Interview de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, à "LCI" le 13 mars 20069, sur la préparation du G20, sur le débat sur les paradis fiscaux et sur la baisse de la TVA dans la restauration.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

C. Barbier.- C. Lagarde, bonjour.

Bonjour, C. Barbier.

Pour commencer, le prix du gaz baissera-t-il au 1er avril, de 10 %, affirme Le Figaro, ce matin, c'est vrai ?

Je ne suis pas sûre d'avoir vu 10 %, je crois qu'il parle de entre 7 et 10. Je crois que ça résume bien le point de la situation. Il y aura certainement une baisse, elle est attendue, elle correspond à une baisse du prix du pétrole et des matières énergétiques, en général. De combien ? C'est une décision qui sera prise sans aucun doute par le Premier ministre sur recommandation de l'organe de régulation.

Au moins 7 ?

La baisse : certaine ; le taux : attendez un peu !

Aujourd'hui s'ouvre à Londres le Sommet préparatoire au G20 de la fin du mois. Pourquoi les Européens s'opposent-ils ainsi aux désirs des Américains qui veulent plus de relance ?

On ne s'oppose pas, on n'a pas tout à fait les mêmes priorités au même moment. Je crois qu'on a, tous, la priorité de la relance en tête. Seulement, nous, les Européens, on l'a mise en oeuvre un tout petit peu plus tôt, c'est-à-dire qu'en Allemagne, en Grande-Bretagne, en France, nous avons mis en place nos plans de relance et des plans de relance qui comportent plusieurs éléments. Je vous rappelle : financement des PME, la relance proprement dite avec les 1 000 projets sur le territoire français, le soutien social au titre de l'indemnisation du chômage partiel, et autres mesures. Donc, c'est un plan global de 50 milliards d'euros qui est en route, qui marche, qui fonctionne déjà. Aux Etats- Unis, ça a pris plus de temps ; ils viennent d'obtenir le vote du Congrès et ils sont dans le début de la mise en oeuvre, c'est pour ça qu'ils disent « de la relance, de la relance ». Nous on l'a fait la relance.

Ca bouge aussi du côté des paradis fiscaux, c'est l'un des sujets de ce G20, sauf à Monaco. Alors, que pouvez-vous faire ? Monaco c'est quand même la France qui a le droit de regard pour que ça bouge à Monaco.

Ce qui est formidable, c'est que ça bouge. Quand on a commencé à parler de la transparence fiscale, quand le président de la République, N. Sarkozy a dit « il ne peut plus y avoir de trous noirs de la finance, on ne peut pas laisser des territoires comme ça hors champ », tout le monde est resté tranquillement dans son petit coin, a fait le mort, baissé la tête en se disant, « ça va être comme d'habitude, on en parle mais on ne fait rien ». Et là, on fait. on est en train d'identifier les critères, de déterminer les listes, et vous avez noté que Andorre, le Liechtenstein, la Belgique plus récemment, Singapour, ont annoncé qu'ils étaient en train de réviser complètement leurs règles et de remettre en cause ce qu'ils appelaient le secret bancaire.

Et à notre porte, Monaco, rien ! Vous négociez en secret ? Ca avance ?

Ne renonçons à rien.

D. Migaud, président socialiste de la Commission des finances, propose de ne plus financer les banques françaises qui ont des succursales dans les paradis fiscaux. C'est une bonne idée ? Vous retiendrez cet amendement ?

Les idées de D. Migaud sont toujours intéressantes. Je ne suis pas sûre que celle-ci soit la meilleure. Je crois qu'il faut qu'on fasse très attention à deux choses : distinguer entre paradis fiscaux proprement dits, c'est-à-dire les territoires qui nous empêchent de mettre en oeuvre notre régime fiscal à nous ; deuxièmement, les centres non coopératifs sur le plan bancaire, c'est-à-dire les pays qui ne nous envoient pas d'information sur l'argent qui entre et l'argent qui sort ; et enfin, les pays qui favorisent le blanchiment des capitaux, ce qui est évidemment extrêmement grave. Donc, il faut distinguer entre les trois et selon les situations appliquer des sanctions, prendre des mesures particulières et demander à nos établissements financiers, dans le monde entier - il ne faut pas établir de discrimination entre les banques françaises d'un côté et les autres, les banques européennes et les américaines, il faut que tout le monde joue le jeu - leur demander de cesser d'avoir des relations avec ceux des pays qui ne souhaiteraient pas se mettre en règle avec la coopération, c'est-à-dire la transparence de l'information, la fourniture de l'information.

B. Madoff dort en prison, incarcéré à la sortie de l'audience, hier Est-ce justice ?

C'est la justice américaine.

