Interview de M. François Fillon, Premier ministre, à RTL le 9 juillet 2008, sur le gel des dépenses publiques et la réduction des effectifs de fonctionnaires, le projet de réforme constitutionnelle, et le financement de France Télévisions.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

J.-M. Aphatie.- Bonjour F. Fillon.
 
Bonjour.
 
Nous sommes confrontés à une hausse durable du prix de l'énergie et des
matières premières. Le moral des ménages flanche, celui des industriels
aussi. C. Ghosn, pdg de Renault, redoute un affaissement du marché
automobile au second semestre en France. Risquons-nous un accident de
croissance ?
 
La situation économique internationale est difficile...
 
Donc celle de la France aussi ?
 
Et celle de la France comme les autres naturellement. La France n'est
pas un îlot au milieu d'un monde qui est totalement interdépendant. Il
y a un ralentissement de la croissance américaine extrêmement fort.
Tout le monde sait que ce ralentissement allait finalement toucher l'
Europe, je l'avais moi-même dit au début de l'année que le premier
trimestre serait un bon trimestre en terme de croissance mais que le
second serait moins bon. Ce qu'on note pour le moment, c'est que dans
ce contexte-là et avec les handicaps structurels que la France a
accumulés depuis des années, la France résiste plutôt bien en terme de
croissance, en terme d'emploi. Et il lui reste...
 
Allez-vous réviser vos prévisions, vos chiffres pour le second semestre
?
 
 
Non, parce que nous avons fait une prévision pour l'année 2008 qui est
de l'ordre de 1,7 point : entre 1,7 et 2 points de croissance.
 
Et vous maintenez ces prévisions ?
 
Nous avons déjà un acquis de croissance qui nous donne une assurance
d'avoir au moins 1,5 point de croissance. Vous voyez qu'entre 1,5 et
1,7, la différence est extrêmement minime et l'expérience de l'année
2007 me laisse penser que nous pouvons, avec les réformes que nous
sommes en train de faire, obtenir une croissance d'au moins 1,7.
 
Vous rendez, actuellement, des arbitrages importants dans le cadre de
la préparation du budget 2009. Combien de fonctionnaires partant à la
retraite n'allez-vous pas remplacer l'année prochaine ?
 
On a pris un engagement sur l'ensemble du quinquennat de N. Sarkozy, de
ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux. On est en déficit depuis 34
ans. Si on veut sortir de ce déficit, il y a deux façons de le faire :
soit avec un plan de rigueur, c'est-à-dire augmentation des impôts et
diminution drastique des dépenses publiques - c'est ce qu'avait fait la
gauche en 1982, sans d'ailleurs obtenir vraiment de résultats sur le
plan du déficit - ; ou alors il y a une autre solution, celle que nous
avons choisie : on fait des réformes structurelles, c'est ce que nous
sommes en train de faire, réforme de l'Etat, fusion de l'ANPE et de l'
UNEDIC, réforme de la Défense etc. On maintient strictement les
dépenses pendant cinq ans au même niveau, c'est-à-dire qu'il n'y a pas
d'augmentation des dépenses de l'Etat en volume pendant cinq ans et on
ne remplace pas un fonctionnaire sur deux. En 2009, on prépare le
budget sur la base d'au moins 30.000 non remplacements de
fonctionnaires partant à la retraite.
 
X. Darcos indique dans Libération ce matin, il est ministre de l'
Education, qu'il vous a proposé de ne pas remplacer 13.500
fonctionnaires dans l'Education nationale.
 
C'est le chiffre sur lequel on s'est mis d'accord ensemble. Cela fait
pas un sur deux d'ailleurs, tout à fait, parce que l'Education
nationale a des contraintes particulières et parce qu'il y a à l'
Education nationale, en ce moment, un certain nombre de réformes qui
sont en cours et il faut naturellement que ces réformes aient donné
leurs résultats, pour qu'on puisse conduire cette diminution des
effectifs.
 
Mais 13.500 ce sera donc l'ordre de grandeur pour 2009.
 
Ce sera l'ordre de grandeur pour 2009.
 
P. Seguin, président de La Cour des Comptes, doutait récemment que vous
parveniez à l'équilibre budgétaire en 2012.
 
Il a raison de douter parce que c'est difficile. Encore une fois, ça
fait 34 ans qu'on n'a pas atteint l'équilibre.
 
