Déclaration de Mme Christine Boutin, ministre du logement et de la ville, sur la crise du logement et les différentes pistes de travail envisagées pour la résoudre : les enjeux locaux, l'aide aux élus batisseurs, la mise en oeuvre de projets transversaux, la décentralisation, Paris le 4 octobre 2007.

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Circonstance : Convention de l'intercommunalité à Paris le 4 octobre 2007

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Les difficultés de logement sont générales dans notre pays. Rares sont les Français épargnés. Les classes moyennes consacrent un part grandissante de leur salaire dans le logement. Les plus modestes ne s'en sortent plus : ils s'entassent dans des surfaces misérables ou dans des logements insalubres quand ils ne vivent pas à la rue. Notre pays connaît une crise du logement sans guère de précédent.
Sur ce front, les élus sont en première ligne. Leurs permanences sont assaillies par les ménages qui cherchent un logement parce qu'ils sont mal logés ou souhaitent évoluer dans leur parcours d'habitation. Ce que les élus savent aussi mieux que personne, c'est que les territoires pâtissent grandement de cette crise. Elle diminue l'attractivité des territoires, fragilise les populations et conduit à avoir des déplacements de plus en plus grands ...
Toute la chaîne du logement est aujourd'hui paralysée. Or cette chaîne est une chaîne de solidarité. Donner un logement aux uns libère des capacités pour les autres. Nous devons donc construire, beaucoup, durablement pour la sortir de l'embolie et retrouver une dynamique où chacun ait conscience de sa responsabilité, en tant que professionnel, en tant qu'acteur public, mais aussi en tant que citoyen.
Le Président de la République a annoncé que nous construirions 500 000 nouveaux logements par an dont 120 000 logements sociaux. Il a confirmé la nécessité de mettre en oeuvre le droit au logement opposable. Il a enfin fait par de son souhait que la part de propriétaires en France croisse pour atteindre le chiffre de 70 % afin que la propriété ne soit pas qu'un luxe réservé aux plus riches.
C'est un gigantesque défi !
Je reviens de Lyon où, pendant 15 jours, j'ai décentralisé mon ministère dans des Algecos sur la place Bellecour. Cette opération, je l'ai bâtie avant tout pour créer un électrochoc dans le secteur du logement car - j'en suis convaincue - ce n'est qu'ensemble que nous parviendrons à répondre au challenge qui nous est lancé. Ces deux semaines ont aussi été l'occasion d'un véritable marathon pour obtenir de chacun de nos partenaires l'engagement de participer à l'effort national. J'ai mis tout le monde autour de la table. Nous avons fait plus d'une trentaine de réunions de chantier, plus d'une vingtaine de déplacements. J'ai rencontré, sensibilisés, mobilisés, plus d'une dizaine de milliers d'interlocuteurs. Le jour de la clôture, nous paraphions ensemble une Charte collective a 32 signataires.
Cela ne vous surprendra pas : le rôle des élus a souvent été abordé au cours de nos Réunions de chantier. Aussi j'aimerais, si vous l'acceptez, reprendre avec vous quelques points de débat et vous proposer des pistes de travail.
J'aborderai successivement :
1. le diagnostic sur les enjeux locaux,
2. l'aide aux élus bâtisseurs,
3. la mise en oeuvre de projets transversaux
4. la décentralisation et le cas particulier de la région Ile-de-France
1) Sur le diagnostic des enjeux locaux
La politique du logement a connu, en quelques années, une profonde évolution liée notamment à la décentralisation. L'implication des collectivités dans le domaine de l'habitat a permis d'apporter de nouvelles dynamiques. Dans les territoires où les collectivités - communautés de communes, communautés d'agglomérations ou communautés urbaines ainsi que quelques départements - ont pris la délégation de compétence des aides à la pierre, des politiques se sont mises en place, tant en ce qui concerne l'habitat public que l'habitat privé. Elles ont été portées par les moyens financiers mais aussi par l'ingénierie mobilisés par les collectivités.
Ces dernières ont défini des stratégies. D'après les premiers indicateurs sur la consommation des crédits, elles parviennent à les mettre en oeuvre. Les premiers retours sont donc très positifs.
Il y a naturellement de-ci, de-là quelques bémols à apporter à ce bilan..
Les collectivités qui n'ont pas de vraie « logique de projet » ont tendance à s'engluer dans les procédures. La technique a vite fait de prendre le pas sur le politique.
