Texte intégral
QUESTION - Bonsoir Monsieur le Président. Vous venez demain à Moscou, ce soir nous sommes au Palais de lElysée et 20 millions de personnes vous regardent. Je voudrais quelles connaissent mieux lhomme Jacques Chirac qui travaille en qualité de Président de la République française. Allez-vous maider en cela ?
LE PRESIDENT - Bien sûr. Je ferai le maximum.
QUESTION - Dîtes-moi : vous reste-t-il du temps pour vous acquitter de votre rôle de grand-père dans votre famille ?
LE PRÉSIDENT - Oui, quand on est grand-père, et heureux de lêtre, on trouve toujours le temps nécessaire pour soccuper de son petit fils.
QUESTION - Je sais que vous êtes pratiquement le seul homme politique au monde, et même en Russie, à avoir lu tout Pouchkine. En Russie, la politique et les belles lettres, malheureusement, ne sont pas compatibles pour linstant. En France en est-il autrement ?
LE PRÉSIDENT - Dabord, je ne suis pas sûr que ce ne soit pas compatible en Russie. Jai eu beaucoup de discussions sur lart, lhistoire, la civilisation ou la littérature russe avec des hommes politiques russes qui étaient très cultivés.
Deuxièmement lorsque jétais jeune, javais appris le russe et je le parlais bien. Hélas, je lai oublié. Mais cest vrai que jai lu tout Pouchkine en russe et javais même fait une traduction dEvgueni Onéguine quand jétais jeune.
QUESTION - Je sais que vous avez eu également une oeuvre littéraire ? Ce livre de souvenirs, il na pas encore été publié ?
LE PRÉSIDENT - Non, ce nest pas vraiment un livre de souvenirs. Cétait une traduction d"Evgueni Onéguine" et lorsque je lai proposé, javais 18 ou 19 ans, personne na voulu léditer ; et quelques années plus tard, lorsque jétais Premier Ministre, tout le monde voulait léditer. Mais à ce moment là jai refusé.
QUESTION - Il y a beaucoup de traits communs entre la France et la Russie, parfois cen est presque drôle. Votre fille vous a beaucoup aidé pendant les élections, elle travaille maintenant à votre cabinet, cest votre collaboratrice la plus proche, cest la même situation que pour Boris Eltsine. Cependant, on le reproche à Eltsine, quelle est lattitude des Français à légard du poste de votre fille ?
LE PRÉSIDENT - Je crois que la chose est considérée comme naturelle et je ne suis pas sûr quen dehors de quelques milieux médiatiques le peuple russe soit très préoccupé de la présence, de lexcellente présence, de Tatiana à côté de Boris Nicolaïevitch.
QUESTION - Récemment notre Président a dû jouer le rôle darbitre, pratiquement comme dans un match de boxe, entre notre Ministre des Finances et les grands banquiers. Comment réussissez-vous à trouver le juste milieu entre les intérêts de lEtat et du peuple et ceux des grands groupe financiers ?
LE PRÉSIDENT - Je voudrais dabord dire que ce quil y a de commun entre nos deux peuples, cest essentiellement une culture, une alliance historique, et une grande estime réciproque. La capacité aussi, tout au long de lhistoire millénaire de nos peuples de réagir face aux difficultés, de refuser la fatalité.
Cest ce qui crée un lien très fort, un lien historique destime et damitié entre nos deux peuples. Je pense que les réformes engagées par le Président Eltsine sont bonnes et inévitables si la Russie, qui a été stérilisée pendant tant dannées, veut retrouver sa grandeur, cest-à-dire la grandeur dun peuple et dun pays dans les tout premiers du monde.
Donc, le problème nest pas de savoir si on veut faire plaisir aux capitalistes, aux banquiers, aux financiers. Ce nest pas un problème de Boris-Nicolaïevitch. Ce nest pas mon problème. Le problème, cest de donner à léconomie russe lélan nécessaire et donc de faire des réformes qui permettent aux marchés de fonctionner normalement. Au début cest difficile pour tout le monde, mais cela réussira.
