Déclaration de Mme Marylise Lebranchu, ministre de la justice, sur la place de la justice dans la lutte contre l'insécurité, notamment vis-à-vis de la délinquance des mineurs, sur la coopération entre la justice, la police et la gendarmerie et sur l'amélioration des moyens de communication de l'institution judiciaire.

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Circonstance : Conférence de presse à l'occasion de la présentation de la circulaire "Action publique", Paris le 9 mai 2001.

Texte intégral

Dans la lutte contre l'insécurité, engagée par le Gouvernement, la Justice tient une place déterminante. C'est d'elle que dépend une application efficace, cohérente et transparente de la loi pénale.
Parce que la violence et les appropriations frauduleuses font régner la peur, le repli sur soi, l'amertume, la justice doit se donner pour objectifs la recherche et la répression de toutes les infractions violentes et des formes d'économie souterraine qui les engendrent.
Car lorsque les auteurs sont identifiés et jugés, leur condamnation permet de rétablir l'équilibre qui avait été rompu, à condition que la sanction soit expliquée et comprise., qu'elle soit indulgente ou sévère.
Mieux lutter contre les violences, ce n'est plus maintenant une affaire de texte
On entend dire en particulier qu'il faudrait réformer l'ordonnance de 1945 sur l'enfance délinquante. Que vise t-on précisément lorsque l'on dit cela ?
Ceux qui placent cette ordonnance au cur d'une polémique en connaissent-ils vraiment les contours ?
En particulier, je rappelle que ce texte fixe une responsabilité pénale pour tous les mineurs, contrairement aux législations d'autres pays (Allemagne, Grande-Bretagne) qui prévoient un seuil au-dessous duquel un enfant ne peut être condamné.
C'est ainsi que des enfants de 9 ou 10 ans peuvent être condamnés à des mesures de réparation ou placés en cas de faits très graves.
Des condamnations pénales peuvent être également prononcées à l'égard des mineurs dès l'âge de 13 ans.
En 2000, 3996 mineurs ont été détenus.
Au 1er avril 2001, 706 mineurs étaient incarcérés.
Il me semble important de rappeler aussi que ce texte, datant certes de 1945, a été néanmoins de nombreuses fois modifiées dans les 15 dernières années notamment quant aux conditions de mise en détention, à la mise en place de mesures de réparation, à la création de procédures rapides pour les mineurs.
Cette ordonnance permet d'apporter des réponses graduées, adaptées aux circonstances des faits et à la personnalité des mineurs.
Il me semble en revanche particulièrement important de continuer à développer, améliorer les réponses apportées par le Gouvernement lors des différents Conseils de Sécurité Intérieure, traduites en termes d'objectifs, de mesures concrètes et de moyens.
L'axe central, de la politique menée par le Gouvernement c'est celui de " la réponse systématique à tout acte de délinquance ".
On parle parfois de " tolérance zéro ". Tous ne mettent pas sous ce terme le même contenu. En revanche, dire " aucun délit sans réponse pénale " me paraît extrêmement explicite.
Pour les mineurs en particulier c'est une règle essentielle. Il faut qu'ils rencontrent la loi, c'est la condition de leur dignité.
Le taux de réponse pénale atteint 80 % pour les délits commis par les mineurs. Il n'a jamais été aussi élevé.
Je m'attacherai également à ce que la diversification des réponses soit effective dans leur prononcé comme dans leur exécution: rappels à la loi, réparation, mais aussi emprisonnement ferme lorsque les faits sont très graves.
Rappelons les décisions prises par le Gouvernement lors des différents conseils de sécurité intérieure : Créer et développer les possibilités de placer les jeunes délinquants dans des centres ayant une structure éducative très forte.
Les objectifs étaient ambitieux :
- 50 centres de placement immédiat d'ici fin 2001
- 100 centres éducatifs renforcés
- 40 centres de placement immédiat existent aujourd'hui
- 42 centres éducatifs renforcés
Nous tiendrons les objectifs.
