Interview de Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication, à France 2 le 5 septembre 2007, sur la lutte contre le téléchargement illicite d'oeuvres musicales, audiovisuelles et cinématographiques.

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Média : France 2

Texte intégral

Q- Vous mettez en place aujourd'hui une mission qui est chargée de trouver des solutions pour lutter contre le téléchargement illégal. C'est ce qui permet à certains internautes de télécharger des
musiques, des films, des logiciels, sans payer. Est-ce qu'on a une idée de ce que cela représente d'abord ?
R- On sait que c'est absolument énorme, considérable, puisqu'il y a eu près d'un milliard de téléchargements illégaux en 2006 en France. Et par exemple, l'industrie du disque a baissé d'à peu près 40 %. Alors on le sait, évidemment, par rapport aux DVD qui ne sont pas vendus, aux CD qui ne sont pas achetés et à une baisse générale de l'activité. Donc, les conséquences sont vraiment énormes, et cela veut dire beaucoup de licenciements dans ces secteurs, et puis aussi une menace directe pour les créateurs.
Q- Il y a déjà une loi qui existe, et qui prévoit des sanctions très lourdes : c'est trois mois de prison pour un téléchargement. Il y avait des sanctions modulées qui avaient été prévues, mais le Conseil constitutionnel a invalidé ces dispositions-là. Ces mesures là, elles ne suffisent pas, ce n'est pas dissuasif ?
R- La loi fonctionne, la loi dite des droits d'auteurs fonctionne contre les téléchargements massifs, cela veut dire le piratage massif, qui consiste à caser des systèmes et ceci à une grande échelle. Ça, il y a déjà eu, d'ailleurs, des condamnations. En revanche, c'est vrai qu'il y avait le besoin d'une riposte, qu'on a appelé "la riposte un peu graduée", qui existe quand même. Parce que les sanctions que l'on cite sont des sanctions maximum, elles peuvent évidemment être modulées. Mais on voit bien que...
Q- Vous avez donné des consignes aux tribunaux ?
R- Je pourrai difficilement donner des consignes, mais ...
Q- Des conseils auraient été donnés ?
R- ...elles ont été sûrement données. Maintenant, c'est quand même un processus lourd : il faut que les ayants-droit portent plainte. Il y a toute une machine judicaire à mettre en place. C'est un processus lourd. On voit bien que certainement la réponse à ces questions se joue aussi sur d'autres terrains. Et le terrain, c'est la prise de conscience, parce qu'on dit il y a beaucoup d'internautes qui téléchargent, il n'y a pas de prise de conscience. Les jeunes par exemple aujourd'hui considèrent que c'est normal que la musique c'est gratuit, que c'est complètement offert. Il n' y a pas l'idée, que ce faisant on porte atteinte au fond à une industrie qui du coup ne va pas donner sa chance à des jeunes talents ; et du coup, il va y avoir des chansons qui n'existent pas, des musiques qui n'existent pas, des films peut-être qui ne seront pas tournés. C'est ça le côté important. Il y a donc toute une pédagogie aussi à porter dans ce domaine.
Q- Est-ce que le problème, ce n'est pas aussi que le disque est trop cher ? Est-ce qu'il ne faut pas baisser la TVA sur les disques ?
R- Baisser la TVA, c'est un grand combat. Evidemment, nous allons continuer à le mener. Mais vous savez bien, que la TVA nous ne sommes pas seuls à prendre les décisions. Ce sont des décisions européennes bien sûr. Mais, sur la cherté des produits culturels, il y a en même temps des offres de téléchargements légales. Et je crois que là c'est une très bonne réponse, et je pense que...
Q- Cela marche ?
R- Cela marche !
Q- On a une idée de la progression ?
R- C'est en constante progression, et on voit bien chaque semaine, il y a de nouvelles offres tout à fait intéressantes : vous avez des fournisseurs d'accès qui se mettent en rapport avec des sociétés d'auteurs, avec des grands producteurs - on l'a vu avec la SACEM, on le voit avec Universal. On a des offres qui sont quand même tout à fait intéressantes, qui sont à des prix accessibles. Je crois qu'on peut aller plus loin et cela fait aussi partie des travaux à mener probablement dans les semaines qui viennent de se dire : comment faire pour que cette offre soit encore plus intéressante, peut-être moins chère, plus claire, plus simple, de façon à ce que les gens se disent : d'un côté, il y a peut être des risques et de l'autre, il y a quelque chose qui est attractif ; je vais peut-être choisir ce qui est attractif.