QUESTION - En Russie, très souvent, on dit que le marché et le capital deviennent des valeurs absolues, deviennent des objectifs absolus. En tant que Président de la République française, quel est lobjectif que vous vous fixez, quel est votre but principal ?
LE PRÉSIDENT - Cest de créer les richesses nécessaires pour permettre le progrès social, ce qui suppose une bonne répartition de ces richesses après les avoir créées.
Je peux vous dire quaujourdhui, quand je parle avec le Président Eltsine, jobserve quil a exactement le même objectif que moi. Il na pas lintention de favoriser les financiers. Il a lintention de créer, en Russie, les conditions modernes de la production et de la création de richesses, et à partir de là, il veut répartir de façon équitable la richesse au bénéfice de tous les Russes. Nous navons pas de divergences de vue. Simplement la Russie a accumulé un immense retard, elle a été paralysée pendant très longtemps, elle na pas évolué, donc elle se trouve confrontée à la nécessité de réformes difficiles et parfois douloureuses, mais inévitables. Il faut solder le passé.
QUESTION - La mondialisation de léconomie, le nouveau système de sécurité en Europe, ladhésion récente de la Russie au Club de Paris, il y a des processus de renouveau extrêmement importants qui se déroulent en Europe. Questimez-vous être vos résultats personnels dans ces domaines ?
LE PRÉSIDENT - Vous me demandez quelle est ma part de responsabilité dans cette évolution. La mondialisation est inévitable. Chacun doit laccepter, mais il faut éviter deux grands dangers de la globalisation : le premier, cest de laisser certains pays sur le bord de la route parce quils nont pas la capacité daller aussi vite que les autres. Il y a donc la nécessité dune organisation mondiale. Jai beaucoup milité pour lentrée de la Russie dans le partenariat international au rang qui doit être le sien, cest-à-dire le premier. Le G7 sest transformé en G8, il y a lOSCE, il y a le Conseil de lEurope, le Club de Paris aussi, demain lOrganisation mondiale du Commerce. La Russie doit être partout, avec ses responsabilités.
Ce partenariat international doit permettre une bonne évolution équilibrée de lEurope et du monde. De la même façon, je suis pour un rapport entre la Russie et lEurope de plus en plus fort. Jai été à lorigine, je crois pouvoir le dire, dun accord entre lOTAN et la Russie avant lélargissement et la Conférence de Madrid parce que lopinion publique russe, je crois, ne pouvait pas accepter lélargissement sil ny avait pas la garantie que la Russie soit étroitement associée à lOTAN. Cest fait. De la même façon, je souhaite un lien très étroit entre lUnion européenne et la Russie. Et je pense que tout cela peut être facilité par une relation privilégiée entre la Russie et la France. Il y a, je le répète, une très vieille amitié, une très vieille estime entre nous, il faut agir en sorte.
QUESTION - A mon sens, il y a un autre trait commun important qui nous unit : le peuple français et le peuple russe croient volontiers les communistes et les socialistes. On croit que la société peut dépenser plus quelle ne gagne. Pourquoi pensez-vous quen Russie et en France le peuple a tendance à croire les gens de gauche ?
LE PRÉSIDENT - Je ne sais pas ce que vous appelez les gens de « gauche » en Russie. Je crois quen Russie, il y a des gens sérieux et des gens qui ne sont pas sérieux. Cest de plus en plus la même chose en France.
Le sérieux, cest une gestion économique moderne où lon ne dépense pas plus que lon ne gagne, où lon encourage les gens à travailler, où on facilite leurs initiatives et où lon partage ensuite, de façon équitable, les fruits de la richesse. Cest la politique du Président Eltsine, cest la mienne.
QUESTION - Mais la politique de Eltsine sincarne dans un processus très actif de privatisations. A mon sens, cest naturellement très efficace, mais ce qui est étonnant, dans un pays capitaliste comme la France, cest que, récemment, les processus de privatisations ont été suspendus ?