Ces structures d'accueil représentent aujourd'hui une chance pour les mineurs les plus difficiles, les plus déstructurés...
Les professionnels qui les encadrent y mettent une énergie très grande.
Il y a vraiment dans ces nouvelles structures une richesse en terme de suivi éducatif strict et "renforcé", mais aussi plus individualisé.
Tous les efforts seront faits pour faciliter les implantations et assurer le meilleur suivi en leur sein.
Sur ce champ, il me semble important que les élus locaux soient davantage informés de leur fonctionnement et plus impliqués dans la "vie" même de ces structures. Un travail sera engagé en ce sens.
L'implication de tous, magistrats, éducateurs mais aussi élus, représentants d'association ou de la société civile, doit en effet être recherchée dans la lutte contre la délinquance de " nos " jeunes.
Plus généralement ce travail exceptionnel mérite d'être mieux connu.
Mieux lutter contre les violences, est donc maintenant une affaire de moyens et de pratique professionnelle.
De ce point de vue, les services de l'Etat ont su progresser pour prendre en compte les attentes de nos concitoyens.
Le traitement en temps réel, la diversification des réponses pénales, les contrats locaux de sécurité, la création des maisons de la justice et du droit, les antennes de justices, constituent autant d'avancées significatives.
Mais nous devons améliorer les méthodes de travail de chacun pour éliminer ou au moins réduire les dysfonctionnements.
Je vais vous donner quelques exemples de dysfonctionnement auxquels cette circulaire s'efforce de porter remède :
On dit que la justice est lente. Malgré les efforts accomplis et les avancées que représente le traitement en temps réel, ça reste vrai. Pourquoi ? En partie parce que les enquêtes progressent lentement. Parce que face à des faits qui troublent gravement l'ordre public les enquêtes commencent avec des effectifs importants, puis les services de police ou de gendarmerie devant faire face à d'autres urgences, le nombre d'enquêteurs diminue. Si bien que la justice ne reçoit le résultat de leurs investigations que plusieurs mois après les faits. La circulaire, en concertation avec les ministères de la défense et de l'intérieur, donne aux procureurs la possibilité de participer à la définition des moyens mis au service de l'enquête. Les procureurs pourront ainsi s'assurer de la continuité des enquêtes, ce qui permettra de les faire aboutir plus rapidement. Il faut que, pour les institutions chargées de lutter contre l'insécurité, le travail en commun devienne une pratique quotidienne et simple.
L'élucidation des faits : Pour que la justice puisse condamner les auteurs d'infractions, il faut évidemment que ceux-ci soient identifiés et que les preuves de leur culpabilité soient rassemblées. Or nous savons qu'une part trop importante des infractions ne sont pas élucidées. Pourtant, il n'existe pas de fatalité empêchant la justice et les services d'enquête d'identifier, plus souvent qu'ils ne le font, les auteurs d'infraction. C'est une question d'organisation et de détermination des priorités, c'est aussi une question de partage et d'utilisation des informations. La circulaire prévoit que les procureurs seront destinataires, immédiatement, de toutes les informations, de tous les rapports préparés par les services de police et de gendarmerie, relatifs aux violences urbaines et aux phénomènes de bandes. Elle demande aux procureurs de veiller à ce que les services d'enquête reprennent les procédures lorsque les auteurs de violences graves contre les personnes n'ont pas été identifiés, pour faire les opérations de police technique et de rapprochement nécessaires à l'élucidation. C'est par le partage des informations, par l'analyse en commun des phénomènes de délinquance que la justice, la police et la gendarmerie rempliront la mission que nos concitoyens sont en droit d'attendre d'eux.
Sans remettre en cause l'organisation administrative des services de police judiciaire, je rappelle que pour agir, les procureurs et les juges d'instruction doivent disposer des effectifs nécessaires aux missions de police judiciaire sur l'ensemble du territoire : Comment identifier les auteurs d'un vol à main armée, infraction particulièrement violente et traumatisante pour les victimes, si localement les services de police ne peuvent pas mettre au service de l'enquête des effectifs suffisants ? Comment empêcher le trafic de stupéfiants et les règlements de compte qu'il entraîne fréquemment si la police et la gendarmerie ne mènent pas un long travail d'investigation ?
