Interview de Mme Rachida Dati, ministre de la justice, à RTL le 8 janvier 2008, sur le projet de loi visant à permettre de contraindre, à la fin de leur peine, des condamnés encore jugés dangereux à séjourner dans des centres fermés avec obligation de soin.

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Circonstance : Début du débat à l'Assemblée nationale sur le projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, Paris le 8 janvier 2008

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

J.-M. Aphatie.- Bonjour, R. Dati.
 
R.- Bonjour.
 
Q.- Vous présentez, aujourd'hui, aux députés un projet de loi qui suscite beaucoup de
critiques. Il s'agit de mettre en place une rétention de sûreté qui s'ajouterait à la peine
de prison déjà purgée par des criminels pédophiles, qu'une commission d'experts jugerait
suffisamment dangereux pour risquer de récidiver une fois libérés. En quelque sorte, on
maintiendrait - sans liberté - des gens qui auraient purgé leur peine de prison. Pourquoi,
R. Dati ?
 
R.- L'objet de ce texte est de pallier un vide juridique, s'agissant des criminels les plus
dangereux, des criminels qui commettent des actes, il faut les qualifier tels que - c'est
la réalité - c'est-à-dire des actes de barbarie ou sur des mineurs ou sur des personnes,
puisque je vous évoquerai l'amendement que j'ai souhaité porter au nom du Gouvernement pour
élargir le champ de ce texte. Aujourd'hui, des criminels dangereux peuvent purger leur
peine, ne pas se soigner en prison, et sortir avec...
 
Q.- Pourquoi ? Ils n'ont pas d'obligation de soins ?
 
R.-... avec une dangerosité avérée. Aujourd'hui, dans notre droit, vous ne pouvez pas
contraindre quelqu'un à se soigner. Prenez le cas, par exemple, tout à fait récent de
Francis Evrard. Condamné à 27 ans de prison, il en fait pratiquement 19, il ne se soigne
pas. Il termine sa peine. Des experts constatent sa dangerosité avec un risque fort de
récidive mais il est remis en liberté. Il est remis en liberté et il est suspecté d'avoir
commis, de nouveau, un viol sur un mineur de 5 ans. Si on reprend le passé pénal de cette
personne, il a toujours été condamné pour des faits criminels ou délictuels sur des
mineurs. Donc il est important de prendre en charge ce type de criminels par des mesures de
sûreté. Purger sa peine. Des experts constatent sa dangerosité qui est en lien avec le
risque de récidive. Il est important aussi que la Justice, c'est notre responsabilité,
puisse prendre une décision pour placer cette personne dans un centre
médico-sociojudiciaire, c'est-à-dire avec une obligation de soins à l'issue de la peine.
 
Q.- Ah, il y aurait une obligation de soins dans le centre médico-socio-judiciaire, alors ?
 
R.- C'est un centre médical, sous surveillance pénitentiaire ; mais c'est un centre
médical.
 
Q.- Comment est-ce qu'il peut y avoir une obligation de soins à un endroit et pas à un
autre ?
 
R.- Parce que ça serait une mesure contrainte ; et la mesure serait évaluée tous les ans.
Si la personne ne se soigne pas, la mesure serait reconduite.
 
Q.- Donc, une mesure d'obligation de soins ?
 
R.- Par décision de justice.
 
Q.- Si elle ne se soigne pas, elle serait toujours privée de liberté ?
 
R.- Elle serait reconduite dans le cadre de ce centre médico-sociojudiciaire.
 
Q.- Alors, soyons précis. Dans le cadre de ce centre socio-médico-judiciaire, il n'y aura
pas d'obligation de soins ?
 
R.- Il y aura une obligation de soins, puisqu'il y aura une décision qui obligera la
personne à se soigner. Donc, le soin sera obligatoire mais il peut y avoir aussi une
résistance aux soins. Ca existe.
 
