Déclaration de M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur l'importance du développement des politiques agricole, alimentaire et sanitaire mondiales, ainsi que sur la nécessité de mettre en place des politiques agricoles régionales mutualisées semblables à la PAC dans les pays euroméditerranéens, Barcelone le 5 mai 2008.

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Circonstance : 1ère journée "Culture alimentaire et diversité dans les pays méditerranéens", à Barcelone le 5 mai 2008

Texte intégral

Je remercie chacun et chacune d'entre vous, dans la diversité de vos responsabilités politiques, M. le Conseiller Joaquim Llena qui nous accueille avec beaucoup d'amitié ici dans sa belle région de Catalogne, Dominique Chardon qui a voulu cette manifestation, Mme Giraud, Vice-Présidente de la région Rhône-Alpes, tous nos amis de Tunisie et du Maroc, chacun et chacune d'entre vous, M. le Consul Général qui a suivi la préparation de cette journée avec beaucoup de soin.
Je suis très heureux pour beaucoup de raisons, de participer à l'ouverture de cette journée de dialogue et de réflexion sur un sujet très important. Et heureux en particulier parce que, je le disais à Joaquim, j'ai une proximité ancienne avec la Catalogne, qui n'est d'ailleurs pas liée à l'agriculture, mais qui est liée au sport (je ne parle pas du match d'hier soir, auquel j'ai assisté, qui était un beau match, après une saison difficile, mais un beau match). Ma proximité avec la Catalogne remonte à plus longtemps, aux années 90, où nous avons, avec ma région Rhône-Alpes et avec la Savoie, mené la candidature puis l'organisation des jeux d'hiver à Albertville en même temps que Barcelone organisait ces formidables jeux de l'été 92. Donc nous avons une proximité liée au sport, mais aussi à la géographie, à l'histoire et je m'attacherai, dans les temps qui viennent, à renforcer encore cette proximité. Je pense aux liaisons ferroviaires, mais il y a beaucoup d'autres sujets qui doivent rapprocher le sud de la France et cette grande région de Catalogne.
Je souhaite partager quelques réflexions avec vous à l'ouverture de cette journée consacrée aux cultures alimentaires, à la diversité des cultures et à leur proximité aussi.
Cela peut paraître un peu paradoxal, même un peu provocateur de parler des cultures alimentaires en ce moment. Dominique Chardon évoquait les émeutes et les difficultés graves dans beaucoup de pays, une quarantaine de pays aujourd'hui, où la question n'est pas celle de la culture alimentaire, mais simplement d'abord celle du besoin alimentaire. Le besoin de se nourrir, l'exigence vitale de se nourrir.
Donc je pense que pour les ministres de l'agriculture, pour tous ceux qui s'intéressent ou qui travaillent dans ce secteur agricole et agroalimentaire - c'est le cas de beaucoup d'entre vous, chefs d'entreprise ou responsables professionnels ou associatifs - notre première frontière elle est là aujourd'hui. Il faut que le monde, que les agricultures du monde produisent plus pour nourrir le monde. Nous savons qu'en 2050, c'est à dire après-demain, il y aura neuf milliards d'habitants sur la planète, et qu'il faudra, pour nourrir ces neufs milliards d'habitants, doubler la production agricole à des fins alimentaires. C'est un défi considérable, et nous avons une responsabilité, parce que nos pays, l'Europe, sont de grands pays producteurs, qu'on ne peut pas être indifférent à ce qui se passe autour de nous.
Néanmoins, je veux dire quelques mots de ce défi alimentaire, de cette crise extrêmement grave et qui pose d'ailleurs des problèmes de sécurité.
On voit bien que l'insécurité alimentaire devient aujourd'hui un problème de sécurité tout court. Je ne crois pas que la solution soit seulement ou d'abord d'exporter pour nourrir ou d'apporter de l'aide alimentaire. Bien entendu, la première réponse urgente, à travers le programme des Nations-Unies, c'est d'apporter des secours d'urgence, des crédits pour dans l'urgence nourrir un certain nombre de pays ou de capitales qui en ont besoin. La seconde urgence pour moi est que l'on prépare avec les pays qui souffrent, la prochaine saison agricole, comme l'a proposé la FAO en apportant massivement des semences ou des engrais.
