrer dans la société de l'information
Il y a dix-huit mois, j'avais, avec les Secrétaires d'État qui conduisent à mes côtés l'action de ce ministère, demandé à Francis Lorentz de mener un travail collectif de réflexion sur les enjeux du commerce électronique en France pour définir un cadre propice à son développement. La Mission mise en place à cet effet avait réuni des représentants de l'administration et du secteur privé. Elle avait rendu ses conclusions en janvier 1998.
Quelques semaines plus tard, et en grande partie grâce aux travaux de cette mission, le Gouvernement français fut le premier État européen à élaborer une série de propositions d'actions communes sur le commerce électronique. Nous avons ainsi présenté aux États membres de l'Union Européenne en février 1998 un mémorandum qui a grandement contribué depuis à la définition de la politique communautaire.
Enfin, pour concrétiser les recommandations préconisées par le rapport de Francis Lorentz, j'ai annoncé en mai 1998 un ensemble de " 10 mesures pour le développement du commerce électronique " articulées autour de quatre objectifs : créer la confiance, développer l'exemplarité de l'État, développer les usages par les PME de l'Internet et de ses applications commerciales, et développer la concertation État/entreprises autour du commerce électronique.
Il fallait veiller à ce que les différentes annonces soient suivies d'effets. En juin 1998, nous avons donc demandé à Francis Lorentz d'établir une évaluation des suites données au rapport publié début 1998. Il nous fallait mesurer l'impact des différentes orientations prises l'année dernière, recenser les actions engagées depuis tant au sein de l'administration que parmi des acteurs privés, identifier les points de blocage qu'il reste à traiter et définir de nouveaux axes d'actions pour l'année 1999.
Francis Lorentz vous a ainsi présenté tout à l'heure les résultats des travaux de la vingtaine de groupes thématiques de cette nouvelle mission sur le commerce électronique. Je suis pour ma part impressionné par le travail qui a été effectué et par cette mission qui a rassemblé des représentants du secteur public et du secteur privé.
Car ces travaux se sont déroulés alors même que la France entrait massivement dans la société de l'information. L'année 1998 aura été celle du mouvement. Les ménages, les entreprises et les administrations se sont massivement équipés. Tous les indicateurs à notre disposition en témoignent. Nous avons franchis en 1998 plusieurs seuils symboliques : pour la première fois, il s'est vendu plus d'un million d'ordinateurs en France ; plus d'un million de Français supplémentaires se sont connectés à Internet dans l'année, portant le nombre des internautes à plus de 3,5 millions de personnes. Près d'un quart des ménages de France est désormais équipé d'un micro-ordinateur.
Les entreprises ont également fortement participé à ce mouvement. La part de l'informatique dans l'investissement des entreprises a encore fortement progressé en 1998 et aujourd'hui près de la moitié des PME sont connectées à Internet alors qu'elles n'étaient que 24 % en 1997.
Le trafic sur Internet a crû de 240 % ; le nombre de sites Web a été multiplié par 2,5 et les ventes de détail réalisées sur Internet auraient atteint en 1998, selon les estimations, de
500 millions à 1 milliard de francs (à comparer à 8 milliards pour Minitel). C'est encore peu par rapport aux autres pays développés quand on songe que durant les deux derniers mois de 1998, les consommateurs américains ont dépensé environ 2,3 milliards de dollars en ligne.
2. Le commerce électronique devient progressivement un élément essentiel de notre puissance économique
Le commerce électronique doit être un domaine essentiel de l'action du gouvernement. Après les grandes foires commerciales du Moyen Âge, l'invention des grands magasins généralistes à la fin du XIXe siècle et le développement de la grande distribution dans les années 1960 et 1970, le commerce électronique est la quatrième, et sans doute la plus importante, révolution des modes de commerce de notre histoire. Son apparition, puis son développement produisent des conséquences d'une ampleur inimaginable pour nos entreprises, des conséquences sociales et des conséquences pour l'État lui-même.
Pour demeurer compétitives dans le nouveau contexte économique créé par l'apparition du commerce électronique, les entreprises doivent intégrer des bouleversements de la chaîne de la valeur ajoutée engendrés par la disparition de certains intermédiaires et l'apparition de nouveaux concurrents.