LE PRÉSIDENT - Suspendus, non. Ralentis. Mais je crois que cest une erreur. LEtat na pas de vocation à gérer des affaires qui travaillent sur le marché. Lexpérience prouve que, lorsquil le fait, cela coûte toujours très cher à la Nation. Cest vrai en Russie, cest vrai en France. Et donc, petit à petit, pour tenir compte naturellement des situations sociales, il faut aller vers la privatisation de tout ce qui est commercial, tout ce qui relève du marché.
QUESTION - Quelle est votre attitude vis-à-vis de la participation du capital international au processus de privatisation. On dit souvent que nous sommes en train de brader notre patrie ?
LE PRÉSIDENT - Cest absurde. En France, le tiers, je crois, du capital de nos affaires est un capital étranger, ce nest pas pour autant que nous avons bradé léconomie française. Le monde, aujourdhui, suppose que des investissements puissent se faire. Ce qui est important, cest de développer lactivité économique. Cest de donner du travail à ceux qui en ont besoin. Cest daméliorer le niveau de vie. Cest plus de justice sociale.
QUESTION - Un point intéressant pour nous, les Russes : les impôts. La France est un Etat très fort où le système fiscal est proche de la perfection ?
LE PRÉSIDENT - Non, non, il est trop fort. Il y a trop dimpôts en France. Et cest un élément de paralysie.
QUESTION - Pourquoi, à votre sens, les Français paient-ils leurs impôts ? Cest la peur du châtiment ou ils comprennent quils doivent le faire, sinon il ny aura plus dEtat ?
LE PRÉSIDENT - Naturellement, il y a linstruction civique et les gens comprennent et admettent quil faut payer des impôts. Il y a aussi la peur du gendarme. Et, bien entendu, quand on ne paie pas ses impôts, on est immédiatement poursuivi. Cela aide le sens civique.
QUESTION - Est-il vrai quun grand nombre dhommes politiques et de fonctionnaires sont passés par une école spécialisée et ont travaillé dans des administrations fiscales ?
LE PRÉSIDENT - Fiscales, non, économiques et financières, oui. Nous avons une grande école en France qui forme les administrateurs de lEtat et cest vrai que beaucoup de ces administrateurs, ensuite, ont pris des responsabilités dans le secteur public ou dans le secteur privé. Cela na pas toujours donné de bons résultats. Chacun son métier.
QUESTION - Quelques mots, maintenant, sur votre expérience politique. Les téléspectateurs qui nous regardent vont le faire par le prisme de notre Président ELTSINE, ils se rappellent lhistoire de Gorbatchev, ils ont limpression que le chemin de tout homme politique est semé de trahison. Ceux quil croyait être ses amis lont trahi, dans les moments les plus difficiles, au nom dambition politique?
LE PRÉSIDENT - Cest la vie. Et en particulier la vie politique.
QUESTION - Dites moi, par exemple, Edouard Balladur, que vous avez nommé Premier Ministre, sest présenté indépendamment candidat aux élections et vous a mis dans une position très difficile, vous étiez pourtant des amis très proches ?
LE PRÉSIDENT - Oui, mais vous savez, cest une page aujourdhui tournée. Cest la vie.
QUESTION - Alors, soyons plus proches de la vie. Combien avez-vous de gardes du corps ?
LE PRÉSIDENT - Deux, plus exactement un en permanence qui est toujours avec moi. Ils sont deux pour se partager le travail. Et puis, quand je sors, il y a toujours, je ne sais pas, quatre, cinq ou six personnes qui sont un peu plus loin et qui doivent me surveiller. Je nen sais rien, mais je soupçonne que ce soit le cas.
QUESTION - Pourquoi votre épouse na-t-elle pas de garde du corps ?
LE PRÉSIDENT - Je ne crois pas quelle en ait vraiment besoin. Mais, elle a quelquun qui laccompagne quand cest nécessaire. Mais cest plus pour laider matériellement.
QUESTION - Jai été étonné dapprendre que votre voiture nest pas blindée. Nous avons lhabitude de voir nos Présidents circuler en voiture blindée ?
