Texte intégral
PROPOSITION DE LOI PORTANT SUR LA RÉFORME DE L'ORDONNANCE DE 1959
Intervention de Laurent Fabius,
Ministre de l'économie et des finances de l'industrie
ASSEMBLÉE NATIONALE - MERCREDI 7 FÉVRIER 2001-
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les députés,
Quand, après une longue réflexion, on a décidé de franchir le Rubicon, on ne s'arrête en général pas pour goûter la température de l'eau.
Nous sommes réunis pour examiner la proposition de loi organique d'origine parlementaire portant réforme de l'ordonnance du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances, parce que nous avons décidé ensemble, après longue réflexion, de franchir le Rubicon de la réforme budgétaire, en modifiant profondément cette fameuse ordonnance, véritable Constitution financière de la Ve République.
Vous l'avez souhaité parce que c'est l'intérêt du pays. Il peut exister entre nous, entre vous, sur tel ou tel point telle ou telle nuance ; nous les examinerons : mais cela - je tiens à l'affirmer dès le début de notre discussion - ne doit en aucun cas entraver la démarche générale, parce que celle-ci est un élément clé, même s'il n'est pas spectaculaire, de la modernisation nécessaire de notre pays.
Vous avez proposé ce changement parce que vous êtes convaincus, parce que nous sommes convaincus que les réalités économiques, financières et budgétaires ont changé et qu'il doit en être de même avec notre constitution financière qui n'a pas été modifiée depuis 41 ans, alors que la Constitution, elle, a été modifiée à de nombreuses reprises, certains disent même trop souvent.
Ce n'est, à vrai dire, pas la première fois que des parlementaires ont cette idée. Le projet de réforme dont nous allons débattre est, dit-on, le trente-sixième ou le trente septième. J'espère que ce sera le bon. Il y a de puissants arguments en ce sens.
Le premier argument, c'est tout simplement qu'un changement est devenu nécessaire. D'une part, sans porter atteinte à la Ve République elle-même, il est devenu impérieux de rééquilibrer le fonctionnement budgétaire au profit du pouvoir législatif : on ne peut à la fois conserver des textes qui brident fortement les initiatives du Parlement et déplorer qu'il n'exerce qu'un rôle insuffisant. D'autre part, dans l'intérêt même des agents du service public et des citoyens en général, la gestion publique a besoin de davantage de responsabilité, d'autonomie, de vision longue, de méthodes nouvelles : l'ordonnance de 1959, utile à l'époque où elle a été élaborée pour lutter contre certains excès passés, est devenue obsolète. A l'origine, c'était un garde-fou ; aujourd'hui, elle est devenue un carcan.
Le second argument qui fait espérer que cette 36e ou 37e tentative de réforme sera la bonne, c'est qu'elle bénéficie d'une conjonction politique exceptionnelle. La majorité parlementaire y est favorable, l'opposition ou certains éléments de celle-ci le semblent aussi, le Premier ministre est pour, le Président de la République a pris position publiquement en ce sens, la Secrétaire d'État au budget également et je puis vous indiquer -il m'en a fait la confidence- que le ministre des Finances aussi. Comme le soulignait récemment le premier Président de la Cour des Comptes dont l'institution nous a beaucoup aidés, une telle conjonction astralo-politique ne se retrouve au mieux qu'une fois par millénaire. Beaucoup d'entre nous n'attendront probablement pas jusque là. Je suggère donc qu'on n'attende pas.
Dans ce climat et compte tenu de la nécessité reconnue du changement, est-il possible d'espérer que les calculs-d'ailleurs bien incertains- de petite politique ne l'emporteront pas et ne paralyseront pas une réforme utile, non pas à la gauche ou à la droite, mais tout simplement à la France ? Nous le souhaitons.
