Interview de Mme Rachida Dati, ministre de la justice, à "RMC" le 22 novembre 2007, sur la mise en examen de M. Jacques Chirac, ancien Président de la République, l'aide juridictionnelle, le budget de la justice et la réforme de la carte judiciaire.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

J.-J. Bourdin.-  J. Chirac mis en examen pour détournement de fonds publics, est-il un justiciable comme les autres ?
 
R.- Il l'est devenu. Le statut pénal du chef de l'Etat, qui a d'ailleurs été modifié en février 2007, je crois, la dernière modification, c'est-à-dire que pendant son exercice et pendant son mandat de chef de l'Etat il y a une suspension des poursuites, s'agissant d'ailleurs des affaires de droit commun. Et dès lors où il a terminé son mandat, il devient un justiciable comme les autres.
 
Q.- Ne trouvez-vous pas que la justice fait du zèle avec le cas Chirac, franchement ?
 
R.- Je ne ferai pas de commentaire, la magistrate est tout à fait responsable, et si elle a mis en examen monsieur. Chirac, c'est qu'elle avait des éléments pour le mettre en examen.
 
Q.- Membre du Conseil constitutionnel, doit-il se mettre en disponibilité ?
 
R.- Il est membre du Conseil constitutionnel à vie, en tant qu'ancien chef de l'Etat. La seule possibilité c'est de se mettre en congé. Je n'ai pas à commenter cela. Et puis, je rappelle qu'il est mis en examen, il est encore présumé innocent.
 
Q.- Donc, c'est à lui qu'appartient la décision, si j'ai bien compris ?
 
R.- Bien sûr.
 
Q.- Au passage, la caisse noire de l'UIMM, où en est-on, où en est la justice ?
 
R.- Il y a une enquête qui est en cours...
 
Q.- Parce qu'on attend des résultats.
 
R.- L'enquête est en cours.
 
Q.- Il y aura des résultats ? Que savez-vous de l'enquête ?
 
R.- Je ne demande pas à ce qu'on me donne des éléments sur des dossiers particuliers ou individuels. Donc, il y a une enquête qui est en cours....
 
Q.- Vous souhaitez qu'elle aille à son terme, et qu'elle soit comme toutes les enquêtes.
 
R.- Comme toutes les enquêtes !
 
Q.- L'aide juridictionnelle : je rappelle que ceux qui en bénéficient sont les plus modestes, les plus pauvres. Alors, je vous pose une question directe : oui ou non, allez-vous mettre en place une franchise ou un ticket modérateur "justice", laissant à la charge du bénéficiaire de l'aide judiciaire une part de la dépense de justice liée à son affaire, oui ou non ?
 
R.- L'aide juridictionnelle, comme vous l'indiquez, c'est un moyen d'accéder à la justice pour les plus démunis et les plus modestes. L'Etat finance ce moyen d'y accéder.
 
Q.- 904.000 bénéficiaires...
 
R.- 327 millions d'euros. Donc, ce sont des deniers publics. Il est important de revoir aussi la contrepartie de ces deniers publics en termes de service public. Donc c'est un dossier que j'ai d'ailleurs indiqué récemment et sur lequel je travaillerai d'ici la fin de l'année. Et nous verrons les pistes pour améliorer cette aide juridictionnelle, c'est-à-dire améliorer le service rendu aux plus modestes et aux plus démunis.
 
Q.- Améliorer le service rendu, c'est les faire payer ?
 
R.- Non, mais améliorer en termes d'aide juridictionnelle. C'est-à-dire que l'Etat finance, donc il est important d'avoir en contrepartie...
 
Q.- Pourquoi, aujourd'hui, elle est inefficace ?
 
R.- Non, mais c'est très demandé de revoir l'aide juridictionnelle. D'ailleurs, les avocats m'ont demandé de ressortir ce dossier et de revoir les modalités de l'aide juridictionnelle. C'est très demandé. Il est important aussi de voir les modalités d'accès à l'aide juridictionnelle.
 
Q.- Pardonnez-moi, vous ne m'avez pas répondu. Oui ou non, allez-vous mettre en place une franchise ou un ticket modérateur ?
 
R.- Non, il est important de revoir...
 
Q.- Non ?
 
R.- Non.
 
Q.- Non ? Il n'y aura pas de franchise ?
 
R.- J'ai indiqué - je vois à quoi vous faites référence - les conclusions d'un excellent rapport du sénateur du Luart sur l'aide juridictionnelle, qui est un travail vraiment excellent, qui remet à plat l'aide juridictionnelle.
 
Q.- Il n'est pas question de mettre en place une franchise ou un ticket modérateur ?
 
R.- Il n'est pas question, ce n'est pas dans mes pistes de travail pour l'instant. Je n'ai pas repris le dossier, donc laissez-moi le temps d'y accéder. Donc, pour l'instant, non ? Pour l'instant, non !
 