Le commerce électronique se révèle à l'origine de mutations sociales majeures : abolition des distances ; nécessité de revoir la formation ; destruction de certains emplois, création ou transformation d'autres ; nouveaux comportements des consommateurs. Les Français doivent se préparer à de tels changements. Il n'a jamais été aussi facile de comparer les prix et services. On peut maintenant demander à un robot d'écumer tous les sites proposant un même produit pour trouver le meilleur prix. De même, l'arrivée de nouveaux intermédiaires, de nouveaux commerçants inconnus, sans boutiques et sans stocks, mais avec seulement une enseigne, bousculent nos modes de régulation du commerce. Ceux que mon ami Jean-Louis Gassée appelle les " nouveaux barbares " sont en train de constituer des fonds de commerce mondiaux qui peuvent déstabiliser des segments entiers de nos circuits de distribution traditionnels.
A ce titre, je me félicite que les acteurs français du commerce électronique se soient peu à peu structurés. La création de l'Institut International du Commerce Électronique qui regroupe les associations françaises dans ce secteur est une bonne nouvelle pour tous les opérateurs français qui veulent tirer le meilleur parti du commerce en ligne.
L'Europe tient une place particulière dans cette activité transfrontière qu'est le commerce électronique. L'objectif du Marché Unique est de constituer un espace européen économique sans frontière. Il est donc pertinent de l'envisager comme le lieu d'un développement naturel du commerce électronique, tant pour les consommateurs que pour les entreprises car le passage de 1998 à 1999 est marqué par le succès du lancement de l'euro. L'année 1999 sera celle de la synthèse de l'euro et du commerce électronique. Des prix uniformes en monnaie unique donneront une vue d'ensemble des marchés, où des concurrents vont surgir dans tous les secteurs. L'euro donnera à tous les acteurs économiques une occasion unique de dépoussiérer leurs habitudes, de rénover leurs produits et leurs comportements. Prenons le cas d'une PME française très compétitive, dont les clients sont français parce qu'elle n'a pas les moyens de se faire connaître au-delà des frontières de l'Hexagone. Grâce à l'euro et au commerce électronique, ses clients potentiels pourront comparer les prix de ses produits sur Internet avec ceux de ses concurrents européens. Grâce à l'euro et au commerce électronique, l'Europe deviendra demain pour nos entreprises aussi accessible que le marché national.
Pour l'État enfin, le commerce électronique définit de nouvelles règles du jeu. La dématérialisation et l'internationalisation des échanges posent de nombreuses questions : collecte des impôts sur de tels biens ou services ; définition des enceintes internationales compétentes sur des questions qui pouvaient se traiter auparavant au niveau national ; exigences croissantes des citoyens pour avoir accès à une administration plus rapide et efficace, étant donné la disponibilité de ces nouveaux outils.
3. L'Etat doit être exemplaire
L'administration doit montrer l'exemple, aussi bien pour améliorer son fonctionnement interne, grâce aux nouvelles technologies de l'information et de la communication, que pour offrir un accès plus ouvert aux citoyens et aux entreprises. Pour beaucoup d'entreprises, les échanges électroniques avec l'administration peuvent fournir l'opportunité d'une plus grande familiarisation avec la pratique du commerce électronique. Désormais, le Journal Officiel est disponible gratuitement sur Internet. L'information administrative proposée sur Internet au public se développe et déjà plus d'une centaine de formulaires sont téléimprimables. En mars 1999, plus de 100 formulaires seront mis en ligne, soit 80 % des formulaire les plus utilisés par le public.
Les entreprises peuvent consulter sur le site Internet les appels d'offres ministériels et accéder aux formulaires administratifs pour se porter candidates. Par ailleurs, nous avons engagé la dématérialisation progressive des procédures administratives. Au sein du Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, cette dématérialisation porte en priorité sur les marchés publics, désormais accessibles sur le réseau, mais aussi sur le paiement des impôts sur le revenu qui peut être effectué sur Internet depuis septembre 1998.
Un intranet ministériel a été mis en place en juillet dernier ; son développement de l'intranet est exponentiel. Chaque semaine se créent des rubriques nouvelles, de nouvelles informations sont mises en lignes.