Mais d'une manière plus durable et plus structurelle, comme l'a reconnu il y a quelques mois - pour la première fois depuis 25 ans - la Banque mondiale, il faut remettre l'agriculture en tête de l'agenda. Quand on regarde les programmes des organisations internationales, des bailleurs de fonds et même le programme du fonds européen de développement, ou même nos programmes bilatéraux de coopération, on voit que l'agriculture n'a pas cessé de reculer dans les priorités de la coopération avec les pays les plus pauvres. Donc il faut remettre l'agriculture en tête et je vais même un petit peu plus loin, je pense qu'il ne s'agit pas d'apporter des chèques, parfois pour se donner bonne conscience, il faut que ces pays qui par groupe de régions ont des cohérences géographiques, écologiques et culturelles bâtissent eux-mêmes, région par région du monde, comme nous l'avons fait il y a 50 ans, des politiques mutualisées.
Un certain nombre de pays n'auront pas la force d'affronter seuls la mondialisation. Avec l'augmentation des prix et la spéculation internationale que l'on voit pour la première fois s'appuyer sur les matières premières alimentaires. Je suis libéral mais je ne crois pas au tout libéralisme pour assurer la sécurité alimentaire dans le monde, ni pour régler l'ensemble des questions qui touchent à l'alimentation. Je ne crois pas qu'on puisse laisser l'alimentation des gens à la seule loi du marché et aux moins disant écologiques ou sanitaires. Donc je pense qu'il faut des politiques publiques. Il faut une gouvernance mondiale, sans doute il manque un lieu d'ailleurs, reconnu de tous où l'on pourrait débattre à l'échelle du monde de ce lien entre agriculture et alimentation, des politiques publiques s'agissant du partage des terres, la priorité dans l'usage des terres dans l'alimentation et quelle part on réserve aux biocarburants, aux politiques de sécurité sanitaire. Je pense qu'il manque un lieu pour la gouvernance mondiale dans ce domaine et que ce lieu ne peut pas être seulement celui de l'Organisation Mondiale du Commerce. Je parlais de cela avec le Premier Ministre français il y a quelques jours à Washington ; je pense que l'une des leçons qu'il faudra tirer de la crise actuelle, c'est qu'il faudra bâtir un lieu où l'on puisse parler de ces grands sujets qui sont tout simplement des sujets vitaux, au sens où l'alimentation est une question vitale, et peut provoquer des crises, des drames, voire des guerres un jour, et en parlant de l'alimentation je pourrais parler d'abord de la question de l'eau qui devient une question extrêmement grave.
Voilà donc ma première réflexion en regardant ce qui se passe dans le monde, est qu'il faudrait encourager d'autres régions du monde, le Maghreb arabe, il est juste de l'autre côté de la Méditerranée, si proche de nous, l'Afrique de l'ouest, l'Afrique de l'Est, peut-être d'autres régions, à mutualiser à l'échelle de plusieurs pays qui ont une proximité géographique, écologique et culturelle, à mutualiser leur propre politique de production agricole, de gestion de risque, de protection sanitaire, d'agronomie ou de recherche. Si les choses s'organisent ainsi, alors je dirai en conclusion, on voit bien la plus grande efficacité que pourrait trouver l'aide internationale de soutien des organisations internationales et des bailleurs de fonds en s'appuyant et en soutenant de telles politiques régionales mutualistes.
Encore une fois et c'est mon deuxième point, ce que nous avons fait en Europe, depuis 50 ans, ne nous donne pas le droit de donner des leçons aujourd'hui, pas d'arrogance, mais simplement de montrer comment un continent qui au sortir de la deuxième guerre mondiale n'arrivait pas à se nourrir lui-même, n'était pas autosuffisant, a fini par faire de cette politique agricole la première politique économique de l'Union européenne dans le Traité de Rome, et depuis les années 60, a mutualisé ses politiques de production, ce marché commun agricole, ces normes qui se rapprochent en matière sanitaire ou écologique, et ainsi a donné à nos agricultures, parce qu'elles sont ensemble, plus de force. Ce que nous construisons d'une manière générale, en Europe depuis 50 ans, et en particulier dans l'agriculture, ce n'est pas une Europe uniforme, c'est une Europe unie. Pas uniforme, unie.
Il ne s'agit pas, je reviens sur la diversité qu'évoquait Dominique Chardon, de tout mélanger et d'effacer toutes les différences, c'est d'ailleurs ça qui rend le projet européen à la fois si passionnant et si difficile. Nous ne faisons pas un peuple européen, nous ne faisons pas une nation européenne, nous ne voulons pas construire un super Etat fédéral, nous mutualisons 27 nations, et dans ces nations il y a aussi beaucoup d'identités, et de forces dans les régions, chacune garde sa différence, sa langue, son identité, sa culture, et nous tenons à nos différences, nous tenons à ce qu'on respecte notre identité comme nous devons respecter celle des autres.