Il disait : vous n'y arriverez pas.
 
Non, ça c'est... enfin P. Seguin n'a jamais été un optimiste de nature.
 
Vous l'êtes ?
 
Moi en tous cas, j'ai clairement fait savoir à l'ensemble des membres
du Gouvernement que pour moi, ce n'est pas une question négociable. Il
y a un moment où il faut arrêter la fuite en avant qui est celle de
notre pays depuis si longtemps. C'est une question d'efficacité d'
abord, parce que la dette que nous accumulons, elle pèse beaucoup sur
notre croissance et sur nos investissements, mais c'est aussi une
question de morale. On ne peut pas continuer à laisser les générations
futures payer le fruit de nos imprévoyances et je l'ai dit, de nos
lâchetés, parce que je pense que c'est lâche de ne pas réduire la
dépense publique lorsqu'elle est financée par l'emprunt.
 
Sur ce point précis, F. Fillon, vous êtes totalement en phase avec N.
Sarkozy ?
 
Oui, il ne serait pas possible que le Premier ministre et le président
de la République ne soient pas en phase sur un sujet comme celui-là.
C'est moi qui ai la responsabilité de faire les arbitrages budgétaires.
Je l'ai fait. Ce n'est pas la partie la plus facile de la
responsabilité qui est la mienne, parce que naturellement chaque
ministre souhaite obtenir le meilleur budget qui soit. Mais il n'y aura
pas de discussion possible sur ce principe : on n'augmente pas les
dépenses de l'Etat pendant cinq ans. Ce qui avec la croissance - si la
croissance est au rendez-vous, même si elle est modeste - devrait nous
permettre de réduire considérablement le déficit.
 
Hier soir, sur France 2, S. Royal a établi un rapport - elle l'a dit
comme ça - entre la mise à sac de son appartement et la dénonciation de
ce qu'elle appelle le "clan Sarkozy". Elle parle d'une drôle de
coïncidence. Qu'en pensez-vous ?
 
C'est plutôt à classer à la rubrique faits divers. Madame Royal perd le
contrôle d'elle-même, elle utilise d'ailleurs toujours la même méthode.
Elle a fait une grosse bourde il y a quelques jours en rompant seule ce
qui était l'unanimité nationale autour de la libération d'I.
Betancourt. Donc elle se rend compte qu'elle a fait une bourde, donc
elle allume un nouvel incendie pour essayer...
 
Mais son appartement est visité pour la deuxième fois, mis à sac.
 
Oui mais ça arrive à beaucoup de Français d'abord.
 
Même à beaucoup de responsables politiques ?
 
Ça arrive à beaucoup de Français.
 
Pas à beaucoup de responsables politiques.
 
C'est absolument honteux de mettre en cause le président de la
République. Je peux vous dire que la police est au travail, qu'elle
enquête, que la lumière sera faite naturellement sur ce cambriolage.
 
Elle a un statut particulier : elle est la Française qui a été au
deuxième tour de l'élection présidentielle. Elle peut être victime,
peut-être, de manoeuvres d'intimidation ?
 
Je ne sais pas quelles manoeuvres d'intimidation et pourquoi. A ma
connaissance, elle a été battue aux élections présidentielles. Je ne
vois pas. Enfin les seules compétitions qu'il y a en ce moment avec
madame Royal, elles sont à l'intérieur du Parti socialiste. Donc
franchement, cette façon sans aucune espèce naturellement de preuves,
c'est une sorte d'insinuation qu'on lance comme ça, je trouve que c'est
honteux. Mais en même temps, je pense que les Français se rendent
compte que tout ça est dérisoire et qu'il faut le classer à la rubrique
des faits divers.
 
Les parlementaires socialistes ont décidé de ne pas voter la réforme de
la Constitution que vous avez préparée. Pourquoi convoquez-vous malgré
tout le Congrès à Versailles ? Vous n'aurez pas la majorité requise
pour réviser la Constitution.
 
D'abord vous ne le savez pas et moi non plus.
 
Les pointeurs ne sont pas optimistes.
 
