Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur l'organisation et les thêmes du débat public sur l'avenir de l'Europe, Dijon le 9 mai 2001.

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Circonstance : Conférence sur le thême "Aménagement du territoire et politique régionale de l'Union européenne" à Dijon le 9 mai 2001

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Maire,
Monsieur le Commissaire européen,
Monsieur le Préfet,
Mesdames et Messieurs les Elus,
Mesdames et Messieurs,
C'est pour moi un grand plaisir d'être aujourd'hui à Dijon en cette Journée de l'Europe, pour commémorer avec vous cet acte fondateur de la construction européenne qu'est la déclaration de Robert Schuman, alors ministre français des Affaires étrangères, le 9 mai 1950.
Cette célébration se situe dans un contexte particulièrement riche, à l'orée d'une nouvelle période, après la conclusion du Traité de Nice sous présidence française de l'Union européenne. Ce nouveau Traité représente en effet une étape déterminante pour la suite : avec l'accord sur les réformes institutionnelles nécessaires à de nouvelles adhésions, la voie de l'élargissement est ouverte et balisée, comme jamais auparavant.
Ce matin même, le Conseil des ministres a approuvé le projet de loi autorisant la ratification du Traité de Nice. Ce texte sera examiné par l'Assemblée nationale et le Sénat en juin. La France devrait ainsi être parmi les tout premiers Etats membres à achever cette procédure, avec l'Irlande sans doute. J'ai confiance en la sagesse du Parlement pour apprécier toute la portée de ce nouveau Traité.
Mais la perspective d'une Union élargie à 27 membres ou plus, désormais une réalité, même si son horizon reste indéterminé, suscite légitimement de nouvelles questions sur son contenu et le fonctionnement de ses institutions. C'est ainsi que les chefs d'Etat ou de gouvernement ont souhaité, à Nice, lancer le débat sur l'avenir de l'Union.
Une déclaration annexée au Traité de Nice fixe le cadre politique de cette réflexion ; elle identifie quatre thèmes privilégiés, mais non exclusifs : la délimitation des compétences entre l'Union européenne et les Etats membres, le statut de la Charte des droits fondamentaux, - je suis pour ma part favorable à son intégration dans les traités ou comme préambule d'une Constitution -, la simplification des traités, le rôle des Parlements nationaux dans l'architecture européenne ; elle définit une méthode, celle d'un débat large et approfondi associant toutes les parties intéressées : élus, milieux économiques et sociaux, acteurs de la société civile. Enfin, elle précise un calendrier de travail jusqu'en 2004, date à laquelle une nouvelle Conférence intergouvernementale devrait être convoquée pour adopter les réformes institutionnelles qui pourraient être nécessaires.
Ainsi, la réflexion sur l'avenir de l'Europe comprendra trois temps : d'abord, celui du débat libre dans chaque Etat membre ; puis, il s'agira de formaliser la réflexion, afin de mettre en forme le contenu des débats nationaux et de l'approfondir pour préparer le terrain de la négociation au plan européen ; ce sera alors le troisième temps en 2004, pour aller vers un nouveau Traité qui sera peut-être un Traité constitutionnel.
Le Président de la République et le Premier ministre viennent d'engager notre pays dans ce vaste exercice, par un communiqué commun, le 11 avril dernier. Le débat est ainsi lancé chez nous, avec un temps d'avance par rapport à beaucoup de nos partenaires, dans cette première phase du processus. J'ai présenté ce matin, en Conseil des ministres, une communication à ce sujet.
Le dispositif retenu, volontairement très simple, traduit notre souci d'une démarche bien en prise sur la réalité :
- au plan national, les questions européennes intéressent, à un titre ou à un autre, une multitude d'acteurs. C'est pourquoi il appartient à chacun d'entre eux de se saisir, comme il l'entend, du débat. Je pense tout particulièrement aux Assemblées parlementaires, qui ont un rôle privilégié à jouer dans la mobilisation civique des Français, mais aussi aux milieux économiques et sociaux, universitaires et associatifs. Toutes les initiatives contribuant à la réflexion sont les bienvenues ;
- au plan local, nous avons souhaité promouvoir une réflexion au plus près des réalités de l'Europe vécue. D'où l'idée de confier aux préfets de région la responsabilité d'organiser au sein de chaque région un forum. Conçue de manière non directive, pluraliste et ouverte, cette manifestation permettra, je l'espère, de rassembler les élus locaux et européens, les représentants des milieux économiques sociaux et associatifs, au-delà des cercles habituellement intéressés par l'Europe. Je souligne que les préfets sont là pour favoriser l'expression d'une parole pluraliste, pas pour délivrer la bonne parole officielle. Ces forums régionaux devront se tenir, en général sur une journée, d'ici à novembre prochain.