Et pourtant nous faisons de plus en plus de choses ensemble, et nous avons, comment dirais-je, non seulement envie de le faire, mais nous avons intérêt à le faire aussi. Voilà, pas une Europe uniforme, une Europe unie. Et c'est vrai pour nos langues, c'est vrai pour nos cultures, et c'est aussi vrai pour nos agricultures. Et pour cette diversité qui s'attache aux produits, et une qualité culinaire, gastronomique, qu'évoquait aux traditions, aux savoirs-faire, à l'art de planter, de cultiver, ou de cuisiner, à partir des produits locaux.
C'est ça la force de l'Europe, Mesdames et Messieurs.
Je pense que ce que nous avons fait depuis 50 ans avec succès, non pas pour retrouver une autarcie, une autosuffisance alimentaire, pour être souverain sur le plan alimentaire et être capable d'exporter aussi, de participer aux échanges dans le monde tout en préservant ces différences, ces identités, on le voit bien à travers cette politique formidable des appellations d'origine contrôlée, des indications géographiques. Même les Etats-Unis s'intéressent maintenant à cette politique dont nous avons donné l'exemple, nous Européens, la protection des produits et du savoir-faire, on voit bien que c'est ça qui nous permet d'affronter la mondialisation, tout en gardant, encore une fois, notre authenticité et notre identité.
Encore une fois, ce que nous avons fait en Europe depuis 50 ans peut être utile comme expérience à d'autres régions du monde, pour expliquer que dans les années qui viennent, dans les mois qui viennent, avec mes collègues ministres de l'agriculture de l'Union européenne nous allons expliquer, préserver, et rénover cette grande politique économique européenne, la première politique économique européenne, et pour l'heure aujourd'hui la seule vraie politique économique avec la pêche qu'est la PAC. Nous allons expliquer, préserver et rénover, je dis rénover parce que naturellement il faut tenir compte de ce qui se passe avec les prix qui sont bien meilleurs pour les grandes cultures. Donc nous allons procéder à des ajustements, à des rééquilibrages, produire plus, et produire mieux. Voilà le défi que nous avons pour faire face à cette question grave de la sécurité alimentaire, produire plus et produire mieux, c'est l'objectif aussi que nous devons fixer à la politique agricole commune. Donc cette forme de mutualisation que nous avons voulue est extrêmement importante pour nous aujourd'hui, et elle l'est d'autant plus que nous devons expliquer des choses, expliquer que c'est cent euros par an et par habitant que représente la politique agricole, que ce prix n'est pas tellement cher payé. Les exigences qui sont fixées à la politique agricole commune, 1) cette diversité de l'alimentation, cette traçabilité des produits agricoles ou agroalimentaires qui ont des goûts, des couleurs, des saveurs, qui ont eux et chacun une identité. Nous ne voulons pas en Europe une alimentation aseptisée, nous avons une alimentation diversifiée ; et ça c'est la première exigence que nous avons fixée à la politique agricole commune. La deuxième exigence est également importante, nous n'avons pas une agriculture industrialisée, même si nous avons ici et là de grandes exploitations modernes et parfois de petites et moyennes exploitations très modernes aussi, nous gardons une agriculture qui représente et qui fait vivre l'ensemble des territoires, même des territoires extrêmement difficiles, des zones éloignées ou fragiles. J'étais il y a quelques jours en Finlande et en Suède dans les régions septentrionales, où l'agriculture vit et est soutenue par la politique agricole commune comme c'est le cas dans les Pyrénées ou dans les Alpes, chez moi. Donc les deux grandes raisons de la PAC, les deux grandes raisons pour lesquelles on demande au budget européen cet effort, franchement il faut bien en mesurer l'impact et l'efficacité en termes de diversité et de qualité de l'alimentation, et en termes d'équilibre de la vie économique des territoires. Et encore une fois je le dis, sans donner de leçons, que l'expérience européenne de mutualisation à l'échelle d'un continent, d'une grande région, peut être utilisable par d'autres régions du monde, surtout en ce moment.
Ayant dit cela, c'est mon troisième point, nous avons la possibilité, je crois même nous avons des raisons de faire que ces cultures agricoles, que ces cultures alimentaires, que ces politiques agricoles parlent entre elles et travaillent entre elles, et en particulier je le dis en présence de Bertrand Hervieu, qui fait un formidable travail avec son équipe du CIHEAM ici, tout autour de la Méditerranée, et en saluant nos amis Marocains et Tunisiens, et d'autres sans doute qui travaillent et qui échangent avec l'autre rive. Ces politiques agricoles régionales, notamment la politique agricole européenne, ne peut pas se replier comme dans une forteresse, nous devons avoir une ouverture qui ne soit pas d'ailleurs seulement celle du commerce, une ouverture culturelle, une ouverture politique au sens noble du terme, une ouverture humaine, et quelle plus belle ouverture d'ailleurs, sur le plan humain, que celle qui est liée à l'agriculture, aux paysans des différentes régions du monde. Donc moi je plaiderai, et je continuerai à plaider pour d'abord ce dialogue méditerranéen.
