Interview de M. Eric Besson, secrétaire d'Etat à la prospective, à l'évaluation des politiques publiques et au développement de l'économie numérique, à I-Télé le 20 octobre 2008, sur le plan "France numérique 2012", l'investissement dans l'innovation technologique à l'horizon 2025 et les conséquences économiques de la crise financière

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Média : I-télévision

Texte intégral

L. Bazin.- Et on salue E. Besson, bonjour. Secrétaire d'Etat à la
Prospective et l'Economie numérique. J'en ai peut-être oublié un tout
petit bout.
 
L'évaluation des Politiques publiques, mais ça n'est pas grave, vous
avez dit aujourd'hui l'essentiel...
 
Mais ce n'est pas la moindre.
 
Pour moi aujourd'hui l'essentiel c'est le numérique. Donc vous avez
tout juste.
 
Très bien ! On parlera de ça tout à l'heure, bien évidemment. (...) Et
rebonjour donc E. Besson.
 
Rebonjour.
 
Secrétaire d'Etat à la Prospective, à l'Evaluation des politiques
publiques et à l'Economie numérique... J'ai complété, vous le voyez ma
petite fiche. Vous avez préparé le plan que N. Sarkozy annonce tout à
l'heure, ce sera d'ailleurs à suivre en direct sur I Télé à 11 heures
et demi. Deux affaires retiennent notre attention, avant dans l'
actualité bien évidemment. D'abord les Caisses d'Épargne. Est-ce que
vous êtes satisfait, vous, que le ménage ait été fait ? Est-ce qu'on
doit dire d'ailleurs qu'on a fait le ménage ?
 
Je ne sais pas si on doit dire qu'on a fait le ménage, en tout cas les
Caisses d'Épargne ont tiré les leçons de cette crise, qui pouvait
choquer à juste titre les Français. Il y a une, comment dire une
éthique de responsabilité. Quand on a un niveau élevé de rémunération
et de responsabilité, il faut en tirer les conclusions, lorsqu'on fait
des fautes. Cela ne veut pas dire qu'on les a faites forcément
personnellement. Mais lorsqu'on est par la force des choses à la tête
d'une entreprise qui fait des fautes qui sont quand même, là,
colossales...
 
C'est la branche trader...
 
Oui, bien sûr.
 
... Trading qui a fait cette faute. Est-ce que vous estimez qu'elle
doit être fermée aujourd'hui même ?
 
Non, non.
 
Elle doit être fermée à la fin de l'année, de toute manière ?
 
Moi, je ne dis pas qu'elle doit être fermée aujourd'hui même, ça c'est
la responsabilité des Caisses d'Épargne et le trading n'est pas en soi
une activité répréhensible. Il y a des formes de spéculations
excessives mais si on disait, il n'y a plus de trading dans l'économie
de marché, on aurait quelques difficultés. En revanche, que les
dirigeants aient tiré les leçons de cette crise, en s'appliquant à eux
-mêmes ce principe de responsabilité, je trouve ça logique.
 
Un mot de l'affaire DSK, on dit « affaire DSK. ». S. Royal dit que ça
pourrait nuire à l'image de la France, si c'était confirmé. Est-ce que
d'abord vous êtes triste pour lui ? C'est un de vos anciens amis ?
 
Oui, oui, mais je considère toujours que c'est un ami, je ne sais pas
si c'est réciproque, il faudra le vérifier le moment venu. Mais peu
importe, je trouve ça triste pour lui et pour le FMI, je trouve ça
dérisoire surtout, parce que si je comprends bien, c'est une affaire
privée, il n'y a ni plaignant...
 
Jusqu'à preuve du contraire, oui.
 
Il n'y a ni plaignant, ni plaignante, on est en pleine tourmente
financière. Le FMI est en première ligne, il doit se voir normalement
confier un rôle encore plus important et comme par hasard, si je puis
dire, sort cette affaire absolument dérisoire.
 
Coup monté ?
 
Je vais vous dire, je ne sais pas si c'est...
 
Vous l'envisagez apparemment ?
 
Je trouve la coïncidence très surprenante, et je suis surpris qu'un
grand journal comme le Wall Street Journal en pleine crise financière
et à des moments où le monde entier cherche des voies pour sortir de la
crise, ne trouve pas mieux que de faire sa Une, sur une affaire privée,
qui certes touche le FMI...
 
