Texte intégral
F. Rivière.- Avant de parler du Pacte pour l'immigration et d'asile,
qui sera adopté, entériné demain lors du Sommet à Bruxelles, un mot du
ministre de l'Identité nationale sur les sifflets qui ont retenti hier
au Stade de France, au moment de la Marseillaise, match France/Tunisie.
Vous êtes le ministre de l'Identité nationale, la Marseillaise c'est un
symbole de l'identité nationale, qu'est-ce que ça vous inspire ?
D'abord, comme simple citoyen, à l'évidence c'est un acte stupide et
commis par des imbéciles, et cela gâche la joie du sport, et cela pose
aussi la question très forte de l'enseignement des valeurs de la
République. Et parmi ces valeurs, il y a la tolérance, le respect de
l'autre, et le respect aussi des symboles de ce qui fait notre entité
nationale.
Le Premier ministre a dit, il y a quelques instants, qu'à l'avenir, il
ne faudrait plus tolérer ce genre de manifestation, qu'il faudrait
interrompre les rencontres. Est-ce que... ?
Je pense que le Premier ministre a dit une chose juste, à savoir que
face à de telles attitudes, la meilleure réaction aurait été sans doute
de suspendre le match.
Alors, les dirigeants européens vont donc entériner le Pacte pour l'
immigration et l'asile lors de leur Sommet, demain à Bruxelles. Est-ce
que l'on peut dire que c'est le principe de "l'immigration choisie" si
cher à N. Sarkozy, qui va désormais prévaloir dans toute l'Union
européenne ?
D'abord, c'est un moment important, puisque l'Europe souffre d'un
déficit concret aux yeux de l'opinion publique. Regardez, tous les
scrutins sont organisés autour de la question européenne, ça ne marche
pas. Ça ne marche pas, parce que pour beaucoup de nos concitoyens,
français ou européens, ce sont des questions institutionnelles, ce sont
des questions abstraites, ce sont des secteurs... et ce sont des
grandes questions industrielles, mais cela ne répond aux défis de
société. Aujourd'hui, la question migratoire, c'est un défi de société,
je ne dis pas que c'est un problème, je dis que c'est un défi pour nos
sociétés. Et jusqu'à présent, chacun l'abordait en ordre dispersé, même
si en réalité beaucoup de politiques convergeaient en Europe.
Désormais, avec le Pacte européen, nous nous engageons. Nous nous
engageons à quoi ? Nous nous engageons à organiser la migration légale,
parce que nous ne voulons naturellement pas faire de l'Europe une
forteresse ou un Bunker, mais nous ne voulons pas non plus d'une Europe
passoire, parce que ça ne serait ni juste, ni utile, ni efficace, ni
respectueux d'ailleurs vis-à-vis des pays partenaires. Nous voulons
désorganiser une immigration illégale, parce que la réalité de l'
immigration illégale, ce sont des filières, ce sont des pirates, ce
sont des exploiteurs qui gagnent, qui rançonnent, qui se font des
fortunes sur le dos de ceux qui pensent que l'Europe est toujours un
Eldorado. Et puis, c'est aussi l'Europe de l'asile, c'est une Europe
qui protège davantage ceux qui ne sont pas protégés dans leur pays, en
raison de leurs convictions religieuses, philosophiques, politiques. Et
puis, c'est aussi aider les pays partenaires. C'est pour ça que je
tiens lorsqu'on me présente, à ce que l'on insiste bien sur cette
notion de "ministre du Développement solidaire", parce que l'avenir se
bâtit avec les pays d'origine.
C'est un point d'équilibre dans l'intitulé de votre ministère ?
C'est ça. Et je termine, donc, en revenant à votre question. Ce n'est
pas "l'immigration choisie", c'est "l'immigration choisie et
concertée". "Choisie", parce que nous avons la responsabilité de
déterminer qui peut venir sur notre territoire et sur notre continent
européen. Mais en même temps, "concertée", parce que tout ceci doit se
faire avec les pays d'origine.
