Déclaration de Mme Cécile Duflot, secrétaire nationale des Verts, sur l'analyse de la crise globale, économique et écologique, et les orientations des Verts pour un "autre modèle de développement", Paris le 21 octobre 2008.

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Circonstance : Premier forum public des partis de gauche et écologistes, sur le thème "Quelle alternative politique dans la mondialisation?", au Conseil régional d'Ile-de-France, Paris le 21 octobre 2008

Texte intégral

Tous les regards sont tournés actuellement vers l'évolution des marchés
financiers, des bourses, de la situation des banques,... Depuis le début
de la crise, dite des « subprimes », jamais, dans l'histoire du
capitalisme, les autorités monétaires ne sont autant intervenues sur
les marchés monétaires pour refinancer les banques, plus de 2 000
milliards, jamais les Etats ne sont autant intervenus pour
recapitaliser des banques, des sociétés d'assurance et toute une série
d'institutions financières, plus 3 000 milliards. Et pourtant la crise
est toujours là. Elle empire. La récession s'annonce.
Les erreurs de la crise de 1929, celle du non interventionnisme et du
chacun pour soi, n'ont pourtant pas été commises. Pour nous, les causes
sont bien plus profondes. Face à cette crise, il ne faut pas se tromper
d'analyse pour pouvoir apporter les bonnes réponses. La crise
financière n'est pas la première des d'explications ; elle révèle une
crise globale. Peu d'intellectuels ont su anticiper cette convergence
des crises, financière, économique, écologiques, en voir les liens sauf
à noter pour nous écologistes, une personne très importante, André
Gorz, notamment dans son dernier article avant son décès, « La fin du
capitalisme a déjà commencé ». Nous sommes dans la première crise
socio-écologique du capitalisme. Cette crise est singulière et inédite.
Elle ne peut pas s'analyser uniquement comme la conséquence de la seule
dérégulation des marchés financiers.
Cette crise n'est pas qu'un problème de moralité, même si les
inégalités se rapprochent des niveaux du XIXe siècle. Elle n'est pas
l'unique conséquence des politiques libérales. C'est surtout la
conséquence du productivisme effréné de nos économies qui mène
simultanément à la crise financière et aux crises écologiques. La crise
financière n'est qu'une face de la crise, l'autre face, c'est
l'accumulation continue de marchandises, de capital qui atteint
aujourd'hui des limites physiques.
2008, ce n'est pas que la crise financière c'est aussi les records
battus pour de nombreuses ressources naturelles, bien sûr le pétrole,
147,27 $ le 11 juillet, mais aussi l'or avec 1 032,70 dollars l'once le
17 mars, l'étain, 25 495 dollars la tonne, le 15 mai, le cuivre 8 980
dollars la tonne, le 3 juillet, des denrées alimentaires comme le blé
qui a dépassé les 460 $ la tonne ou le riz dont le prix de référence,
celui de la Thaïlande, a plus que doublé entre décembre et avril pour
atteindre 1 000 $. Les prix ont depuis baissé mais il ne faudrait pas
mettre cela uniquement sur le compte de la spéculation. La récession et
la baisse de la demande peuvent un temps contrecarrer la tendance
lourde qui est à la hausse, mais elle ne sauraient inverser cette ère
nouvelle de rareté des ressources matérielles de la planète.
Dès 1983, dans « les chemins du paradis, l'agonie du capital » André
Gorz dénonçait l'impasse du modèle économique. Avant de revenir un peu
sur l'analyse écologiste de cette crise, je voudrais présenter un
exemple pour illustrer la profondeur de cette crise. Quelle est l'
entreprise américaine qui a le plus chuté dans l'indice du Dow Jones ?
Ce n'est pas une banque ! C'est General Motors, l'entreprise mythique
du rêve américain qui a perdu 84 % de sa valeur en un an. L'action de
General Motors a atteint son plus bas niveau depuis les années 50.
Après un déficit record en 2007 de 38 milliards de dollars, cette
entreprise continue à s'enfoncer et annonce la fin d'une civilisation
basée sur l'automobile, le pétrole bon marché, l'étalement urbain.
