Déclaration de Mme Rachida Dati, ministre de la justice, sur la protection internationale des majeurs vulnérables, personnes âgées et handicapées notamment, et sur l'objectif de la Présidence française de l'Union européenne de faire ratifier par le plus grand nombre d'Etats membres de l'UE la convention de La Haye du 13 janvier 2000 sur la protection internationale des adultes, à Lille le 17 septembre 2008.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Conférence sur la protection internationale des majeurs vulnérables, organisée par la Présidence française de l'Union européenne à Lille (Nord) le 17 septembre 2008

Texte intégral

Monsieur le Vice-Président de la Commission européenne, cher Jacques,
Madame la Ministre, chère collègue,
Mesdames, Messieurs,
Je veux tout d'abord vous remercier de votre présence à cette rencontre organisée par la présidence française.
Merci à Jacques Barrot de mettre sa détermination et son humanisme au service de la question de la protection juridique des majeurs. Comme nous, la Commission est convaincue que l'Union européenne doit agir dans ce domaine.
Je veux aussi saluer la présence de Mme Tacheva, ministre bulgare de la justice. Elle m'a dit tout son intérêt pour faire avancer ce sujet, dans sa législation nationale comme au plan européen.
Je me réjouis que cette manifestation se tienne à Lille : Lille, patrie du Général de Gaulle qui a ouvert la voie à l'Europe de la Paix ; Lille, métropole ouverte sur l'Europe. Depuis longtemps déjà, les Lillois et les habitants du Nord, vivent à l'heure européenne.
Le sujet qui nous réunit aujourd'hui trouve naturellement sa place ici : la protection des majeurs vulnérables au-delà des frontières est une question qui concerne particulièrement les riverains des régions transfrontalières.
C'est un thème concret sur lequel l'Europe peut apporter une véritable plus-value. J'espère que les échanges fructueux que vous avez eus aujourd'hui vont contribuer à emporter à cet égard la conviction de tous.
La protection des plus fragiles est aujourd'hui un enjeu pour tous les Etats membres.
Vous avez évoqué en ouverture de votre journée des chiffres, et ceux-ci parlent d'eux mêmes pour démontrer la nécessité d'agir
* Selon le Conseil de l'Europe, 80 à 120 millions de citoyens européens souffrent d'une forme de handicap.
* en 2050, 37 % de la population européenne aura plus de 60 ans.
* 10 % de la population aura plus de 80 ans.
Ces chiffres montrent qu'une grande partie de la population européenne est particulièrement vulnérable ou sur le point de le devenir.
Ces personnes fragilisées par l'âge ou la maladie ont des besoins sanitaires et médicaux. Elles ont aussi des besoins juridiques évidents : pour organiser leur vie quotidienne, pour gérer leur patrimoine, pour prévoir leur avenir....
Les Etats doivent s'assurer que les droits des personnes âgées ou malades sont respectés. C'est une question d'humanité et de dignité. C'est aussi une question de solidarité.
Ces dernières années, la nécessité d'assurer une protection plus efficace s'est imposée dans beaucoup d'Etats européens.
L'évolution des structures familiales, l'isolement de plus en plus répandu des personnes les plus faibles, ont amené les Etats à moderniser leur législation pour répondre aux nouveaux enjeux de société.
C'est le cas en Allemagne, en Espagne, en Italie ou, plus récemment, au Royaume-Uni en 2007.
En France, notre nouvelle législation entrera en vigueur le 1er janvier 2009. Elle replace la personne au coeur du dispositif de protection. Elle est inspirée par des principes de nécessité et de proportionnalité : une mesure ne peut être ordonnée par le juge que si elle est nécessaire et si c'est l'unique moyen pour garantir les intérêts de la personne.
D'ores et déjà, il est possible de préparer l'avenir grâce au mandat de protection future. C'est un contrat d'anticipation pour préparer sereinement ses vieux jours. Il permet d'organiser, à l'avance, sa protection et de désigner la personne qui s'occupera de vous et de vos biens quand vous ne pourrez plus le faire. Il est possible d'utiliser un simple formulaire qui est disponible depuis cette année. Les notaires me disent que ce document est employé de plus en plus souvent.
Le mandat de protection future se rapproche du système des « directives anticipées » sur lequel travaille actuellement le Conseil de l'Europe : au cours de cette journée, vous avez pu être informés de l'évolution de ce projet par les experts qui y travaillent. Vos échanges permettent de mettre en valeur les synergies possibles entre les différentes enceintes qui se préoccupent de faire avancer en Europe la coopération juridique entre les Etats.
Aujourd'hui, en effet, une approche strictement nationale ne suffit plus. Il faut tenir compte de l'évolution des modes de vie.
C'est pourquoi il est de la responsabilité de l'Union européenne de s'engager pour la protection de ses ressortissants les plus vulnérables et d'anticiper les grands problèmes de société.
L'intensification des échanges, la mobilité croissante des personnes nécessitent d'adapter les réponses que nous pouvons apporter aux situations de vulnérabilité.
On se déplace maintenant pour trouver un emploi, pour fonder une famille, pour s'installer ailleurs, dans sa vie professionnelle comme à la retraite - vous le savez, tout cela a été longuement évoqué aujourd'hui : nos concitoyens ne se sentent plus bornés par les frontières nationales. Ils n'hésitent plus, lorsqu'ils sont pleinement valides, à parcourir l'Union.