LE PRÉSIDENT - Oui, cest vrai de la plupart des Présidents. Moi, je naime pas les voitures blindées parce quon ne peut pas ouvrir les fenêtres complètement. Jaime avoir le bras dans une fenêtre ouverte.
QUESTION - Jai appris que vous obligez votre chauffeur, quand vous circulez dans Paris, à sarrêter au feu rouge. Cela va au-delà de ce qui nous est habituel à Moscou lorsque nous voyons des cortèges qui foncent en infraction de toutes les règles.
LE PRÉSIDENT - Ce sont les habitudes. Jai été pendant dix-huit ans Maire de Paris, et je sais que les Parisiens naiment pas les cortèges officiels avec les « pimpons », etc. Alors, moi je marrête au feu rouge comme tout le monde.
QUESTION - Encore un tout petit trait de votre vie, je sais quil y aura à 9h30 une réunion de vos collaborateurs, debouts. Pourquoi debouts ?
LE PRÉSIDENT - Tout simplement parce que cest dans le bureau du Secrétaire Général, cest la tradition, et quil ny a pas la place pour mettre suffisamment de chaises. On peut parler aussi bien debout quassis. Mais, quand moi je fais la réunion avec les principaux membres de mon Cabinet, on est autour dune table, et assis, car il y a tout de même des chaises...
QUESTION - Encore une question portant sur votre vie au Palais de lElysée. Comment va Mascou ?
LE PRÉSIDENT - Il va très bien. Naturellement, comme nous tous, il ne rajeunit pas, mais il est très heureux dans le parc de lElysée.
QUESTION - Pour ceux qui nous écoutent et ne comprennent pas, Mascou, cest le labrador préféré du Président. Nous avons commencé notre entretien en parlant de Pouchkine. Dites-moi quest-ce qui nourrit le plus vos réflexions, votre âme ? Des écrivains, des poètes comme Pouchkine, des poètes lyriques ou bien peut-être Niccolo Machiavel ?
LE PRÉSIDENT - Ni lun, ni lautre. Lorsque je veux trouver une inspiration, je lis plutôt les historiens et notamment lhistoire des civilisations de tous les grands pays, de tous les grands peuples. Cest pour ça que, en particulier, jai appris beaucoup dans lhistoire de la Russie.
Je voudrais, avant que vous ne terminiez cet entretien, profiter de cette occasion pour envoyer un message au peuple russe, qui est un peuple que je respecte et que jaime.
LE JOURNALISTE - Vous pouvez le faire directement en regardant la caméra.
LE PRESIDENT - Dabord, je voudrais envoyer un message damitié, de confiance et de sympathie au Président russe. Pour le reste du monde, il est, sans aucun doute, un homme qui veut faire les réformes qui sont nécessaires pour que la Russie retrouve toute sa puissance et sa gloire et aussi, ce qui est capital, il est un homme de paix.
Je voudrais adresser au peuple russe un sentiment, je lai dit tout à lheure, de respect, destime, damitié et, si vous me le permettez, compte tenu de la nature ancienne et forte de nos relations, je voudrais lui envoyer un message daffection.
Je voudrais enfin adresser un message à la jeunesse russe pour lui dire quelle descend dun très grand peuple, quelle porte en elle-même une très grande civilisation et quelle peut avoir confiance dans son avenir. Elle connaît des difficultés, la jeunesse française aussi, mais elle a, jen suis sûr, en elle-même toutes les qualités, tous les moyens, de surmonter ses difficultés et de sépanouir demain dans une grande Russie. Une Russie moderne, démocratique, pacifique, se développant la main dans la main avec, en particulier, lUnion européenne et en retrouvant la place politique et culturelle qui doit être la sienne dans le monde daujourdhui.
Je suis heureux de venir une nouvelle fois en Russie à partir de demain.
LE JOURNALISTE - Monsieur le Président, nous vous remercions pour le temps que vous venez daccorder à près de 23 ou 25 millions de téléspectateurs russes qui, je lespère, pourront mieux vous connaître en moins dune demi-heure. Je vous souhaite beaucoup de succès et vous remercie.