Aura-t-on une fusion avec le n°2 américain Chrysler ou le gouvernement
américain sera-t-il obligé de la nationaliser ! Le secteur de l'
automobile sera-t-il la sidérurgie du XXIeme siècle ? Les gouvernements
européens ne font-ils pas preuve d'autant de cécité que celui des
États-Unis ?
Beaucoup de personnes accusent les subprimes et la titrisation d'être
les fauteurs de trouble mais peu de personnes expliquent que ces
mécanismes ont permis de prolonger le mode de vie américain, prédateur
en ressources naturelles. Le modèle de croissance, celui des trente
glorieuses, était entré en crise à la fin des années 60 avec la chute
de la productivité. Crise qui avait été révélée et amplifiée par le
choc pétrolier de 1973. Ce modèle que les économistes appellent le
fordisme était fondé sur un compromis entre le salariat et les
entreprises : les salariés recevaient une rémunération augmentant
régulièrement en échange d'une hausse de la productivité. La hausse
continue du pouvoir d'achat a permis d'écouler la production croissante
de marchandises. Mais les gains de productivité obtenus grâce à la
robotisation et l'informatisation ont été tellement importants que la
production a reposé sur de moins en moins de personnes, provoquant
ainsi une hausse du chômage et de la précarité. La mondialisation des
échanges a accentué la concurrence et poussé à la délocalisation des
entreprises vers les pays à bas coûts salariaux et au démantèlement de
nos droits sociaux en Europe.
Face à la modération salariale et à la montée de la précarité, un
nouveau compromis néo-libéral a été trouvé au EU pour maintenir le
niveau de consommation : les classes moyennes américaines et les moins
favorisées ont accepté la stagnation puis la compression de leurs
revenus et la montée des inégalités contre un accès facilité au crédit,
une inflation jugulée et les taux d'intérêt bas. La croissance
américaine n'a donc pu se faire que grâce à endettement massif des
ménages américains qui est passé entre 2000 et 2005 de 580 milliards à
1 250 milliards avec, en fin de course, la situation exceptionnelle
d'une épargne négative. Les ménages américains ont donc consommé plus
qu'ils n'ont reçu de revenus ! Les « subprimes » étaient une condition
du maintien de la croissance de la consommation américaine ... à
crédit, fondée sur une hausse continue de la valeur du patrimoine des
ménages. Mais les subprimes ne sont qu'un compartiment des crédits
hypothécaires. D'autres compartiments comme les options ARM (Adjustable
Rate Mortgages) peuvent encore amplifier la crise actuelle ! Nous le
voyions d'ores et déjà avec les inquiétudes qui concernent les 450
milliards d'en cours de cartes de crédit qui deviennent elles-aussi
défaillantes.
Si à cela, nous ajoutons la dette croissante publique américaine, en
particulier à cause de la guerre en Irak et en Afghanistan,
l'endettement total au EU représente aujourd'hui 110 % de son PIB. Mais
le sur-endettement américain n'est pas nouveau. Il était déjà à
l'origine de la crise de 1971 qui a mis fin aux accords de Bretton
Woods et au système d'étalon change-or et à celle de 1987.
Chaque fois, les EU ont su tirer bénéfice de la position exceptionnelle
de leur monnaie, le dollar, qui est la monnaie de réserve et l'
instrument de paiement du commerce international. Les accords de la
Jamaïque de 1976 ont permis de faire de cette monnaie, le seul étalon
international après la suppression de l'or.
Mais cette fois-ci, la fin de partie risque d'être différente car le
principal créancier est la Chine qui possède 1 800 milliards de
dollars, des titres en dollars dont 480 milliards de créances
hypothécaires émises par Fannie Mae et Freddie Mac.
Outre le fait que la Chine ne peut pas se payer le luxe, comme le Japon
le fit à partir de 1987 de voir sa créance dévaluée vis-à-vis des EU,
le duo Chine/EU est écologiquement insoutenable. En simplifiant, la
consommation américaine est rendue possible par les exportations
chinoises, alimentant la croissance des deux pays qui permet aux
américains de maintenir leur mode de vie et à la Chine de maintenir un
taux de croissance indispensable pour éviter une explosion sociale en
donnant du travail à la population active croissante. Et sur le plan
financier, les dollars du déficit commercial américain sont réinjectés
au EU par la Chine en achat de bons du trésors et autres titres
financiers américains.
