Discours de Mme Marylise Lebranchu, ministre de la justice, sur le projet de réforme du droit de la famille concernant la filiation, l'autorité parentale, le nom patronymique, le divorce, la liquidation du patrimoine et l'amélioration des droits du conjoint survivant, Paris, le 4 avril 2001.

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Circonstance : Présentation du document d'orientation relatif à la réforme du droit de la famille, à Paris, le 4 avril 2001

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureuse d'être aux côtés de Ségolène Royal pour vous présenter aujourd'hui les orientations du Gouvernement en matière de réforme du droit de la famille. Si nous parlons, à deux voix, aujourd'hui, ce n'est certainement pas pour opposer le droit, d'un côté, et la famille, de l'autre mais pour appréhender le " droit de la famille " comme le socle de la politique familiale de ce Gouvernement.
Après trois ans de réflexions, de rapports, de colloques, de rencontres, un document unique rassemblant les orientations du Gouvernement en la matière peut être présenté. Ce délai a suscité quelques impatiences, ici ou là. Mais je peux d'autant plus témoigner de la formidable richesse de ce travail que j'ai mesuré, en prenant mes fonctions de ministre de la justice, l'importance des acquis que l'on m'offrait ainsi. Je veux, du reste, profiter de l'occasion pour remercier ici tous ceux et toutes celles qui y ont participé, et notamment :
- Irène THERY, auteure du rapport " Couple, filiation et parenté aujourd'hui ",
- Françoise DEKEUWER-DEFOSSEZ, auteure du rapport " Rénover le droit de la famille : propositions pour un droit adapté aux réalités et aux aspirations de notre temps "
- ainsi que tous les intervenants du colloque du 4 mai 2000 : " Quel droit pour quelles familles ? "
Le document que nous présentons aujourd'hui réunit des réformes qui ont déjà fait ou qui feront prochainement l'objet d'initiatives législatives différentes. Elles ont toutes pour dénominateur commun de refonder le sens de l'institution familiale tout en respectant la diversité des familles.
Je laisserai à Ségolène Royal le soin de vous présenter le sens que ce Gouvernement entend donner à l'institution familiale.
Mais, je voudrais simplement, avant d'exposer les grandes lignes des réformes envisagées, dire deux mots, d'une part, sur la fonction du droit, d'autre part, sur " la justice de la famille ".
* L'opposition entre le droit et la société : le droit doit-il s'adapter à l'état de la société ou la société doit-elle se structurer selon le droit ? me semble être un faux débat.
Comme cela avait déjà été la démarche du Gouvernement en instituant le PACS, la loi doit offrir des cadres juridiques respectueux des itinéraires de vie de nos concitoyens, qu'ils soient, du reste, le fruit de choix délibérés de leur part ou des aléas qu'ils subissent. Mais ces cadres juridiques doivent reconnaître, valoriser et garantir le lien familial. A cet égard, la famille doit, avant tout, être conçue aujourd'hui comme le cadre des relations entre les parents et les enfants, quels que soit les liens existants entre les premiers.
* Je souhaite, en deuxième lieu, que ces réformes soient également l'occasion de rendre plus aisé l'accès à la " justice de la famille ". La justice de la famille est la première des justices de proximité. C'est celle à laquelle la plus grande majorité de nos concitoyens auront à faire, au moins une fois dans leur vie. Il faut que cette justice leur offre une meilleure écoute et qu'elle leur soit plus compréhensible. D'autant que ces justiciables-là ne sont pas des justiciables comme les autres. Ils livrent à la décision du juge le plus intime de leur vie et, quel que soit le caractère aigu du conflit qui les oppose, le procès ne saurait les réduire à un rôle d'adversaires.
Etre parent, c'est l'être pour toujours, quels que soient les modalités de sa vie de couple, ses aléas, les ruptures ou les recompositions familiales.
La réforme de la filiation est guidée par le souci majeur de parfaire l'égalité entre enfants, de promouvoir, à travers leur engagement, la responsabilité des père et mère et, d'assurer la stabilité du lien de filiation.
L'égalité implique d'abord la disparition des notions de filiations légitime et naturelle qui fondent notre droit actuel et sont sources d'une hiérarchie qui n'a plus lieu d'être.