Alors, le Pacte dit explicitement la chose suivante : "l'Union
européenne n'a pas les moyens d'accueillir dignement tous les migrants
qui espèrent y trouver une vie meilleure". Est-ce que c'est seulement
une question de moyens ou est-ce que c'est aussi une question d'envie ?
Non, mais vous savez, il y a eu une époque qui était très simple où en
réalité les Etats ne se préoccupaient pas des flux migratoires, c'
étaient les entreprises. Les entreprises faisaient leur marché de main
-d'oeuvre, ils les faisaient venir finalement sans se préoccuper des
conditions de vie, des conditions d'accueil et ainsi de suite. D'
ailleurs, ça a été utile à nos économies. Incontestablement, à une
certaine époque, dans les années 60-70, ça soutenait la croissance. Et
d'ailleurs, les Etats d'origine étaient souvent assez soulagés de se
voir allégés d'un fardeau démographique, social, et d'ailleurs
politique.
Ça veut dire que l'immigration peut être, doit être, une variable d'
ajustement économique ?
Non, mais, c'était vrai, c'est comme ça que ça fonctionnait. Ensuite,
il y a eu les chocs pétroliers. Chocs pétroliers, tout d'un coup ça se
resserre, on a moins besoin d'immigration économique, ça s'ouvre plus
ou moins au mouvement familial, donc, là, tout d'un coup, un
revirement. Ensuite, si vous observez ce qui s'est passé en France,
mais c'est à peu près partout pareil dans les pays terres d'immigration
européenne, vous avez en réalité des à-coups. Alors, un coup on ouvre,
un coup on ferme, c'étaient les charters, c'était... ainsi de suite.
Là, ce que nous bâtissons, c'est quelque chose de cohérent, d'équilibré
et de juste. Les Etats discutent, parce que chaque Etat reste
naturellement libre d'accueillir qui il veut, accueillir sur son
territoire, ça va de soi. Mais on se...
Dans les proportions qu'il souhaite ?
Ce n'est pas "dans les proportions qu'il souhaite", mais c'est de l'
organisation de la migration légale. Par exemple, je pense que le défi
c'est d'accueillir davantage d'étudiants pour nous. On est dans une
compétition mondiale dans ce domaine ; l'Australie accueille plus d'
étudiants que la France par exemple, et l'Europe doit accueillir
davantage d'étudiants. Pourquoi ? Parce que, tout simplement les
étudiants demain seront l'ossature, la colonne vertébrale économique,
sociale et sans doute politique d'ailleurs, donc c'est notre intérêt.
Il faut que nous nous mettions d'accord pour accueillir, qui l'on peut
accueillir, qui l'on peut recevoir, en termes d'immigration économique.
Pas faire venir des gens, dont ne sait pas quel travail ils pourront
occuper, dont on ne sait pas de quels revenus ils vivront, dont on ne
sait pas dans quel logement ils habiteront, et ainsi de suite. Il faut
aussi le respect.
Ces étudiants que vous souhaitez accueillir, ensuite ils exercent en
France ou ils retournent exercer ce qu'ils ont appris, chez eux ?
C'est la particularité française, l'initiative française, c'est que
nous avons mis en place une carte qui débute, qui s'appelle "la carte
compétence et talent". C'est-à-dire que ces étudiants qui ont été
formés ou des salariés qui ont été qualifiés dans l'entreprise, on leur
propose de rester un peu plus longtemps. Si vous prenez la plupart des
pays du continent africain, vous savez que deux immigrés sur trois en
France proviennent du continent africain, eh bien on leur permet de
rester trois ans, renouvelables une fois, c'est-à-dire, six ans. Mais
au bout de six ans, on les encourage à repartir dans leur pays d'
origine, parce que si nous sommes favorables à la circulation des
cerveaux, nous sommes hostiles - et ça je pense que c'est un axe majeur
de la politique que l'on doit mener - hostiles au pillage des
compétences et des cerveaux. C'est-à-dire qu'au bout de six ans, ils
doivent repartir aider le pays d'origine.
C'est un encouragement ou c'est une contrainte ?