Q.- Et pour l'avenir ?
 
R.- Monsieur Bourdin, je n'ai pas encore ouvert le dossier !
 
Q.- D'accord. Le pouvoir d'achat : 70.000 personnels pour la justice, c'est à peu près ça. Y a-t-il des heures supplémentaires ?
 
R.- Oui, il y a une possibilité d'heures supplémentaires...
 
Q.- Sont-elles défiscalisées ou pas ?
 
R.- Le décret a été mis en oeuvre depuis le 1er octobre dernier, ce sera possible aussi pour la fonction publique. Donc...
 
Q.- Donc, des heures supplémentaires défiscalisées aussi dans la fonction publique, à condition d'avoir les moyens ?
 
R.- Voilà. Ce sera possible aussi pour le ministère de la Justice. Il faut savoir que sur ces 70.000 personnes qui sont au service de la justice, elles sont déjà pour certaines...
 
Q.- Je vous dis cela parce qu'on demande beaucoup d'efforts, et bien souvent l'Etat ne donne pas l'exemple, vous le savez bien, malheureusement.
 
R.- Pour le ministère de la Justice, je tiens à ce que les personnels travaillent dans de meilleures conditions, c'est pour moi extrêmement important, c'est une priorité que je me suis fixée dès mon arrivée au ministère de la Justice, que ce soit en termes de sécurité, mais aussi en termes d'amélioration des conditions de travail. Par exemple, par l'introduction des nouvelles technologies dans les juridictions, qui n'existent pas aujourd'hui, qui permettraient d'améliorer, par exemple, le travail des fonctionnaires...
 
Q.- L'informatisation...
 
R.- Oui. D'améliorer le travail des fonctionnaires et des greffiers. Parce qu'il faut savoir que, souvent, cela prend des heures que de saisir un dossier, cela prend des heures que de rechercher une pièce, cela prend des heures que d'aller chercher un dossier aux archives. Et puis, pour l'essentiel, s'agissant, par exemple, d'une demande d'avocats, de faire des photocopies. Peut-être est-il important d'améliorer les conditions de travail des fonctionnaires et des greffiers.
 
Q.- Le budget de la Justice, j'ai vu qu'il allait augmenter d'un peu plus de 4 %, c'est bien cela ?
 
R.- Oui.
 
Q.- Je me souviens du président de la République, enfin, du candidat Sarkozy, qui promettait... Qui promettait quoi pendant sa campagne ?
 
R.- D'augmenter le budget de la Justice et d'augmenter les moyens...
 
Q.- Non, mais d'augmenter beaucoup plus que cela, de combien, rappelez-nous ?
 
R.- D'augmenter le budget de la Justice.
 
Q.- Oui, et c'était combien en cinq ans ? De doubler, non ?
 
R.- Il s'agirait de doubler le budget de la Justice...
 
Q.- Oui, on est à 4 % de plus...
 
R.- On est à 4,5 %, ce qui est une forte augmentation, compte tenu des finances publiques, et il y a une création nette d'emplois de 1.615 emplois, et je suis le seul ministère pour lequel tous les départs à la retraite seront remplacés.
 
Q.- Tous les départs à la retraite seront remplacés ! La réforme de la carte judiciaire : 23 des 181 TGI seront supprimés, 176 des 473 tribunaux d'instance, 55 tribunaux de commerce et 67 tribunaux de prud'hommes. Beaucoup ont contesté la méthode, "manque de concertation"... Que répondez-vous ?
 
R.- Le service public de la Justice est le seul service public qui n'ait jamais été restructuré depuis, si je prends la carte judiciaire qui date du XIXème siècle, qui a été légèrement modifié en 1958 par voie d'ordonnance, par M. Debré d'ailleurs, et elle n'a pas été retouchée depuis 1958. Donc à quoi correspond la carte judiciaire ? Ce sont les lieux où on rend la justice, les implantations où on rend la justice. Ils n'ont pas bougé ni évolué depuis 1958. Nous ne sommes plus en 1958, on est en 2007, beaucoup de progrès, ne serait-ce que les évolutions des bassins démographiques ou les infrastructures ou les progrès technologiques. Alors, il est important de revoir les implantations où la est rendue. C'est vrai que c'est toujours très difficile de réformer une organisation, surtout quand elle n'a pas été réformée depuis bien longtemps. D'autres gardes des Sceaux ont essayé avant moi, et à chaque fois, ils n'y sont pas parvenus.
 
Q.- Ils disent que la réforme était nécessaire, et R. Dati a eu raison de l'engager. Le problème, c'est le manque de concertation, ça va trop vite et c'est trop brutal. J'ai entendu cela de la bouche d'élus de tous bords, gauche, droite...
 