Cet effort, quoique très significatif, est encore à mes yeux insuffisant. Il faut renforcer les moyens informatiques du ministère. Mon objectif est d'aller plus loin et plus vite en dotant prioritairement les services de terrain de moyens modernes de travail. La priorité sera donnée à l'installation d'un poste en libre service dans chaque unité déconcentrée et à l'équipement des agents chargés de l'accueil du public. L'ensemble des unités administratives pourra ainsi véritablement travailler en réseau. Au total, alors qu'ils étaient seulement 10 000 au début 1998, 55 000 agents de mon ministère seront équipés de l'Intranet et de la messagerie avant la fin de l'année 1999.
Internet est un outil de modernisation du service public. Il doit être en même temps l'instrument de la simplification, pour les particuliers comme pour les PME.
1) Il faut aller plus loin en développant les échanges électroniques entre l'administration et les citoyens. J'ai donc décidé qu'il nous fallait franchir un nouveau pas en direction des particuliers au plus vite. Aussi, nous allons proposé, dans le cadre de la campagne d'impôts sur le revenu 1998, un ensemble de services très complet, dans lequel les internautes pourront choisir librement.
Tous les formulaires, ainsi que leurs notices, seront disponibles sur le site. Les contribuables qui n'auront pas reçu à leur domicile les déclarations qui leur sont nécessaires (par exemple, les primo-déclarants, les personnes mariées en 1998 qui doivent souscrire trois déclarations ou les personnes ayant déménagé à une date très récente) pourront télécharger et éditer chez eux un formulaire vierge et/ou sa notice. Cette possibilité concerne tous les formulaires dont les particuliers ont besoin pour remplir leur déclaration de revenus, y compris bien sûr ceux qui ne sont pas habituellement envoyés à domicile.
Les contribuables-internautes auront également la possibilité de remplir en ligne, avec une aide en ligne associée, les principales déclarations : les déclarations d'ensemble (n° 2042) remplies chaque année par plus de 30 millions de contribuables.
Après remplissage, les internautes pourront procéder à une simulation de leur impôt 1999. Après édition en local et, après signature, les déclarations ainsi complétées pourront être adressées au centre des impôts compétent pour valoir déclaration de revenus.
Pour faciliter la vie de celles et ceux qui travaillent, nous avons décidé de mettre en place une boîte aux lettres électronique entièrement dédiée à l'impôt sur le revenu qui sera ouverte cette année pendant le mois précédent le dépôt des déclarations. Le délai de réponse ne devrait pas dépasser 48 heures ouvrables.
2. Pour les PME et les entreprises, deux téléprocédures totalement dématérialisées seront proposées au début de l'année 2000 : la télédéclaration et le télépaiement de la TVA et la télédéclaration d'échanges de biens. Ce dispositif est de nature à faire entrer dans le monde des échanges électroniques un grand nombre d'entreprises qui réaliseront chaque mois, grâce à ces téléprocédures, des gains précieux de temps et de moyens dans leur gestion comptable.
4. De nouvelles orientations pour 1999
Il convient désormais de définir quelle sera notre action en 1999, en tenant compte du travail considérable mené par la mission commerce électronique
Le rôle de l'État se trouve amplifié et précisé autour des objectifs suivants : définir un cadre réglementaire clair et stable, renforcer l'exemplarité des administrations, favoriser le développement d'une offre française de produits et de services dans ce secteur, et participer activement aux négociations internationales.
Il est fondamental de nous mobiliser pour nous préparer à l'Internet du futur. Pour soutenir les développements futurs du commerce électronique dans notre pays et assurer la compétitivité de nos réseaux en termes de qualité et d'efficacité, il faut s'engager concrètement dès maintenant sur l'Internet nouvelle génération. L'économie française ne doit pas manquer le tournant de la nouvelle génération d'Internet. Nous avons à notre disposition un ensemble d'outils adaptés : programme Société de l'information, Réseau National de la Recherche en Télécommunications, programme ITEA. Nous devons mettre en place une action structurante sur ce sujet, en s'attachant à la fois à la recherche sur les infrastructures, les plates-formes ouvertes aux expérimentations, les produits et les services.