Q.- Et ce ne serait pas plus simple de faire des soins obligatoires en prison ?
 
R.- Notre droit... Vous ne pouvez pas contraindre...
 
Q.- Et vous ne souhaitez pas modifier le droit là-dessus ?
 
R.- Vous pouvez tout d'abord avoir une décision de justice qui vous contraint. On dit dans
la décision de justice : "Monsieur, vous avez une obligation de soins". Donc si vous ne
vous soignez pas - c'est le droit actuel -, c'est-à-dire que si vous ne vous soignez pas,
c'est une infraction. Si la décision d'obligation de soins n'a pas été prise au moment de
la condamnation, vous n'avez pas de contrainte aux soins. Donc, la contrainte aux soins
doit être prononcée dès le départ.
 
Q.- Accepterez-vous, R. Dati, l'amendement parlementaire qui veut étendre l'ensemble des
criminels réputés dangereux, pas seulement ceux qui ont agi contre des mineurs mais à
l'ensemble des criminels réputés dangereux, le dispositif que mettrait en place votre loi ?
 
R.- Alors, c'est l'excellent travail des parlementaires, notamment de la commission des
lois, son président J.-L. Warsmann mais aussi son rapporteur G. Fennec, qui évidemment ont
pointé les failles possibles dans le texte tel que nous l'avons présenté parce
qu'initialement nous avons souhaité présenter un texte. Ce serait pour des condamnations de
plus de 15 ans, au moins 15 ans, sur des mineurs de 15 ans, c'est-à-dire de 0 à 15 ans. Il
s'agit, aujourd'hui de pouvoir étendre - c'est un amendement de G. Fennec - d'aller au-delà
de 15 ans, pour tous les mineurs ; et le rapport pointe également que pour les crimes les
plus odieux, tels que des criminels en série, des violeurs en série, des tueurs en série,
que ce texte puisse leur être applicable parce que violer une personne âgée ou violer un
mineur, la barbarie est de la même nature.
 
Q.- Accepterez-vous cet amendement ?
 
R.- Bien sûr, je l'accepterai. Et il sera applicable parce que c'est un amendement du
Gouvernement que je prendrai également, que ce texte soit applicable si je puis qualifier
ça ainsi, des personnes déjà condamnées et qui seraient amenées à sortir, alors que le
texte prévoyait que ça serait pour les personnes qui seraient condamnées dès lors, après la
promulgation du texte...
 
Q.- Après la promulgation de la loi. Et vous ferez en sorte que ça soit applicable donc à
des gens qui sont actuellement en prison ?
 
R.-... qui sont déjà condamnés, qui sont actuellement condamnés, et qui sont considérés et
reconnus par cette commission qui existe déjà d'ailleurs, extrêmement dangereux, avec un
risque de récidive extrêmement fort.
 
Q.- Ce n'est pas une rétroactivité de la loi, ça ?
 
R.- C'est une réalité à prendre en compte.
 
Q.- Vous ne risquez pas d'être censurée par le Conseil constitutionnel pour rétroactivité
de la loi ?
 
R.- Il y aura deux types de dispositifs : il y aura le dispositif pour des personnes qui
sont considérées comme dangereuses mais pour lesquelles le bracelet électronique mobile
peut être suffisant ; mais pour les personnes les plus dangereuses et dont la condamnation,
les condamnations relèvent déjà cette dangerosité et qui sera de nouveau constatée par les
experts, le texte leur sera applicable.
 
Q.- L'un de vos plus vigoureux censeurs, c'est R. Badinter. Il était ici même hier matin
sur RTL. Il disait : "c'est après la peine de prison qu'on leur maintient quelqu'un en
privation de liberté, en vertu ou au titre d'une infraction virtuelle d'un crime qu'il
pourrait éventuellement commettre, s'il était libre". R. Badinter y voit là une rupture
avec les principes de droit français.
 
