Déclaration de M. Eric Besson, secrétaire d'Etat à la prospective, à l'évaluation des politiques publiques et au développement de l'économie numérique, sur le livre numérique, l'internet et les transformations du secteur de l'édition, Paris le 8 juillet 2008.

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Circonstance : Assises du livre numérique à Paris le 8 juillet 2008

Texte intégral

Lorsque j'ai proposé au Premier ministre de lancer les Assises du Numérique, j'ai souhaité que les domaines les plus divers, portés par les professions qui les font exister, puissent trouver là une occasion de s'exprimer et d'échanger.
Comme vous le savez, l'objectif de ces ateliers est de contribuer, sous la forme de propositions, au plan numérique, que je présenterai au Premier ministre avant la fin du mois de juillet.
Les échanges que mon équipe entretient avec le Syndicat National de l'Edition (SNE) ont débouché naturellement sur un atelier consacré au livre numérique. Il était nécessaire, à un moment de l'histoire du livre où les questions abondent, mais où certaines réponses commencent à se préciser, de donner toute sa place au débat.
Cet atelier est, par ailleurs, synchrone avec la publication du rapport de Bruno PATINO sur le livre numérique, que la Ministre de la Culture et de la Communication m'a fait parvenir ; j'avais eu il y a quelques semaines l'occasion de m'entretenir avec Bruno PATINO de l'objet de son rapport.
Aussi je voudrais remercier Serge EYROLLES, le président du SNE, et Christine de MAZIERES, sa déléguée générale, d'avoir permis l'organisation de cet atelier qui permettra d'approfondir les problématiques liées au livre numérique.
La révolution numérique se porte indistinctement sur toutes les activités contemporaines : elle les perturbe, elle les transforme, elle les enrichit. Elle remet en questions quelques lignes de front qui semblaient établie : et comme tout changement dont on ne perçoit pas encore l'état stable, elle inquiète.
Au risque de vous surprendre, cette inquiétude me paraît saine.
Elle me paraît saine, même si je ne pense pas que l'Internet soit, pour le livre, l'ange destructeur que l'on a parfois aimé décrire. Je ne souscris pas à la thèse millénariste d'un effondrement de l'industrie du livre, ni même la disparition, ou la raréfaction du format papier. J'y reviendrai, l'Internet porte en lui pour le livre de nombreuses opportunités en puissance.
Cette inquiétude me paraît saine, parce qu'aucun secteur économique ou culturel ne survit durablement sans refonder périodiquement son rapport au monde. Pour citer un grand patron numérique, qui s'exprimait ainsi il y a de nombreuses années : « seuls les paranoïaques survivent ».
Aujourd'hui, je suis venu donc saluer la saine inquiétude qui vous pousse à vous fédérer, à réfléchir, à porter ensemble l'ambition de trouver les solutions les plus propices à la transformation du secteur de l'édition.
Cela fait plusieurs dizaines d'années que les ordinateurs sont entrés dans nos vies, ont modifié notre façon de concevoir le travail, le loisir, l'accès à la connaissance.
Aujourd'hui, l'Internet est en train de connecter tous ces ordinateurs, et tous leurs épigones sous forme d'écrans plus ou moins intelligents, pour bâtir un univers connecté où toute information a vocation à être rendue disponible à chacun, en tout lieu, à tout instant.
Cette modification considérable de notre environnement est, pour de nombreux observateurs, la plus importante que l'humanité ait connue depuis... l'avènement du livre imprimé. A plus de cinq cents ans d'intervalle, mutatis mutandis, Internet comme Gutenberg ont permis en très peu de temps à l'écrit de rentrer plus avant dans la vie de millions de personnes pour l'inséminer de textes, d'informations, de pensées, d'oeuvres.
Internet est toutefois, pour les industries culturelles, une opportunité d'une étrange nature, qui, si elle n'était pas saisie, se déchaînerait contre elles, pour peut-être les anéantir.
Deux traits apparaissent comme générateurs de trouble : d'un côté le rapport qu'entretient Internet avec la gratuité, et de l'autre, la place dévolue aux intermédiaires. Je voudrais donc, à ce sujet, vous faire part de mes convictions.
On cite communément l'exemple édifiant de l'industrie musicale, dont les ventes se sont effondrées de moitié en cinq ans, pour justifier l'appétit de destruction des nouveaux réseaux sur les activités établies. La musique est dans le même temps devenue omniprésente dans les modes de vie, omniprésente sur les supports numérique et plus présente aussi sur les scènes de notre pays.
