Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, sur l'importance de promouvoir un renouveau de la politique agricole, la baisse du revenu des agriculteurs et la crise de l'agriculture, la sécurité alimentaire et la réforme de la PAC, Les Sables d'Olonne le 5 avril 2001.

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Circonstance : 55ème congrès de la FNSEA aux Sables-d'Olonne (Vendée), du 3 au 5 avril 2001

Texte intégral

Monsieur le Président de la FNSEA, cher Luc Guyau,
Monsieur le Président de l'Assemblée nationale,
Monsieur le Président du Conseil Economique et Social,
Mesdames, Messieurs,
C'est avec un vif plaisir que je participe, cet après-midi, aux travaux du 55ème Congrès de votre organisation syndicale.
Je remercie votre Président Luc Guyau d'avoir organisé ce tir groupé des trois présidents des assemblées constitutionnelles, Jacques Dermagne, Raymond Forni et moi-même, pour clôturer cette journée de réflexions. Je tiens aussi à féliciter Luc Guyau pour sa brillante élection à la présidence de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture.
Je regretterai son départ de la FNSEA mais je ne doute pas que son remplaçant aura à coeur de poursuivre l'action éclairée et déterminée qu'il a su engager.
Dans les moments difficiles, et même tragiques, que connaissent actuellement les agriculteurs et leurs familles, il est de notre devoir, à nous parlementaires, de venir témoigner de notre solidarité et de vous montrer que vos problèmes sont compris et partagés par la représentation nationale.
Avant de développer plus avant mon propos, je souhaite rappeler que nous savons tous que l'approche agricole française est, pour vous professionnels comme pour nous politiques, la même : celle d'une agriculture productive, compétitive et capable d'exporter, mais aussi celle d'une agriculture de qualité, protectrice de la santé, animant l'espace et préservant les sols et les eaux.
C'est pour ces raisons que la politique agricole de la France doit être ambitieuse : elle doit viser à rendre toute sa dignité à un métier aujourd'hui attaqué par les tenants d'une certaine forme de pensée unique. Pourtant, vous avez su, vous, agriculteurs, et au prix de quels sacrifices, faire évoluer vos pratiques plus profondément que, nombre de corps de métiers, tout en assurant à l'ensemble de notre population, la meilleure alimentation possible et en préservant cet espace rural qui est au coeur de notre identité.
Force est de constater que l'agriculture n'est pas une activité économique comme les autres : le marché ne peut, à lui seul, assurer l'équilibre entre l'offre et la demande : d'une part, à cause des conditions mêmes de production (aléas climatiques, immobilisation des capitaux...) et, d'autre part, du fait de la relative rigidité des besoins des consommateurs. C'est pourquoi, les politiques agricoles et les instruments de gestion des marchés sont plus que jamais nécessaires à l'échelon communautaire, pour faire face au prochain élargissement de l'Union européenne et pour affronter la mondialisation. Or, la politique agricole menée en France, depuis quelques années, ne semble pas à la hauteur de ce double défi.
Elle semble, en effet, reposer sur une vision dogmatique, passéiste et statique, de l'agriculture. Elle apparaît sans ambition et sans perspective d'avenir alors que, dois-je le rappeler, la France demeure une grande puissance agricole.
Une urgente nécessité se fait donc jour : celle de promouvoir un véritable renouveau de la politique agricole, qui passe par une défense de notre modèle français et européen.
Plusieurs indices témoignent de l'absence de souffle et de projet de notre politique agricole qui s'apparente davantage à l'administration de soins palliatifs, fondés sur l'assistance, qu'à un élixir de jouvence basé sur une vision volontariste et futuriste de l'agriculture.
- Première illustration de cette vision dogmatique de l'agriculture : la mise en place des contrats territoriaux d'exploitation (CTE).
Présentés comme la solution miracle, ces contrats devaient permettre, tout à la fois, de renoncer au productivisme et de faire payer les " gros " pour améliorer le revenu des " petits ". Il est loin de la " coupe aux lèvres " et, seulement 1.200 CTE ont été, à ce jour, signés sur les 50.000 prévus pour 2000, soit 2 % de l'objectif visé.
Inadaptation à la réalité, " paperasserie " administrative excessive, complexité des procédures, telles sont les raisons qui expliquent cet échec.