Le jour de la visite de N. Sarkozy à Camp David ?
 
Le jour de la visite de N. Sarkozy à Camp David. Voilà ! Donc je trouve
la coïncidence un peu forte...
 
Donc vous êtes troublé ?
 
...et je pense qu'on a mieux à faire que de s'occuper des affaires
privées de tel ou tel de nos dirigeants.
 
Le plan numérique, c'est ça que vous considérez comme l'alpha et l'
oméga, qui est susceptible de relancer dites-vous, E. Besson, la
croissance française. On le connaît, on l'a entendu dans les journaux,
vous voulez ouvrir l'ADSL à tous les Français. Vous voulez faire
finalement au bout du compte, rentrer l'ordinateur dans tous les foyers
français. Combien vous allez mettre d'argent sur la table pour ça ?
Est-ce qu'on peut faire ça, sans un kopeck ?
 
Vous l'avez évoqué tout à l'heure, la question n'est pas ce que met l'
argent, c'est ce que met l'économie française. La fibre optique de
votre reportage le disait bien, si on s'y prend bien, si l'Etat fait
bien son travail, c'est-à-dire faciliter l'environnement des
entrepreneurs et l'investissement, c'est 10 milliards d'euros d'
investissement sur 10 ans. Les fréquences de qualité, ce que le experts
appellent « le dividende numérique », c'est-à-dire des fréquences qui
vont être libérées par le fait que nous allons passer de la télé
actuelle, la télé hertzienne à la Télévision Numérique Terrestre, ces
fréquences-là, elles ont une grande valeur, les économistes appellent
ça des fréquences en or. Donc le plan ne va pas coûter à l'Etat,
théoriquement, il va même...
 
Rien ?
 
Il va même lui rapporter de l'argent, puisqu'il est détenteur de ces
fréquences et de données immatérielles.
 
Mais il va rapporter à l'économie, dites-vous ?
 
Il va rapporter à l'économie.
 
Autant que ça ?
 
 Et l'Etat peut décider sur un certain nombre d'actions que présentera
le président de la République dans quelques dizaines de minutes, d'
affecter une partie de ces sommes à un certain nombre d'objectifs, d'
aménagement du territoire ou d'aménagements sociaux, pour réduire la
fracture sociale.
 
Quand on dit aujourd'hui, ça peut créer des centaines de milliers d'
emploi, on ne pèche pas un peu par optimisme ?
 
Non, on ne pèche pas par optimisme. D'abord, c'est ce qui existe à l'
étranger. Regardez les pays les plus performants : la Corée du Sud, la
Finlande, la Suède, les Pays-Bas, par certains côtés...
 
Oui, 17 % du PIB en Corée par exemple.
 
...Ils tirent du numérique et de leurs investissements dans le
numérique un taux de croissance, un taux d'emploi et donc un taux d'
activité bien plus important.
 
Ca sortira la France de la crise, ou ça ne suffira pas ? Ce n'est pas
magique quand même ?
 
Ce n'est pas la solution. C'est l'une des solutions. La France doit se
tourner vers les technologies de l'avenir. Le numérique en fait partie,
mais on pourrait parler de la robotique, on pourrait parler des
sciences du vivant, des nanotechnologies, il y a un certain nombre de
technologies qui vont faire que les nations seront en 2025, puisque je
mène un exercice..."France 2025", les nations compétitives, prospères
et donc solidaires. Parce que si vous n'êtes pas compétitif, vous ne
pouvez pas être solidaire.
 
Ça ne vous fait pas douter d'Internet, quand vous voyez que le
Président lui-même s'est fait pirater sa carte bancaire ?
 
D'abord je ne sais pas exactement comment il s'est fait pirater. Mais
de toute façon...
 
Apparemment, en achetant sur Internet, d'après ce qu'on entend.
 
La question Internet, c'est ni Dieu, ni le Diable. Internet, c'est le
reflet du meilleur et parfois du pire d'entre nous. Ce n'est pas
Internet qui fait que vous avez des rumeurs, ce n'est pas Internet qui
fait naître les bêtises, les voleurs, etc. etc. simplement ils
multiplient leur capacité d'action. Donc il faut à la fois prendre le
meilleur d'Internet, et je crois qu'effectivement Internet est un
instrument qui peut changer la vie des individus, et des peuples. Et en
même temps être lucide, l'autorégulation autant que possible, et la
régulation par l'Etat. Dans votre reportage vous dites...
 