Elle est brutale ?

Oui, elle est brutale. Elle est brutale et les peines, les sanctions pénales et les peines de prison sont prononcées dans des affaires de ce type - dans des affaires financières, économiques - de manière extrêmement rapide, surtout dans des mécanismes où la personne plaide coupable.

Les victimes françaises de Madoff ont-elles un espoir d'être un jour en partie indemnisées ? Est-ce que vous pouvez faire quelque chose ?

Je serais étonnée qu'ils puissent obtenir indemnisation auprès de Monsieur Madoff. En revanche, je pense qu'il y a d'autres champs à explorer, qu'ils explorent d'ailleurs, notamment en ce qui concerne les dépositaires, c'est-à-dire les institutions qui ont effectué les opérations et placé pour le compte de ces épargnants. Je crois que là il y a des pistes sérieuses à explorer.

Dans Les Echos, ce matin, vous approuvez le pronostic relativement positif de J.-C. Trichet, le patron de la Banque centrale européenne, qui prévoit une reprise au début de 2010. Alors, pourquoi cet optimisme ?

Non, je n'ai pas dit au début de 2010, j'ai dit courant 2010.

Voilà.

Ce qui est quand même une différence.

C'est un peu de la méthode Coué, quand même, non ?

Non, non, non, non, ce n'est pas du tout de la méthode Coué. Je crois qu'il y a un certain nombre de facteurs qui amèneront à une reprise courant 2010. Je pense que les phénomènes de déstockage massif qu'on constate aujourd'hui entraîneront nécessairement des phénomènes des phénomènes de restockage. Je pense que les plans de relance concertés à travers le monde qui injectent en Europe plus de 3 % de produit intérieur brut dans l'économie sous forme de financements, vont produire des résultats. Et je suis personnellement plus proche de J.-C. Trichet que d'autres Cassandre beaucoup plus pessimistes.

Par exemple, D. Strauss-Kahn et le FMI très pessimistes. Pourquoi ce pessimiste ? Pour récolter plus d'argent, que le FMI soit doté par les Etats, c'est ça ?

Je crois que c'est une question sérieuse. La dotation du Fonds Monétaire International c'est une question sur laquelle nous avons, nous, les Européens, un point de vue commun : il faut augmenter la dotation du FMI. Le président de la République l'avait soutenu le 15 novembre à l'occasion de la réunion du G20, il faut absolument que le FMI puisse aider les Etats émergents, les Etats les moins avancés à se financer parce que l'investissement est en train de se retirer de ces pays. Il faut absolument les soutenir, les aider et que le Fonds soit bien doté. Ca c'est une chose. Deuxième chose, les prévisions. Je crois qu'il y a beaucoup de prévisionnistes aujourd'hui qui ajoutent un petit facteur moins à leurs prévisions tout simplement pour être sûrs d'être dans la bonne ligne et ne pas se tromper.

Alors, il y a les prévisions, il y a les réalités : -13 % en février sur les ventes d'automobiles en France par rapport à l'an passé, +21 en Allemagne. Est-ce qu'on a sous-calibré notre prime à la casse ? On aurait dû donner plus d'argent comme en Allemagne.

On a commencé bien avant l'Allemagne. Lorsque le président de la République et le Premier ministre ont lancé le pacte automobile sur lequel L. Chatel et moi-même avons travaillé, lorsqu'on a mis en place avec J.-L. Borloo le bonus-malus, puis la prime à la casse, beaucoup d'Européens nous regardaient d'un oeil un peu suspicieux, en se disant : « Ouh la, la ! Ces Français qu'est-ce qu'ils sont en train de faire ? ». Et puis, qu'est-ce qui s'est passé ? Les Italiens ont fait la même chose, les Allemands font la même chose. Alors, les Allemands comme ils arrivent un petit peu derrière nous ont doté de manière beaucoup plus forte puisque leur prime à la casse est de 2 500, mais ils n'ont pas le système du bonus-malus. Nous, si on ajoute le bonus + la prime à la casse, on arrive à des sommes à peu près avoisinantes. Donc, c'est très bien que les Allemands fassent ça. C'est d'autant mieux qu'ils favorisent l'achat de véhicules plus propres. Cela favorise des plus petits véhicules, notamment des véhicules français.

Les salariés de Continental envisagent d'aller en justice contre leur employeur propriétaire. L'Etat sera-t-il à leurs côtés ?

Ecoutez, les parties intéressées directement aujourd'hui dans cette affaire-là ce sont effectivement les salariés. Il y a des instances, notamment prud'homales ou tribunal de grande instance, selon les cas, qui sont compétentes. Je crois qu'il faut laisser la justice examiner les situations et prendre les décisions appropriées.