Nous étions l'autre jour avec Madame Espinosa et d'autres ministres du bassin méditerranéen à Saragosse où on a travaillé sur le volet agricole du projet d'Union pour la Méditerranée, prolongeant et amplifiant le processus de Barcelone. Il y a des raisons de bâtir une coopération très forte entre les différents pays de l'ensemble du pourtour méditerranéen, d'abord pour promouvoir le régime alimentaire méditerranéen, les cultures saines de nos différentes alimentations, celle de la Catalogne, celle de la France, de l'Italie et d'autres, de la Grèce, et puis les pays de l'autre rive ; mais au-delà du régime alimentaire, il y a sur le plan de la gestion de l'eau et de la protection des ressources et de la biodiversité, sur le plan de la recherche, je pense à l'avance qu'ont les pays du sud méditerranéen sur la question du stress hydrique et nous avons, Mesdames et Messieurs, Monsieur le Conseiller, tous ensemble, à affronter le défi du réchauffement climatique qui va bousculer toutes nos habitudes de cultiver, de travailler la terre avec plus de chaleur et moins d'eau dans les 30 ou 40 ans qui viennent. Et quelque part, les pays du sud qui ont eu à faire face plus tôt que nous à cette question du désert ou du réchauffement peuvent partager leur expérience avec nous ; et nous avons à faire des efforts dans l'agronomie et la recherche pour faire face à cette question du stress hydrique.
Il y a une autre question qui moi me préoccupe beaucoup, qui est liée à la mondialisation des échanges et au réchauffement climatique, qui est celle des risques sanitaires, et la multiplication n'importe où, n'importe comment des pathogènes émergents qui explosent partout. Actuellement nous affrontons en Europe une des plus graves crises sanitaires liée à la fièvre catarrhale ovine, qui normalement devait remonter du sud de l'Afrique et qui est arrivée directement avec un sérotype inconnu l'année dernière aux Pays-Bas et qui descend. Aujourd'hui 82 départements de France sont touchés par la fièvre catarrhale ovine, 10 pays d'Europe sont touchés et puis ça va continuer. On va voir apparaître des pathogènes émergents n'importe où, n'importe comment ; est-ce qu'on peut faire face à ça tout seul, chacun pour soi, chacun chez soi ?
Moi je ne le crois pas, je crois qu'il y a là une raison, un intérêt, tout autour de la Méditerranée, à confirmer ou amplifier notre coopération, nos échanges, à adapter, à coordonner nos politiques sanitaires ; voilà un quatrième sujet pour nourrir le volet agricole du projet d'Union méditerranéenne.
Donc, Mesdames et Messieurs, je conclus ces quelques remarques pour ne pas abuser de votre attention, en saisissant cette occasion de cette belle conférence aujourd'hui où je vais déclarer ouverte la première journée de la culture alimentaire et de la diversité des pays méditerranéens, en remerciant tous les partenaires de cette conférence, par ces quelques remarques assez graves et en même temps véhémentes et déterminées sur le retour de l'agriculture au premier plan. Le retour des hommes et des femmes qui font vivre l'agriculture et le secteur agroalimentaire. Le défi de la sécurité alimentaire dans le monde nous y oblige. L'expérience européenne qui doit être consolidée et rénovée peut être utile à d'autres régions. Et, à partir de ces expériences là, de ces politiques communes, le dialogue, en particulier et d'abord dans notre région méditerranéenne, tout autour de cette grande mer, est un horizon que je trouve passionnant, à la fois sur le plan humain et sur le plan politique, et en même temps sur le plan de nos intérêts respectifs, en particulier s'agissant de cette question de sécurité alimentaire.
Voilà je vous remercie beaucoup Monsieur le Ministre et Monsieur le Président de votre accueil, j'ai été très heureux de pouvoir avoir ce prétexte de revenir en Catalogne. Je souhaite un bon travail à chacune et à chacun d'entre vous en déclarant ouverte cette première journée sur les cultures alimentaires tout autour de la Méditerranée.
Merci de votre attention.
Source http://www.consulfrance-barcelone.org, le 13 mai 2008