- enfin, un groupe de personnalités a été mis en place pour contribuer à la cohérence du débat. Elles participeront aux forums et à la mise au point de la synthèse des travaux. Nous avons le plaisir d'avoir avec nous aujourd'hui un membre de ce groupe, Jean Nestor, secrétaire général de l'association "Notre Europe", que préside Jacques Delors.
Je tiens aussi à remercier la Commission européenne, en la personne de Michel Barnier, qui nous apporte dans cet exercice à nouveau son appui, y compris financier, dans le prolongement du "Dialogue sur l'Europe" engagé l'année dernière auquel j'ai eu le plaisir de contribuer.
La tâche ne sera pas facile, et il nous faudra tous, chacun dans son domaine, faire preuve de beaucoup de pédagogie et de méthode.
Je voudrais d'abord souligner la nécessité de partir sur de bonnes pistes pour engager le débat et éviter qu'il ne concentre trop sur les aspects institutionnels. En effet, les quatre questions que j'ai mentionnées renvoient toutes à des questions aussi simples que cruciales : quelle Europe voulons-nous ? avec quel degré d'intégration ? Quelles valeurs partageons-nous et jusqu'où ? c'est-à-dire la question des frontières ultimes de l'Union.
Je prendrai quelques exemples pour expliciter de manière plus parlante ce que recouvrent ces sujets :
- tout d'abord, la place de l'échelon européen par rapport aux échelons national et local devra être définie avec une plus grande clarté et une plus grande simplicité. Les thèmes de la simplification des traités et la délimitation des compétences reflètent le souci d'aller vers une Europe plus lisible, plus responsable, plus efficace, mais aussi moins "intrusive". Cette question du "qui fait quoi" en Europe - la "subsidiarité" dans notre jargon - est de plus en plus incontournable. Elle devra être abordée, selon moi, avec le souci de poursuivre le mouvement d'intégration là où il s'avère souhaitable - en fonction des objectifs que nous nous fixons collectivement -, c'est-à-dire sans dogmatisme et sans crainte, ni d'une fuite en avant "fédéraliste", ni d'un repli frileux vers une sorte de "service minimum européen". L'autre souci devra être celui de la clarté et de la simplicité de la règle du jeu, tant il est vrai, là aussi, que c'est la complexité des règles actuelles qui est à l'origine de certains doutes ou malaises à l'égard de la construction européenne ;
- il y a aussi le thème de la place des parlements nationaux dans l'architecture européenne qui est lié à la problématique fondamentale de l'articulation entre démocratie nationale et démocratie européenne.
Ainsi, comme vous le voyez, ces questions sont loin d'être abstraites, bien au contraire. J'entends dire, ici ou là, que l'Europe n'intéresse pas, que nos concitoyens ont d'autres préoccupations. Pour ma part, je suis convaincu que les enjeux européens intéressent plus qu'on ne le dit tant la construction européenne est bien comprise comme la réponse pertinente aux défis de la mondialisation, tant elle imprègne notre vie quotidienne. Affirmer cela, ne signifie en aucune manière méconnaître le manque de lisibilité de la construction européenne, le besoin de lui donner plus de sens, de transformer "les réalisations concrètes créant d'abord une solidarité de fait", pour reprendre les termes de la Déclaration Schuman, en un projet politique plus cohérent, et évocateur pour nos peuples.
Il faut aussi savoir parler d'Europe, en partant de ses apports concrets, sans tabou et sans complaisance, de l'expérience de terrain pour en tirer des enseignements en matière de positionnement et d'articulation des pouvoirs.