Pour autant, la modulation a été mise en oeuvre mais ce prélèvement d'un milliard de francs sur les aides versées n'a pas été encore distribué. Un milliard de francs, c'est un point du revenu agricole qui disparaît. Une question se pose : que va devenir cette cagnotte ?
- Deuxième manifestation de l'échec de la politique récente : la baisse constante du revenu agricole qui atteint 10 % .
Privilégiant le discours à l'action, les pouvoirs publics se sont bornés à prendre acte de cette baisse du revenu de la " Ferme France ". Pourtant, aucune autre profession n'a connu une telle chute de son pouvoir d'achat au moment même où la croissance revenue -mais pour combien de temps ?- tous les Français pensaient légitimement pouvoir bénéficier de ses retombées.
Les agriculteurs seraient-il les nouveaux exclus de la croissance et de la répartition de ses fruits ?
Quelle activité accepterait de voir diminuer ses prix de 40 % en trois ans, de subir une remise en cause des aides compensatoires à ces baisses, et d'enregistrer des augmentations de charges liées à la crise de l'énergie ou à la montée de contraintes environnementales, tout en restant sur le banc des accusés qualifiés de profiteurs de l'évolution ?
- Enfin, troisième indice, du caractère malthusien de cette politique, on constate, depuis trois ans, une chute de 35 % des installations de jeunes agriculteurs, alors que la charte de l'installation mise en place, en 1995, avait inversé la tendance.
Pour enrayer cette spirale du déclin, qui alimente une véritable crise d'identité du monde agricole, il convient de promouvoir une agriculture plus diversifiée et plus responsable, bref plus citoyenne.
Ce choix passe, tout d'abord, par l'avènement d'une agriculture plus ouverte et plus rentable :
Puisque nos concitoyens demandent aux agriculteurs -qui aspirent de plus en plus à vivre comme les autres-, de leur fournir, en quantité comme en qualité, les produits dont ils ont besoin, les pouvoirs publics doivent, en contrepartie, assurer aux agriculteurs un revenu stable et comparable à celui des autres catégories sociales. Pour aboutir à ce résultat, il est nécessaire, en premier lieu, de réduire et de simplifier les contraintes administratives qui pèsent sur les agriculteurs. Au lieu d'empiler les réglementations, il est préférable de définir un véritable statut de l'entreprise agricole. Ce statut devra prendre en compte les spécificités de l'entreprise agricole, son immersion dans la concurrence internationale et sa dépendance à l'égard des aléas conjoncturels et climatiques.
Cette innovation doit s'accompagner d'un volet juridique et fiscal, en vue de combler le décalage qui s'est instauré entre un droit rural largement patrimonial et des exploitations agricoles qui sont devenues de véritables entreprises ; mais il doit comporter également une dimension sociale, notamment pour les retraites. En effet, il apparaît normal que les agriculteurs, qui ont participé à la modernisation et à l'enrichissement de notre pays, bénéficient d'une protection équivalente à celle des autres secteurs de l'économie.
* Il faut également faciliter l'accès des ruraux aux nouvelles technologies (réduire la fracture numérique) et aux biotechnologies, en s'entourant de toutes les précautions et en faisant oeuvre de pédagogie auprès des consommateurs.
* Il convient aussi de diversifier les débouchés et d'en chercher de nouveaux : cette démarche ne peut s'accomplir qu'en partenariat avec les acteurs locaux, pour ce faire, il est important de veiller à ce que les collectivités territoriales aient les moyens de s'engager dans cette politique agricole, qui sera obligatoirement placée sous le signe de la décentralisation et de la subsidiarité.
* Enfin, il est nécessaire d'offrir aux agriculteurs des conditions équitables de concurrence sur le marché mondial, en réduisant leurs charges et en apportant une aide spécifique aux régions qui subissent des handicaps naturels, comme les zones de montagne .
Mais au-delà de ces outils traditionnels, il convient de mettre en place de nouveaux instruments comme le développement de l'assurance récolte par exemple, instrument parfaitement adapté aux aléas de l'activité agricole.
Sur la route qui doit conduire à une agriculture responsable, la prise en compte de l'environnement et de l'aménagement du territoire apparaît essentielle.
* En effet, l'agriculture doit prendre pleinement conscience du rôle fondamental qu'elle tient dans l'aménagement de notre territoire.