C'est donc un grand progrès de permettre aux procureurs, qui dirigent l'activité des officiers et des agents de police judiciaire, participent à la détermination des moyens et des effectifs attribués aux enquêtes dont ils ont saisi la police ou la gendarmerie.
Les condamnations semblent parfois " déconnectées " du contexte dans lequel les faits ont été commis. Or les décisions judiciaires ne peuvent être adaptées à la réalité de la délinquance que lorsque le contexte dans lequel elles s'inscrivent est connu de l'ensemble des magistrats. Il faut que la politique pénale menée par les procureurs soit bien connue des juges. C'est pourquoi je demande aux procureurs généraux et aux procureurs de la République d'institutionnaliser le débat entre magistrats. Cet échange permettra de donner de façon explicite aux juges toutes les informations dont ils ont besoin pour apprécier la gravité des infractions commises et les conséquences qu'elles ont sur la vie du quartier. Expliquer les critères d'utilisation des alternatives aux poursuites, le choix des modes de comparution, l'échelle retenue dans la gravité des sanctions requises, la nécessité de veiller à l'application rapide des sanctions prononcées, est nécessaire. Je souhaite que dans les juridictions la concertation et l'échange entre magistrats deviennent des priorités.
Le code de procédure pénale, parce qu'il définit clairement les pouvoirs de chacun, favorise ce dialogue dans le respect du rôle imparti à chacun.
La lutte contre l'insécurité réclame des méthodes dynamiques et une capacité à anticiper sur les événements.
Les diagnostics de sécurité élaborés d'abord dans le cadre des contrats locaux de sécurité seront développés. Cette démarche, menée de façon concertée avec les préfets, conduira les procureurs de la République à définir des sites prioritaires d'action publique, sur lesquels ils organiseront des opérations de police judiciaires renforcées, et ciblées sur le type de délinquance que leur diagnostic aura mis en lumière. Ces choix doivent être expliqués, particulièrement aux magistrats qui seront appelés à juger les auteurs d'infractions. Ils doivent avoir pour objectif une application cohérente de la loi pénale sur l'ensemble du territoire.
Le fonctionnement de la justice et les décisions qu'elle rend sont encore mal connus.
Je souhaite de ce point de vue un changement radical. Nos concitoyens veulent savoir comment la justice est rendue en leur nom. Et l'institution judiciaire a besoin d'entendre la demande de l'opinion publique.
La transparence est la condition de la confiance que nos concitoyens accordent à leur justice. Pour communiquer la justice doit d'abord se donner les moyens de mieux connaître et mieux analyser les décisions qu'elle rend.
La circulaire demande aux procureurs de d'utiliser au mieux les moyens informatiques dont ils disposent pour connaître avec précision la réponse apportée par leur juridiction aux faits dont elle a été saisie.
Je souhaite que cette connaissance plus développée et plus objective de l'usage que les magistrats font de leurs pouvoirs de poursuite et de condamnation serve de base à une communication régulière avec la presse régionale, mais aussi avec les élus et l'ensemble des services de l'Etat.
Nos concitoyens attendent avec raison de leur justice qu'elle explique ses objectifs, son action et les résultats auxquels elle parvient. De son côté, l'institution judiciaire a besoin de ce dialogue pour faire évoluer, au quotidien, ses méthodes de travail et ses choix.
Cet échange sera plus riche et plus complet s'il est mené par le préfet et le procureur s'adressant ensemble aux élus et à la presse.
Cette communication à deux voix exprimera ce qu'attendent nos concitoyens : que les services de l'Etat poursuivent ensemble, avec détermination, la lutte contre l'insécurité.
(source http://www.justice.gouv.fr, le 11 mai 2001)