Cétait « Lheure de Pointe » de Jacques CHIRAC. Demain, Jacques CHIRAC vient à Moscou.
LE PRESIDENT - Bien sûr. Je ferai le maximum.
QUESTION - Dîtes-moi : vous reste-t-il du temps pour vous acquitter de votre rôle de grand-père dans votre famille ?
LE PRÉSIDENT - Oui, quand on est grand-père, et heureux de lêtre, on trouve toujours le temps nécessaire pour soccuper de son petit fils.
QUESTION - Je sais que vous êtes pratiquement le seul homme politique au monde, et même en Russie, à avoir lu tout Pouchkine. En Russie, la politique et les belles lettres, malheureusement, ne sont pas compatibles pour linstant. En France en est-il autrement ?
LE PRÉSIDENT - Dabord, je ne suis pas sûr que ce ne soit pas compatible en Russie. Jai eu beaucoup de discussions sur lart, lhistoire, la civilisation ou la littérature russe avec des hommes politiques russes qui étaient très cultivés.
Deuxièmement lorsque jétais jeune, javais appris le russe et je le parlais bien. Hélas, je lai oublié. Mais cest vrai que jai lu tout Pouchkine en russe et javais même fait une traduction dEvgueni Onéguine quand jétais jeune.
QUESTION - Je sais que vous avez eu également une oeuvre littéraire ? Ce livre de souvenirs, il na pas encore été publié ?
LE PRÉSIDENT - Non, ce nest pas vraiment un livre de souvenirs. Cétait une traduction d"Evgueni Onéguine" et lorsque je lai proposé, javais 18 ou 19 ans, personne na voulu léditer ; et quelques années plus tard, lorsque jétais Premier Ministre, tout le monde voulait léditer. Mais à ce moment là jai refusé.
QUESTION - Il y a beaucoup de traits communs entre la France et la Russie, parfois cen est presque drôle. Votre fille vous a beaucoup aidé pendant les élections, elle travaille maintenant à votre cabinet, cest votre collaboratrice la plus proche, cest la même situation que pour Boris Eltsine. Cependant, on le reproche à Eltsine, quelle est lattitude des Français à légard du poste de votre fille ?
LE PRÉSIDENT - Je crois que la chose est considérée comme naturelle et je ne suis pas sûr quen dehors de quelques milieux médiatiques le peuple russe soit très préoccupé de la présence, de lexcellente présence, de Tatiana à côté de Boris Nicolaïevitch.
QUESTION - Récemment notre Président a dû jouer le rôle darbitre, pratiquement comme dans un match de boxe, entre notre Ministre des Finances et les grands banquiers. Comment réussissez-vous à trouver le juste milieu entre les intérêts de lEtat et du peuple et ceux des grands groupe financiers ?
LE PRÉSIDENT - Je voudrais dabord dire que ce quil y a de commun entre nos deux peuples, cest essentiellement une culture, une alliance historique, et une grande estime réciproque. La capacité aussi, tout au long de lhistoire millénaire de nos peuples de réagir face aux difficultés, de refuser la fatalité.
Cest ce qui crée un lien très fort, un lien historique destime et damitié entre nos deux peuples. Je pense que les réformes engagées par le Président Eltsine sont bonnes et inévitables si la Russie, qui a été stérilisée pendant tant dannées, veut retrouver sa grandeur, cest-à-dire la grandeur dun peuple et dun pays dans les tout premiers du monde.
Donc, le problème nest pas de savoir si on veut faire plaisir aux capitalistes, aux banquiers, aux financiers. Ce nest pas un problème de Boris-Nicolaïevitch. Ce nest pas mon problème. Le problème, cest de donner à léconomie russe lélan nécessaire et donc de faire des réformes qui permettent aux marchés de fonctionner normalement. Au début cest difficile pour tout le monde, mais cela réussira.
QUESTION - En Russie, très souvent, on dit que le marché et le capital deviennent des valeurs absolues, deviennent des objectifs absolus. En tant que Président de la République française, quel est lobjectif que vous vous fixez, quel est votre but principal ?
