Débat entre Mme Christine Boutin, ministre du logement et de la ville, M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, M. Patrick Braouzec, député de Seine-Saint-Denis, M. Jacques Bichot, économiste, M. Eric Comparat, président du département habitat et cadre de vie de l'UNAF, sur la relations Ville et familles, Paris le 4 septembre 2008.

Prononcé le

Circonstance : Lancement des "Matinales du ministre" à Paris le 4 septembre 2008

Texte intégral

I. Ouverture des matinales
Christine BOUTIN - Mesdames et Messieurs, s'engager en politique, c'est certes s'impliquer, mais aussi écouter. Je souhaite que cette volonté d'ouverture fonde ces « Matinales du Ministre » que nous lançons aujourd'hui. J'aime le débat et la confrontation des idées, qui seuls permettent de faire jaillir des idées concrètes. Ces matinales se tiendront tous les mois, sur des thèmes qui sont au centre des préoccupations des Français. Ces débats seront francs, exempts de toute langue de bois, transparents et retransmis sur internet par le biais de mon blog personnel. Ils seront préparés à travers un sondage, de manière à répondre au mieux aux attentes de nos compatriotes. J'ai demandé à un journaliste, Jérémy Come, de nous aider en ce sens.
« Ville et familles : je t'aime, moi non plus ! » est un titre quelque peu provocateur. Il vise à susciter nos réactions, en cette période de rentrée scolaire où les familles reprennent le rythme de la ville - 80 % d'entre elles vivent désormais en environnement urbain.
Jérémy COME - Un sondage réalisé par la SOFRES montre que pour 57 % des Français, la qualité de vie en ville est moins bonne qu'il y a 20 ans et que pour 65 % d'entre eux, il est plus agréable pour les familles de vivre à la campagne. La majorité des personnes interrogées estime que la ville est peu adaptée aux personnes âgées, aux familles de plus de 3 enfants et aux familles modestes. Enfin, pour améliorer la vie des familles en ville, 67 % des Français et 70 % des foyers avec enfants mettent en avant le coût du logement. Cette priorité apparaît deux fois plus importante que les autres priorités dégagées que sont l'accueil de la petite enfance (35%) et l'environnement (33%). Je vous propose donc de débattre ce matin autour du logement, de la garde des enfants, des transports et de la qualité de vie.
II. Les problématiques du logement
Coût du logement :
Jérémy COME - Christine BOUTIN, nous avons bien noté que le coût du logement était la priorité d'action numéro un dont les Français pensent qu'il faut s'emparer pour améliorer la vie des familles en ville. C'est l'enseignement principal de ce sondage. Qu'en dites-vous et que proposez-vous à ce propos.
Christine BOUTIN - Personne autour de la table ne semble surpris par les résultats de ce sondage. Pour commencer, je souhaite faire réagir mes invités sur le thème de l'accession à la propriété : le Président de la République souhaite que 70 % des Français puissent devenir propriétaires, et la proposition de loi que je déposerai à ce sujet contiendra des mesures en ce sens.
Patrick BRAOUEZEC - L'accession à la propriété ne constitue pas une solution miracle pour répondre aux problèmes de la population francilienne. A mon sens, il est urgent de relancer une politique de logement social dynamique.
Christine BOUTIN - A vos yeux, qu'est-ce qu'un logement social ?
Patrick BRAOUEZEC - Un logement social est un logement dont le coût est adapté aux ressources des ménages, notamment des jeunes qui, pour nombre d'entre eux, ne sont pas titulaires d'un CDI. Beaucoup souhaitent fonder des familles.
Christine BOUTIN - Si l'accession populaire à la propriété n'est effectivement pas la panacée à tous les problèmes de logement en ville, elle reste cependant l'un des aspects de la solution. Elle permet de ne pas payer chaque mois un loyer en pure perte, et de jouir d'un logement à la fin de sa vie.
Patrick BRAOUEZEC - Il ne faut pas perdre de vue les charges liées à la propriété. Au total, pour une famille, l'accession à la propriété me paraît plus coûteuse que le recours au logement social.