Le foncier, chacun le sait, est le nerf de la guerre. Or, notre pays présente ce paradoxe d'avoir beaucoup de foncier libre mais insuffisamment de foncier disponible pour la construction de logements. Certains élus sont parfois hésitants alors même que notre pays manque cruellement de logements. Quelques-uns restent assez timides, parce que certes, il faudrait plus de logements, mais leurs administrés ne veulent souvent pas en entendre parler près de chez eux... Et puis, il faut le dire, les élus peuvent aussi hésiter à ouvrir du foncier parce que l'aménagement, cela coûte cher. Je n'oublie pas enfin le problème des délais de réponse des entreprises aux appels d'offre. Je me suis longuement entretenue de ce problème avec les responsables de la Fédération française du bâtiment au cours de mes journées lyonnaises. Sachez qu'à leur initiative, des chantiers expérimentaux vont être lancés afin d'évaluer les coûts et les prix à bilan ouvert. Je veux saluer cet effort des professionnels du bâtiment.
Tout cela pour vous redire Mesdames, Messieurs que sans logique de projet il y a peu de chance de voir bouger les choses parce que nous aurons tous toujours de bonnes raisons de ne rien faire !
2) L'Etat doit impérativement aider les élus bâtisseurs
J'ai dit que je ne souhaitais pas toucher à l'article 55 de la loi solidarité et renouvellement urbains, la loi SRU. Sachez également que je suis un ministre qui répugne à toute idée de mesure qui viendrait sanctionner les maires qui refuseraient de construire. D'une manière générale, je crois beaucoup plus à la carotte qu'au bâton ! C'est pourquoi, je souhaite que nous puissions examiner le principe d'une incitation financière dans le cadre du chantier lancé sur les finances locales à l'occasion de la prochaine réunion de la conférence nationale des exécutifs.
Je rappelle aussi que la loi portant engagement national pour le logement (ENL) permet aux communes qui le souhaitent de majorer la taxe foncière sur les terrains non bâtis pour lutter contre la rétention foncière. Cette loi permet aussi, à l'initiative de la commune, qu'une partie de la plus-value dégagée lors du classement de terrains agricoles en terrains constructibles revienne à la collectivité pour lui permettre de mieux financer les charges d'aménagement liées à l'urbanisation. Ces dispositions sont sous-utilisées. Nous devons travailler, ensemble, à mieux les faire connaître.
Nous devons aussi lier l'aide aux élus bâtisseurs à l'idée que j'ai développée à Lyon devant les bailleurs sociaux de la « charte d'utilité sociale ». Là encore, il s'agit de donner des moyens supplémentaires aux collectivités qui construisent. J'ai proposé aux organismes de logements sociaux désireux de s'engager sur des résultats concertés en termes de niveau de production et de qualité, que l'Etat leur fournissent en contrepartie, les cessions foncières, les moyens techniques et les ressources financières requis, afin que leur effort puisse s'inscrire dans la durée. Une Charte de ce type pourrait comprendre, par exemple, à la fois des priorités et des abattements significatifs pour l'acquisition du foncier public, des prêts super-bonifiés à long terme de la Caisse des dépôts, et des mesures d'accompagnement fiscal et urbanistique. Le tout suppose, naturellement, et des échanges techniques et des arbitrages interministériels. Voilà néanmoins sur le principe l'offre que je viens de faire. J'espère que les offices publics de l'habitat administrés par les élus saisiront la balle au vol.
3) Un mot à propos des projets transversaux
C'est bien une politique transversale qu'il faut porter par le biais du logement. Ainsi, par exemple, la politique du logement et de la ville doit porter sur toute la ville et même au-delà, sur tout le territoire de vie des habitants qui s'affranchit souvent des frontières administratives.
Une attention particulière doit être portée à nos quartiers fragiles, qui sont souvent en périphérie des centres-villes. C'est important parce que ces quartiers représentent, ne serait-ce que pour des raisons démographiques, l'avenir de notre pays et le terreau des générations futures. Nous devons désenclaver ces quartiers, assurer la mobilité au sein de nos villes à toutes les échelles urbaines, au sein et entre les quartiers, denses ou non.
Nous devons aussi être soucieux de l'évolution des centres villes. C'est là qu'on trouve de l'habitat indigne dont le traitement suppose une implication politique extrêmement forte.
Nous devons aussi adapter nos politiques aux évolutions sociales, en particulier à la question du vieillissement de la population, qui va nous amener à prévoir de plus en plus de logements adaptés et le développement de nouvelles formes de solidarité au niveau local.
Par ailleurs, vous en avez largement parlé ce matin - Grenelle de l'Environnement oblige ! - le développement des territoires doit prendre en compte le développement durable. Dans le domaine du logement, il faudra impérativement veiller à ne pas créer une précarité énergétique. Il faudra aider les personnes qui n'ont pas les moyens d'investir pour faire des économies.