Q- La mission qui est mise en place, elle est confiée au patron de la FNAC, D. Olivennes. Est-ce que vous, vous avez déjà des pistes ? Est-ce que vous savez vers quoi il faut s'orienter ? Est-ce qu'il faut prévenir l'internaute qu'on peut lui couper sa connexion, par exemple ?
R- La loi prévoit déjà, d'ailleurs, qu'il y a des messages généraux qui sont donnés aux internautes. Moi je crois beaucoup au fait de parler directement aux gens en leur disant - ou à s'adresser à un ordinateur qui est en marche - en disant :"attention, ce que vous faites est illégal".
Q- Vous êtes en train de télécharger, et un message apparaît.
R- Vous êtes en train de télécharger, un message apparaît. Finalement, on s'aperçoit que les pays qui ont vraiment avancé sur ce dossier, ce sont des pays où il y a eu des réponses assez simples qui ont été données : par exemple, une restriction d'accès, c'est-à-dire que tout à coup, vous avez une interruption, éventuellement brève de votre abonnement. Je crois davantage à cela. Alors ce sont des pistes, ce sont des pistes de réflexion. La mission Olivennes devrait expertiser tout cela, travailler. Mais, si on pouvait aller vers cela, je crois que ce serait des choses intéressantes.
Q- Sur un autre sujet, vous êtes aussi ministre de la Communication. Pour faire de la création, le service public a besoin d'argent. Est-ce qu'il va avoir plus de moyens ?
R- Je veux dire une chose simple : c'est que nous sommes avec les dirigeants de France Télévision aujourd'hui dans tout ce qu'ils ont impulsé, dans tout ce qu'ils portent, pour aller vers une grille - d'ailleurs on le voit bien, elle a été présentée très récemment - plus identitaire, plus culturelle justement. Je crois qu'on va vraiment dans le bon sens, et l'on attend avec impatience quand même (inaudible), etc.
Q- Et cela, cela demande des moyens ?
R- Alors, après, cela demande des moyens. Il y a déjà des moyens, parce que le contrat d'objectifs et de moyens, justement, qui a été signé en avril dernier, représente un engagement assez fort de l'Etat. Si on va plus loin, vers je dirais vers une programmation un peu plus culturelle, effectivement, il faut peut-être d'autres moyens. On est entrain d'en discuter en ce moment pour savoir comment justement apporter ce plus de moyens supplémentaires pour faire plus de culturel.
Q- En gros, il y a deux solutions : on augmente la redevance ou alors on permet plus de publicité, c'est-à-dire qu'on permettrait d'introduire de la publicité dans les émissions de jeux ou de divertissements. Quel vous paraît être la meilleure des deux solutions ?
R- Sur la redevance, de toute façon c'est vrai que le Président s'est engagé : il ne veut pas qu'il y ait augmentation des prélèvements obligatoires. Si on touche la redevance, ce sera à la marge, mais même à la marge, cela peut représenter tout de même quelque chose d'intéressant. La coupure de pub, pourquoi pas. Je vous dis, ce n'est pas décidé, simplement, il ne faut pas déséquilibrer le secteur, parce qu'on sait bien qu'il y a bien sûr les télévisions publiques mais il y a aussi la radio, mais il y a aussi la presse. Et il faut prendre en compte un petit peu, évidemment, l'ensemble pour ne pas quand même déséquilibrer le secteur. Donc, on est entrain de réfléchir à comment faire pour donner un peu plus de moyens entre ces deux contraintes.
Q- Sur un tout autre sujet. Vous avez, si j'ose dire, passé un savon à un directeur de théâtre : celui de Belfort, parce que dans son programme de théâtre, il critiquait N. Sarkozy. Du coup, certains dans le monde de la culture disent : "il y a de la censure". Qu'est-ce que vous répondez à cela ?
R- Je crois, que c'est un incident qui est vraiment très mineur. C'est vrai que j'avais été un petit peu étonnée et choquée de voir que la plaquette de fond de présentation de la saison d'une scène nationale - qui est quand même largement financée par les fonds publics - avait pour édito une lettre du metteur en scène associé à cette scène, qui était consacrée uniquement à une série de propos contre le président de la République. Uniquement. C'était la seule chose qui était le seul contenu à savoir : "comment arriver à créer aujourd'hui ? Je suis encore sous le choc de cette élection, etc." Bon. Il ne faut pas en faire un incident majeur. Simplement, j'ai dit que je trouvais cela un peu déplacé, c'est tout.
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 5 septembre 2007