Déclaration de M. Jean-Pierre Masseret, secrétaire d'Etat aux anciens combattants, sur le projet de loi créant le Conseil national des communes "Compagnon de la Libération", au Sénat le 3 mars 1999.

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Texte intégral

Jean-Pierre Masseret, secrétaire dEtat aux anciens combattants. Monsieur le président, monsieur le chancelier, mesdames, messieurs les sénateurs, il est évidemment un peu difficile pour moi dintervenir après M. René-Georges Laurin, sénateur du Var, ancien maire de Saint-Raphaël, qui a évoqué ce quil a vécu, comme M. Lucien Neuwirth et dautres. Jappartiens à une génération qui na pas connu la guerre, qui na même participé à aucun conflit, puisque je suis entré à luniversité à la fin de la guerre dAlgérie. Mais si ma génération, celles qui suivent et les jeunes générations actuelles peuvent tranquillement exprimer leurs revendications dans les rues, si la France est aujourdhui un pays de liberté, une démocratie, si la France peut encore porter son témoignagne universel, centré autour des valeurs de la République - liberté, égalité, fraternité - cest parce quil y a eu des femmes et des hommes tels que ceux dont vous venez dévoquer la mémoire, monsieur Laurin, en « un moment difficile et glorieux », selon lexpression employée tout à lheure par M. le rapporteur, dont la vie est une illustration de cette période.
En effet, Lucien Neuwirth était encore un adolescent quand il a été parachuté aux Pays-Bas, a été pris, a été fusillé et laissé pour mort. Et cest lui qui, aujourdhui, 3 mars 1999, rapporte le projet de loi qui vous est soumis.
La France a connu une période difficile : lannée 1940 fut celle de la défaite, de loccupation, des pleins pouvoirs donnés à Pétain et Laval, de lengagement du processus de collaboration, de la multiplication des drames humains, de la mise en cause de la dignité de la personne humaine. Mais ce fut aussi une période glorieuse, qui est née avec lappel du général de Gaulle, avec le refus héroïque quopposa Jean Moulin aux Allemands. Noublions pas ces hommes et ces femmes qui, en zone occupée, en zone libre, dans tout lempire, se sont relevés, ont refusé la défaite et se sont engagés dans la Résistance.
Cest cette période que nous évoquons, et cest pour moi un honneur de défendre en cet instant ce projet de loi. Jai la chance, ce qui est assez rare dans une assemblée où saffrontent diverses tendances politiques, de présenter un texte qui, je le sais, recueillera lassentiment unanime. En effet, ce soir, nous allons traiter ensemble de la mémoire dune période particulière de notre pays, celle de la Résistance, période au cours de laquelle des hommes et des femmes ont été capables, comme la rappelé Mme Printz, de subordonner leur propre vie, leur destin individuel, au destin collectif et supérieur de la France.
Cest de cela quil sagit ce soir.
Le général de Gaulle ne sy était pas trompé. Dès juin 1940, il manifestait la volonté de distinguer ceux, hommes, femmes, collectivités militaires et civiles, qui allaient sengager derrière lui pour que vive la France, mais une France libre. Ce point de notre histoire a déjà été évoqué ce soir, je ny reviendrai pas. Cest donc, mesdames, messieurs les sénateurs, en novembre 1940, à Brazzaville, quest créé lordre de la Libération, que le projet de loi que je vous soumets ce soir vise à pérenniser, au-delà de la disparition du dernier Compagnon, par la mise en place dune nouvelle structure institutionnelle. Ainsi, cet ordre prestigieux, très strict, totalement égalitaire puisque aucune distinction nest faite entre ses différents membres va subsister.
Je rappelle que 1 036 croix ont été attribuées et quactuellement 167 Compagnons sont encore en vie. Je tiens à ce propos à remercier Lucien Neuwirth davoir fait figurer la liste de tous les Compagnons de la Libération dans son rapport. On peut y lire des noms qui évoquent notre histoire, mais aussi des noms inconnus, et, dans cet anonymat même, cest la France tout entière qui se retrouve, la France libre, la Résistance de lintérieur. Sont également cités Churchill et Eisenhower et, bien entendu, le regretté Maurice Schumann, qui siégait encore, il ny a pas si longtemps sur les bancs de la Haute Assemblée.
