Déclaration de M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur, sur la police de proximité, les commissions départementales d'accès à la citoyenneté (CODAC) et le projet de loi sur l'intercommunalité, Paris le 26 mars 1999.

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Circonstance : Réunion des préfets, à Paris, le 26 mars 1999

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les préfets,
Je souhaite vous entretenir aujourdhui de la police de proximité, des commissions départementales daccès à la citoyenneté et du projet de loi sur lintercommunalité.
1) La police de proximité :
Nous ne sommes plus dans les années 1960, période où le chômage était marginal, où notre pays connaissait un taux dexpansion économique soutenu et où la délinquance était en volume sept fois moindre quactuellement. Nos concitoyens sont aujourdhui confrontés à la petite délinquance de masse. La police nationale doit évoluer en conséquence. Elle est restée trop longtemps figée dans une organisation centralisée et spécialisée, conçue pour réagir à lévénement et déclencher la riposte de la force publique. Elle doit mieux répondre aux attentes de la population et sadapter à cette fin.
a) La réforme de linstitution policière :
Jentends développer une police de proximité, comme on la fait dans de nombreux pays. Jen ai déjà brossé devant vous, lors de notre dernière rencontre, le portrait : la police de proximité doit être plus présente, plus anticipatrice et plus visible sur la voie publique, plus territorialisée, plus proche des citoyens, plus sensible à leurs préoccupations et à leur perception de linsécurité, plus conforme enfin à limage de notre société, plus volontaire dans sa démarche partenariale.
Il sagit dun vaste chantier. Il y faudra du temps. Cest pourquoi jai décidé de my atteler dès maintenant. Je veux pouvoir en apprécier les premières réalisations avant lété.
Les expériences de police de proximité, qui vont être lancées dans les départements les plus sensibles, sont fondées sur lidée de territorialisation de laction policière. Sur un territoire déterminé, un quartier par exemple, une rue ou un îlot, des unités seront responsables de lensemble de laction policière, y compris en matière judiciaire pour le recueil des plaintes et les premières investigations. Il sagit daller plus loin que le simple îlotage. Le policier de proximité devra nouer des liens étroits avec la population, connaître ses besoins en matière de sécurité, et adapter ses interventions en fonction de cette connaissance. Cette démarche de proximité sera un facteur de responsabilisation et donc de valorisation des agents, qui recueilleront personnellement les indices de satisfaction des habitants de leur secteur. Ces unités territorialisées ne seront pas coupées des autres dispositifs qui contribuent à la police de proximité. Elles coopéreront avec elles mais aussi avec les unités dédiées à lintervention comme les brigades anti-criminalité, les brigades de voie publique et les services dinvestigation et de recherches.
Jattends de vous un engagement personnel dans cette direction. Appuyez-vous sans hésiter sur vos directeurs départementaux de la sécurité publique et vous suivrez de près leur travail. Cette réforme est une véritable révolution culturelle dans les rangs de la police nationale. Cest un changement de mentalité auquel il faut procéder, du gardien de la paix au chef de circonscription ; de mentalité et de méthode de travail.
Certains sites sont dores et déjà choisis. Les projets de service, dont jai demandé la préparation à Beauvais, à Garges-les-Gonesse, à Châteauroux, à Nîmes et aux Ulis, devront être prêts le 15 avril prochain pour un début de lexpérience au mois de mai. Dautres sites dexpérimentation compléteront ce dispositif. Leur liste nest pas définitivement arrêtée ; ceux dentre vous qui sont à la tête dun département très sensible peuvent me faire des propositions. Ces nouvelles expérimentations ne se dérouleront pas à léchelle dune circonscription, mais dans le cadre plus restreint dun secteur, dun quartier ou dun lîlot.