Xavier BERTRAND - Mais nous n'obligeons personne à devenir propriétaire. Et le fait est que l'accession à la propriété est une demande forte des Français. En outre, le taux de propriété est inférieur en France à celui des autres pays d'Europe. Nous proposons simplement de faciliter cette accession pour les Français qui le souhaitent !
Jacques BICHOT - Ce qui est sûr, c'est que les Français optent pour les solutions les plus intéressantes fiscalement pour eux, en l'occurrence l'accession à la propriété et le logement social. En ce sens, la proposition de Christine BOUTIN comme l'attention de Patrick BRAOUZEC sont justifiées.
Eric COMPARAT - L'UNAF ne peut que confirmer le désir, de la part des familles, de devenir propriétaires. Cette accession à la propriété représente aujourd'hui une véritable difficulté pour les jeunes ménages, surtout en ville. Elle induit bien souvent des coûts de transport connexes, non seulement économiques, mais aussi familiaux : un ménage rejeté en périphérie des villes passe beaucoup de temps dans les transports.
Taille du logement :
Jérémy COME - Christine BOUTIN, en habitat collectif 20% des ménages de deux personnes et plus - une famille sur cinq - sont dans des logements trop petits ! 43% des familles de plus de 4 personnes auraient besoin d'au moins une pièce supplémentaire. Que proposez-vous, pour ces familles qui sont dans des appartements trop petits pour elles ?
Christine BOUTIN - Pour résoudre ce problème de taille de logement je suggère d'améliorer la mobilité dans le parc HLM en proposant des mesures visant à permettre une meilleure adéquation entre la situation du locataire et son logement. L'objectif est d'augmenter le taux de mobilité dans le parc HLM car ce dernier est aujourd'hui très faible (9,4 % / an en moyenne sur l'ensemble du territoire, et beaucoup moins dans les zones où le marché est tendu. Ces différentes mesures ont pour ambition d'améliorer la mobilité dans le parc social et de favoriser l'adéquation entre le nombre de personnes composant le ménage et la taille du logement.
Eric COMPARAT - Les associations familiales confirment un manque cruel de grands logements, notamment en centre-ville. Construire un F5, c'est favoriser la mobilité et libérer 4 logements : un F2 libéré au profit d'un F3 et ainsi de suite jusqu'au F5. Nous défendons également l'adaptabilité du logement : par exemple, transformer un F5 en un F2 et un F3.
Jacques BICHOT - La demande de logements croît certes du fait de l'augmentation de la population, mais aussi parce que les familles ont besoin de davantage de logements, plus grands et plus proches les uns des autres. Il est donc indispensable d'étendre le parc de logements, ce qui soulève le problème du foncier : il est impossible d'obtenir des logements à bon marché dans des mégapoles. De même, dans les villes moyennes, la libération du parc est si lente que le coût du logement augmente.
Localisation du logement :
Jérémy COME - Christine BOUTIN, du fait du prix du logement, du fait de la taille des logements, les familles sont bien souvent obligés d'aller habiter à l'extérieur de la ville. J'ai donc envie de vous poser une question sur la question des tours dans la ville. Quelle est votre opinion sur cette question ? On en parle beaucoup en ce moment.
Christine BOUTIN - Je suis personnellement favorable aux tours. Certaines peuvent être très belles et l'exemple des Etats-Unis montre que l'on peut y vivre très bien. Les tours actuelles ne sont plus celles d'il y a trente ans. J'ai toute confiance dans les architectes et les urbanistes à cet égard.
Patrick BRAOUEZEC - Si nous voulons éviter l'étalement urbain, nous ne devons pas avoir peur de la densité, que Plaine Commune a choisi de rebaptiser : « intensification ». Nous sommes prêts à bâtir, mais la question majeure pour nous est celle des équipements publics.
Eric COMPARAT - La densité est inéluctable. Elle ne doit donc pas faire peur aux familles, sous réserve qu'elle soit pensée non pas seulement en termes d'habitat, mais d'environnement de vie. En d'autres termes, elle ne doit pas donner lieu à des ghettos.
Jacques BICHOT - Attention tout de même, si j'ose dire, la tour prend garde ! Les villes françaises sont d'ores et déjà très denses : elles le sont par exemple deux fois plus que les villes allemandes.
