Interview de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, dans "Gazeta Wyborca"(Pologne) le 17 octobre 2007, sur la sécurité et la coopération policière européenne, l'accès des services spéciaux aux données personnelles, les visas et l'espace Schengen.

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Circonstance : Réunion des ministres de l'intérieur du G6 à Sopot (Pologne) le 17 octobre 2007

Média : Gazeta Wyborcza

Texte intégral

Q - Les ministres de l'Intérieur se rencontrent aujourd'hui à Sopot (Pologne). Dans quel but ?
Michèle Alliot-Marie : La délinquance ne connait pas de frontières. A plus forte raison, le terrorisme et la criminalité organisée. Le G6 doit discuter et préparer des projets concrets, qui serviront à assurer la sécurité de nos citoyens. Nous nous rencontrons à Sopot, car c'est la Pologne qui assure actuellement la présidence du groupe. Notre discussion se concentrera sur la lutte contre le terrorisme et sur la coopération avec les Etats extérieurs non membres de l'UE.
Q - On a entendu dire que le G6 était une tentative discrète de former un « directoire des plus grands Etats ».
Michèle Alliot-Marie : Il ne faut pas voir le G6 de cette façon-là. Il est très difficile d'organiser un débat à 27. Dans un cercle plus restreint, tel que le G6, une discussion approfondie devient possible. Quand nous arrivons à identifier et à cerner un problème, nous pouvons le présenter à toute l'UE. Je suis très favorable aux rencontres en format restreint. Elles étaient d'ailleurs prévues par le projet de Traité constitutionnel en tant que mécanisme de « coopération renforcée ». Pour l'instant, le G6 est une structure informelle, qui fonctionne et qui est efficace. Il est ouvert à la discussion avec les autres Etats.
Q - Quels sont les succès du G6 ?
Michèle Alliot-Marie : Le groupe ne fonctionne que depuis 2003. Nous avons travaillé sur le contrôle des explosifs, nous avons discuté de la lutte contre la traite des êtres humains. Ces sujets ont ensuite été portés par l'union européenne. La coopération policière et celle des services spéciaux se développent.
Q - Le gouvernement polonais refuse que les décisions de l'UE soient prises à la majorité dans le domaine des affaires intérieures.
Michèle Alliot-Marie : Que les positions des Etats membres de l'UE diffèrent dans les affaires économiques, c'est normal car leurs intérêts divergent souvent. Mais, dans les affaires liées à la sécurité, nos intérêts sont les mêmes. Nous avons besoin d'une politique de sécurité commune. Les sondages confirment que telle est la volonté de la majeure partie des Européens. Ainsi, nous partons du principe que dans les affaires visant à améliorer la sécurité des citoyens, un Etat ne devrait pas pouvoir bloquer les projets approuvés par le reste de l'UE. Je vous rappelle d'ailleurs que l'UE dispose dans ce domaine de mécanismes qui permettent à un Etat membre de s'exclure d'une décision, s'il décide qu'un de ses intérêts nationaux est en jeu.
Q - La France, qui présidera l'UE au second semestre 2008, a-t-elle un projet de réforme de la politique de sécurité intérieure de l'UE ?
Michèle Alliot-Marie : Nous voudrions présenter quelques projets de coopération. Ce seront également des projets de « coopération renforcée », ouverts à tous les Etats. L'un d'eux concerne la protection civile. Lors des dernières catastrophes naturelles, telles que le tsunami en Asie, ou lors des incendies en Grèce, nous avons pu constater la nécessité d'une meilleure coopération. Lors de la rencontre des ministres de l'Intérieur à Lisbonne, j'ai proposé de faire l'inventaire des moyens et des effectifs de l'UE pouvant être mis à la disposition de chaque Etat. Cela nous permettra de connaître nos points faibles et donc d'identifier nos besoins. Lors de la présidence française, nous pourrons alors réfléchir à la manière de combler les lacunes. Et à ce qu'il faut faire, en cas de catastrophe dans l'UE ou ailleurs, pour envoyer le plus rapidement possible les moyens de secours nécessaires.
Q - La France veut-elle former un Corps européen de sécurité civile ? Avec des uniformes et des casernes communs, comme l'a suggéré l'un de vos collègues, M. Michel Barnier ?
Michèle Alliot-Marie : Notre projet ressemblerait davantage aux GT 1500 (groupements tactiques et militaires). Les hommes de la sécurité civile stationneraient chacun dans leurs pays. En cas d'opérations comme le font les soldats, ils porteraient l'uniforme de leurs pays, mais avec un insigne de l'UE. Nous ne voulons pas cantonner dans quelques lieux choisis de l'UE des unités spéciales dotées de matériel spécifique. Elles seraient inactives 11 mois sur 12. Nous voulons faire en sorte que les unités nationales puissent être acheminées en quelques heures de leurs lieux d'implantation sur les lieux de la catastrophe. Les unités des différentes nations doivent pouvoir coopérer entre elles. Pour l'instant, ce n'est pas toujours possible. Lors de l'intervention contre les incendies en Grèce, il s'est par exemple avéré que les systèmes radio des avions français, slovènes et italiens étaient incompatibles. Les équipages ne pouvaient pas communiquer ! Il faudra travailler à l'interopérabilité des matériels.
Q - Et le projet des unités européennes des gardes-frontière.
Michèle Alliot-Marie : C'est une idée intéressante qui pourrait être précédée par une harmonisation des standards des polices en charge des frontières. Nous sommes prêts à participer à un tel projet, qui permettrait de renforcer le contrôle des frontières européennes, notamment celles de l'espace Schengen.
Q - L'UE discute actuellement au sujet de l'accès des services spéciaux aux données personnelles des citoyens. Quelle est la position de la France dans ce débat ?
Michèle Alliot-Marie : Je suis très vigilante s'agissant de la protection des données personnelles. L'un de mes principaux objectifs consiste à garantir le respect des libertés individuelles des Français. Il faut en même temps que nos citoyens comprennent le rôle de l'UE dans les affaires de sécurité. Le problème de la protection des données personnelles sera perçu différemment quand les Européens verront ce que l'Europe fait pour leur sécurité.
Q - Cela signifie-t-il que l'UE unifiera les dispositions sur la protection des données ?
Michèle Alliot-Marie : Un texte sur la protection des données personnelles est actuellement à l'étude au Conseil. Il faut que les législations nationales se rapprochent. Tous les Etats doivent se rendre compte que nous sommes tous également menacés par le terrorisme. Cela fait qu'ils doivent adopter la même politique, également dans le domaine des libertés individuelles.
Q - La Pologne entrera prochainement dans l'Espace Schengen. L'Europe occidentale ne craint-elle pas d'être submergée par les Ukrainiens ou les Biélorusses ? Notre gouvernement veut garantir à nos voisins de l 'Est, notamment les Ukrainiens, toutes les facilités de visa possibles.
Michèle Alliot-Marie : L'Espace Schengen est une forme de coopération des Etats qui se sont engagés à respecter les mêmes règles. Cela concerne également la question des visas. La Pologne deviendra gardienne de toute l'UE, car elle sera responsable des contrôles sur ses frontières orientales. Je suis convaincue qu'elle a tout fait pour assumer cette responsabilité.Source http://www.ambafrance-pl.org, le 28 février 2008