Les principales dispositions de ce texte, chacun ici les connaît : au lieu des actuels 850 chapitres budgétaires, traduction financière du fameux " divide ut regnas ", désormais seraient mis en place des " missions " et des " programmes " : environ 150. La " fongibilité " de ceux-ci, la généralisation d'indicateurs de résultats, doivent permettre aux gestionnaires de gérer, de rechercher l'efficacité et d'être jugés sur elle. Le moyen terme n'est pas éliminé de l'action à court terme, au contraire. La logique des objectifs l'emporte sur la seule logique des moyens : la lisibilité y gagne, donc la responsabilité, sous le contrôle du Parlement. D'autre part, il est proposé que soient réintégrées dans le champ de l'autorisation parlementaire les taxes parafiscales et les garanties accordées par l'État. Surtout est prévu un droit d'amendement et de proposition parlementaire plus large qu'aujourd'hui, en particulier par le changement des conditions restrictives d'application de l'article 40 de la Constitution telles qu'elles ont été encadrées par l'ordonnance organique de 1959. Une limitation des actes budgétaires que le Gouvernement pourra désormais accomplir sans en référer au Parlement effraie, je le sais, un peu certains, elle ne devra évidemment pas dégénérer en paralysie de l'exécutif, mais nous sommes prêts à l'assumer. Avec, partout, la transparence, garantie de la démocratie. Une révolution tranquille donc, et utile.
Je ne veux pas, à ce stade, entrer davantage dans les détails de ces dispositions novatrices. Florence Parly le fera avec talent dans le cours de la discussion. Qu'il me suffise d'ajouter trois commentaires.
Le premier, pour remercier très chaleureusement le rapporteur général Didier Migaud qui a accompli un travail exceptionnel de volonté et de précision. Que soient remerciés aussi les Présidents Forni et Emmanuelli, ainsi que tous les membres -majorité et opposition- de votre Assemblée qui ont participé à ce travail, tout comme les parlementaires du Sénat, en particulier le Président Lambert, qui ont avancé dans le même esprit. Il s'agit, dans le meilleur sens du terme, d'une initiative parlementaire.
Je veux également souligner -mais cela dépend de votre règlement intérieur et non de la loi organique- que, pour avoir personnellement suivi depuis des années tous ces problèmes dans diverses fonctions, il me paraît indispensable que, parallèlement à cette réforme, vous puissiez rapidement décider de modifier, de simplifier, de rendre plus vivante et plus moderne l'organisation de la discussion budgétaire elle-même.
Une remarque enfin pour souligner, si nous aboutissons, ma satisfaction personnelle. J'ai eu la chance, lorsque vous m'avez porté à la Présidence de votre Assemblée, de pouvoir contribuer à avancer dans cette direction. Les circonstances font que, devenu Ministre des finances, je puis concrètement aller plus loin. J'éprouverai comme une grande chance de pouvoir aider à faire réussir ce changement.
Car, là est l'essentiel. L'enjeu, c'est à la fois un bon équilibre entre législatif et exécutif et l'efficacité de la gestion publique, c'est-à-dire la qualité de la démocratie parlementaire et la réforme de l'État. Celle-ci doit être menée à la fois " par le bas " dans le cadre d'une nouvelle étape de la décentralisation, et " par le haut " -à travers notamment cette réforme de la procédure budgétaire, tout en soulignant que l'idée de la réforme est bien de libérer l'initiative des gestionnaires et de faire en sorte que la réforme de l'État s'accomplisse de façon déconcentrée. Ce faisant, c'est aussi de notre compétitivité qu'il s'agit, tant il est vrai que désormais l'efficacité du service public, la réactivité de l'État, la qualité de la gestion publique sont des éléments clés du dynamisme d'une économie et de l'équilibre d'une société. Tel détail, le cas échéant, surprendra. Tel article de la nouvelle loi organique gagnera peut-être à être amendé dans notre discussion. Mais, comme je le disais en commençant, quand on décide après longue réflexion de franchir le Rubicon de la réforme, on ne s'arrête pas pour goûter trop longuement la température de l'eau.
Au-delà de ses aspects inévitablement techniques, cette proposition de loi est un acte de confiance en la liberté et la responsabilité. Liberté plus grande reconnue à des parlementaires responsables devant leurs électeurs. Liberté plus grande donnée à des gestionnaires en contrepartie d'une responsabilité plus forte et plus explicite, clairement mesurable devant les élus qui autorisent la dépense. J'espère donc qu'au-delà des clivages, nous saurons faire preuve de sagesse collective et que cette réforme, qui accroît leur pouvoir, sera votée en termes identiques par l'Assemblée et le Sénat.
C'est pourquoi, au bénéfice de la discussion qui va suivre, je confirme ici le plein soutien du Gouvernement à cette importante initiative parlementaire. Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les députés, la France a besoin de réformes, en particulier de celle-ci. Nous serons heureux d'apporter notre appui à son succès.