C'est un encouragement, et j'espère que ça sera partagé. Mais il y a
des exemples. Aujourd'hui... Depuis que j'ai été nommé, j'ai dû faire
18 déplacements sur le continent africain, j'ai rencontré des
personnalités formidables, notamment le ministre de la Santé du Bénin,
le Dr Tchala, il était chirurgien urologue, chef de service à Paris ;
il a décidé après 30 ans ici d'aller aider son pays. Eh bien, c'est
exactement comme cela qu'il faut que l'on fonctionne. Il faut... La
responsabilité européenne, c'est de former, c'est de qualifier, c'est
de donner un espoir professionnel, et ensuite que l'on aille aider son
pays, parce qu'il n'y aura pas de solution à la question des flux
migratoires s'il n'y a pas de développement des pays d'origine.
Alors, ce que prévoit le Pacte pour l'immigration, c'est qu'il sera
désormais impossible pour un pays de procéder à des régularisations
massives. Est-ce que ça veut dire qu'à l'avenir, ce que viennent de
faire récemment l'Espagne ou l'Italie, est absolument inconcevable ?
Oui, enfin...L'Espagne, l'Italie, la France. D'ailleurs, moi je ne suis
pas un idéologue. Ils ont tenté ça, des régularisations, en disant :
après tout, on met les pendules à l'heure, on met les compteurs à zéro,
et puis on voit comment ça marche. En réalité, ça ne marche pas. Pour
une raison très simple : c'est que, quand on régularise des
clandestins, c'est-à-dire ceux qui sont venus sans autorisation sur le
territoire concerné, eh bien naturellement, s'ils ont régularisés, ils
en parlent autour d'eux et ça fait un appel d'air. Par exemple, quand
la France l'a fait en 1997, le nombre de demandes a été multiplié par
quatre, c'est logique. Donc, là, dans le Pacte, il est clairement dit,
et c'est un engagement de tous les Etats, du Sud, du Nord, de l'Est, de
l'Ouest, de toutes les sensibilités politiques, du communisme
chypriote, aux socialistes espagnols, aux travaillistes britanniques,
aux sociaux-démocrates et chrétiens-démocrates allemands, au centre-
droit français, jusqu'au gouvernement de S. Berlusconi, à l'unanimité
ont dit "non, plus de régularisations générales, plus de
régularisations massives, des examens au cas par cas". C'est d'ailleurs
ce que nous faisons en France.
En imaginant qu'il y ait parmi nos auditeurs, qu'il y en ait quelques
uns qui, aujourd'hui, rêvent d'immigrer vers l'Europe, vers la France
peut-être, et éventuellement par des moyens illégaux, qu'auriez-vous
envie de leur dire ?
D'abord, la France et l'Europe, encore une fois, ce n'est pas, ce ne
sont pas des forteresses. Ce n'est pas un Bunker. Donc, naturellement,
on peut venir sur le territoire européen. Mais pour venir sur le
territoire européen, comme d'ailleurs dans tous les autres Etats et
continents du monde, il faut y venir dans des conditions légales ; il
faut y venir dans des conditions autorisées. Or, il n'y aura pas de
prime à la clandestinité ! Deuxième élément, j'ai en mémoire certains
chiffres ou certaines attitudes. Vous savez, il y a eu 1.800 morts en
Méditerranée en 2007, précisément parce que certains avaient cru
pouvoir tenter leur chance dans des embarcations de fortune, et d'
ailleurs en payant parfois des fortunes. Et encore, il y a quelques
heures, 13 corps ont été repêchés non loin de l'île de Lampedusa sur
laquelle je me suis rendu, qui est une île italienne pas loin de la
frontière tunisienne. Donc, il est possible de venir, mais il faut le
faire dans des conditions légales. Ne pas tenter sa chance de manière
illégale, parce que c'est risquer sa vie, c'est risquer la peine de sa
famille, et puis, s'ils arrivent sur le territoire européen, c'est le
risque, pour ne pas dire la certitude d'être reconduit dans son pays
d'origine. Donc, l'Europe n'est pas un Bunker mais l'Europe n'est pas
une passoire.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 16
novembre 2008