La contribution de l'agriculture à notre produit intérieur (une fois et demi celle de l'industrie automobile) est très loin d'être mineure mais c'est surtout en terme de gestion de l'espace qu'elle s'avère déterminante.
Ainsi l'agriculture est la première gestionnaire de notre territoire de cet espace rural qui ne peut être, là encore, régulé par la seule loi du marché.
Aucune politique n'a autant d'impact sur le visage de notre pays que la politique agricole : c'est influer sur les deux tiers de notre territoire. A cet égard, il ne faut jamais oublier que l'objectif recherché est de concilier, sur le terrain deux types d'usages : l'usage agricole proprement dit, usage d'abord et avant tout de production et l'usage qu'en font les non-agriculteurs qui est avant tout un usage de loisirs.
Si, le respect de l'environnement n'est pas une donnée nouvelle pour les agriculteurs, il devient une exigence qui s'est considérablement renforcée au cours des dernières années. Les agriculteurs, dans leur majorité, ont déjà intégré cette dimension, mais il faut aller plus loin et maîtriser certaines productions pour mieux protéger l'environnement et, en particulier, l'eau.
En matière de sécurité alimentaire, il convient aussi d'être extrêmement vigilant sans toutefois céder à une quelconque psychose.
Les crises alimentaires, si nous n'y prenons pas garde, seront les crises majeures de demain.
Je souhaiterais m'arrêter à ce propos quelques secondes sur la crise de la fièvre aphteuse, sujet auquel le Sénat consacrera un débat, dans le courant du mois d'avril, qui sera le prélude à la constitution d'une mission d'information sur ce sujet et, en particulier, sur le problème de la vaccination.
La fièvre aphteuse n'est dangereuse, doit-on encore le rappeler, ni pour l'homme, ni pour les animaux ; la bête malade peut être guérie. Je me souviens comme nombre d'entre vous, qu'autrefois, avant la mondialisation de l'agriculture, cette maladie apparaissait régulièrement dans les campagnes françaises. Comme elle n'affectait que de petits troupeaux au sein d'exploitations agricoles diversifiées, le manque à gagner provisoire était compensé par une autre activité et les agriculteurs prenaient le temps que l'animal se refasse une santé.
Mais aujourd'hui, on brûle, pour des motifs économiques, des troupeaux entiers d'animaux sains puisque hélas le fatalisme de nos anciens n'est plus envisageable dans des exploitations ultra-spécialisées où le manque à gagner causé par la maladie est devenu insupportable.
Je ne peux que déplorer ce véritable holocauste effectué avant tout pour des raisons économiques et dont les conséquences pour les éleveurs, sont d'autant plus dramatiques que l'indemnisation des animaux est insuffisante. Les agriculteurs n'ont plus de trésorerie et j'ai peur des conséquences psychologiques et humaines de ce drame, malgré la levée partielle de l'embargo décidée il y a trois jours. Les agriculteurs ne doivent pas être les éternels sacrifiés de toutes les crises.
Je suis étonné, pour ne pas dire attristé, de l'absence de réaction commune de la part de l'Union européenne ; en effet, les choix de traitement par la Grande-Bretagne, par les Pays-Bas ou par la France se font dans un manque total de coordination.
Je suis persuadé que l'abattage n'est pas une fatalité. Il faut donc lancer une réflexion pour revenir sur la décision prise au début des années 1990 par les ministres européens de l'agriculture prônant l'abattage systématique des troupeaux en cas de fièvre aphteuse.
Au sortir de la crise actuelle et afin d'en prévenir une nouvelle, il sera indispensable de réfléchir à une troisième forme de vaccination qui ne soit ni celle préventive qui interdit toute exportation du bétail, ni celle d'urgence ou suppressive qui, comme son nom l'indique, contraint à l'abattage des animaux dans un délai de deux mois après la vaccination. Je sais qu'il existe aujourd'hui un vaccin, contenant une protéine, qui rend ainsi possible la détection du virus et garantit ainsi la qualité sanitaire des animaux exportés.
De ce fait, paraît-il opportun de refuser les progrès de la science pour des raisons financières qui ne paraissent pas toujours justifiées ? Ces bûchers m'apparaissent d'un autre âge, où l'obscurantisme le disputait à l'intolérance, ils choquent, à juste titre, par leur brutalité les citoyens que nous sommes.
