Interview de M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, à "Europe 1" le 17 mars 2009 sur le maintien du bouclier fiscal considéré comme une mesure de justice, malgré le contexte de crise économique, le malaise social et les voix discordantes dans la majorité.

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Média : Europe 1

Texte intégral

M.-O. Fogiel.- Vos réponses sont très attendues ce matin : faut-il taxer davantage les riches en cette période de crise ? L'idée vient de la droite, P. Méhaignerie notamment. Faut-il par exemple renoncer au bouclier fiscal, comme le demande également, D. de Villepin ce matin, qui voudrait un retour en arrière, le repasser de 50 à 60 % en ces temps de crise ?

Le bouclier d'abord, c'est juste, c'est une mesure de justice fiscale tout simplement, parce que le bouclier fiscal c'est tout simplement dire à des gens, à des Français qu'ils ne travailleront pas un jour sur deux pour l'Etat. Donc c'est des Français qui paient déjà beaucoup d'impôts et il est logique que dans l'impôt, il y ait un plafonnement à cet impôt.

Mais est-ce que vous ne voulez pas le plafonner à 60 % plutôt que 50 %, comme le demande D. de Villepin ?

On peut faire varier tous les pourcentages qu'on veut. Il y a deux ans, on a arrêté ce bouclier fiscal à 50 %, on ne va changer d'avis tous les quatre matins. Ce serait véritablement une erreur.

Donc vous le laissez à 50 % ?

Bien sûr, on maintient le bouclier fiscal, parce que c'est une mesure de justice comme l'est d'ailleurs une mesure de justice le plafonnement des niches fiscales, c'est-à-dire, l'impossibilité aujourd'hui de s'extraire de l'impôt, tout simplement en bénéficiant d'une niche fiscale, ça nous l'avons fait.

Mais quand G. Larcher, le président du Sénat, a déclaré "le débat sur la remise en cause du bouclier fiscal doit être ouvert pour des questions de solidarité", à droite, vous n'êtes pas du tout solidaires de la même façon ?

Non, je ne suis d'accord avec ça, avec toute l'amitié que j'ai pour G. Larcher, parce que je suis persuadé qu'il faut des mesures qui soient justes. Les mesures qui sont justes, c'est évidemment le bouclier fiscal dans le domaine fiscal, c'est-à-dire plafonner, en réalité, le taux de pression fiscale. Si vous ne plafonnez pas le taux de pression fiscale, les gens s'en vont ! Et on voit bien que dans les statistiques que l'on a publiées aujourd'hui ou hier, on voit bien qu'il y a des gens qui, aujourd'hui, reviennent en France, donc reviennent avec leurs capitaux, avec leurs investissements et qu'il y a moins de gens qui s'en vont. Il y a aujourd'hui 15 % de gens en moins qui s'en vont, et 10 % de gens qui reviennent.

Donc vous gardez ce bouclier fiscal à 50 %, un symbole fort du quinquennat. Est-ce que vous voulez créer une tranche d'impôt supplémentaire, comme c'est le cas en Angleterre et aux Etats-Unis en ces temps de crise. En France, 40 %, pourquoi pas 45 % pour des hauts revenus. Vous avez entendu P. Méhaignerie, il parle de "au-dessus de 300.000". Est-ce qu'il y aura une tranche d'impôt supplémentaire, puisqu'il faut faire rentrer...

On a réduit les tranches d'impôt il y a maintenant 3 ans, ce n'est pas pour les ré-augmenter aujourd'hui.

Mais entre temps, il y a eu la crise...

Il n'y a pas un yoyo fiscal, on ne change pas d'avis tous les quatre matins, même avec la crise. Il faut simplement que l'on ait de la cohérence, et la cohérence, c'est à la fois d'aider les plus modestes, faire en sorte qu'il y ait une moralisation des rémunérations, faire en sorte que l'on puisse verser aujourd'hui une prime, notamment pour les jeunes, pour ceux qui n'ont pas de droits ouverts à l'assurance chômage ; supprimer les deux tiers de l'impôt sur le revenu pour les contribuables les plus modestes, ça, c'est très important et puis, en même temps, il faut évidemment faire en sorte que ceux qui ont le plus de revenus paient un impôt très important, c'est le cas en France, mais en même temps, soit plafonné. Donc voilà des mesures de cohérence.

Mais comment vous récupérez de l'argent ?

Il ne faut pas monter les Français les uns contre les autres, c'est trop facile.

Mais comment vous récupérez de l'argent, puisque N. Sarkozy s'était dit intéressé par la création d'un fonds d'investissement social, notamment pour la formation des jeunes, proposé par la CFDT, de 500 à 700 millions.

Il est créé...

Mais comment vous le financez ?

Il va être financé comme l'est le plan de relance, c'est de la dépense publique, donc par de la dette.

Mais vous, E. Woerth, vous ne vouliez pas en faire de la dette, vous étiez garant de la dette publique. Donc aujourd'hui, vous être pour ?

