Interview de M. Brice Hortefeux, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement, à France-Info le 5 octobre 2007, sur le projet de loi sur la maîtrise de l'immigration et le débat sur les tests ADN dans le cadre du regroupement familial.

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Circonstance : Adoption par le Sénat du projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration, le 4 octobre 2007

Média : France Info

Texte intégral

R. Duchemin.- Vous sortez il y a quelques heures à peine du Sénat où votre texte sur l'immigration a finalement été adopté. Cela a été beaucoup plus dur quand même de le faire passer auprès des sénateurs qu'auprès des députés ?
 
R.- Non. D'abord c'étaient des débats qui étaient, aussi bien d'ailleurs à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, des débats de qualité. Il faut bien qu'on se rende compte que la démocratie c'est utile, c'est un espace dans lequel on doit pouvoir débattre. Et, comme à l'Assemblée nationale, il y a eu de vrais débats au Sénat qui d'ailleurs apparaissent dans les chiffres puisqu'il y a eu plus de 70 amendements qui ont été adoptés et une trentaine d'ailleurs l'ont été à l'unanimité. Donc, c'était un débat constructif. Il y avait naturellement des divergences, il y avait des différences. Mais, je pense que nous avons abouti à une version de ce texte qui est une version utile, constructive, protectrice.
 
Q.- Les débats ont beaucoup tourné évidemment autour des fameux tests ADN, le fameux amendement Mariani qui a été revu et corrigé. R. Badinter qui était hier sur cette antenne disait lui-même : "Il ne faut plus l'appeler comme cela, d'ailleurs, il faut l'appeler l'amendement Hyest aujourd'hui. Il n'a plus rien à voir avec ce qui a avait été décidé. Et d'ailleurs, on se demande ce que va faire le Gouvernement, s'il va plaider en faveur de l'amendement Mariani ou de l'amendement Hyest aujourd'hui ?". Réponse ?
 
R.- C'est très clair. D'abord, premier élément sur les tests ADN, ce n'était pas une proposition du Gouvernement et il y avait beaucoup d'autres dispositifs, des dispositifs à la fois de clarté et en même temps de protection. Un mot sur la clarté : le problème dans notre pays, c'est qu'il y a 92.000 titres de séjour qui ont été délivrés au titre de regroupement familial, et seulement 11.000 au titre de l'immigration économique, c'est-à-dire celle qui peut nous aider et aider d'ailleurs les migrants. Donc, il faut progressivement rééquilibrer. Et puis c'était aussi un texte protecteur, c'était les mesures que j'ai proposées, puisqu'il y avait une formation en langue française avant de venir sur notre territoire. Et quoi de mieux que de connaître la langue pour s'intégrer. On dit : "Il faut toujours plus d'intégration, il faut aider à s'intégrer". D'accord ! Mais si l'on ne parle pas...
 
Q.- Ça, ça passe mal quand même !
 
R.- Je pense que cela va très bien passer, c'est l'inverse, parce que je pense que c'est très constructif et très utile. Vous savez, pour s'intégrer dans notre pays, pour trouver une activité professionnelle, pour faire ses courses, pour comprendre comment fonctionnent nos mécanismes scolaires, tout simplement pour discuter autour de nous, bref, pour lutter contre les formes de communautarismes, moi, je ne connais pas de meilleur vecteur d'intégration que la langue. Donc c'était protecteur. Et puis, il y a eu cet amendement de T. Mariani, qui proposait les tests ADN. Déjà, à l'Assemblée nationale, j'ai souhaité que cela soit encadré.
 
Q.- [Nom inaudible] il dit "les tests sur les femmes cela me laisse perplexe en tout cas".
 
R.- Et donc, au Sénat on a apporté des garanties supplémentaires grâce à un amendement du président de la Commission des lois auquel j'ai totalement souscrit. Qu'est-ce que cela veut dire ? Un, est-ce que cela serait obligatoire ? Non, cela serait volontaire. Deux, est-ce que c'est définitif ? Non, c'est à titre expérimental. On dressera un bilan. Douze pays d'Europe le font ou vont le faire. Comparons ce qui se fait avec ces pays et ensuite nous ferons le bilan après 18 mois d'expérimentation. On fait intervenir un juge, c'est-à-dire qu'il n'y a pas discrimination entre un Français et un étranger, puisque le système est quasiment similaire.
 
Q.- Vous, vous dites que c'est très encadré mais par exemple les pays de l'Union africaine redoutent le recours à ces tests ADN.
 