(Source http://www.minefi.gouv.fr, le 8 février 2001)
Intervention de Laurent Fabius,
Ministre de l'économie et des finances de l'industrie
ASSEMBLÉE NATIONALE - MERCREDI 7 FÉVRIER 2001-
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les députés,
Quand, après une longue réflexion, on a décidé de franchir le Rubicon, on ne s'arrête en général pas pour goûter la température de l'eau.
Nous sommes réunis pour examiner la proposition de loi organique d'origine parlementaire portant réforme de l'ordonnance du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances, parce que nous avons décidé ensemble, après longue réflexion, de franchir le Rubicon de la réforme budgétaire, en modifiant profondément cette fameuse ordonnance, véritable Constitution financière de la Ve République.
Vous l'avez souhaité parce que c'est l'intérêt du pays. Il peut exister entre nous, entre vous, sur tel ou tel point telle ou telle nuance ; nous les examinerons : mais cela - je tiens à l'affirmer dès le début de notre discussion - ne doit en aucun cas entraver la démarche générale, parce que celle-ci est un élément clé, même s'il n'est pas spectaculaire, de la modernisation nécessaire de notre pays.
Vous avez proposé ce changement parce que vous êtes convaincus, parce que nous sommes convaincus que les réalités économiques, financières et budgétaires ont changé et qu'il doit en être de même avec notre constitution financière qui n'a pas été modifiée depuis 41 ans, alors que la Constitution, elle, a été modifiée à de nombreuses reprises, certains disent même trop souvent.
Ce n'est, à vrai dire, pas la première fois que des parlementaires ont cette idée. Le projet de réforme dont nous allons débattre est, dit-on, le trente-sixième ou le trente septième. J'espère que ce sera le bon. Il y a de puissants arguments en ce sens.
Le premier argument, c'est tout simplement qu'un changement est devenu nécessaire. D'une part, sans porter atteinte à la Ve République elle-même, il est devenu impérieux de rééquilibrer le fonctionnement budgétaire au profit du pouvoir législatif : on ne peut à la fois conserver des textes qui brident fortement les initiatives du Parlement et déplorer qu'il n'exerce qu'un rôle insuffisant. D'autre part, dans l'intérêt même des agents du service public et des citoyens en général, la gestion publique a besoin de davantage de responsabilité, d'autonomie, de vision longue, de méthodes nouvelles : l'ordonnance de 1959, utile à l'époque où elle a été élaborée pour lutter contre certains excès passés, est devenue obsolète. A l'origine, c'était un garde-fou ; aujourd'hui, elle est devenue un carcan.
Le second argument qui fait espérer que cette 36e ou 37e tentative de réforme sera la bonne, c'est qu'elle bénéficie d'une conjonction politique exceptionnelle. La majorité parlementaire y est favorable, l'opposition ou certains éléments de celle-ci le semblent aussi, le Premier ministre est pour, le Président de la République a pris position publiquement en ce sens, la Secrétaire d'État au budget également et je puis vous indiquer -il m'en a fait la confidence- que le ministre des Finances aussi. Comme le soulignait récemment le premier Président de la Cour des Comptes dont l'institution nous a beaucoup aidés, une telle conjonction astralo-politique ne se retrouve au mieux qu'une fois par millénaire. Beaucoup d'entre nous n'attendront probablement pas jusque là. Je suggère donc qu'on n'attende pas.
Dans ce climat et compte tenu de la nécessité reconnue du changement, est-il possible d'espérer que les calculs-d'ailleurs bien incertains- de petite politique ne l'emporteront pas et ne paralyseront pas une réforme utile, non pas à la gauche ou à la droite, mais tout simplement à la France ? Nous le souhaitons.