LE PRÉSIDENT - Cest de créer les richesses nécessaires pour permettre le progrès social, ce qui suppose une bonne répartition de ces richesses après les avoir créées.
Je peux vous dire quaujourdhui, quand je parle avec le Président Eltsine, jobserve quil a exactement le même objectif que moi. Il na pas lintention de favoriser les financiers. Il a lintention de créer, en Russie, les conditions modernes de la production et de la création de richesses, et à partir de là, il veut répartir de façon équitable la richesse au bénéfice de tous les Russes. Nous navons pas de divergences de vue. Simplement la Russie a accumulé un immense retard, elle a été paralysée pendant très longtemps, elle na pas évolué, donc elle se trouve confrontée à la nécessité de réformes difficiles et parfois douloureuses, mais inévitables. Il faut solder le passé.
QUESTION - La mondialisation de léconomie, le nouveau système de sécurité en Europe, ladhésion récente de la Russie au Club de Paris, il y a des processus de renouveau extrêmement importants qui se déroulent en Europe. Questimez-vous être vos résultats personnels dans ces domaines ?
LE PRÉSIDENT - Vous me demandez quelle est ma part de responsabilité dans cette évolution. La mondialisation est inévitable. Chacun doit laccepter, mais il faut éviter deux grands dangers de la globalisation : le premier, cest de laisser certains pays sur le bord de la route parce quils nont pas la capacité daller aussi vite que les autres. Il y a donc la nécessité dune organisation mondiale. Jai beaucoup milité pour lentrée de la Russie dans le partenariat international au rang qui doit être le sien, cest-à-dire le premier. Le G7 sest transformé en G8, il y a lOSCE, il y a le Conseil de lEurope, le Club de Paris aussi, demain lOrganisation mondiale du Commerce. La Russie doit être partout, avec ses responsabilités.
Ce partenariat international doit permettre une bonne évolution équilibrée de lEurope et du monde. De la même façon, je suis pour un rapport entre la Russie et lEurope de plus en plus fort. Jai été à lorigine, je crois pouvoir le dire, dun accord entre lOTAN et la Russie avant lélargissement et la Conférence de Madrid parce que lopinion publique russe, je crois, ne pouvait pas accepter lélargissement sil ny avait pas la garantie que la Russie soit étroitement associée à lOTAN. Cest fait. De la même façon, je souhaite un lien très étroit entre lUnion européenne et la Russie. Et je pense que tout cela peut être facilité par une relation privilégiée entre la Russie et la France. Il y a, je le répète, une très vieille amitié, une très vieille estime entre nous, il faut agir en sorte.
QUESTION - A mon sens, il y a un autre trait commun important qui nous unit : le peuple français et le peuple russe croient volontiers les communistes et les socialistes. On croit que la société peut dépenser plus quelle ne gagne. Pourquoi pensez-vous quen Russie et en France le peuple a tendance à croire les gens de gauche ?
LE PRÉSIDENT - Je ne sais pas ce que vous appelez les gens de « gauche » en Russie. Je crois quen Russie, il y a des gens sérieux et des gens qui ne sont pas sérieux. Cest de plus en plus la même chose en France.
Le sérieux, cest une gestion économique moderne où lon ne dépense pas plus que lon ne gagne, où lon encourage les gens à travailler, où on facilite leurs initiatives et où lon partage ensuite, de façon équitable, les fruits de la richesse. Cest la politique du Président Eltsine, cest la mienne.
QUESTION - Mais la politique de Eltsine sincarne dans un processus très actif de privatisations. A mon sens, cest naturellement très efficace, mais ce qui est étonnant, dans un pays capitaliste comme la France, cest que, récemment, les processus de privatisations ont été suspendus ?
LE PRÉSIDENT - Suspendus, non. Ralentis. Mais je crois que cest une erreur. LEtat na pas de vocation à gérer des affaires qui travaillent sur le marché. Lexpérience prouve que, lorsquil le fait, cela coûte toujours très cher à la Nation. Cest vrai en Russie, cest vrai en France. Et donc, petit à petit, pour tenir compte naturellement des situations sociales, il faut aller vers la privatisation de tout ce qui est commercial, tout ce qui relève du marché.