Si on généralisait le mode de vie américain à l'ensemble de la
population mondiale, il faudrait 5 planètes. Et pour soutenir la
croissance actuelle chinoise de plus de 10 %, selon le FMI, la Chine a
représenté entre 2002 et 2005 à elle seule 48% de l'augmentation de la
demande d'aluminium, 110 % du plomb, 113 % Zinc, 30 % du pétrole. Les
importations d'énergie ont augmenté en trois ans de 44,9 % et celles
des autres matières premières de 34,5 %. En 2003, la Chine consommait
35 % du fer mondial, 33 % du coton, 22 % de l'étain...
Toute croissance nécessite une base matérielle, même si celle-ci est
sous-évaluée dans les prix des biens consommés. La croissance chinoise
nous rappelle que la croissance européenne des trente glorieuses (et
d'avant) n'a pu se faire que grâce à une surexploitation minière de ses
anciennes colonies. Le système économique actuel sur-consomme les
ressources. Nous dilapidons le stock de capital naturel. Comme l'a
écrit Jean Gadrey, « Pour l'instant, la banque mondiale des ressources
naturelles continue à nous faire crédit, tout en commençant à modifier
ses comportements de prêteur dont les actifs sont limités et fondent
comme banquise au soleil. Quand va-t-on la recapitaliser pour sauver sa
capacité à nous faire vivre ? » Car la principale dette à effacer n'est
pas la dette financière mais la dette à l'égard de la nature. La dette
financière, quand la volonté politique existe, on l'efface pour Dexia,
Fortis, AIG... Il en est autrement pour la dette naturelle. On en
reconstitue pas le capital naturel comme le capital des banques. Pour
le pétrole, c'est impossible. Pour les ressources halieutiques, c'est
encore possible.
Nous sommes capables aujourd'hui d'injecter plusieurs milliers de
milliards de dollars pour sauver le système bancaire international. Le
coût du réchauffement planétaire, d'après le rapport Stern, est estimé
à 5 500 milliards de dollars. Et ne rien faire a des conséquences tout
aussi dramatique que ne pas sauver le système bancaire, voir pire car
cela va provoquer des millions de réfugiés climatiques, modifier les
écosystèmes et réduire la production agricole. Et restaurer le système
bancaire pour relancer la consommation, c'est continuer à foncer droit
contre le mur.
La crise est singulière, les solutions politiques doivent être
innovatrices. La crise est globale, la réponse ne peut pas être
nationale.
L'Europe est l'échelon minimum de notre action. C'est pour cela que je
ne peux être que surprise de l'aveuglement de l'Eurogroupe de limiter
son action uniquement au soutien au système bancaire et de pas modifier
le pacte de stabilité. C'est un non sens économique, maintenir le pacte
de stabilité en l'état, c'est-à-dire ne pas modifier le niveau
d'endettement et de déficit budgétaire des États européens, en période
de récession ou de quasi stagnation de l'activité économique, signifie
concrètement qu'il faudrait dégager des excédents budgétaires selon ce
que les économistes appellent la règle de soutenabilité de la dette !
La France a la présidence de l'UE, qu'elle prenne des responsabilités à
la hauteur des enjeux plutôt que des solutions nationales comme une
société de refinancement uniquement française.
L'Europe a besoin d'une nouvelle donne différente du New Deal de
Roosevelt car il n'est pas possible de se limiter à une relance
uniquement par la consommation. Ni le fordisme, ni le néolibéralisme ne
sont des solutions à cette crise globale. Nous n'avons pas besoin de
plus de consommation mais d'une autre consommation, d'un autre modèle
de développement. Cette question n'est pas uniquement une question de
pouvoir d'achat car les personnes les plus précarisées ne sont pas sans
consommation mais condamnées à acheter des produits à bas prix et
forcément de basse qualité. Le néolibéralisme a produit des inégalités
de revenus mais également des inégalités de conditions de vie (mal-
bouffe, logement insalubre...). Pour cela, nous avons besoin d'une
Europe en capacité de maîtriser son destin. Peut-être que le prochain
parlement européen doit être constituant, pas uniquement pour définir
le cadre des institutions européennes mais aussi pour lancer les
réelles bases d'un gouvernement économique européen et fédéral ? Car
aujourd'hui, nous sommes victimes de l'impuissance de l'Europe,
incapable d'apporter une réponse européenne unique mais uniquement une
somme de réponses nationales.