Oui enfin, on verra. Mais je pense qu'il faut que chacun soit mis
devant ses responsabilités. On a proposé une réforme de la Constitution
qui n'est naturellement pas celle que souhaite le Parti socialiste, qui
n'est d'ailleurs pas non plus exactement celle que je souhaitais,
puisqu'au sein de la majorité, il y a des avis différents sur l'
évolution qui devrait être celle de notre régime, vers un régime plus
parlementaire, vers un régime plus présidentiel. Mais il y a une chose
qui est certaine, que personne ne conteste, c'est que cette proposition
de réforme accroît les pouvoirs du Parlement. Et donc elle rééquilibre
les pouvoirs dans notre pays par rapport à ce qui était la situation de
la Vème République et surtout de sa pratique. Il faut que chacun soit
mis devant ses responsabilités. Quand on est parlementaire de gauche,
que depuis des années et des années, on réclame plus de pouvoir pour le
Parlement et que le président de la République et le Gouvernement
offrent une réforme dans laquelle il y a le partage de l'ordre du jour,
dans laquelle il y a un nouveau mode d'examen des textes qui donne une
plus grande force au Parlement, qui crée un mode de contrôle des
nominations du président de la République, qui permet aux citoyens d'
invoquer l'exception d'inconstitutionnalité, on ne peut pas refuser
cette réforme au motif qu'on a pas obtenu tout ce qu'on voulait. Et
donc il faut que chacun soit mis devant ses responsabilités. Si la
gauche vote contre cette réforme, elle en portera une part importante
de responsabilité.
 
On dit F. Fillon, que vous comptez sur le renfort de quelques
parlementaires Radicaux de gauche pour voter votre Constitution ?
 
Non, je compte sur la conscience de chaque parlementaire. C'est-à-dire
qu'au moment du Congrès, chacun fera son choix. Et il y a quand même
beaucoup de parlementaires qui vont hésiter avant de voter contre une
réforme qui accroît leur pouvoir.
 
On a noté que J.-F. Hory, ancien président des Radicaux de gauche, 59
ans, avait été nommé par décret du 27 juin au Conseil d'Etat. Alors on
se dit : tiens ! Soit vous manquez de conseillers d'Etat, soit c'est
une manière de s'attirer les bonnes grâces des Radicaux de gauche.
 
Ce n'est pas le seul homme de gauche qui a été nommé au Conseil d'Etat
ces dernières années, monsieur....
 
Comme par hasard, un ancien président du parti Radical de gauche.
 
 Il y a beaucoup d'hommes de gauche qui ont été nommés au Conseil d'
Etat, comme vous le savez.
 
P. de Carolis, président de France Télévisions, était au micro de RTL
mercredi dernier. Il a indiqué que selon lui, les taxes destinées à
compenser la perte de publicité sur la télévision publique ne
suffiraient pas pour combler le manque de recettes. Il dit que le
compte n'y est pas. Reverrez-vous avec lui, le projet de financement de
France Télévisions à partir du 1er janvier 2009 ?
 
Bien sûr, le plan de financement de France Télévisions n'a pas été
arrêté. Pour l'instant il y a une proposition qui a été faite par la
Commission Copé. Il y a des principes généraux qui ont été annoncés par
le président de la République. Mais enfin tout ça va donner lieu
maintenant à un débat parlementaire autour d'un projet de loi, puis va
donner lieu à une discussion qui a déjà commencé d'ailleurs entre le
Gouvernement et France Télévisions, pour assurer le financement de
France Télévisions. Moi je considère...
 
France Télévisions pourrait avoir plus d'argent que ce qui a été
annoncé ?
 
Oui, moi je considère que le président de la République a pris un
engagement solennel qui est que la suppression de la publicité soit
compensée à France Télévisions. Donc mon travail à moi, c'est de faire
en sorte que cette différence soit compensée et je m'y emploie.
 
Elle ne l'est pas actuellement ?
 
On n'a pas encore complètement, par exemple expertisé quel sera le
rendu de la taxe sur les opérateurs. Donc pour l'instant, on a les
pistes, on sait comment faire. Il faut ajuster les chiffres, on va le
faire et les engagements du Président seront tenus. Parce que ce qu'on
veut, c'est avoir un service public qui soit meilleur qu'aujourd'hui.
Ça ne veut pas dire qu'aujourd'hui il est mauvais, c'est qu'il peut
être meilleur et qu'il doit se distinguer de la télévision privée.
 