La croix de lordre de la Libération a aussi été décernée à cinq collectivités - Nantes, Grenoble, Paris, Vassieux-en-Vercors, lIle-de-Sein - auxquelles il appartiendra dans lavenir de perpétuer la mémoire des Compagnons de la Libération et de toute la Résistance.
Cet ordre exceptionnel était jusquà maintenant géré par les Compagnons de la Libération eux-mêmes. Mais vous avez rappelé, madame, messieurs les sénateurs, que notre destin était mortel et quun cercueil attendait, au mont Valérien, le dernier Compagnon de la Libération. Or lordre dépasse les personnes qui le composent. Ce qui est en cause, cest donc la survie de ce symbole, de cette expression de la Résistance et de la Libération.
Par conséquent, il fallait permettre à lordre de survivre, par delà la mort du dernier Compagnon. Le rapport de M. Lucien Neuwirth et les propos de Mme Printz et de M. Fischer illustrent bien la démarche qui a été adoptée à cette fin. Mais, jy insiste pour quil ny ait pas de malentendu, lordre ne disparaît pas, ce sont ses structures qui changent, avec la création dun établissement public à caractère administratif qui prendra le nom de conseil national des communes « Compagnon de la Libération » et sera placé sous la tutelle du garde des sceaux. Il bénéficiera par conséquent des moyens financiers du ministère de la justice. Ne nous posons donc pas de questions à propos des moyens dont disposera cet établissement pour exister et agir demain : la France nabandonnera pas ce monument de son histoire, quelles que soient les majorités qui présideront à son destin. Lenjeu dépasse en effet lesprit partisan, puisque cest de notre histoire quil sagit et des difficultés que notre pays eut à affronter victorieusement.
Cet établissement devra assumer un devoir de mémoire, gérer le musée de lordre de la Libération, assurer la commémoration de lappel du 18 Juin, date importante de notre histoire sil en est, conserver le souvenir des actions du général de Gaulle, bien évidemment, mais aussi participer à laide morale et matérielle accordée aux Compagnons, à leurs femmes et à leurs enfants, comme les différents intervenants lont précisé. Ce projet de loi est naturellement un texte de nature juridique en ce quil règle la composition et le fonctionnement de létablissement public à caractère administratif, notamment de son conseil national.
Il est ainsi prévu que les personnes physiques qui y siégeront seront, bien sûr, toutes titulaires de la croix de la Libération et que les maires le présideront à tour de rôle aux côtés du délégué national, nommé par le chef de lEtat. Le texte prévoit également les règles relatives à la période transitoire. Avant de conclure, permettez-moi de vous annoncer demblée que les amendements proposés par la Haute Assemblée seront acceptés par le Gouvernement, fort du conseil technique que lui apporte le chancelier de lordre, ici présent, le général Simon.
Ainsi donc, mesdames, messieurs les sénateurs, vous allez améliorer le texte en le rendant plus précis, plus rigoureux, donc plus efficace.
Il suffit maintenant de travailler sur ce devoir de mémoire, et ce en direction des jeunes générations, comme les différents intervenants lont dit, notamment Mme Printz. Ce devoir de mémoire, ce nest pas pour nous, plus anciens, quil est important ; il constitue aujourdhui un élément de lapprentissage de la citoyenneté pour les jeunes générations, qui auront à organiser la vie de notre pays, à en assumer la responsabilité dans le xxie siècle qui sannonce. Elles devront le faire, je le dis toujours, avec, certes, les moyens technologiques, scientifiques et techniques du xxie siècle, en prenant en compte les évolutions culturelles, mais aussi en se rattachant au socle de valeurs que nous leur léguons, aux valeurs de la République, ce pour quoi vous vous êtes engagés, Lucien Neuwirth, René-Georges Laurin, Roger Husson, sénateur de la Moselle... comme bien dautres membres de cette assemblée.
La liberté, légalité, la fraternité, ce ne sont pas simplement trois mots gravés au fronton de nos mairies, de nos écoles. Cette devise nous engage tous dans nos responsabilités quotidiennes quel que soit le niveau où nous les exerçons. Cest le patrimoine de notre pays, cest le message universel quadresse la France et que nous devons faire passer aux jeunes générations. Mais, au-delà de notre pays, cest au sein de la construction européenne que ce message doit se transmettre car, sil est une spécificité propre à la France, que tout le monde lui reconnaît dailleurs, cest bien son rôle de porteur de valeurs universelles.