Pour revenir aux autres crises sanitaires, et plus particulièrement à celle de l'ESB (la " vache folle "), qui n'a, je le rappelle, rien à voir avec la précédente, elles sont révélatrices de l'urgence qui s'attache à la préservation d'un équilibre entre la protection du consommateur et sa quête du meilleur prix, pour lui.
Ce n'est pas, contrairement à ce que l'on entend trop souvent aujourd'hui, le productivisme qui est la cause de tous les maux : c'est plutôt le choix de faire peser une pression constante sur les prix alimentaires qu'il faut remettre en question. Il convient donc, avant toute chose :
* d'éviter que ne se développe, dans les années qui viennent, une alimentation à deux vitesses ;
* de soutenir les politiques de qualité et les rendre plus lisibles par le consommateur, quel que soit le mode de consommation envisagé (petites et grandes surfaces, cantines, restauration rapide...) ;
* enfin, de définir un plan de développement des cultures oléagineuses et protéagineuses en France et en Europe, afin de réduire notre dépendance en protéine végétale et de ne pas nous exposer à des importations peu ou mal contrôlées.
Toutes ces propositions sont conditionnées à un préalable incontournable : l'indispensable réforme de la politique agricole commune.
En tant que première puissance agricole de l'Union, la France ne peut rester en dehors du débat sur la nécessaire refondation de la PAC. S'il est aujourd'hui trop tôt pour évoquer dans le détail les réformes à adopter, il paraît, en revanche, indispensable de définir les objectifs que nous voulons voir assigner à la nouvelle PAC notamment en permettant l'avènement d'une agriculture durable non seulement au sens écologiste de ce concept mais aussi dans toute sa dimension économique et sociale.
Pour ma part, j'ouvrirai, devant vous, trois pistes de réflexion :
* Première réflexion : l'heure n'est-elle pas venue de préconiser l'instauration d'une véritable politique de soutien des revenus agricoles (à l'exemple des Etats-Unis) et donc de rompre avec l'actuelle politique agricole commune de compensation de la baisse des prix par l'octroi de subventions ?
Ainsi les agriculteurs auraient-ils d'autres solutions que d'augmenter sans cesse la productivité - prenons garde à ce propos à ne pas confondre productivisme et productivité !- et de glisser vers une agriculture industrielle, trop souvent synonyme de moindre qualité des produits.
* Deuxième réflexion : il m'apparaît indispensable que la nouvelle PAC prenne mieux en compte les préoccupations des consommateurs en matière d'environnement et de qualité.
En effet, les crises alimentaires ont révélé un hiatus, certes exagéré par les médias, mais réel, entre la vision que les agriculteurs ont de leur métier et les attentes affichées par les Français et les Européens dans des domaines aussi divers que la qualité, la sécurité, voire la reconquête des paysages et de l'environnement.
* Enfin, dernière réflexion : il faut, d'ores-et-déjà, appréhender toutes les conséquences de l'élargissement de l'Europe aux pays de l'Est :
Il apparaît nécessaire, à ce propos, de trouver un accord encadrant le mieux possible les dérives -hélas inexorables- de renationalisation des politiques agricoles et permettant d'endiguer toute renonciation rampante de l'idée d'intégration européenne au profit d'un simple espace de libre échange.
Pour conclure mon propos, comment ne pas reprendre le mot d'Edgar FAURE, homme politique remarquable, qui fut, je vous le rappelle, un grand ministre de l'agriculture, il disait : " d'abord continuer, ensuite commencer " ; je trouve cette formule particulièrement adaptée à la politique agricole commune. Au lieu de revenir sur les orientations arrêtées au sommet de Berlin, et valables jusqu'en 2006, appliquons-les, déjà pleinement et évitons de changer les règles du jeu tous les deux ans ; même si je le répète, il faut préparer, dès maintenant, les inéluctables évolutions de la PAC.
Nous devons être ambitieux pour notre agriculture. Il y va de notre place en Europe, de notre prospérité économique mais aussi de la préservation de notre environnement, de la qualité de nos produits et de la sécurité de nos concitoyens. Notre modèle agricole ne demande qu'à se développer et à s'exporter : sachons lui donner toutes ses chances.
Je vous remercie de votre attention.
(Source http://www.senat.fr, le 12 avril 2001)