QUESTION - Quelle est votre attitude vis-à-vis de la participation du capital international au processus de privatisation. On dit souvent que nous sommes en train de brader notre patrie ?
LE PRÉSIDENT - Cest absurde. En France, le tiers, je crois, du capital de nos affaires est un capital étranger, ce nest pas pour autant que nous avons bradé léconomie française. Le monde, aujourdhui, suppose que des investissements puissent se faire. Ce qui est important, cest de développer lactivité économique. Cest de donner du travail à ceux qui en ont besoin. Cest daméliorer le niveau de vie. Cest plus de justice sociale.
QUESTION - Un point intéressant pour nous, les Russes : les impôts. La France est un Etat très fort où le système fiscal est proche de la perfection ?
LE PRÉSIDENT - Non, non, il est trop fort. Il y a trop dimpôts en France. Et cest un élément de paralysie.
QUESTION - Pourquoi, à votre sens, les Français paient-ils leurs impôts ? Cest la peur du châtiment ou ils comprennent quils doivent le faire, sinon il ny aura plus dEtat ?
LE PRÉSIDENT - Naturellement, il y a linstruction civique et les gens comprennent et admettent quil faut payer des impôts. Il y a aussi la peur du gendarme. Et, bien entendu, quand on ne paie pas ses impôts, on est immédiatement poursuivi. Cela aide le sens civique.
QUESTION - Est-il vrai quun grand nombre dhommes politiques et de fonctionnaires sont passés par une école spécialisée et ont travaillé dans des administrations fiscales ?
LE PRÉSIDENT - Fiscales, non, économiques et financières, oui. Nous avons une grande école en France qui forme les administrateurs de lEtat et cest vrai que beaucoup de ces administrateurs, ensuite, ont pris des responsabilités dans le secteur public ou dans le secteur privé. Cela na pas toujours donné de bons résultats. Chacun son métier.
QUESTION - Quelques mots, maintenant, sur votre expérience politique. Les téléspectateurs qui nous regardent vont le faire par le prisme de notre Président ELTSINE, ils se rappellent lhistoire de Gorbatchev, ils ont limpression que le chemin de tout homme politique est semé de trahison. Ceux quil croyait être ses amis lont trahi, dans les moments les plus difficiles, au nom dambition politique?
LE PRÉSIDENT - Cest la vie. Et en particulier la vie politique.
QUESTION - Dites moi, par exemple, Edouard Balladur, que vous avez nommé Premier Ministre, sest présenté indépendamment candidat aux élections et vous a mis dans une position très difficile, vous étiez pourtant des amis très proches ?
LE PRÉSIDENT - Oui, mais vous savez, cest une page aujourdhui tournée. Cest la vie.
QUESTION - Alors, soyons plus proches de la vie. Combien avez-vous de gardes du corps ?
LE PRÉSIDENT - Deux, plus exactement un en permanence qui est toujours avec moi. Ils sont deux pour se partager le travail. Et puis, quand je sors, il y a toujours, je ne sais pas, quatre, cinq ou six personnes qui sont un peu plus loin et qui doivent me surveiller. Je nen sais rien, mais je soupçonne que ce soit le cas.
QUESTION - Pourquoi votre épouse na-t-elle pas de garde du corps ?
LE PRÉSIDENT - Je ne crois pas quelle en ait vraiment besoin. Mais, elle a quelquun qui laccompagne quand cest nécessaire. Mais cest plus pour laider matériellement.
QUESTION - Jai été étonné dapprendre que votre voiture nest pas blindée. Nous avons lhabitude de voir nos Présidents circuler en voiture blindée ?
LE PRÉSIDENT - Oui, cest vrai de la plupart des Présidents. Moi, je naime pas les voitures blindées parce quon ne peut pas ouvrir les fenêtres complètement. Jaime avoir le bras dans une fenêtre ouverte.
