Interview de M. Eric Besson, secrétaire d'Etat chargé de la prospective et de l'évaluation des politiques publiques, à RTL le 14 juin 2007, sur le projet de "TVA sociale".

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q.- M. Aphatie.- Bonjour, E. Besson.

R.- Bonjour, J.-M. Aphatie.

Q.- Le Premier ministre, F. Fillon vous a demandé de réfléchir à la mise en place d'une TVA sociale, qu'il préfère appeler lui-même "TVA anti-délocalisation", et qui conduit à transférer une partie des charges patronales qui servent à financer la Sécurité sociale et les politiques familiales sur les produits de consommation courante, par exemple en augmentant la TVA sur ces produits de 19,6% à 24,6 %. Dans quel état d'esprit menez-vous cette étude, E. Besson ? Est-ce que la décision est prise d'expérimenter la TVA sociale ou est-ce que votre étude ne peut aboutir au conseil de : "Ne faisons pas la TVA sociale" ?

R.- L'état d'esprit : je suis agnostique à l'entrée. Je n'ai pas de religion faite. La TVA sociale, ça peut être une bonne idée. Elle peut avoir un certain nombre d'inconvénients. Le Premier ministre ne m'a pas dicté les conclusions du rapport avant que nous ayons commencé notre étude que je mène parallèlement et de façon complémentaire avec J.-L. Borloo, vous le savez.

Q.- C'est-à-dire : c'est pas la même étude ? Vous faites chacun une étude de votre côté ?

R.- Il y a deux pans dans cette étude : l'aspect économique et comparaisons internationales - ça relève de ce que m'a confié le Premier ministre - et il y a ce que vous venez d'évoquer : comment la TVA pourrait permettre de baisser en contrepartie les cotisations sociales, donc la partie opérationnelle qui relève du ministre de l'Economie et de l'Emploi.

Q.- Ah bon ! Moi je pensais qu'il y avait une personne qui faisait une étude. Non, vous l'avez coupée en deux.

R.- Il y a deux personnes. Mais rassurez-vous, ça va se faire de façon totalement complémentaire.

Q.- Et vous pouvez conclure donc...

R.- Non, on ne peut pas conclure. C'est une étude qui a été lancée. Vous avez cité l'hypothèse de cinq points : 19,6 à 24,6. C'est une hypothèse de travail qui a été lancée cette semaine. Ça n'est pas la seule. Il peut y avoir tous les taux intermédiaires. La question cruciale, elle est simple : la France fait reposer son système de financement de la protection sociale sur les salaires, donc sur le travail. C'était bien en 1945, au moment où il n'y avait pas de chômage et où les frontières étaient beaucoup plus étanches. On n'était pas dans le monde "globalisé", entre guillemets, avec l'ouverture des frontières que l'on connaît aujourd'hui. Est-ce qu'aujourd'hui, ça vaut le coup de s'interroger sur le fait de savoir si on doit avoir un autre système de financement de la protection sociale complémentaire de celui qui est basé sur le travail, peut-être augmenter la TVA ; en contrepartie, baisser les cotisations sociales puisque tout ça se fait à ce qu'on appelle "prélèvements obligatoires constants", c'est-à-dire sans augmentation globale de la masse des impôts et des taxes. C'est pour ça qu'il ne sert à rien de faire peur aux Français en suggérant que la TVA allait augmenter vite. D'abord la décision n'est pas prise...

Q.- Parce que ça peut leur faire peur ?

R.- Ça ne peut pas être en 2008 puisque le Premier ministre a écarté clairement cette hypothèse.

Q.- On se demande pourquoi, d'ailleurs ?

R.- Et deuxièmement...

Q.- On se demande pourquoi ?

R.- Mais parce qu'il faut le temps de la décision et de la concertation. Il veut que nous ayons une discussion approfondie avec les partenaires sociaux, qu'on expérimente ou qu'on teste un certain nombre de scenarii. Vous venez d'en évoquer un certain nombre. Est-ce qu'on le fait de façon homogène ? Est-ce que ça se fait avec une durée de temps limité ? Est-ce que c'est sur certains produits, certains secteurs ? Ce qu'on appelle un taux de TVA modulable. Tout ça demande un peu de temps, demande le temps de la concertation. Mise en oeuvre potentielle : 2009. On a du temps et la décision n'est pas prise.

Q.- Donc, vous le dites clairement, ce matin, sur RTL, E. Besson : la décision n'est pas prise et la TVA sociale ne verra peut-être jamais le jour ? Ceci dit, dans son dernier livre, N. Sarkozy - le livre s'appelle "Ensemble", il est paru le 2 avril dernier, ce n'est pas loin, N. Sarkozy écrivait ceci : "Je suis convaincu qu'il faut expérimenter le transfert d'une partie des cotisations sociales sur la TVA". Voilà. C'est noir sur blanc. Il en était "convaincu".

R.- Oui.

Q.- Donc, si le chef de l'Etat en est convaincu, c'est que ça va se faire ?