Le statut des enfants ne dépendra plus des conditions de leur naissance : que leurs parents soient mariés ou non, qu'ils vivent ensemble ou séparément, que l'un soit engagé dans une union matrimoniale avec un tiers, sera sans incidence. Dès lors que leur filiation sera établie, les enfants bénéficieront tous de la plénitude de leurs droits.
Je pense en particulier à l'abrogation des discriminations pesant encore si injustement sur l'enfant adultérin.
L'égalité, c'est aussi chercher l'établissement du lien de filiation de chaque enfant.
La mention du nom de la mère dans l'acte de naissance de l'enfant suffira désormais à établir la filiation maternelle hors mariage, comme elle le permet déjà pour les enfants nés d'une femme mariée.
La filiation paternelle continuera à reposer sur l'engagement du père, qui selon les situations, se traduira à travers le mariage et la présomption de paternité, ou la reconnaissance.
La place et la valeur de l'engagement envers l'enfant seront renforcés.
La stabilité et la sécurité du lien de filiation sont en effet une des manifestations premières de la responsabilité parentale.
C'est pourquoi les possibilités de contester le lien de filiation doivent être strictement encadrées. Toutes les actions en contestation de la filiation seront harmonisées et limitées. Leurs titulaires devront être en nombre restreint et le délai pour agir sensiblement réduit.
Etre parent, c'est aussi savoir partager avec l'autre ses responsabilités. L'égalité des filiations trouve tout naturellement son prolongement dans le droit de l'autorité parentale. Celle-ci doit être revalorisée par des règles fortes, claires et uniformes.
Réformer l'autorité parentale, c'est d'abord mieux en définir les contours et la finalité : l'autorité parentale, est une fonction, un ensemble de droits et de devoirs conférés par la loi aux parents, tout entiers tournés vers la protection de l'enfant, vers son bien-être, gage d'un développement harmonieux qui fera de lui un adulte responsable.
Réformer l'autorité parentale, c'est ensuite mettre en place un droit commun applicable indistinctement à tous les enfants, sans que la situation des parents n'interfère.
Désormais, l'autorité parentale s'exercera conjointement, à la seule condition que la filiation soit établie à l'égard de chacun des parents dans l'année de naissance de l'enfant : plus de 85 % des pères et 97 % des mères non mariés reconnaissent leur enfant avant son premier anniversaire.
Affirmer les devoirs des père et mère envers l'enfant est un principe fort qui doit aussi se décliner lorsque les parents sont dans une période de crise ou se séparent. L'enfant ne doit être l'enjeu, la proie du conflit des adultes lorsque ceux-ci se déchirent. Plus d'un quart des pères ne voient plus leurs enfants, cinq ans après la séparation.
Contrepartie de cette responsabilisation, une plus grande autonomie de la volonté sera reconnue aux parents dans les modalités mêmes de l'exercice de l'autorité parentale, notamment lors de la séparation.
Ainsi, les conventions passées entre eux deviendront le mode privilégié d'organisation de la séparation pour l'enfant.
L'un des exemples les plus significatifs de cette orientation nouvelle sera la possibilité pour le juge d'organiser la vie de l'enfant sur le principe de la résidence alternée.
Les règles de dévolution du nom patronymique doivent également être modifiées pour faire suite au principe d'égalité entre les enfants et entre les parents. La démarche a déjà été initiée par la proposition de loi de Gérard GOUZES, votée en première lecture par l'Assemblée Nationale le 08 février dernier.
Faire de la transmission à l'enfant des deux noms accolés de ses parents le principe, refléterait la filiation dans l'ensemble de ses composantes et serait l'expression d'une égalité entre les parents et de la parité entre les femmes et les hommes, visibles aux yeux de tous.
Et, dans le souci de conjuguer la liberté individuelle avec le principe d'égalité, le texte ouvre également une option entre le choix du nom du père et de celui de la mère, alors qu'aujourd'hui, un enfant qui porte le nom de sa mère est dans l'immense majorité des cas un enfant naturel.
Un équilibre doit être trouvé entre ces différentes aspirations et des aménagements techniques apportés, qui trouveront leur place dans la suite du débat parlementaire.