Je sais quune telle réforme nécessitera des effectifs disponibles. Le Gouvernement a déjà pris un certain nombre de décisions lors du CSI du 27 janvier. Des moyens humains supplémentaires seront affectés dans les départements les plus sensibles. Un redéploiement, dabord interne à la police nationale, permettra daffecter 1 200 fonctionnaires de police par an, pendant trois ans, à ces départements. Cela signifie bien entendu le ralentissement momentané des mutations vers les départements qui ne sont pas prioritaires. Il est donc inutile dappeler mon attention sur un éventuel déficit deffectifs dans les zones non prioritaires.
Il faut même aller plus loin. Plus de 10.000 policiers sont affectés au niveau départemental dans les sections ou les compagnies dintervention ou encore dans les brigades spécialisées. Ce sont autant dagents qui manquent dans les missions polyvalentes de ce que lon appelle parfois « la police générale ». Engagez les directeurs départementaux de la sécurité publique à un effort de réflexion sur lemploi de leurs effectifs, dans lidée de pouvoir consacrer, le moment venu, lessentiel de leurs moyens aux tâches de la police de proximité.
b) Lemploi des forces mobiles :
Le redéploiement des effectifs de la sécurité publique au profit des départements les plus sensibles sera complété par un second volet de la réforme visant un meilleur emploi des forces mobiles.
Ces forces, quil sagisse des CRS ou des gendarmes mobiles, sont indispensables. Il y aura toujours des troubles de lordre public, prévisibles ou non, quun Etat garant de la sécurité doit savoir maîtriser. Comme responsables du maintien de lordre dans votre département, vous appréciez la compétence et lefficacité de ces forces en cas de « coup dur ».
Le caractère de réserve gouvernementale des unités de forces mobiles sera préservé. En effet, il nous faut garder un potentiel et une capacité opérationnelle suffisants, ne serait-ce que pour répondre à vos demandes de renforts en cas de nécessité, mais surtout pour les événements de grande ampleur, festifs, culturels ou sportifs qui se déroulent sur la voie publique, ou encore pour des manifestations sociales et en cas de troubles graves.
Mais jai demandé que soient « fidélisées », cest-à-dire dédiées à un territoire particulier, plusieurs unités de forces mobiles. Cette fidélisation, qui sera effectuée par compagnie ou par section de CRS dans leur département de résidence, permettra aux services de sécurité publique de dégager des effectifs supplémentaires au profit de la police de proximité. Les conditions dutilisation et de commandement de ces unités seront fixées le moment venu. Nous veillerons notamment à conserver dans ce dispositif une certaine souplesse demploi.
c) Les adjoints de sécurité et les agents locaux de médiation sociale :
1. Les adjoints de sécurité : à la fin de lannée 1998, 8 549 adjoints de sécurité avaient été recrutés. Pour 1999, 8 300 nouveaux adjoints de sécurité sajouteront aux précédents. Ils sont très majoritairement affectés, comme les précédents, dans les départements les plus sensibles. Dans ces départements, vous veillerez à ce que leur répartition obéisse à la même priorité : ils doivent aller dans les circonscriptions où lon en a le plus besoin.
Jinsisterai sur un point particulier que jai déjà développé devant vous. Je vous demande de faire en sorte que les fonctions dadjoint de sécurité soient un des moyens dintégration des jeunes issus de limmigration ou originaires des quartiers sensibles. Ces jeunes doivent être encouragés, quand ils en ont la capacité, à se présenter aux concours de recrutement de la police nationale. De telles dispositions se situent dans le droit fil du travail des commissions départementales daccès à la citoyenneté.
Les administrations publiques, notamment la police nationale, doivent montrer lexemple. La police nationale a déjà commencé à le faire avec succès. Il faut continuer. La police de proximité, cest aussi une police recrutée à limage de la population. Nous lancerons prochainement une campagne de communication et dinformation. Vos suggestions et propositions seront bienvenues.