R.- Ce n'est pas une rupture avec les principes du droit français. Je rappelle à R.
Badinter qu'il y a des mesures qui sont prises, qui sont privatives de liberté avant même
d'avoir commis un acte grave. Les hospitalisations d'office sont décidées par les préfets
ou les maires. C'est une mesure de privation de liberté alors même que la personne n'a pas
commis un crime ou un délit. Je vous prends le cas d'un forcené enfermé dans son
appartement qui menace de tirer. Il n'a pas commis ni de crime, ni de délit. On peut
prendre une mesure, par le préfet ou par le maire, d'hospitaliser d'office cette personne.
C'est une mesure de privation de liberté qui existe dans notre droit depuis de nombreuses
années. Donc, il n'y a pas de rupture avec nos principes fondamentaux du droit.
 
Q.- Beaucoup de magistrats, beaucoup d'avocats critiquent aussi ce projet de loi. Vous êtes
souvent, R. Dati, éloignée, en rupture avec les professionnels du droit dans l'exercice de
votre ministère.
 
R.- Je ne pourrai pas vous... ça ne correspond pas à la réalité. Hier, j'étais dans un
centre de détention, justement un établissement pénitentiaire pour délinquants sexuels,
enfin à Melun où il y a 60% de détenus pour infractions sexuelles graves, il y avait des
magistrats qui prononcent ces mesures. Il y avait des magistrats, des médecins, des
psychiatres, psychologues, des infirmiers, l'administration pénitentiaire... Toutes ces
personnes, d'ailleurs de manière très innovante et très expérimentale, ont mené ce type
d'expérimentation sur le soin, mais sur le soin, même après la détention. Donc, il s'agit
d'être réaliste et ne pas laisser en liberté des criminels extrêmement dangereux.
 
Q.- On vous dit lasse, parfois, de ce ministère et des oppositions que vous y rencontrez,
au point que l'on annonce votre départ du ministère de la Justice ?
 
R.- Moi, je suis très fière d'être à ce ministère. Nous avons fait un travail important en
2007. D'ailleurs, hier lors des voeux, j'ai rendu hommage à l'ensemble des personnels, des
agents du ministère de la Justice qui ont beaucoup travaillé pour mettre en oeuvre les
premières réformes engagées... les engagements du président de la République. Et moi je
suis très heureuse d'y être...
 
Q.- Fière, mais lasse ?
 
R.- Ah non, moi je suis très contente d'y être. Et j'y suis encore pour longtemps.
 
Q.- Pourquoi y a-t-il toutes ces rumeurs sur votre départ ?
 
R.- Mais les rumeurs...
 
Q.- Qui les alimentent ?
 
R.-... vous ne pourrez pas les empêcher.
 
Q.- Qui les alimentent, R. Dati ?
 
R.- Je n'en sais rien ; mais vous ne pourrez pas les empêcher.
 
Q.- On vous donne au ministère de l'Intérieur. Pourquoi ?
 
R.- Ca, c'est une manie qu'on a de toujours voir les personnes là où elles ne sont pas.
 
Q.- Qui a cette manie ?
 
R.- Non, c'est une manie en général. Je veux dire que quels que soient les gouvernements,
on voit toujours des remaniements là où ils n'existent pas. Je peux vous dire que je suis
très heureuse et très fière d'être au ministère de la Justice.
 
Q.- Vous assisterez à la conférence de presse de N. Sarkozy, tout à l'heure, R. Dati ?
 
R.- Oui.
 
Q.- Vous connaissez la date du mariage ?
 
R.-... (rires) ... Je n'ai pas de commentaire à faire.
 
Q.- Non, je ne veux pas un commentaire. Je vous demandais si vous connaissiez la date ?
 
R.- D'abord, je ne connais rien. Mais en plus, je n'ai aucun commentaire à faire (rires
...).
 
Q.- Rien ! R. Dati qui ne connaît pas la date, était l'invitée de RTL, ce matin.

 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 8 janvier 2008