Je suis très bien placé pour vous dire que la dette publique, bien évidemment, c'est excessivement important. Je suis bien placé pour vous dire aussi qu'il faut revenir à un moment donné à l'équilibre de nos finances publiques, à l'assainissement de nos finances publiques. C'est une préoccupation absolument constante. Mais une crise, qu'est-ce que c'est ? Une crise, c'est au fond, et un plan de relance et des plans de relance partout dans le monde, qu'est-ce que c'est ? C'est de la dépense publique qui se substitue à de la dépense privée. Et on s'aperçoit que dans le déficit français...

Sauf que partout dans le monde, aux Etats-Unis et en Angleterre, on augmente les impôts, une tranche supplémentaire...

Parce que les impôts sont plus bas, parce que les impôts sont beaucoup plus bas ! Pour la bonne raison que la France est un des pays où on impose le plus. Donc, bien évidemment, ils ont plus de marges de manoeuvre, de la même manière qu'ils augmentent leurs prestations sociales parce qu'il y a très peu de protection sociale. Aujourd'hui, en France, on a un système de prestations sociales très élevé, et de l'autre, on a un système d'imposition très élevé. Donc il faut être cohérent, il ne faut pas changer d'avis tous les quatre matins.

D'accord, donc vous tenez le cap...

Il ne faut de bouc émissaire, vous savez les jeunes contre les vieux, les riches contre les pauvres, les ruraux contre les...

Est-ce que vous supprimez l'ISF ?

L'ISF sera évidemment pas supprimer. L'ISF, c'est aussi un principe de justice fiscale important dans notre pays. Le patrimoine, en lui-même, il doit être taxé, il doit être taxé raisonnablement mais il doit être taxé. Et cet ISF, il rentre dans le bouclier fiscal, et à un moment donné, quand vous payez plus d'un jour sur deux, quand vous travaillez plus d'un jour sur deux pour l'Etat, eh bien à un moment donné, l'Etat dit "vous êtes plafonné". C'est normal, c'est juste et c'est efficace. Ne confondons pas tout, c'est trop facile en ces temps de crise de vouloir tout confondre, il faut au contraire une politique cohérente et persévérante.

En même temps, manifestement, c'est à droite aujourd'hui, qu'il y a des voix dissonantes. Par ailleurs, la TVA, on le sait, le président veut qu'elle descende à 5,5 % dans la restauration. Vous étiez contre au début ; quand on est ministre du Budget, on doit savoir avaler son chapeau ?

Je n'étais pas contre, j'ai dit ce que j'avais à dire là-dessus. Je pense que c'est à partir du moment où il y a... Vous savez, la parole politique, elle est très importante. Cela fait sept, huit ans que la France se battait pour obtenir un taux de TVA pour nos restaurateurs, aujourd'hui, on l'a, donc on doit s'en réjouir et faire en sorte, d'une certaine façon, qu'il y ait une contrepartie.

C'est quoi la contrepartie ?

La contrepartie c'est de l'emploi.

Vous vérifierez comment ?

Il va y avoir une discussion, elle s'ouvre aujourd'hui ou demain. Le président de la République a fixé les règles du jeu. Il faut qu'il y ait une contrepartie, à la fois sur l'emploi, à la fois sur les prix. Il faut que le consommateur voie concrètement...

Parce que sinon, ça fait un trou dans la caisse, on est d'accord ?

Cela fait 2,5 milliards de moins dans la caisse aujourd'hui en direct. Peut-être les rattraperons nous par les emplois créés ou par la consommation faite. Je suis allé il y a six ans, comme député, avec le ministre du Commerce de l'époque, en Allemagne avec d'autres députés pour essayer de vendre cette diminution de la TVA dans la restauration. Vous vous rendez compte aujourd'hui, le temps, la persévérance qu'ont mis les autorités françaises ! Donc aujourd'hui, il faut considérer que c'est une bonne nouvelle, une bonne nouvelle pour l'emploi.

Et on y est arrivés... Pour terminer, jeudi, grosse journée d'action, évidemment. Y aura-t-il des mesures supplémentaires ? Le Gouvernement a dépensé tout ce qu'il pouvait dépenser ou alors est-ce que vous en donnerez plus ?

Nous avons déjà écouté, nous avons déjà beaucoup écouté...

...Mais ça n'a pas suffi, puisque, apparemment, les gens sont dans la rue.

Moi, j'appelle à l'union d'une certaine façon. Je crois véritablement qu'à un moment donné, dans la crise, il faut dépasser ses propres difficultés, il faut les prendre en compte, il faut écouter et en même temps, il faut chercher à se rassembler un maximum, mais pas dans la rue, dans les coeurs. Il faut faire en sorte que les Français puissent se battrent les uns avec les autres contre la crise. C'est la seule façon aujourd'hui de sortir de ces menaces contre l'emploi et contre tout ça.

En tout cas, vous ne lâcherez rien jeudi ?

On a déjà beaucoup écouté, beaucoup donné, beaucoup dit, beaucoup entrepris. Il faut surtout que le plan de relance, les plans de relance, les initiatives de relance se mettent en place. C'est ça la réalité. Il faut que cela se traduise concrètement.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 17 mars 2009