P. de Carolis a dit justement à ce propos qu'il était faux et stupide,
comme l'avait fait le président de la République, de comparer les
chaînes de service public et les chaînes privées. Faux et stupide. Ça
vous a choqué ?
 
Enfin on ne peut pas dire que la télévision publique et la télévision
privée soit identique.
 
Vous l'avez dit, vous-même, au "Grand Jury", le 13 janvier.
 
J'ai dit qu'on voyait de moins en moins la différence entre les chaînes
publiques et les chaînes privées, qu'il y avait une tentation des
chaînes publiques, qui est naturelle, en raison de la recherche de
publicité, qu'il y avait une tentation naturelle de s'aligner sur ce
qui est la demande la plus générale. Mais il y a sur le service public,
un certain nombre d'émissions, une façon d'aborder l'actualité qui
reste l'apanage du service public. Simplement, nous pensons que ce n'
est pas suffisant, qu'il faut le renforcer, qu'il faut qu'au lieu que
la différence se réduise au fur et à mesure des années, ce qui était le
cas aujourd'hui, il faut au contraire que le cahier des charges du
service public soit renforcé. Et c'est ce que nous voulons faire dans
un dialogue avec les journalistes et les personnels de France
Télévisions.
 
"Faux et stupide", a dit P. de Carolis. Vous avez été choqué par l'
emploi de ces mots ?
 
Je ne sais pas à qui il s'adressait et puis...
 
Au président de la République.
 
... je ne m'attache pas aux mots. P. de Carolis s'est exprimé avec
franchise, le président de la République aussi. Je pense que ce qui est
important dans cette affaire, c'est qu'il y a un débat, il y a un vrai
débat autour du service public de la télévision alors qu'avant il y en
avait pas. Il y en avait sous le manteau, c'est-à-dire que chacun
faisait part naturellement des ses critiques sur le service public mais
personne n'en tirait de conséquences. Je crois qu'une des grandes
forces du président de la République, c'est de provoquer ces débats et
de mettre en place les mécaniques qui conduisent aux réformes.
 
Peu importe les mots, c'est toujours étonnant d'entendre ça dans la
bouche d'un responsable politique ?
 
Mais ça doit vous satisfaire, vous, de voir que le dialogue est un
dialogue franc, monsieur Aphatie. Ce n'est certainement pas pour vous
déplaire.
 
Le président de la République sera à Pékin, finalement, le 8 août
prochain, pour la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques. Il avait
conditionné sa présence à une amélioration du dialogue entre les
responsables tibétains et chinois et à une amélioration de la situation
au Tibet. On ne constate rien de tel. Pourquoi le 8 août à Pékin ?
 
Il avait dit deux choses. D'abord le président de la République est
président de l'Union européenne. Il a consulté l'ensemble des chefs de
gouvernement de l'Union européenne qui ont souhaité unanimement que le
président de la République se rende à la cérémonie d'ouverture des Jeux
Olympiques. Deuxièmement, le président de la République avait demandé
qu'il y ait un dialogue qui s'instaure entre le gouvernement chinois et
les représentants du Dalaï-lama. Ce dialogue a commencé, je ne dis pas
qu'il a abouti à des résultats. Il a commencé. Le Dalaï-lama lui-même
le reconnaît, les Chinois ont annoncé qu'il allait y avoir de nouveau
des rencontres entre le gouvernement chinois et le Dalaï-lama. Le
Dalaï-lama, lui-même, ne demande pas, ne réclame pas, ne souhaite pas
qu'il y ait un boycott des Jeux Olympiques. Je pense donc que le
président de la République a pris une décision qui était sage,
responsable.
 
Les conditions sont remplies pour qu'il soit à Pékin ?
 
Les conditions sont remplies pour que le dialogue avec un pays de plus
d'un milliard d'habitants continue.
 
La Chine est-elle une dictature ?
 
La Chine n'est pas une démocratie.
 
Voilà. Les mots ont quand même leur importance en politique. F. Fillon,
Premier ministre, invité de RTL ce matin.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 1er août 2008