2. Les agents locaux de médiation sociale : un certain retard a été pris par rapport à lobjectif de recrutement de 15.000 agents locaux de médiation locale pour lan 2000, puisque 5.723 emplois dALMS sont actuellement prévus dans les contrats locaux de sécurité déjà signés. Je vous demande donc, dans le cadre de la négociation de ces contrats, dinciter les collectivités locales, les bailleurs sociaux, les associations et les entreprises de transport public, à recourir aux ALMS.
Je vous rappelle les activités qui peuvent leur être confiées sont : la sécurisation de lieux, notamment les abords des établissements scolaires et les transports publics ; la veille dans les ensembles dhabitat social sur le modèle des correspondants de nuit ; la prévention et la médiation dans les quartiers sensibles ; laide aux populations fragiles ou défavorisées.
Pour vous aider dans la définition du contenu de leur formation, il existe une structure nationale de liaison entre les ministères concernés, certaines grandes entreprises publiques (SNCF, RATP, EDF, GDF), des associations (Croix Rouge, Régies de quartier) et des organismes de formation (AFPA, GRETA, CNFPT) ; ainsi quun « Guide à lusage des employeurs et formateurs dALMS » dont vous avez été destinataires.
3. Les ateliers déconcentrés danimation des CLS sont un lieu adéquat pour traiter de telles questions, et je suis avec attention leur déroulement comme leurs conclusions. Je remercie particulièrement ceux dentre vous qui ont déjà organisé ces ateliers (à LILLE, BEAUVAIS, GIVORS, EPINAY ou EVRY), lesquels ont connu un réel succès, preuve quils répondent à un besoin réel.
Il doit sen tenir encore à ARRAS, à MULHOUSE, à VERSAILLES, à NICE, à MONTPELLIER, à BORDEAUX, à NANTES, à TOULOUSE et à MARSEILLE. Jy serai attentif. Jorganiserai en juin prochain, après les élections européennes, une réunion de restitution nationale de ces travaux.
2) Les CODAC
Je voudrais tirer un premier bilan des commissions départementales daccès à la citoyenneté, deux mois après la circulaire prescrivant leur linstallation sur lensemble du territoire.
Je tiens tout dabord à vous féliciter, et à travers vous lensemble des agents de lEtat, pour leffort accompli afin de lancer ce dispositif dans des délais très courts.
Aujourdhui, 95 CODAC ont été installées sur le territoire national. La mobilisation des partenaires et le niveau de représentation des différents services lors des réunions plénières, ainsi que le large écho donné par la presse locale montrent que non seulement cette initiative a été bien comprise par lopinion, mais quelle répond à une réelle attente.
Les partenaires traditionnels de la politique de la ville participent en général activement aux commissions de travail. La mise en place de commissions thématiques (lemploi, laccès au logement et aux loisirs, laccueil dans les services publics, la promotion de la citoyenneté) contribuera à traiter concrètement les difficultés rencontrées, principalement par les jeunes issus de limmigration. Comme le soulignait ma circulaire du 18 janvier, laccent a été mis sur laccès à lemploi et notamment sur une meilleure diffusion de linformation relative aux recrutements dans le secteur public.
Certains dentre vous ont déjà mis à profit linstallation des CODAC pour organiser un accueil solennel des étrangers naturalisés français en préfecture. Cest une excellente initiative.
Avec la CODAC, nous plaçons lEtat au premier rang de la lutte pour légal accès à lemploi et contre la discrimination. Cest aussi une manière dêtre plus efficace dans notre lutte contre la montée des violences urbaines et laugmentation de la délinquance.
Vous ne devez pas hésiter à lancer des campagnes dinformation et de communication sur les thèmes dont sont saisies les CODAC. Notre action sera jugée à laune des espoirs que la création de ces CODAC a fait naître. Leffort devra être poursuivi dans la durée.
Je souhaite que dès la fin de lannée, nous puissions apprécier les effets de la création de la CODAC. Nous en dresserons un bilan chiffré et nous en tirerons les leçons au cours dune manifestation nationale.