III. La famille et les modes de garde
Jérémy COME - Le deuxième domaine prioritaire dont les familles françaises pensent qu'il faut s'occuper pour améliorer leur vie en ville est l'accueil de la petite enfance. C'est ce qu'ils nous disent dans ce sondage. 35% des foyers avec enfants le citent comme une priorité.
Xavier BERTRAND - Les modes de gardes sont l'un des enjeux majeurs du quinquennat : une femme qui travaille ou à la recherche d'un emploi doit obligatoirement disposer d'une place pour la garde d'enfant - au choix du ménage, en crèche ou auprès d'une assistante maternelle. La branche famille bénéficiera d'excédents importants au cours des années à venir ; sachons en tirer profit.
Eric COMPARAT - Nous sommes confrontés aujourd'hui à une diminution de l'accueil en école maternelle. Nous accueillons désormais les enfants à trois ans au lieu de deux ans auparavant, suite aux diminutions de postes. Au-delà de l'enjeu pédagogique - un enfant de deux ans a-t-il sa place à l'école ? - un problème de garde se pose. Face au manque d'équipements, nous insistons sur les solidarités intergénérationnelles et sur l'information des ménages. Les Points d'information famille doivent ici être remis à l'honneur.
Xavier BERTRAND - Nous sommes également attachés au guichet unique, qui permet d'éviter aux ménages de subir un véritable parcours du combattant. Nous le développerons.
Patrick BRAOUEZEC - Je suis inquiet face au devenir de l'école maternelle : je crains qu'elle ne soit progressivement absorbée par l'école élémentaire. Pour le reste, je souhaite insister sur la nécessité d'une grande diversité et d'une grande souplesse des modes de garde. Y compris en termes de procédures. La création d'une crèche parentale relève par exemple du parcours du combattant dénoncé par Xavier Bertrand.
Xavier BERTRAND - De même, il faut six à huit ans pour monter une maison de retraite. Nous avons trop de procédures, qui visaient en réalité à gagner du temps dans une période de pénurie de ressources. Ce n'est désormais plus le cas.
Je crois également beaucoup aux crèches d'entreprise et aux crèches inter-entreprises, ainsi qu'à un élargissement des horaires d'accueil. La question de l'intérêt de l'enfant ne se pose pas ici : peu importe pour celui-ci qu'il soit amené à la crèche à 6 heures du matin ou chez des voisins, qui se chargeront de le transporter ensuite à la crèche.
Jacques BICHOT - Là encore, le problème est celui du coût. 36 % des enfants de deux ans étaient scolarisés en école maternelle il y a 20 ans, contre seulement 7 % aujourd'hui. Or la place d'un enfant en école maternelle représente les deux tiers seulement du coût d'une place en crèche.
Xavier BERTRAND - Je ne suis pas d'accord : il convient de tenir compte des vacances. En outre, tout dépend du type de crèche et du nombre d'enfants accueillis par établissement.
Eric COMPARAT - Les femmes seules avec enfant sont les plus désemparées face au problème de la garde d'enfant, notamment celles qui travaillent dans le commerce. Le concept de la crèche d'entreprise ou multi-entreprise est très intéressant pour elles : il leur permet de conserver une vie familiale et sociale décente.
Xavier BERTRAND - Je souscris sans réserve à ces propos. A mon sens, nous devons désormais avoir le réflexe de créer des places de crèche lorsque nous construisons des hôpitaux ou des maisons de retraite, dont le personnel est majoritairement féminin.
Patrick BRAOUEZEC - Cela pose la question des nouveaux liens et partenariats à établir entre l'Etat, les collectivités territoriales, les associations et les entreprises. Nous avons ainsi accompagné, il y a un an, la création d'une crèche d'entreprise privée. Nous devons faire preuve d'innovation en la matière.
Je suis d'accord avec Xavier BERTRAND sur la nécessité de répondre à la question de la garde pour les femmes seules. Je pense notamment à celles qui travaillent dans l'entretien, c'est-à-dire tôt le matin et tard le soir, et qui disposent de temps libre pendant la journée.
Jacques BICHOT - Un projet gouvernemental vise à consacrer les excédents de la branche famille aux majorations de retraite pour les familles nombreuses. Il sera difficile de les affecter également à l'accroissement de l'offre de garde.
