Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur le bilan des contrats locaux de sécurité, Paris le 25 juin 2001.

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Circonstance : Rencontres nationales des contrats locaux de sécurité à Paris le 25 juin 2001

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames, Messieurs,
C'est avec plaisir que j'ai répondu à l'invitation du ministre de l'Intérieur, Daniel VAILLANT, de conclure ces Rencontres nationales des contrats locaux de sécurité dont il a pris l'excellente initiative. Nourrie d'une série de rencontres interrégionales, cette journée de débats est le point d'aboutissement d'un travail important. Je veux féliciter tous ceux qui y ont participé. Elle a été organisée par vous autour de trois sujets centraux : la délinquance des mineurs, les contrats thématiques et la proximité. Vos débats d'aujourd'hui se sont enrichis des interventions de nombreux élus locaux, que je remercie, et de plusieurs ministres dont je salue la présence : Daniel VAILLANT bien sûr, mais aussi Marylise LEBRANCHU, ministre de la Justice, Jack LANG, ministre de l'Education nationale, Alain RICHARD, ministre de la Défense, Ségolène ROYAL, ministre déléguée à la Famille, à l'Enfance et aux Personnes handicapées, Claude BARTOLONE, ministre délégué à la Ville, et Marie-Noëlle LIENEMANN, secrétaire d'Etat au Logement.
J'attache une importance toute particulière à ces Rencontres, qui marquent une étape majeure dans la mise en uvre des contrats locaux de sécurité, lesquels sont une pièce maîtresse de la politique du Gouvernement de lutte contre l'insécurité. Dès sa formation, vous le savez, le Gouvernement a fait de la recherche de la plus grande sécurité possible de nos concitoyens une de ses toutes premières priorités. Je l'ai affirmé à plusieurs reprises et le redis aujourd'hui : la sécurité est un droit, au même titre que la liberté.
Mener cette lutte contre l'insécurité n'est pas aisé dans une société dans laquelle les manifestations de violence sont nombreuses. Car si commettre une violence est un acte qui engage la responsabilité de celui ou de ceux qui la commettent et qui doit être sanctionné, c'est aussi la société, dans son ensemble, qui produit la violence. Ce sont des insuffisances, des carences dans notre vie sociale qui sont à l'origine du développement de cette violence. La démission de l'autorité parentale ou la perte des repères dans la famille, les difficultés à l'école, les choix erronés d'urbanisme -souvent anciens, mais aux effets durables-, les représentations sociales qui, trop souvent, malmènent la dignité de l'homme ou celle de la femme, et qui présentent à des personnalités insuffisamment structurées -notamment les plus jeunes- de fausses valeurs ou banalisent les comportements déviants sont des facteurs de violence. Parce que les causes de la progression de la violence sont multiples, les responsabilités partagées, c'est toute notre société qui doit s'interroger et agir.
Le Gouvernement naturellement continue de prendre toute la part qui lui revient dans la lutte contre l'insécurité : d'abord, mobiliser tous les acteurs, conduire les politiques qui réduisent les facteurs sociaux de la violence : politique de l'emploi et de lutte contre les inégalités, politique de la ville et de l'intégration, politique de l'éducation ; ensuite, faire en sorte que soient utilisés au mieux, en coordination et en partenariat, les moyens dont disposent l'Etat, les collectivités, les associations pour faire reculer la violence ; enfin, poursuivre les efforts considérables engagés depuis quatre ans pour accroître les moyens -en effectifs et en matériels- des forces de sécurité et améliorer leurs conditions d'emploi.
Car, bien évidemment, en première ligne de la lutte contre l'insécurité, se trouvent les forces publiques en charge de la sécurité : police et gendarmerie nationales. Je voudrais aujourd'hui leur rendre un hommage particulier. Leur tâche est de plus en plus lourde. Policiers et gendarmes sont trop souvent personnellement confrontés à la violence. Le Gouvernement s'est efforcé depuis quatre ans de mettre les moyens des forces de sécurité au niveau de leurs besoins. Pour la police nationale, alors que l'on connaissait, avec l'accélération des départs à la retraite une diminution des effectifs qui n'avait pas été convenablement anticipée, des créations de postes ont été décidées et cet effort de remise à niveau sera poursuivi. La gendarmerie nationale a également bénéficié d'accroissements de moyens justifiés par l'alourdissement de ses tâches.