Une lutte contre la cybercriminalité oui.
 
...Une chose juste, absolument, nous allons puisque ça a été dit, je
peux le confirmer, nous allons doubler les moyens consacrés à la
cybercriminalité. C'est ce que M. Alliot-Marie souhaite et c'est ce qui
est intégré dans le plan numérique.
 
On rappelle les titres tout de suite, et on continue à discuter après.
 
Avec plaisir. [Rappel des titres]
 
On est toujours en compagnie d'E. Besson, on parle numérique ce matin,
on parle aussi crise financière. Ça vous connaît, évidemment, l'
économie, vous étiez en charge de ça au Parti socialiste, avant de
rejoindre N. Sarkozy. Vous entendrez dans le « Zapping » notamment C.
Lagarde, votre consoeur du Gouvernement, annoncer qu'il n'y a pas l'
ombre d'une inquiétude sur l'épargne après l'affaire des Caisses d'
Épargne. Mais dire aussi que l'affaire DSK que vous évoquiez en vous
disant « troublé » tout à l'heure doit rester une affaire privée. A
tout de suite. (...) Le « Zapping » toujours en compagnie de E. Besson,
qu'on remercie évidemment d'être resté. On va écouter, ensemble, si
vous le voulez bien, C. Lagarde, ce matin, sur l'affaire des Caisses
d'Épargne, elle n'est plus inquiète.
 
C. Lagarde (document Europe 1) : Les épargnants n'ont pas l'ombre de la
moitié d'un risque. Les Livrets A sont totalement protégés, ils sont
soumis à la garde de la Caisse Des Dépôts Et Consignations. Vous savez
que quand on va déposer son épargne sur un Livret A, l'épargne des
Livrets A à la Caisse Des Dépôts Et Consignations, qui là est le bras
financier armé de l'Etat sous le contrôle du Parlement. Donc il n'y a
pas l'ombre d'une inquiétude sur l'épargne.
 
Tout cela est bel et bien, dit J.-F. Copé, le président du groupe UMP à
l'Assemblée. Mais lui pense, vous allez l'entendre, que la démission
des dirigeants ne suffit pas.
 
J.-F. Copé (document RTL) : Vous savez, on est en France, on a toujours
cette tentation d'aller proposer de décapiter les têtes dès que les
choses vont mal. Moi, personnellement, je pense que si c'était
suffisant à la limite, très bien. Mais comme je viens de vous le dire,
le vrai sujet il est ailleurs. Il faut repenser complètement le
fonctionnement de nos banques. Je crois qu'il est grand temps aussi
qu'on ouvre le débat, y compris avec les Français, c'est quelque chose
qui ne marche pas bien. Le lien par exemple entre les directions
générales des banques et les opérateurs de leurs salles de marché, sont
des liens qui sont totalement distendus. On le voit bien, qu'il n'y a
pas de contrôle suffisant et qu'on arrive aujourd'hui à faire des
choses, absolument incroyables au mépris de tout élément de contrôle
élémentaire.
 
D'accord avec l'aiguillon Copé ?
 
Ils disent deux choses distinctes. C. Lagarde dit : il n'y a pas de
risque pour les épargnants qui ont déposé leurs économies à la Caisse
d'Épargne. Elle a raison. J.-F. Copé traite d'autre chose : est-ce qu'à
la lumière de ce qui s'est passé, il faut accroître ce qu'on appelle
les règles prudentielles qui sont déjà en France, parmi les plus
contraignantes du monde ?
 
Apparemment ça ne suffit pas ?
 
C'est ce que j'allais dire.
 
Les Caisses d'épargne ne contrôlent pas leur activité trading ?
 
Oui, mais comment dire, encore une fois, on l'a évoqué tout à l'heure,
la spéculation fait partie de l'activité, ce sont les excès de la
spéculation, les prises de risques à terme excessives, qui ont fait
plonger un certain nombre de banques dans le monde et en partie la
Caisse d'Épargne. Donc ce n'est pas l'activité à terme en soi, qui est
condamnable, ce sont les excès et la sophistication des moyens
financiers. Mais ça le grand public se dit : je ne dois pas subir les
conséquences de prises de risques excessives, et il a entièrement
raison, voilà !
 
Et comment on lui assurera le fait que ça ne se reproduira pas ?
 