Quelles solutions ?
Il va de soit qu'un nouveau Bretton Woods est indispensable, pour
permettre la revanche de Keynes. Ressusciter son idée de bancor, c'est
-à-dire la création d'une monnaie supranationale et un système de
compensation mondiale. En 1944, les EU pouvaient imposer un système
d'étalon change-or car les EU possédaient 80 % des stocks d'or
mondiaux. Keynes savait qu'une monnaie ne peut s'imposer indéfiniment
comme monnaie de réserve internationale et que l'or ne peut être un
étalon. Aujourd'hui, il est temps de passer à un nouveau Système
Monétaire International qui interdise l'hégémonie monétaire d'aucun
pays.
Les banques centrales puissantes comme celles des États-Unis, de l'
Union Européenne, du Japon doivent émettre de la monnaie pour financer
une nouvelle donne productive écologique et sociale, plutôt que faire
appel à l'épargne étrangère.
De même, la globalité de la crise nous pousse à soutenir tous les pays
de la planète. Les pays émergents (Chine, Inde, Brésil, Nigéria,
Afrique du Sud, Mexique) durement touchés par la récession et en
situation d'extrême urgence écologique ont aussi besoin d'une aide
publique internationale pour faire reposer leur développement sur autre
chose qu'une exportation forcenée de soja transgénique qui détruit l'
Amazonie, de textiles qui polluent les ressources en eau chinoise...
Les droits de tirages spéciaux sur des programmes écologiques à l'
échelle planétaire doivent compléter le relèvement du système bancaire
et financier. Faute de quoi cette nouvelle donne technique restera
hémiplégique !
Sinon, comme vous tous, je suis d'accord pour imposer plus de
transparence, sur les marchés financiers, supprimer les paradis
fiscaux, mettre en place une taxe sur les transactions type Tobin et
donc modifier le traité de Maastricht mais je pense aussi qu'il faut
concomitamment à cette réforme, lancer trois grandes réformes
européennes dans trois directions, la lutte contre la crise écologique,
la réinvention d'un social qui est aujourd'hui aussi sinistré que la
finance et un nouveau modèle de développement qui repose sur le
développement des ressources illimitées de l'inventivité humaine.
Face à la crise écologique, il faut lancer un plan de grands
investissements publics et privés dans les énergies renouvelables, la
lutte contre le réchauffement climatique, dans les transports non
routiers et aériens, dans une agriculture respectueuse de
l'environnement. Pour cela, il faut autoriser des déficits budgétaires,
suspendre les critères du pacte de stabilité. On ne fait du déficit
pour du déficit mais pour réorienter nos sociétés.
Face à la crise sociale, il faut un moratoire des dettes pour les
millions de ménages concernées. Il n'est pas normal que seules les
banques qui ont joué sur les marchés financiers aient la possibilité de
voir leur dettes être effacées. Il faut également une véritable
révolution copernicienne comme fût celle de l'instauration de la
sécurité sociale après la seconde guerre mondiale, en instaurant une
revenu social garanti pour toutes et tous, par exemple sur le modèle
des intermittents du spectacle. La fin du fordisme a laissé la place à
un modèle de précariat et d'emplois discontinus.
Sortir de la société industrielle, c'est relocaliser la production pour
réduire les transports, réintroduire du lien social, c'est s'orienter
vers une modèle de développement basée vers les savoirs, la
connaissance, les relations humaines, plutôt que vers la
marchandisation de toutes les sphères de la vie. Cela peut paraître
pour vous utopique mais c'est dans ces moments de grande incertitude,
qu'il faut inventer du neuf.
Source http://lesverts.fr, le 24 octobre 2008