Vous êtes choquée quand même de ces annonces brutales ?

Sur Continental, je suis choquée par la manière dont la situation se déroule parce que nous somme en dialogue depuis plusieurs jours déjà avec Continental, et nous avions alerté Continental sur : un, la gravité de la situation ; deux, la nécessité de prendre des mesures d'accompagnement , trois, les obligations de revitalisation, évidemment ; quatre, nous avons dit « les pouvoirs publics français sont à vos côtés pour explorer toutes les solutions possibles, les aménagements, les solutions de reprise partielle si nécessaire, etc. ». Et je suis étonnée de la vitesse avec laquelle cette situation est en train d'évoluer.

Cela veut dire que les investissements étrangers en France, globalement, ne se sont pas maintenus en 2008 et vont s'effondrer en 2009 ?

Vous parlez des investissements directs étrangers ?

Oui.

Je commente tout à l'heure les chiffres de l'année 2008 qui sont de bons chiffres, qui mettent la France en deuxième position. La France est le deuxième pays d'accueil des investissements directs étrangers, plus de cent milliards ont été investis en France en 2008. Cela contribue à la création de 32 000 emplois.

Deuxième en Europe.

Deuxième en Europe, absolument. On parle beaucoup des fermetures, des retraits, etc., il faut aussi parler des créations, des investissements directs - je suis contente que vous me donniez l'occasion de le faire - c'est 32 000 emplois créés en 2008.

Faut-il baisser la TVA restauration à 5,5 ou se contenter de 10 ou 12 ?

Premièrement, et ça c'est un principe assuré, elle pourra baisser. J'étais à Bruxelles mardi et nous avons ferraillé, bataillé, et passé des heures et des heures, enfermés pour parvenir à un accord. L'accord maintenant nous l'avons. Sur le plan européen, il n'y a plus d'obstacle à ce que n'importe quel pays maintienne les taux bas sur les travaux à domicile, sur les services à la personne et sur la restauration, qui était, vous le savez, un long combat de la France.

Ca va créer des emplois ?

Une promesse faite par le Président Chirac, tenue par le Président Sarkozy, et sur laquelle il faut que tout le monde soit gagnant. Donc, il faut que le secteur de la restauration bénéficie d'une baisse de la TVA et puis il faut qu'on contrepartie, comme le président Daguin son temps l'avait promis, que la restauration fasse aussi des efforts dans le domaine de l'emploi, dans le domaine des grilles de salaires, et puis dans le domaine des prix. Il faut que vous et moi nous puissions en profiter quand on va prendre notre café sur le zinc ou quand on prend un plat du jour.

Sur l'addition. P. Méhaignerie ce matin, dans Les Echos aussi, de sortir la CSG, la CRDS, du calcul du bouclier fiscal, d'augmenter l'impôt des hauts revenus, plus de 300 000 euros. D'autres, comme P. Marini, de créer une tranche d'impôt supérieure sur le revenu à la place de l'ISF. Vous travaillez sur toutes ces pistes ? On va augmenter l'impôt des riches ?

D'abord, je me réjouis que les parlementaires fourmillent d'idées. Ce sont des parlementaires de grande qualité. Vous parliez de P. Méhaignerie, P. Marini...

... seront-ils écoutés ?

J. Arthuis... Bien sûr qu'ils sont écoutés, et nous allons lancer à la fin du mois une conférence de consensus pour réfléchir à toutes ces questions d'imposition du patrimoine, en particulier.

Ca peut augmenter au nom de la solidarité.

Alors, je crois qu'il faut être prudent, être raisonnables, on ne va pas totalement chambouler le paysage fiscal français dans la nuit, ça ne sera pas le Grand Soir de la fiscalité, mais sur des questions comme la taxe professionnelle, comme les impôts locaux, dans le respect des financements des collectivités locales, on doit ensemble faire un chemin et je suis absolument ravie que ces parlementaires s'engagent à mes côtés dans cette réflexion.

Oui ou non avez-vous envie d'aller remplacer R. Dati Place Vendôme, vous l'avocate ?

Ecoutez, je me réjouis que vous voyiez un avenir. On me sortait du Gouvernement il n'y a pas si longtemps, donc voilà qu'on m'y replace ailleurs.

Ca vous plairait ?

Vous savez, j'ai beaucoup, beaucoup à faire aujourd'hui et je me prépare pour un G20, ce soir et demain, pour défendre les économies du monde et l'économie française en particulier.

C. Lagarde, merci et bonne journée.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 13 mars 2009