Je sais que le ministre de l'Intérieur a demandé au directeur général de la police nationale d'engager une démarche stratégique tendant à placer l'évolution de la police nationale dans une perspective à cinq ans, à partir de 2002, pour mieux identifier les évolutions qu'elle devra connaître dans ses missions, dans son organisation et dans ses moyens. Je serai attentif aux conclusions de cette démarche, que j'approuve. Un exercice analogue sera engagé pour la gendarmerie nationale, dans le cadre qui lui est propre.
Je vais maintenant évoquer le bilan que l'on peut dresser, après bientôt quatre ans, des contrats locaux de sécurité, instrument majeur de la politique de sécurité du Gouvernement, en ce qu'ils permettent d'associer tous les acteurs sociaux à l'élaboration du diagnostic, à la définition des objectifs et au suivi des politiques de sécurité.
Les contrats locaux de sécurité se sont révélés un outil innovant dans la lutte contre l'insécurité.
Innovant, tout d'abord, car ces contrats sont ancrés dans les réalités locales. A travers ces contrats, les priorités de la politique de sécurité sont définies sur le terrain, au plus près de nos concitoyens et en concertation avec eux. L'action des services de l'Etat peut ainsi être ajustée aux besoins exprimés par les élus et les habitants.
Outil innovant, ensuite, car les contrats traitent l'insécurité de façon globale. Phénomène multiforme, l'insécurité recouvre à la fois les incivilités, les délits, les actes criminels. Elle concerne la société dans toutes ses composantes, qui toutes doivent se mobiliser : bien entendu l'Etat, la Justice et les services de sécurité, notamment la police et la gendarmerie nationales, mais aussi les collectivités locales, les associations et les citoyens eux-mêmes.
Les contrats locaux de sécurité facilitent le travail en commun de tous ces acteurs. Ils encouragent la plus large mobilisation des compétences et des moyens et une meilleure répartition des tâches entre les partenaires. En faisant travailler ensemble les différents acteurs publics, les CLS favorisent leur compréhension mutuelle et l'apparition de comportements communs sur la sécurité. Il est vrai que les échanges d'informations opérationnelles entre eux permettraient une plus grande efficacité commune. C'est pourquoi une mission va être confiée au Forum français de la sécurité urbaine, lequel rassemble des élus de toutes tendances qui réfléchissent sur ces questions, afin que soient recherchés les moyens de développer ces échanges d'informations, dans le respect du secret de l'instruction, de la déontologie et des responsabilités de chacun.
Grâce à la coordination qu'organise le contrat local de sécurité, l'efficacité de la police de proximité se trouve renforcée. Ainsi, lorsqu'un policier est sollicité sur des questions qui ne relèvent pas de sa compétence, il est désormais en mesure d'orienter ses interlocuteurs vers d'autres services, judiciaires, sociaux, relevant de l'Etat, du département ou de la commune, ou bien vers des associations.
Je voudrais aussi évoquer certaines des initiatives mises en uvre dans le cadre des contrats locaux de sécurité.
Et d'abord en ce qui concerne la délinquance des mineurs. On sait que cette délinquance est un des graves problèmes de sécurité aujourd'hui et donc une des préoccupations essentielles de l'action du Gouvernement. Mon propos n'est pas d'en traiter globalement aujourd'hui, mais je mentionnerai que dans le cadre des contrats locaux de sécurité, des groupes de veille éducative ont été créés pour détecter les situations à risque et y apporter une réponse collective. D'autres initiatives méritent d'être relevées, comme l'allongement des périodes d'ouverture des établissements scolaires ou l'encouragement des actions d'éducation à la citoyenneté.
L'information des citoyens est également importante, notamment pour lutter contre le sentiment d'impunité qui s'installe parfois. Les victimes doivent être les premières informées des suites de l'enquête relative aux faits les concernant. Plus largement, les habitants doivent être tenus informés des suites données aux incidents survenus dans leur quartier et aux plaintes déposées. Un grand nombre de CLS ont prévu de telles actions d'information, notamment par des rencontres entre les habitants et la Justice. Ces mesures ont suscité une réelle satisfaction. Les CLS ont aussi permis le développement d'observatoires locaux, dans le même but d'améliorer l'information locale sur la sécurité. Ces observatoires mettent en commun les informations des partenaires des CLS sur la délinquance, l'action des services de l'Etat et les réponses judiciaires.
L'action en direction des victimes est une autre dimension essentielle de la lutte contre l'insécurité que le Gouvernement s'est attaché à développer. Les contrats locaux de sécurité ont souvent permis de la soutenir efficacement au plan local. L'implication coordonnée des services administratifs et des associations locales permet d'assurer aux victimes un accueil plus efficace et une meilleure prise en charge sociale, sanitaire et psychologique.