En rendant plus contraignantes, ce que vient de dire J.-F. Copé à juste
titre, ce qu'on appelle les règles prudentielles. C'est-à-dire, une
règle de prudence, c'est un ratio. Vous avez des fonds propres de 1,
vous ne pouvez pas engager plus de X % de ces fonds propres ou de ces
montants de dépôts que vous avez reçus. Donc si vous voulez être plus
contraignant, vous changez la nature des ratios. Donc il faut en
discuter, tranquillement. Mais en même temps, ce qu'a dit C. Lagarde
pour les épargnants de la Caisse d'Épargne - et je crois que c'est ce
qui intéresse au premier chef vos téléspectateurs - est vrai. Il n'y a
pas de risque pour l'épargne.
 
B. Hamon était l'invité, lui, de France Inter ce matin, votre ancien
collègue du Parti socialiste, qui est plus à la gauche du PS que vous
ne l'étiez, pour être clair. La crise financière, dit-il, est loin d'
être terminée.
 
B. Hamon (document France Inter) : Cette crise, c'est d'abord un
séisme, comme un séisme en plaine et qu'il va y avoir une vague. Et que
cette vague, ça va être la crise économique et sociale et elle va se
traduire dans quelques mois, pas forcément tout de suite. Parce qu'
aujourd'hui, la mauvaise situation sociale, elle est due à la situation
économique qui précédait la crise. Mais qu'est-ce qui va se passer ?
Probablement des charrettes de licenciements, un recul des services
publics, et un recul des conditions de travail. Une dégradation encore
plus importante du pouvoir d'achat, des retraités notamment et des
salariés, ça va être extrêmement difficile. Les jours et les mois qui
viennent seront sombres pour des millions d'hommes et de femmes. Et c'
est pour ça que je me méfie de ces gesticulations, parce que je ne vois
pas beaucoup d'initiatives qui s'adressent aux Français.
 
L'ancien socialiste que vous êtes partage-t-il cette inquiétude ?
 
B. Hamon est dans son rôle, il noircit le tableau. Est-ce que la crise
financière va toucher ce qu'on appelle l'économie réelle ? Est-ce qu'il
va y avoir des répercutions ? La réponse est oui, personne ne le
conteste. Le président de la République l'a dit dès Toulon.
 
Qu'est-ce qu'on fait ? C'est ça la question.
 
Ce qu'on fait, c'est qu'on poursuit une politique de réformes, on
essaie de rebâtir le système financier international, ce que N. Sarkozy
essaie de faire...
 
On injecte ou pas 1 milliard, 10 milliards, 100 milliards dans l'
économie réelle pour aider ?
 
On lance des projets d'infrastructures très importants. Le président a
parlé de la voiture propre, il y a quelques jours au Salon de l'
Automobile. Ce matin, il s'exprime sur le numérique, il aura l'occasion
de s'exprimer sur d'autres sujets...
 
Sans doute dans la semaine, oui.
 
Sans doute dans la semaine.
 
Vous le confirmez ?
 
Vous avez dit « sans doute dans la semaine » j'ai redit « sans doute
dans la semaine. »
 
Donc vous avez confirmé que ça serait sans doute dans la semaine ?
 
Non, c'est ce que j'entends. Je n'ai pas d'information particulière.
 
Vous savez sur quoi ?
 
Non, non, non. Je vais vous écouter avec intérêt dans les heures et les
jours qui viennent.
 
Merci de cette confiance. Est-ce que vous sortiriez le chéquier à la
place du président de la République ?
 
Non, je ne crois pas, en revanche, je crois que la préoccupation de
croissance, elle est justifiée. Dans ces moments-là, il faut essayer de
préparer l'avenir et d'investir sur des secteurs porteurs. Tout le
monde est d'accord sur le fait que l'innovation, la recherche, la
numérique font partie des clés de la croissance pour les mois qui
viennent.
 
C'est entendu, "France numérique 2012", l'annonce du Président tout à
l'heure, c'est exactement ce que dira le président. Voilà le plan, sur
une petite carte que vous m'avez amenée, avec laquelle vous allez
repartir, parce que vous ne voulez pas me la laisser.
 
C'est gentil à vous de le préciser.
 
Il y a embargo jusqu'à 11 heures 30 ?
 
Exactement.
 
Merci d'avoir été notre invité, ce matin. Bonne journée à vous.
 
Merci, à vous, merci beaucoup.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 20 octobre 2008