Pour finir, nous devons engager un effort profond de renouvellement architectural, pour rendre nos villes à la fois plus belles et plus habitables. Qui qu'on soit, riche ou pauvre, la laideur se vit mal ! Et plus on vit dans des conditions difficiles et modestes, plus la laideur, à mon sens, vous accable. ! Le Président de la République, lors de sa récente visite de la Cité de l'architecture et du patrimoine, a plaidé pour "une nouvelle ambition" et "un nouveau souffle créatif" de l'architecture en France, appelant les architectes à "relever ce défi fantastique. Je vais très rapidement engager un travail avec eux pour proposer des idées nouvelles sur ces questions.
Mesdames, Messieurs,
Je crois à l'intelligence locale. Je veux que vous soyez innovants, chacun à votre manière. Telle ville mettra l'accent sur l'accessibilité, telle autre sur les nouvelles technologies, telle une autre encore sur l'écologie... Les territoires doivent affirmer leurs différences.
4) Venons-en au sujet à la décentralisation, qui est le sujet qui s'impose eu égard à tout ce que je viens de vous dire,
Dans le domaine du logement, tout aurait pu continuer comme avant s'il n'y avait pas eu le droit au logement opposable. Aujourd'hui, l'Etat est responsable de ce nouveau droit alors même que ce sont les collectivités qui conduisent la politique du logement. Or, Mesdames, Messieurs, ce nouveau droit nous oblige tous, aussi bien politiquement que moralement.
Les collectivités locales vont être, elles aussi, au pied du mur parce que si rien ne bouge, si les égoïsmes locaux prévalent alors tôt ou tard, qu'on le veuille ou non, la question se posera, avec toute la légitimité du monde, d'une recentralisation des pouvoirs pour obtenir que soient construits des logements en nombre suffisants pour offrir un toit à tous les hommes, les femmes et les enfants de ce pays. Cette issue, ne devrait être dans mon esprit que l'ultime recours car tout le sens de l'histoire pousse à la décentralisation et à la subsidiarité.
Alors, c'est vrai, l'affaire est compliquée car l'empilement des responsabilités, dans le domaine du logement, ne facilite pas la tâche :
? les communes gèrent, en tant qu'échelon de proximité, l'accompagnement social et l'urbanisme, et suivent les dossiers ANRU le cas échéant,
? l'agglomération a la compétence habitat et, parfois, la délégation des aides à la pierre,
? le Conseil général assure le suivi des publics fragiles à travers le plan départemental pour le logement des personnes défavorisées et dispose du Fonds solidarité logement,
? la Région donne des aides au logement avec des critères spécifiques souvent différents, on pourra dire complémentaire, de ceux de l'agglomération,
? et enfin l'Etat est responsable de la politique de l'habitat et du droit au logement opposable.
Comment entreprendre une démarche de projet avec une telle pléiade d'acteurs ? Une clarification s'impose. L'intercommunalité est à mon sens, le périmètre pertinent, le périmètre d'avenir. Je ne le dis pas parce que je suis devant vous mais parce qu'aujourd'hui toutes les personnes compétentes le pensent. Le travail est d'ores et déjà engagé mais nous devons avancer sur ce sujet avec toutes les instances représentatives.
Au sein de ce périmètre, un équilibre satisfaisant des droits et des devoirs doit être défini, tant entre l'Etat et les EPCI qu'entre les EPCI et les communes. Bien sûr, rien ne s'oppose à ce que la solution, les équilibres varient selon les territoires.
Ainsi, par exemple, je suis en train d'ouvrir un chantier spécial pour l'Ile-de-France. A l'évidence, cette région requiert un traitement à part entière, ne serait ce que parce que l'intercommunalité n'y existe pratiquement pas. L'agglomération parisienne est asphyxiée et le prix du foncier comme celui des logements devient prohibitif. On construit autant en région Ile-de-France qu'en Bretagne alors que la population y est 4 fois plus importante.
J'ai demandé au préfet de région, Pierre MUTZ, de réunir quatre groupes de travail spécialisés, sur le logement, associant les élus d'Ile-de-France et les différents partenaires. Les thèmes de ces groupes sont :
1. comment créer de nouvelles dynamiques territoriales ?
2. comment mieux articuler urbanisme et logement ?
3. comment prendre en compte les spécificités du marché francilien ?
4. comment assurer en continu un accès au logement ?
Cette réflexion pourrait être menée dans d'autres régions où la situation est tendue.
Périmètre de projet, périmètre de gouvernance : l'intercommunalité a un rôle majeur à jouer pour nos territoires. Vous en êtes les acteurs, je compte sur vous et sur vos propositions. Je saurai les accompagner et les soutenir.
Je viens Mesdames, Messieurs, de vous faire part de quelques pistes de réflexion. J'espère que nous pourrons très rapidement les approfondir ensemble.
Je vous remercie.
Source http://www.intercommunalites.com, le 8 octobre 2007