Toutefois, le sentiment que « la musique doit nécessairement être gratuite » s'est installé parce que nous n'avons pas su faire aboutir assez rapidement une réflexion de fond sur la modification qui était à l'oeuvre. Ce sont donc les solutions les plus simples qui se sont imposées.
Vos travaux donnent le signal clair que seule une approche fédérée, concertée, pourra amener les professions du livre à aborder avec pragmatisme et lucidité la distribution numérique des ouvrages, et transformer cette possibilité en un succès pour toute la chaîne de l'édition.
Cela fait de très nombreuses années que le livre numérique est annoncé, et que le bouleversement est proche. On pourrait sourire de ces annonces répétées avec un excès de triomphalisme : aujourd'hui, malgré les surprenantes améliorations des lecteurs, personne, ou presque, ne se jette encore sur un e-book pour parcourir la presse ou lire le roman de l'été.
Toutefois, quelques éléments nouveaux doivent appeler à plus de circonspection et une curiosité accrue :
- certaines avancées techniques, comme l'augmentation des performances de la mémoire flash ; ou comme l'encre électronique, ont amélioré sensiblement le confort de lecture et continueront de le faire ;
- le succès des téléphones mobiles et des baladeurs numériques, a éduqué une large population de consommateurs à stocker et disposer en mode nomade d'images, de sons, de textes ;
- l'augmentation constante et spectaculaire de l'achat en ligne, pour des biens matériels ou immatériels doit aussi être pris en compte.
Je sais que votre préoccupation pour les technologies du numérique n'est pas nouvelle, et leur utilisation s'étend sur près de trente années ; ainsi la numérisation des chaînes de production du livre ; de façon plus récente, les portails Gallica et Gallica 2 portés par la Bibliothèque Nationale de France ont donné lieu à un Partenariat Public Privé avec les éditeurs et à une réflexion de fond sur la transposition des fondamentaux de l'édition dans un contexte numérique, notamment relativement au dépôt légal numérique.
Ma seconde conviction concerne la place des intermédiaires. Internet porte en lui la promesse d'une mise en relation directe entre le fournisseur et le producteur. Si l'on parle en faveur du livre numérique, cela équivaut-il à parler contre les librairies ? Je ne le crois pas.
Je pense au contraire qu'Internet a le pouvoir de stimuler la chaîne de distribution traditionnelle du livre.
Deux axes se dégagent :
- premièrement, l'avatar numérique du livre ne sera pas forcément substitutif du livre, pour des raisons de confort ou d'instinct patrimonial. S'il est conçu comme un complément, et non comme un concurrent, alors les deux modèles ne s'opposeront pas, mais se stimuleront l'un l'autre ; la découverte de feuillets en mode numérique n'excluant pas l'acquisition d'un volume en librairie.
- deuxièmement, les terminaux nomades et connectés permettront à terme de localiser les lieux de ventes, et certainement aussi les ouvrages qui s'y trouvent.
Votre atelier s'inscrit dans une actualité très riche pour le livre numérique, avec la parution du rapport très attendu de Bruno PATINO, avec qui j'ai pu m'entretenir peu de temps après avoir pris mes fonctions de Secrétaire d'Etat en charge de l'économie numérique.
Ce rapport qui ne se veut ni rassurant, ni alarmiste, pose de nombreuses questions relativement à l'avenir numérique du livre et sa diffusion sur Internet ; et ouvre le champ de la réflexion sur plusieurs défis :
- ainsi le choix des systèmes de DRM et leur nécessaire interopérabilité, qui doit permettre un développement optimal et équitable de cette économie, sans toutefois hypothéquer la protection des oeuvres. Je retiens notamment la volonté de partager une base commune de méta- données qui pourraient, entre autres, servir de base à une politique de protection des oeuvres.
- l'adaptation des mécanismes de régulation de marché pour que l'extension au numérique se fasse en bonne intelligence avec les dispositifs existants.
- Une réflexion commune sur les modèles d'affaire et la fixation des prix
La tâche est vaste, mais comme dit la fable, vous partez à point.
Je vous souhaite un excellent atelier, et je serai attentif au fruit de vos réflexions.
Source http://www.sne.fr, le 26 août 2008