R.- C'est bien que vous le rappeliez puisqu'on a l'impression, à écouter le débat politique qui s'est instauré, que ça serait, comme ça, sorti du chapeau subrepticement et que seul, un couac gouvernemental aurait mis ça sur la place publique. La réalité n'est pas celle-là, vous venez de le rappeler.

Q.- Mais il en était convaincu, N. Sarkozy.

R.- Je ne vous dis pas l'inverse.

Q.- Il en reste convaincu !

R.- Je suis en train de confirmer ce que vous êtes en train de dire : N. Sarkozy l'a dit pendant la campagne électorale. Il a même dit pendant le débat télévisé d'entre deux tours, et c'est dans son livre "Ensemble". Autrement dit, il fait ce qu'il a dit. Il nous avait demandé de mettre en oeuvre son projet. Le Premier ministre nous confie à J.-L. Borloo et moi-même une étude pour mettre en oeuvre le projet présidentiel.

Q.- Donc, ça va se faire ? La TVA sociale va se faire ? La réflexion n'est pas aussi ouverte que vous le disiez, E. Besson ?

R.- Mais attendez ! Moi ça ne me choque pas. Je pense que c'est une évolution souhaitable. Je trouve que c'est une idée intéressante mais qu'elle mérite d'être validée. Simplement, quand on demande une étude et qu'on n'oblige pas à donner des conclusions, c'est bien qu'on laisse toutes les options ouvertes et que le temps de la discussion et de la concertation est ouvert. Je ne cherche pas à démentir le fait que N. Sarkozy est convaincu que pour lutter contre les délocalisations, pour favoriser le maintien de la production en France, notamment des petits salaires, des salaires des personnes faiblement qualifiées, il pense que c'est une option intéressante. Notons qu'elle a eu au Danemark et en Allemagne, dans des contextes, il est vrai, un peu différent mais elle a eu une application plutôt heureuse.

Q.- On a souvent dit, à gauche, au Parti socialiste notamment d'où vous venez, E. Besson, que la TVA était un impôt injuste.

R.- Oui, c'est vrai que le Parti socialiste pense cela. C'est son droit.

Q.- Et vous ?

R.- Moi, je pense que c'est plus complexe. Ce qui est d'abord injuste, ce sont les délocalisations et les pertes d'emploi pour les personnes peu qualifiées.

Q.- Mais la TVA, est-ce un impôt injuste ?

R.- J'y réponds, je n'esquive pas. Si on augmente la TVA, vous pouvez aussi trouver des mécanismes compensatoires pour les personnes qui seraient touchées. Je pense, par exemple, aux retraités ou les titulaires de minima sociaux. Il existe des façons d'augmenter la TVA sans toucher les personnes à revenus modestes. Ça n'est pas l'épouvantail qui est décrit. Je veux dire simplement, de ce point de vue-là, que l'idée d'élargir l'assiette des cotisations sociales, c'est-à-dire la base sur laquelle on prélève notre financement de protection sociale, est une idée que le Parti Socialiste a aussi explorée.

Q.- Sur la valeur ajoutée des entreprises, mais pas sur la TVA ?

R.- Absolument. Ça ne s'appelait pas la TVA sociale. C'était la "cotisation valeur ajoutée", autrement dit basculer une partie des cotisations sociales patronales sur une assiette plus large : la Valeur Ajoutée...

Q.- ...qui n'était pas la TVA.

R.- ...ce qui n'était pas la TVA, je ne le conteste pas. Mais ces questions-là sont des questions trans-partisanes, les clivages ne sont pas mécaniquement ce que l'on croit.

Q.- La semaine prochaine, E. Besson, une nouvelle Assemblée nationale s'installera. Les questions au Gouvernement reprendront les mardis et les mercredis. Et vous savez, E. Besson, que vous serez la cible de vos anciens amis socialistes. Est-ce que vous appréhendez ce moment ?

R.- Aucunement. D'abord, j'imagine que je ne serai pas en première ligne puisque je ne suis pas ministre en charge des questions de grande actualité.

Q.- Je suis sûr que vous avez des questions tout de suite ?

R.- Mais lorsque ça viendra, vous le verrez, je le ferai avec une très grande sérénité. Je ne renie rien de tout ce que j'ai dit, tout ce que j'ai fait. Je suis très heureux d'appartenir à ce Gouvernement. J'assumerai toutes mes responsabilités et je n'appréhende pas... D'abord, sachez qu'au sein du Parti socialiste, j'ai gardé beaucoup plus d'amis qu'on ne le croit...

Q.- Ils sont discrets ?

R.- Ils sont discrets, absolument. Et je cherche à l'être avec eux parce que je n'ai pas envie de les instrumentaliser. Pour le reste, lorsque viendra mon tour de répondre à des questions d'actualité, je n'appréhenderai pas. Voilà, je n'en dis pas plus.

Q.- E. Besson, dont les amis sont discrets - enfin, certains amis sont discrets - était l'invité de RTL ce matin. C. Hondelatte :

R.- Tellement discrets qu'on ne les entend pas ! Merci.

Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 14 juin 2007