Ensuite, la confidentialité et la sécurité des échanges sont des questions essentielles pour le développement des échanges électroniques interentreprises qui représentent et continueront de représenter dans les années à venir près de 80 % du commerce électronique. Depuis de nombreux mois, je souhaitais que les citoyens puissent librement protéger leurs échanges privés et que les entreprises puissent protéger leurs échanges confidentiels sur Internet. Les discussions au sein du Gouvernement ont été franches. Le Premier Ministre a annoncé il y a deux semaines que la cryptologie serait bientôt libre en France. Dans les prochaines semaines, un décret fera passer le seuil de la cryptologie modérée libre d'utilisation de 40 bits à 128 bits.
En outre, les échanges électroniques ne pourront se développer pleinement sans une reconnaissance effective de la signature électronique. Celle-ci exige bien sûr une modification du cadre légal. De plus, elle nécessite une offre de produits et de services en matière de certification et d'authentification. Les appels à projets des services de ce ministère ont ici aussi un rôle majeur à jouer pour assurer une offre et une présence française sur ces marchés.
Nous allons également travailler pour assurer la cohérence des procédures de télédéclaration et de télépaiement administratives, entre elles d'une part, et avec les autres procédures du commerce électronique (Cyber-COMM) d'autre part.
Il pourrait être utile de constituer un réseau d'observatoire de la qualité d'Internet, notamment sous la forme d'une mobilisation des centres de recherche publics à une participation française aux travaux en cours sur la mesure de la performance d'Internet. Cet observatoire travaillerait d'une part, en collaboration avec les initiatives semblables dans d'autres pays, à la définition d'indicateurs de qualité et de méthodes de mesure, et procéderait d'autre part en permanence à la mesure de la qualité de l'écoulement du trafic sur Internet et à l'édition des résultats correspondants.
Nous devons être présents sur la scène européenne et internationale où se discutent des questions importantes liées au développement des technologies de l'information. Nous voulons, avec nos partenaires européens, un débat plus ouvert, plus multipolaire. D'abord, parce que si Internet a été un temps développé surtout aux États-Unis, c'est désormais un réseau véritablement universel . les questions que pose son développement nous concernent pleinement. Ensuite, parce que les Européens, et singulièrement les Français, ont une expérience déjà ancienne du développement des technologies et des réseaux d'information. Je pense, par exemple, à la protection des données personnelles dans leur utilisation informatique, qui constitue un vrai problème aux États-Unis quand notre cadre législatif offre de vraies garanties à nos concitoyens. Le Secrétaire d'État à l'Industrie Christian Pierret a défendu la position française à la conférence de l'OCDE à Ottawa. Nous avons à cette occasion identifié plusieurs conditions pour créer la confiance des utilisateurs dans le commerce électronique. Mais je suis convaincu que c'est à travers notre expression européenne que pourra s'affirmer dans les meilleures conditions la défense de notre conception de la régulation d'Internet.
En conclusion je voudrais vous rappeler que le 19 mars j'annoncerai les résultats du concours des " eLectrophées, trophées des espoirs du commerce électronique ", car pour réaliser toutes les potentialités du commerce électronique, il faut des hommes et des femmes qui prennent des risques et innovent. Ces entrepreneurs du commerce électronique, nous devons les distinguer car ils sont autant de sources du fleuve de la croissance. Ce concours a donc pour objet d'identifier des PME, sélectionnées dans toute la France, qui ont à leur actif des réalisations dans le domaine du commerce électronique (outils matériels ou logiciels tournés vers les échanges électroniques, nouvelles formes de commercialisation, services d'intermédiation). Au 4 février 1999, plus d'une centaine de projets ont été identifiés. Une vingtaine de nominés seront réunis à Paris à l'occasion de la Fête de l'Internet, le 19 mars prochain, pour y présenter leurs réalisations devant un parterre d'investisseurs, de partenaires potentiels, d'experts et de journalistes. Trois prix seront remis par moi à l'issue de cette journée de présentation. J'espère vous retrouver à cette occasion.
Le travail n'est pas terminé. Il faut entretenir cette dynamique mise en place entre les secteurs public et privé par Francis Lorentz. J'estime indispensable d'inscrire dans la durée l'acquis des travaux de la mission commerce électronique et de la pratique de concertation, de réflexion et d'action qui s'est engagée.
(Source http://www.finances.gouv.fr)