3) Le projet de loi sur le renforcement et la simplification de la coopération intercommunale
Ce projet de loi vient devant le Sénat le 1er avril. Nous visons une adoption au plus tard au début de lautomne. Je vous en rappelle les deux objectifs principaux.
En premier lieu, fournir un outil institutionnel et financier aux agglomérations qui nen disposent pas, afin de briser lapartheid social qui concentre les difficultés dans certains quartiers de nos villes et revêt de plus en plus la forme dun apartheid spatial, voire ethnique. Il faut repenser notre organisation urbaine. Les élus doivent être encouragés à conduire ensemble, à léchelle de leur agglomération, des politiques cohérentes de lhabitat, des transports, de lurbanisme, de développement économique et daménagement de lespace. Lincitation financière est à la hauteur de cette ambition, avec 250 francs de dotation globale de fonctionnement par habitant, soit deux fois et demi la dotation moyenne actuellement versée aux communautés de communes et aux districts.
En second lieu, il sagit dengager la réforme de la taxe professionnelle par son unification au sein des agglomérations. Cest le seul véritable remède à la dispersion des taux qui soit respectueux de lautonomie des collectivités locales. Il favorise en même temps la baisse de la pression fiscale, notamment pour les ménages. Il est enfin très correcteur des inégalités de richesse entre les communes dune même agglomération.
Atteindre ces deux objectifs ne doit pas se faire au détriment de lintercommunalité existante, ni des communes rurales. Les espaces ruraux, notamment, doivent pouvoir sorganiser autour dun bourg-centre ou dune petite ville, gage de leur développement.
Cest pourquoi la décision a été prise de financer les 500 millions de francs, nécessaires en moyenne chaque année, pendant cinq ans, pour les communautés dagglomérations, par une ressource supplémentaire. Cette réforme ne sera donc pas financée par les moyens actuels de la dotation globale de fonctionnement, au détriment des communautés de communes.
Cest aussi pourquoi jai accepté de relever à 150 F par habitant la DGF attribuée aux communautés de communes dau moins 3.500 habitants qui, sans atteindre le seuil de 50.000 habitants, ont néanmoins la taille et les compétences pour fournir des services modernes, et qui ont adopté la taxe professionnelle unique.
Votre rôle dans lapplication de la loi sera considérable. Dabord parce quelle vous confie un pouvoir dinitiative et dappréciation. Pouvoir dinitiative : en cas dabsence de projet émanant des élus, vous pourrez saisir les conseils municipaux. Pouvoir dappréciation : pour la fixation des périmètres, à partir des seuils fixés par la loi, il vous revient de définir la bonne configuration, en concertation avec les élus. Ensuite, vous devrez vous assurer de la qualité des projets. Enfin, pour lutter contre certaines tendances au repliement local, vous devrez convaincre les élus que la mise en commun des ressources et le partage des charges, cest-à-dire, à terme, une certaine mixité sociale, comportent beaucoup moins dinconvénients que la ségrégation urbaine.
Je vous demanderai donc, dès le vote de la loi, de vous fixer des objectifs qualitatifs et quantitatifs. Je souhaite quau 1er janvier 2000, des communautés dagglomération aient pu être créées, soit ex nihilo, soit, plus probablement, par transformation dEPCI existants, notamment dans les grandes aires urbaines, et là où les enjeux sociaux sont importants. Elles serviront dexemple.
Mais il vous faudra également prendre le temps nécessaire au travail de persuasion car si cette loi se veut volontariste, elle respecte les principes de la décentralisation.
Avec ce texte, lintercommunalité disposera désormais de formules mieux ciblées et mieux adaptées au développement local et à la diversité du territoire. Lintercommunalité nouvelle sera lun des moyens, si elle est bien comprise par les élus locaux, dassurer lintégration républicaine dans les zones urbaines où elle est aujourdhui menacée.
(Source http ://www.interieur.gouv.fr, le 8 avril 1999)