Les principales dispositions de ce texte, chacun ici les connaît : au lieu des actuels 850 chapitres budgétaires, traduction financière du fameux " divide ut regnas ", désormais seraient mis en place des " missions " et des " programmes " : environ 150. La " fongibilité " de ceux-ci, la généralisation d'indicateurs de résultats, doivent permettre aux gestionnaires de gérer, de rechercher l'efficacité et d'être jugés sur elle. Le moyen terme n'est pas éliminé de l'action à court terme, au contraire. La logique des objectifs l'emporte sur la seule logique des moyens : la lisibilité y gagne, donc la responsabilité, sous le contrôle du Parlement. D'autre part, il est proposé que soient réintégrées dans le champ de l'autorisation parlementaire les taxes parafiscales et les garanties accordées par l'État. Surtout est prévu un droit d'amendement et de proposition parlementaire plus large qu'aujourd'hui, en particulier par le changement des conditions restrictives d'application de l'article 40 de la Constitution telles qu'elles ont été encadrées par l'ordonnance organique de 1959. Une limitation des actes budgétaires que le Gouvernement pourra désormais accomplir sans en référer au Parlement effraie, je le sais, un peu certains, elle ne devra évidemment pas dégénérer en paralysie de l'exécutif, mais nous sommes prêts à l'assumer. Avec, partout, la transparence, garantie de la démocratie. Une révolution tranquille donc, et utile.
Je ne veux pas, à ce stade, entrer davantage dans les détails de ces dispositions novatrices. Florence Parly le fera avec talent dans le cours de la discussion. Qu'il me suffise d'ajouter trois commentaires.
Le premier, pour remercier très chaleureusement le rapporteur général Didier Migaud qui a accompli un travail exceptionnel de volonté et de précision. Que soient remerciés aussi les Présidents Forni et Emmanuelli, ainsi que tous les membres -majorité et opposition- de votre Assemblée qui ont participé à ce travail, tout comme les parlementaires du Sénat, en particulier le Président Lambert, qui ont avancé dans le même esprit. Il s'agit, dans le meilleur sens du terme, d'une initiative parlementaire.
Je veux également souligner -mais cela dépend de votre règlement intérieur et non de la loi organique- que, pour avoir personnellement suivi depuis des années tous ces problèmes dans diverses fonctions, il me paraît indispensable que, parallèlement à cette réforme, vous puissiez rapidement décider de modifier, de simplifier, de rendre plus vivante et plus moderne l'organisation de la discussion budgétaire elle-même.
Une remarque enfin pour souligner, si nous aboutissons, ma satisfaction personnelle. J'ai eu la chance, lorsque vous m'avez porté à la Présidence de votre Assemblée, de pouvoir contribuer à avancer dans cette direction. Les circonstances font que, devenu Ministre des finances, je puis concrètement aller plus loin. J'éprouverai comme une grande chance de pouvoir aider à faire réussir ce changement.
Car, là est l'essentiel. L'enjeu, c'est à la fois un bon équilibre entre législatif et exécutif et l'efficacité de la gestion publique, c'est-à-dire la qualité de la démocratie parlementaire et la réforme de l'État. Celle-ci doit être menée à la fois " par le bas " dans le cadre d'une nouvelle étape de la décentralisation, et " par le haut " -à travers notamment cette réforme de la procédure budgétaire, tout en soulignant que l'idée de la réforme est bien de libérer l'initiative des gestionnaires et de faire en sorte que la réforme de l'État s'accomplisse de façon déconcentrée. Ce faisant, c'est aussi de notre compétitivité qu'il s'agit, tant il est vrai que désormais l'efficacité du service public, la réactivité de l'État, la qualité de la gestion publique sont des éléments clés du dynamisme d'une économie et de l'équilibre d'une société. Tel détail, le cas échéant, surprendra. Tel article de la nouvelle loi organique gagnera peut-être à être amendé dans notre discussion. Mais, comme je le disais en commençant, quand on décide après longue réflexion de franchir le Rubicon de la réforme, on ne s'arrête pas pour goûter trop longuement la température de l'eau.
Au-delà de ses aspects inévitablement techniques, cette proposition de loi est un acte de confiance en la liberté et la responsabilité. Liberté plus grande reconnue à des parlementaires responsables devant leurs électeurs. Liberté plus grande donnée à des gestionnaires en contrepartie d'une responsabilité plus forte et plus explicite, clairement mesurable devant les élus qui autorisent la dépense. J'espère donc qu'au-delà des clivages, nous saurons faire preuve de sagesse collective et que cette réforme, qui accroît leur pouvoir, sera votée en termes identiques par l'Assemblée et le Sénat.
C'est pourquoi, au bénéfice de la discussion qui va suivre, je confirme ici le plein soutien du Gouvernement à cette importante initiative parlementaire. Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les députés, la France a besoin de réformes, en particulier de celle-ci. Nous serons heureux d'apporter notre appui à son succès.
(Source http://www.minefi.gouv.fr, le 8 février 2001)