C'est pourquoi j'ai choisi d'être aujourd'hui parmi vous pour lancer, depuis Dijon, le débat national dans nos régions. En effet, notre rencontre constitue une remarquable préfiguration de ce type de forum et me semble illustrer particulièrement bien la portée et l'esprit de l'exercice dans lequel nous nous engageons.
Il est clair, en effet, qu'à travers cette question de la politique régionale de l'Union européenne, symbolique de ce débat, nous sommes au coeur du sujet.
- J'observe, en premier lieu, qu'on ne saurait trouver meilleur exemple de cette "solidarité de fait" et de cette Europe "concrète", proche des préoccupations du citoyen, dont je parlais à l'instant, que cette dimension de l'action communautaire.
Par les masses financières en jeu, la politique régionale est la deuxième politique de l'Union, après la politique agricole commune. Elle représente aujourd'hui le tiers du budget communautaire (213Md euros y compris les fonds de cohésion, ou 196 Md d'euros pour les fonds structurels au sens strict) et, pour notre pays, à peine moins que les crédits d'Etat consacrés aux contrats de plan Etat-régions (une centaine de MdF sur la période 2000-2007). La Bourgogne, où le taux de couverture à l'"Objectif 2" est de plus de 45 %, - contre 31 % en moyenne en France -, est bien placée pour le savoir. Je ne reviendrai pas sur les multiples traductions de cet apport dont nos concitoyens peuvent mesurer l'impact dans leur vie quotidienne, vous en avez parlé.
- Mais - et c'est le deuxième point à souligner - la perspective de l'élargissement conduit à s'interroger sur l'avenir de cette composante substantielle de "l'acquis communautaire". Car cette évolution va accroître les disparités de niveaux de développement, et constitue un défi pour la cohésion de l'Union.
Toute une série de questions délicates est devant nous, ne nous le cachons pas, avec évidemment de difficiles arbitrages budgétaires. Il faudra en débattre de manière sérieuse. Selon moi, réduire la politique de cohésion à une redistribution entre Etats serait un contre-sens total. Toutefois, je dirais, d'ores et déjà, que ces contraintes ne sauraient justifier une révision à la baisse de l'"ambition européenne", et une quelconque "renationalisation" de la politique régionale, comme certains paraissent l'envisager dans leur vision de l'Europe future. Je suis opposé, et radicalement opposé à la renationalisation de la PAC et des fonds structurels, voilà un autre élément de réponse au chancelier Schroeder.
- J'en viens au troisième point pour souligner que la politique régionale constitue, en quelque sorte, une étude de cas à une large échelle pour traiter de la question de la délimitation des compétences, un de ces quatre thèmes de réflexion retenu à Nice. Elle revêt une dimension intrinsèquement partenariale, associant l'Union, les Etats et les régions - et plus généralement les collectivités locales, dont, naturellement, les communes.
A la lumière de cette expérience, on voit bien qu'il faut se garder de solutions simplistes pour délimiter strictement les compétences, et la nécessité de raisonner en terme d'articulation des missions de chacun, en veillant à l'application du principe de "subsidiarité" , c'est-à-dire, en l'espèce, un accroissement de la responsabilité des échelons locaux.
- Enfin, - et ce sera mon dernier point - notre rencontre illustre parfaitement la méthode de débat choisie. Elus nationaux et locaux, représentants des institutions européennes, de l'Etat, et des forces vives régionales sont rassemblés, motivés par la même conscience que l'Europe est une part vitale de notre avenir. La qualité de vos travaux permettra, j'en suis certain, d'alimenter la réflexion sur un enjeu européen déterminant pour notre pays.
J'ai le sentiment que nous avons montré à Dijon, de manière exemplaire, comment parler d'Europe. Cette initiative est très encourageante pour la tenue de votre prochain forum régional et pour les autres régions. Vous aurez bien compris qu'il ne s'agit pas, pour nous, de rajouter des points d'interrogation à des formules préétablies ou prénégociées, mais bien de promouvoir une réflexion collective et démocratique permettant à nos concitoyens de s'approprier l'Europe, cette entreprise exaltante dont ils doivent être les acteurs et les bénéficiaires.

(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 mai 2001)