Il est nécessaire de modifier en profondeur l'esprit de la procédure de divorce pour permettre une séparation simplifiée et pacifiée, faisant une large place à la valorisation des accords entre époux et à la recherche de la restauration ou du maintien du dialogue du couple.
Dans un projet qui tend à renforcer la coparentalité et à protéger les liens familiaux, il pourrait apparaître paradoxal de libéraliser la procédure de divorce.
Cette antinomie n'est qu'apparente : personne ne peut se satisfaire d'une vie de famille factice. L'exercice réel de la coparentalité exige des relations clarifiées et sincères beaucoup plus que le maintien d'un lien matrimonial qui ne serait plus librement accepté.
Certes, depuis 1975 le droit français du divorce a déjà pris en compte les situations dans lesquelles les époux s'accordent sur le principe même du divorce.
Mais, pour divorcer contre la volonté de son conjoint, il faut nécessairement soit établir des fautes imputables à celui-ci, soit attendre six ans après une séparation de fait, en prenant alors à sa charge toutes les conséquences financières de la rupture. Il n'est plus admissible qu'actuellement le divorce pour faute représente plus de 40 % des procédures.
Les époux se trouvent ainsi bien souvent engagés, parfois malgré eux, dans une véritable bagarre judiciaire dont personne ne sort indemne et dont les effets désastreux persistent bien au-delà du prononcé du divorce.
Par ailleurs, la longueur des procédures, leur coût, ajoutent au traumatisme souvent ressenti par les époux impliqués dans une procédure de divorce conflictuelle.
A cet effet, il est reconnu un véritable droit au divorce, lorsque l'échec conjugal est avéré et que la rupture du couple est irrémédiable.
Il ne s'agit pas ici de cautionner des comportements arbitraires, au mépris du respect de l'autre, dans ses droits élémentaires comme dans la dignité de sa personne. Aussi, des garanties procédurales doivent être apportées, prenant en compte la nécessaire maturation de la décision, au-delà de choix irréfléchis et précipités et l'élémentaire souci d'assurer la mise en uvre du principe du contradictoire.
Ne plus conditionner l'accès au divorce à la preuve d'une faute imputable au conjoint opposé à la rupture du lien conjugal ne signifie pas pour autant qu'il faille occulter l'existence de faits qui s'avéreraient particulièrement graves.
Il serait choquant par exemple que des violences, tant à l'égard du conjoint que des enfants ne puissent être dénoncées dans la procédure de divorce et pris en compte dans ses effets.
C'est pourquoi doit être maintenue, à titre exceptionnel, la possibilité d'invoquer des faits d'une particulière gravité justifiant que le divorce soit prononcé aux torts de l'époux fautif et qu'une indemnité soit allouée.
Le nouveau dispositif législatif français en matière de divorce pourrait être le suivant.
Serait maintenu le divorce sur requête conjointe, dont la procédure serait simplifiée puisqu'elle ne comprendrait en principe qu'une seule audience et que le contrôle du juge serait limité à la préservation des intérêts des enfants.
Les trois autres formes de divorce, à savoir le divorce sur demande accepté, le divorce pour rupture de la vie commune et le divorce pour faute seraient supprimés en tant que tels.
Serait créé parallèlement un divorce pour rupture irrémédiable du lien conjugal qui engloberait ces trois procédures tout en les dépassant, en consacrant une cause objective au prononcé du divorce.
Deux types de mesures viendraient compléter ce schéma, la recherche d'un compromis étant à encourager pour une meilleure acceptation de la séparation et une meilleure application des mesures décidées :
- d'une part la promotion et la valorisation des accords entre époux qui pourraient être soumis à l'homologation du juge à tout moment de la procédure,
- d'autre part, et afin d'encourager ceux-ci, la médiation familiale serait pleinement consacrée .
Faut-il aller encore plus loin dans l'aménagement du droit du divorce et admettre à côté des procédures judiciaires, un divorce de type " administratif ", par déclaration conjointe des époux devant l'officier de l'état civil ou le greffier en chef du tribunal ?