Les contrats locaux de sécurité permettent aussi d'accroître l'offre de mesures alternatives à l'incarcération et aux poursuites -telles que les mesures de réparation.
La réalisation des objectifs des contrats locaux de sécurité est soutenue par le développement d'une justice de proximité. Les maisons de justice et du droit, dont le Gouvernement a voulu la multiplication, assurent ces missions d'information et de médiation ; elles facilitent une réponse rapide aux actes de délinquance de faible gravité. Ces maisons suscitent une forte adhésion. Cent points d'accès au droit seront aussi créés dans les sites prioritaires définis par la politique de la ville.
Mesdames, Messieurs,
La méthode innovante des contrats locaux de sécurité a fait leur succès : près de 550 ont déjà été signés et 200 sont en cours de préparation. La forte mobilisation de ces quatre dernières années a donc conduit à des résultats notables. Mais des insuffisances ont été relevées et des progrès peuvent être réalisés.
Nous avons désormais suffisamment de recul et d'expérience pour engager les contrats locaux de sécurité dans une nouvelle étape.
Cette nouvelle étape devra permettre une plus grande implication de tous les acteurs des CLS et une meilleure évaluation de leurs résultats. Plusieurs orientations paraissent devoir être retenues.
Il faut d'abord améliorer le pilotage des contrats locaux de sécurité. Les préfets doivent, en permanence, donner l'impulsion et assurer la coordination générale du suivi des CLS. Pour conduire ces actions, plus de 300 millions de francs de crédits ont été mis à leur disposition lors du Conseil de sécurité intérieure du 30 janvier dernier.
Les préfets et les procureurs de la République doivent veiller à une parfaite coordination de leurs actions, dans le respect des compétences que la loi leur confère. Le maintien de l'ordre public, la prévention de la délinquance, la répression des infractions et la réinsertion des personnes condamnées sont en effet souvent indissociables. C'est pourquoi, dans le respect des compétences respectives des autorités judiciaire et administrative, des stratégies communes de sécurité, fondées sur un diagnostic partagé, doivent être mises en place. Tel est le sens de la circulaire d'action publique adressée le 9 mai dernier par la garde des Sceaux aux procureurs généraux et aux procureurs de la République. Il sera ainsi plus facile de déterminer les sites prioritaires de l'action publique et, par exemple, de mieux lutter contre les économies souterraines ou les phénomènes de bandes. Lorsque le niveau de l'insécurité met en péril la cohésion sociale, les groupes locaux de traitement de la délinquance -qui réunissent, sous la direction des procureurs de la République, tous les services concernés- constituent un outil pertinent pour une action publique territoriale plus performante.
Dans ce pilotage des contrats, il faut davantage identifier le rôle des élus et des acteurs locaux.
Des maires, tout d'abord. Dès 1997, ceux-ci se sont vus reconnaître un rôle central dans la mise en place des CLS. Certains maires avaient déjà créé une police municipale. Le statut et les compétences des polices municipales ont été définis par la loi votée, en mars 1999, à l'initiative du Gouvernement, après plusieurs tentatives inabouties sous les précédentes législatures. Sans exercer un pouvoir de contrainte, ces polices peuvent désormais compléter l'action, pour moi essentielle, de la police nationale, notamment en participant à des actions définies dans le cadre des contrats. Le Gouvernement a souhaité aller plus loin et reconnaître, par la loi, le rôle des maires en matière de sécurité. Un amendement du Gouvernement au projet de loi relatif à la sécurité quotidienne, en cours d'examen par le Parlement, prévoit leur information régulière et leur association à la définition des priorités de lutte contre l'insécurité dans la commune, tout en restant dans le cadre de la répartition actuelle des compétences entre l'Etat et les communes, dont la modification, qui n'est pas souhaitée par la majorité des maires, n'accroîtrait en rien l'efficacité des politiques de sécurité.
Outre les municipalités, les conseils généraux doivent être mieux associés aux politiques locales de lutte contre l'insécurité. Leurs compétences en matière sociale et de prévention justifient qu'ils participent pleinement aux démarches engagées dans le cadre des CLS. Ainsi, dans le domaine de la prévention de la délinquance des mineurs, les conseils généraux peuvent contribuer au renouvellement et au renforcement des dispositifs. La loi leur en attribue la compétence. Une implication similaire dans les domaines sociaux et de l'aide aux familles est également nécessaire.