R.- Non. Je ne sais pas pourquoi vous dites cela. Moi, je sais en tout cas qu'il y a une expression par exemple du Président du Sénégal, Wade, qui était sur la première version. Et j'ai naturellement communiqué à son représentant dans notre pays la version qui était présentée, discutée et ensuite adoptée au Sénat, c'est-à-dire prévoyant la similarité des parcours français et étrangers. Et cela lui a donné totalement satisfaction. Donc, il y a un certain nombre de garanties, un certain nombre de garde-fous qui ont été apportés, et ce qui permet d'aboutir à un texte équilibré, qui répond à cet objectif : un objectif de clarté, un objectif de protection, un objectif de rééquilibrage entre immigration économique et immigration familiale.
 
Q.- Une des questions qui se posait hier, c'était notamment de savoir s'il y avait des différences entre certains pays ? On avait évoqué la possibilité de ne pas traiter les pays de la même manière. Je pense notamment à l'Algérie, au Maroc et à la Tunisie, qui seraient en partie exemptés de ces textes.
 
R.- Non. Moi la proposition que je fais c'est, précisément, comme nous sommes dans une phase d'expérimentation, je prends un exemple très concret : vous avez le Ghana, qui est un ancien pays du Commonwealth, c'est-à-dire grosso modo le marché commun britannique. Les tests, les Britanniques font cela de manière très importante, ils recourent à ces tests de manière très importante. 10.000 l'année dernière, qui ont été faits de ces tests ADN. Donc, très certainement avec le Ghana. Eh bien, je propose que précisément la France fasse la même chose avec le Ghana. On avance avec beaucoup de mesure, beaucoup de sagesse, beaucoup d'équilibre, beaucoup de réflexion. Tout ceci pour aboutir, encore une fois, à des mesures qui soient justes et des mesures qui soient équilibrées.
 
Q.- Il y a aussi un autre point du texte qui posait certains problèmes, notamment, à certaines associations qui parlent, comme SOS Racisme, de découpages de l'espèce humaine. Je pense aux statistiques ethniques.
 
R.- Les statistiques ethniques, c'est très simple : d'abord, premier élément, ce qui a été proposé dans un amendement parlementaire, c'est ce que proposait la CNIL - la Commission nationale Informatique et Liberté - qui est une Commission qui est en fait chargée de protéger les libertés individuelles, et qui est certainement la plus protectrice d'Europe, sinon c'est vraiment la plus protectrice du monde. Et nous n'avons pas changé une virgule. Simplement, pour une raison simple, pourquoi avons-nous proposé cet amendement ? Parce que c'est bien beau d'ânonner ici ou là : "Il faut plus d'intégration". Mais si on ne connaît pas les endroits, les secteurs dans lesquels il y a discrimination, s'il n'y a pas un observatoire qui permet d'examiner, de dire : "voilà, là c'est plus dur dans l'accès au logement pour tel pays, enfin pour tels immigrés originaires de tels pays, ainsi de suite", cela ne peut pas fonctionner. Moi, je dis pour lutter contre les discriminations, pour améliorer l'intégration, il faut savoir précisément où sont ces discriminations. C'est donc, un amendement, là aussi, très protecteur.
 
Q.- Les Français sont quand même sur tout cela assez partagés. Il y a un sondage ce matin dans Le Parisien, qui dit : "47 % sont pour les tests ADN, 45 sont contre". Cela sème quand même le trouble !
 
R.- Mais justement au contraire, c'est pour cela que c'est un élément très clair et très réconfortant. Pourquoi ? C'est qu'il y a eu un véritable pilonnage sur l'amendement Mariani en quelque sorte. Donc, c'est vrai qu'il a eu un mouvement d'associatifs, même les églises se sont interrogées, et d'autres associations cultuelles ont engagé une réflexion. Et puis, il y a cette proposition sénatoriale nouvelle, qui est encore une fois très mesurée, qui répond et qui donne toutes les garanties. Eh bien, je trouve que ce résultat est assez encourageant, parce que la logique aurait été que ce soit très différent.
 
Q.- Mais derrière tout cela, B. Hortefeux, est-ce qu'il n'y a pas un message plus politique adressé par exemple aux électeurs du Front National ?
 
R.- Non. Si vous pensez que dans une démocratie, on ne s'adresse pas aux électeurs, honnêtement, vous vous trompez. Si ce n'est pas le cas, on change de régime. Cela ne s'appelle pas une démocratie, cela s'appelle une dictature ! Donc, c'est vrai que naturellement on s'adresse à l'ensemble des citoyens Français.
 
Q.- Et à eux aussi donc ?
 
R.- Mais il n'y a pas d'exclusive et pas de racisme.
 
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 5 octobre 2007