R.- Tout à fait. J'entends les inquiétudes, j'entends aussi les protestations, d'ailleurs je dis que c'est plutôt bon signe qu'il y ait des inquiétudes et des protestations, surtout sur une l'organisation qui n'a pas été touchée depuis 1958. Il faut savoir que quand vous réformez la carte judiciaire, vous "impactez" ou vous touchez, vous concernez de nombreux corps. Vous touchez les magistrats, les fonctionnaires, les greffiers, les avocats et les élus. Parfois, les intérêts ne sont pas forcément les mêmes.
 
Q.- Et les justiciables, ne les oublions pas.
 
R.- Oui, mais l'objectif pour moi, réformer la carte judiciaire, mon objectif est d'améliorer la qualité de la justice dans l'intérêt du justiciable, c'est mon objectif. Ensuite, quand vous réformez, vous "impactez" les corps ou les professions que je vous indique.
 
Q.- Je comprends mais où est l'intérêt du justiciable quand on ferme, par exemple, un tribunal à Annonay qui est dans le nord de l'Ardèche, et qu'on oblige le justiciable à aller à Aubenas, qui est dans le sud de l'Ardèche, 300 km aller et retour, quatre heures de route, au mieux, s'il fait beau.
 
R.- Quand je dis "on supprime un tribunal d'instance", c'est une suppression de structure pas le service public. Un tribunal d'instance, que fait-il ? Il fait pour l'essentiel, du surendettement, de la consommation ou des tutelles. Il s'agit de restructurer ce tribunal d'instance parce qu'on a constaté que dans de nombreux tribunaux d'instance, il y a de plus en plus une demande d'accès au droit. L'accès au droit, c'est un service dont on ne parlait pas il y a 15 ans. Et il est important pour les plus démunis, pour les plus modestes mais aussi dans des quartiers souvent parfois difficiles, de connaître ses droits pour accéder à la citoyenneté. Alors, vous avez l'accès au droit et l'accès au juge. L'accès au juge, c'est l'accès à la décision de justice, qu'elle soit plus rapide, plus lisible, et plus compréhensible. Donc, il s'agit d'abord de voir ces deux services, pour lesquels on ne s'est jamais vraiment attelé. On considère l'accès au droit, l'accès à la justice, [comme si] finalement c'est la même chose, ce n'est pas la même chose. Donc, le juge est là pour juger, prendre une décision de justice dans les meilleurs délais, et de manière lisible. Alors, vous me dites...
 
Q.- Si j'habite Annonay, je suis obligé d'aller à Aubenas !
 
R.- Pour les tribunaux d'instance ou les compétences d'attribution, je viens de vous indiquer. Pour les tutelles - c'est déjà le cas aujourd'hui - le magistrat et le greffier se déplacent, déjà il y a des audiences à l'hôpital, dans les maisons de retraite, dans les établissements spécialisés. Donc, le magistrat et le greffier se déplacent.
 
Q.- Et pour le tribunal de commerce, par exemple ?
 
R.- Non, mais le tribunal de commerce ! Vous me dites tribunal d'instance...
 
Q.- Non, j'ai pris Annonay et Aubenas.
 
R.- Je vous dis tribunal d'instance, pour le contentieux du quotidien. On dit que les audiences seront maintenues sur le terrain, puisque nous aurons des audiences dites foraines, c'est-à-dire des audiences détachées. Pour l'accès au droit, il y aura des points d'accès au droit ou des Maisons de justice et du droit, qui seront implantées. Pour les décisions de justice, il y a un juge ; dans les tribunaux d'instance, généralement il n'y a qu'un juge, qui est tout seul. Quand il est en congé, l'accès à la justice est limité. Mais de la même manière, j'ai une centaine de tribunaux d'instance dans lesquels il n'y a ni magistrats, ni fonctionnaires, ni greffiers. Alors l'accès à la justice pour tous, et la même, est très difficile. Donc, il est important pour les Français d'avoir la même justice et sur tout le territoire. Alors, vous me parlez des tribunaux de commerce. Les tribunaux de commerce, nous avons regroupé les moyens, c'est une concertation qui a eu lieu avec les instances nationales des tribunaux de commerce, qui sont des juges consulaires, des juges élus par les commerçants, ce ne sont pas des juges professionnels, et il est important de regrouper les moyens pour éviter justement cette dispersion qui, à un moment donné, fait que les commerçants se jugent entre eux. Donc, nous avons souhaité regrouper les moyens, et d'avoir un procureur à proximité. C'est cela le regroupement et la réorganisation des tribunaux de commerce. Mais la dispersion des moyens a été pointée par la commission Outreau. Et la commission Outreau, ça été la dispersion des moyens, des juges isolés, peu encadrés, ou qui peuvent peu échanger avec d'autres magistrats. Le regroupement des moyens est indispensable à la qualité de la justice. Et si vous regardez sur ces dernières années l'évolution, la tendance est le regroupement des moyens pour mieux appréhender les contentieux, de plus en plus complexes d'ailleurs. [...]
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 22 novembre 2007