L'aspiration à une plus grande prise en compte de la volonté individuelle milite en ce sens.
Mais encore faut-il que cette volonté soit mûrement réfléchie et entièrement libre.
En l'absence de tout contrôle, aucune certitude ne pourrait être acquise à cet égard.
Or, l'une des missions du juge du divorce, est de vérifier que le consentement des époux est libre et éclairé.
Ce contrôle ne saurait relever ni de la compétence de l'officier d'Etat-civil, ni de celle du greffier en chef du tribunal de grande instance.
Par ailleurs, il paraît difficile de s'affranchir de l'intervention du juge qui a également pour mission de veiller à ce que l'intérêt des enfants mineurs ou majeurs à charge soit respecté.
Enfin, il serait indispensable que la liquidation du patrimoine soit réalisée à la date de la déclaration conjointe.
C'est pourquoi le débat doit se poursuivre. Il trouvera pleinement sa place au sein des conférences régionales que le gouvernement organisera au mois de mai prochain.
Par ailleurs, s'agissant des orientations relatives à la séparation, le Gouvernement envisage d'encourager les couples non mariés impliqués dans une procédure de réparation à bénéficier d'un consultation juridique auprès d'un notaire ou d'un avocat, afin d'obtenir tout renseignement et tout conseil utile sur sa situation. Pour profiter à tous, cette consultation sera prise en charge dans le cadre de la politique d'accès au droit si l'intéressé remplit les conditions financières pour cela.
Enfin, la réforme du droit de la famille intégrera les dispositions visant à l'amélioration des droits du conjoint survivant incluses dans la proposition de loi déposée par Alain VIDALIES et adoptée à l'unanimité en première lecture à l'Assemblée nationale le 08 février 2001.
Les termes de cette proposition visent à améliorer la situation successorale du conjoint survivant sans sacrifier les héritiers par le sang, en évitant les occasions de conflits entre le conjoint et les héritiers.
En conclusion : quelques précisions de calendrier
Ce document d'orientation fera l'objet d'une ultime phase de concertation avec tous les acteurs intéressés. Mais, ainsi que je l'ai dit en introduction, il tient déjà compte très largement du fruit de leurs réflexions. Au-delà, toutefois, des professionnels, des experts, de nos partenaires institutionnels, cette réforme doit faire l'objet d'un vrai débat citoyen parce que le droit de la famille est d'abord la transcription de la vie quotidienne de chacun de nos concitoyens avant d'être un sujet de technique juridique. C'est pourquoi, nous animerons avec Ségolène Royal au mois de mai prochain des rencontres régionales destinées à faire partager par le public le plus large les objectifs que nous poursuivons et les questions que nous nous posons encore.
Le calendrier parlementaire est ce qu'il est et, vous savez, que nombreux sont les projets que le Gouvernement souhaite encore porter pendant cette législature. Certains des aspects de la réforme du droit de la famille ont déjà engagé leur parcours parlementaire : c'est le cas de la proposition de loi déposée par Alain VIDALIES sur le conjoint survivant et de la proposition de loi déposée par Gérard GOUZES sur le nom patronymique. Ces textes suivront leur cours et les débats parlementaires pourront être, en temps utile, éclairés par les enseignements des rencontres régionales.
Les parties relatives, d'une part, à la filiation et à l'autorité parentale et, d'autre part, au divorce ont a priori vocation à faire l'objet de deux projets de loi déposés par le Gouvernement. Toutefois, selon les opportunités du calendrier parlementaire, nous ne souhaitons pas exclure la possibilité que tout ou partie de ces sujets puisse faire l'objet de propositions de loi de la part du groupe socialiste. Depuis le début de la législature, le groupe socialiste s'est beaucoup investi sur les réformes intéressant le droit des personnes et le Gouvernement ne peut que se féliciter de cette fructueuse collaboration : j'ai déjà cité le PACS, je rappellerai également la réforme de la prestation compensatoire.
Mais, si les aléas de l'agenda parlementaire imposent l'adoption de textes fractionnés, le document d'orientation témoigne de la vision d'ensemble que le Gouvernement entend donner à la réforme du droit de la famille.
(Source http://www.justice.gouv.fr, le 5 avril 2001)