Au-delà de l'Etat et des collectivités locales, la sécurité requiert une participation plus active des habitants eux-mêmes. Le contrat local de sécurité est fait pour les habitants ; il doit être conçu et sa mise en uvre évaluée avec eux. Pour associer pleinement les citoyens au contrat, il convient d'identifier des lieux pertinents de dialogue. Les conseils de quartiers, prévus dans le projet de loi sur la démocratie de proximité, constitueront un des cadres possibles. Cette mobilisation des habitants devrait être encouragée par la création de 4.000 emplois d'adultes-relais décidée en janvier dernier par le Conseil de sécurité intérieure. Il est désormais possible, pour les collectivités locales et les offices HLM, d'opérer directement ces recrutements. La présence d'adultes dans les espaces publics, le soutien aux parents, la médiation et la régulation des conflits pourront ainsi être renforcés.
Dans le même temps, cette nouvelle étape devra encourager la dimension thématique des CLS. Le succès, en Ile-de-France, des actions engagées depuis 1998 pour lutter contre l'insécurité dans les transports publics a démontré l'intérêt de cette formule. Ces contrats territoriaux ont permis une meilleure coordination entre les transporteurs et la police ou la gendarmerie nationale ; ont ainsi été réalisés des dispositifs d'information réciproque, l'installation de moyens techniques de surveillance et le renforcement de la présence humaine -7.520 personnes se trouvent aujourd'hui mobilisées. Les volets saisonniers des CLS développés dans certaines zones touristiques sont également innovants. Ils contribuent à faire face à une délinquance liée à l'afflux momentané d'un surcroît important de population.
Cette dimension thématique, qui a fait ses preuves, peut désormais être étendue à d'autres domaines, tels que la sécurité des professions de santé, le logement social ou le sport. Les nouveaux outils de la politique de la Ville y aideront. Les crédits d'investissement des contrats de ville et ceux du fonds de revitalisation économique pourront désormais être mobilisés pour rendre plus sûre l'implantation des professions médicales dans certains quartiers, soit individuellement, soit sous forme de maison médicale ou de santé. Dans le domaine du logement social, d'ores et déjà, les crédits affectés aux opérations de sécurité ont été multipliés par trois en 2001. D'autres mesures seront très prochainement adoptées pour renforcer la présence humaine et améliorer la sécurité de certains immeubles : les normes concernant la présence et l'activité des gardiens seront renforcées et des conventions sont en préparation avec les organismes HLM.
Enfin, cette nouvelle étape des CLS devra être évaluée ; cette évaluation rend encore plus nécessaire la mise au point d'indicateurs plus fiables de l'insécurité. En l'état actuel, les statistiques de la délinquance ne permettent qu'une approche parcellaire de l'insécurité et ne rendent qu'imparfaitement compte de son évolution. Leur fiabilité est régulièrement critiquée -et souvent à juste titre. C'est pourquoi le Gouvernement souhaite que soit mis au point un nouvel instrument statistique, permettant de passer du simple constat des infractions à une véritable mesure de l'insécurité et des résultats obtenus pour la réduire. Ainsi, il devrait être possible de suivre les évolutions respectives de la délinquance, de l'activité des services d'enquête et des suites données par la Justice. Cet instrument devra également permettre de mesurer, autant que possible, l'évolution du sentiment d'insécurité. Afin que cette recherche soit menée avec toute l'objectivité souhaitable, le Gouvernement souhaite confier à deux parlementaires -l'un de la majorité, l'autre de l'opposition- une mission de réflexion sur l'élaboration d'un meilleur instrument statistique de mesure de l'insécurité. Sur la base de leurs propositions, qui feront ensuite l'objet d'une large concertation, le Gouvernement arrêtera un nouveau dispositif statistique de mesure de l'insécurité, qui ne pourra entrer en vigueur qu'après 2002.
Mesdames, Messieurs,
Les contrats locaux de sécurité sont un outil précieux pour mieux garantir la sécurité quotidienne de nos concitoyens. Dans le cadre offert par les contrats, le partenariat qui unit tous les acteurs concernés sur le terrain est de qualité. Il doit être encore renforcé. En effet, si l'Etat est le garant de la sécurité, il ne peut agir seul. Il doit pouvoir compter sur la mobilisation des collectivités locales et de leurs élus, des associations et, bien sûr, des habitants eux-mêmes. Cette mobilisation de toutes et de tous peut seule permettre de gagner cette bataille contre l'insécurité qui est aujourd'hui un enjeu majeur pour le renforcement du pacte républicain.

(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 26 juin 2001)