QUESTION - Jai appris que vous obligez votre chauffeur, quand vous circulez dans Paris, à sarrêter au feu rouge. Cela va au-delà de ce qui nous est habituel à Moscou lorsque nous voyons des cortèges qui foncent en infraction de toutes les règles.
LE PRÉSIDENT - Ce sont les habitudes. Jai été pendant dix-huit ans Maire de Paris, et je sais que les Parisiens naiment pas les cortèges officiels avec les « pimpons », etc. Alors, moi je marrête au feu rouge comme tout le monde.
QUESTION - Encore un tout petit trait de votre vie, je sais quil y aura à 9h30 une réunion de vos collaborateurs, debouts. Pourquoi debouts ?
LE PRÉSIDENT - Tout simplement parce que cest dans le bureau du Secrétaire Général, cest la tradition, et quil ny a pas la place pour mettre suffisamment de chaises. On peut parler aussi bien debout quassis. Mais, quand moi je fais la réunion avec les principaux membres de mon Cabinet, on est autour dune table, et assis, car il y a tout de même des chaises...
QUESTION - Encore une question portant sur votre vie au Palais de lElysée. Comment va Mascou ?
LE PRÉSIDENT - Il va très bien. Naturellement, comme nous tous, il ne rajeunit pas, mais il est très heureux dans le parc de lElysée.
QUESTION - Pour ceux qui nous écoutent et ne comprennent pas, Mascou, cest le labrador préféré du Président. Nous avons commencé notre entretien en parlant de Pouchkine. Dites-moi quest-ce qui nourrit le plus vos réflexions, votre âme ? Des écrivains, des poètes comme Pouchkine, des poètes lyriques ou bien peut-être Niccolo Machiavel ?
LE PRÉSIDENT - Ni lun, ni lautre. Lorsque je veux trouver une inspiration, je lis plutôt les historiens et notamment lhistoire des civilisations de tous les grands pays, de tous les grands peuples. Cest pour ça que, en particulier, jai appris beaucoup dans lhistoire de la Russie.
Je voudrais, avant que vous ne terminiez cet entretien, profiter de cette occasion pour envoyer un message au peuple russe, qui est un peuple que je respecte et que jaime.
LE JOURNALISTE - Vous pouvez le faire directement en regardant la caméra.
LE PRESIDENT - Dabord, je voudrais envoyer un message damitié, de confiance et de sympathie au Président russe. Pour le reste du monde, il est, sans aucun doute, un homme qui veut faire les réformes qui sont nécessaires pour que la Russie retrouve toute sa puissance et sa gloire et aussi, ce qui est capital, il est un homme de paix.
Je voudrais adresser au peuple russe un sentiment, je lai dit tout à lheure, de respect, destime, damitié et, si vous me le permettez, compte tenu de la nature ancienne et forte de nos relations, je voudrais lui envoyer un message daffection.
Je voudrais enfin adresser un message à la jeunesse russe pour lui dire quelle descend dun très grand peuple, quelle porte en elle-même une très grande civilisation et quelle peut avoir confiance dans son avenir. Elle connaît des difficultés, la jeunesse française aussi, mais elle a, jen suis sûr, en elle-même toutes les qualités, tous les moyens, de surmonter ses difficultés et de sépanouir demain dans une grande Russie. Une Russie moderne, démocratique, pacifique, se développant la main dans la main avec, en particulier, lUnion européenne et en retrouvant la place politique et culturelle qui doit être la sienne dans le monde daujourdhui.
Je suis heureux de venir une nouvelle fois en Russie à partir de demain.
LE JOURNALISTE - Monsieur le Président, nous vous remercions pour le temps que vous venez daccorder à près de 23 ou 25 millions de téléspectateurs russes qui, je lespère, pourront mieux vous connaître en moins dune demi-heure. Je vous souhaite beaucoup de succès et vous remercie.
Cétait « Lheure de Pointe » de Jacques CHIRAC. Demain, Jacques CHIRAC vient à Moscou.