Xavier BERTRAND - Les excédents sont tels que nous avons les moyens de faire les deux.
IV. La qualité de vie
Rythmes de vie :
Jérémy COME - Christine BOUTIN, 33% des foyers avec enfants citent l'environnement, le cadre de vie, comme une priorité d'action pour améliorer leur vie en ville. Ils en font ainsi la troisième priorité d'action en ville, après le logement et l'accueil de la petite enfance. Le rythme de la ville est-il adapté à celui des familles ? Je pense en particulier à l'ouverture des commerces le soir ou le week-end.
Christine BOUTIN - Je suis favorable à l'ouverture des commerces tard le soir, mais non le dimanche. Il me paraît important de réserver aux familles un temps de détente, de partage, de loisirs et de culture.
Xavier BERTRAND - Le dimanche n'est pas un jour comme les autres. Pour autant, beaucoup de Français travaillent déjà ce jour-là. Cette question ne doit donc pas être un tabou. Certains peuvent et veulent le faire. Allons-nous le leur interdire ? Il faut garantir la liberté de choix, et ce dans les deux sens. Le débat doit donc être ouvert. Il l'a déjà été en Espagne ou au Portugal, où la question est plutôt celle d'une ouverture 24 heures sur 24 des grands centres commerciaux. Par ailleurs, la question du débat le dimanche pose celle des horaires des transports en commun.
Christine BOUTIN - Qu'adviendra-t-il si, dans une famille, l'un des parents souhaite travailler le dimanche alors que l'autre ne le veut pas ?
Patrick BRAOUEZEC - Pour ma part, lorsque j'étais maire, je cessais mon activité le dimanche ; mes administrés le savaient et respectaient ce choix. Au-delà, est-il réellement nécessaire de pousser encore davantage à la consommation ?
Eric COMPARAT - La question s'est posée à l'UNAF et a fait l'objet d'un large débat. D'abord, la liberté de choix d'une femme seule avec enfants face au travail le week-end est relativement réduite. Ensuite, cela n'accroît pas le pouvoir d'achat des familles, ni leur niveau de consommation. Troisièmement, la transformation du dimanche matin en temps de promenade pour la famille dans les rayons du supermarché ne nous paraît pas une bonne idée. D'autres occupations familiales présentent sans aucun doute plus d'intérêt.
Transports :
Christine BOUTIN - Il faut faciliter aux familles de trois enfants et plus le stationnement à proximité de leur logement. Pourquoi pas des places réservées aux berlines familiales ? De plus, je souhaite « familialiser » le vélib', c'est-à-dire mettre à disposition des familles des bicyclettes munies de sièges enfant.
Eric COMPARAT - Je suggère également de développer le « pédibus » : les enfants sont pris en charge au pied de leur immeuble par des parents qui les accompagnent à pied jusqu'à l'école. Cela a permis aux nounous d'accepter de nouveau des enfants en âge scolaire, et cela entre tout à fait dans le cadre des objectifs du Programme national nutrition santé.
Patrick BRAOUEZEC - Je suis tout à fait d'accord avec ces suggestions. Cela implique que les urbanistes intègrent mieux la question du vélo dans la conception des logements, pour éviter de voir ces engins fleurir au balcon de nos immeubles. Il est également nécessaire de bâtir davantage de parkings à vélo, pour éviter les vols.
Au-delà, nous devons construire un maillage intelligent entre transports en commun pour réduire le recours à la voiture : beaucoup de Franciliens sont contraints d'emprunter leur véhicule pour se rendre à la station de métro ou de RER la plus proche !
Xavier BERTRAND - La question de l'accessibilité renvoie souvent au handicap. Or tous les efforts effectués en la matière profitent également aux familles, au sens le plus large : l'aménagement d'un bateau facilite le déplacement des personnes âgées, comme celui des parents avec poussette.
V. Conclusion
Christine BOUTIN - J'ai été frappée, dans nos débats, par l'importance accordée à la liberté de choix, la souplesse et le pragmatisme. Ces concepts doivent être pour nous des guides pour notre action.
Source http://www.logement.gouv.fr, le 8 septembre 2008