Il arrive aussi qu'une place dans un établissement adapté soit trouvée plus facilement de l'autre côté d'une frontière. Vous l'avez vu dans e film projeté en ouverture de la journée : la Belgique prend ainsi en charge 2.500 déficients mentaux français.
Le film vous a montré les complications que l'on rencontre lorsqu'arrive le moment où une mesure de protection devient nécessaire. Si les frontières physiques ont disparu, les frontières juridiques restent bien présentes.
Il faut changer les choses. Il faut penser le droit des personnes vulnérables à l'échelle de l'Union européenne. Améliorer la protection des Européens est l'une des priorités de la présidence française.
Nous avons déjà avancé sur la question de la protection des mineurs : un exercice conjoint a été réalisé en juin ; un guide de bonnes pratiques en matière d'alerte enlèvement est en cours d'élaboration. Nous voulons aussi avancer en matière de protection des personnes âgées et des adultes handicapés. Ce sont des situations qui concernent toutes les familles d'Europe.
Nous nous sommes fixés deux objectifs :
Objectif n°1 : inciter les Etats membres à signer et ratifier la Convention de La Haye du 13 janvier 2000 sur la protection internationale des adultes.
Vous avez parlé de son contenu avec Monsieur le doyen Lagarde qui est le père de cette convention.
Cette dernière pose un principe simple : c'est la loi du pays de résidence qui s'applique. Cela constitue un progrès significatif.
La Convention de la Haye permet de répondre aux attentes des citoyens et des magistrats européens :
- elle témoigne d'une vision pragmatique, proche de la réalité vécue par les personnes ;
- elle résout les difficultés d'application des législations étrangères ;
- elle propose de fixer des règles de coopération entre juges ou entre administrations ;
- elle assure un équilibre entre le respect des personnes et de leurs droits fondamentaux, la liberté de circulation, la continuité et l'efficacité de la protection.
La France a adopté le 28 juillet dernier la loi autorisant la ratification de cette convention. Ses instruments de ratification seront déposés demain à La Haye. C'est un symbole fort, parce que, à l'occasion du 115e anniversaire de la Conférence, plusieurs pays européens signeront la convention : l'Irlande, la Finlande, la Pologne, la Grèce et le Luxembourg.
La ratification française sera ainsi la 3e ratification, après celle de l'Allemagne et du Royaume-Uni pour l'Ecosse. Elle permettra l'entrée en vigueur de la convention le 1er janvier 2009.
Il faut que cet instrument puisse s'appliquer bien au-delà de ces trois Etats. Je pense qu'il est tout à fait adapté aux enjeux européens.
Objectif n°2 : lancer un grand débat sur les initiatives qui pourraient être envisagées au sein de l'Union européenne sur le thème de la protection des majeurs.
Si nous voulons construire un espace de liberté, de justice et de sécurité, je crois qu'il faut réfléchir dès à présent aux actions futures que l'Union européenne pourrait engager. Il faut compléter la convention de La Haye et renforcer la coopération européenne dans ce domaine.
Cette coopération doit prendre des formes très concrètes et permettre des relations plus directes de juge à juge.
Comment ?
- en s'appuyant sur le réseau judiciaire civil et commercial, pour faciliter les échanges d'information entre juges sur les systèmes de protection existants ;
- en créant des formulaires communautaires uniques en matière de reconnaissance et d'exécution des décisions de protection dans l'Union européenne ;
- en mettant en oeuvre des registres communs des décisions de protection, dès lors qu'elles ont un élément transfrontalier, pour faciliter leur circulation en Europe ;
- en sensibilisant les juges et les professions juridiques à ces questions, avec des modules de formation spécifiques, à destination des juges de toute l'Union ;
- en informant et en sensibilisant les citoyens européens sur les modes de protection dont ils peuvent bénéficier en Europe, et sur les droits qu'ils conservent, quels que soient leurs déplacements et leurs lieux de résidence.
Ces propositions doivent encore convaincre ceux qui ne sont pas persuadés de la nécessité d'une intervention de l'Union européenne dans ces domaines.
Je suis persuadée que nous pourrons être plus efficaces ensemble, en mettant en commun nos expériences. C'est ce que vous avez fait tout au long de cette journée, et je vous en remercie. Nous trouverons les instruments qui permettront de conserver nos systèmes nationaux, et de les relier, de façon efficace et cohérente.
C'est un enjeu pour la coopération judiciaire civile.
Mesdames et Messieurs,
Notre objectif final doit être de permettre aux personnes vulnérables de circuler à travers l'Union européenne comme tout autre citoyen, tout en conservant le bénéfice de la protection dont ils ont besoin.
Le niveau de civilisation et d'humanité d'une société se juge à la manière dont elle respecte et apporte son soutien aux plus vulnérables parmi les siens.
Il faut concilier la protection des plus faibles avec la modernité de notre société mondialisée. Il faut construire une Europe qui protège et qui rassure.
C'est ainsi que nos concitoyens verront l'utilité de la construction européenne.
Je vous remercie.Source http://www.ue2008.fr, le 8 octobre 2008