Les jeunes générations qui vont faire la France de demain ne peuvent ignorer la France du xxe siècle. Elles ne peuvent ignorer le 18 juin 1940. Elles ne peuvent ignorer la période 1940-1945, ni lensemble des sacrifices qui furent consentis par des hommes et des femmes courageux pour que vive la France. (Applaudissements.)
Vote sur lensemble
M. Jean-Pierre Masseret, secrétaire dEtat. Je nai sûrement pas le talent de M. Hamel mais il me semblait avoir dit, depuis la tribune de la Haute Assemblée, ce que je ressentais par rapport à cette histoire.
Je suis le produit de cette histoire et, dans la mission gouvernementale qui mest confiée, à savoir la gestion des intérêts moraux et matériels du monde ancien combattant, je développe et continuerai de développer tout ce travail de mémoire comme apprentissage de la citoyenneté, comme élément constitutif de la citoyenneté française, de lappartenance à cette nation dont les valeurs permettent de dépasser les différences.
Monsieur Hamel, je vous ai entendu. Soyez persuadé que, avec les moyens, sans doute insuffisants, dont je dispose aujourdhui, ce travail de mémoire est la priorité du secrétaire dEtat aux anciens combattants.
Vous le savez, jai engagé une réforme conduisant à linsertion du département ministériel des anciens combattants dans le ministère de la défense. La concrétisation juridique de cette réforme doit intervenir dans quelques jours, dans deux semaines trois au plus tard. Lorsquelle sera entrée dans les faits, je serai effectivement chargé de lensemble du travail de mémoire.
A lintérieur du département ministériel de la défense, croyez-le bien, nous allons tout mettre en oeuvre à la fois pour développer le lien entre la nation et larmée, mais aussi, en relation avec le monde scolaire et universitaire, lenseignement de notre histoire. Il sagit, au sein même de nos structures éducatives, de développer lesprit de défense et, en sappuyant sur lexemplarité du monde combattant, de donner aux jeunes générations des éléments qui leur permettent de construire leur citoyenneté au sein de cette nation, au sein de la République française.
Il ne faudrait pas que le passage au xxie siècle conduise ce pays à oublier la page du xxe siècle. M. Lucien Neuwirth, rapporteur. Très bien !
M. Jean-Pierre Masseret, secrétaire dEtat. Vous mavez entendu mexprimer le soir du 11 novembre à lInstitution nationale des Invalides : vous connaissez donc ma pensée et mes objectifs politiques. Il est hors de question, pour moi, de laisser oublier le xxe siècle. Cest pourquoi nous devons tout mettre en oeuvre pour que ce passé reste vivant, et pour cela tous doivent se mobiliser : non seulement le ministère de léducation nationale, le ministère de la défense, le secrétariat aux anciens combattants - qui évoluera probablement, comme je lai dit - mais encore lensemble des élus. Une politique de la mémoire ne peut pas se bâtir si elle nest pas soutenue concrètement par lensemble de la nation. A cet égard, la définition des contrats de plan Etat région - pardonnez-moi de devenir terre-à-terre - est un rendez-vous important. Il faut que, dans chaque région française, puisse se mettre en place une politique de la mémoire associant les principales collectivités territoriales et lEtat. Il est en effet fondamental que nous nous adressions aux jeunes générations pour quelles aient une claire idée de ce qua été ce pays, des épreuves quil a subies mais aussi des victoires quil a su remporter sur la barbarie, sur ces horreurs quont évoquées MM. Neuwirth et Laurin. Cest ainsi que nous construirons une citoyenneté du xxie siècle, enracinée à la fois sur la connaissance du xxe siècle et sur les valeurs de la République française. Comme vous, monsieur Hamel, je crois que ce pays est fabuleux et quil est porteur dun message universel. Il est de notre devoir de tout mettre en oeuvre pour que ce message soit dabord compris, intégré, puis transmis par les jeunes Françaises et Français. Cest la condition de son rayonnement.
En tout cas, monsieur Hamel, je vous remercie de mavoir en quelque sorte rappelé à cette obligation, mais croyez bien que je navais pas oublié le devoir de mémoire. (Applaudissements.)
(Source http ://www.défense.gouv.fr, le 25 mars 1999)