Déclaration de M- Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement des transports et du logement, sur le projet de loi sur la sécurité routière (dépistage des stupéfiants, garanties de bonne fin des contrats de formation à la conduite automobile, formation des conducteurs aux "gestes élémentaires de survie" ) et sur la sensibilisation des jeunes à la sécurité routière, à l'Assemblée nationale le16 mars 1999.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les députés,
Nous disposons du bilan définitif de la sécurité routière pour 1998 qui, comme vous le savez, est particulièrement alarmant.
Nous avons en effet enregistré lan passé 8437 tués sur nos routes, contre 7989 en 1997, soit une augmentation de 5,6 %. Il y a eu aussi, en plus de ces tués, 33 977 blessés graves, dont beaucoup resteront handicapés à vie.
Si lon entre un peu plus dans le détail des statistiques, on saperçoit que pour certaines catégories dusagers de la route, laugmentation du nombre de tués est sensiblement plus forte que la moyenne. Cest sur ces populations quil faudra porter en priorité nos efforts.
- Il sagit par exemple des jeunes de 18 à 24 ans, dont le nombre de tués sur les routes, plus de 1800 tués en 1998, a connu un accroissement de plus de 9 %.
Ils représentent aujourdhui 21,6 % du nombre de tués dans des accidents de la circulation, alors que leur part dans la population nest que de 10 %.
- La sécurité des motocyclistes se dégrade également, avec une hausse de 8,4 %, ce qui porte à plus de 900 le nombre de motocyclistes tués en 1998.
-En revanche, on constate une nette amélioration en ce qui concerne les cyclomotoristes, puisque le nombre de tués baisse de 12, 7 % ; certes, la diminution du parc, qui est régulière depuis de nombreuses années, explique pour une large part ces résultats. Mais il est important de noter que le nombre de tués a baissé de plus de 37 % pour les utilisateurs de cyclomoteurs âgés de 14 à 16 ans. Le brevet de sécurité routière, dont la partie pratique a été mise en oeuvre à compter de novembre 1997, nest sans doute pas pour rien dans ce résultat. Lévaluation du BSR qui va être lancée prochainement nous le confirmera sans doute. Ce constat est indéniablement de nature à renforcer la confiance que nous accordons à la formation des usagers de la route et des conducteurs, qui reste laxe central de la politique de lutte contre linsécurité routière conduite par le Gouvernement.
Ces quelques données montrent, si besoin en était, limportance et lurgence des mesures qui vous sont proposées, car il faut regarder la réalité en face : quel que soit lindicateur retenu, nous nous situons, en matière de sécurité routière, dans les derniers rangs des pays membres de lunion européenne et les écarts nont souvent fait que samplifier dans la période récente.
Cette situation est inadmissible socialement, politiquement, économiquement et avant tout humainement. Face à lintolérable, face aussi à une sorte de fatalisme et de résignation chez certains de nos concitoyens, nous avons lobligation de réagir et de provoquer un véritable sursaut en faveur de la sécurité routière.
Nous savons quil est possible de faire reculer ce fléau. Du reste, les chiffres qui sont en ma possession pour le début de lannée 1999 en sont une illustration ; en effet les chiffres de février devraient montrer une sensible amélioration qui témoigne que les appels à la responsabilité et laccentuation des contrôles qui ont suivi lhécatombe de la Saint-Sylvestre ont porté leurs fruits.
Comme vous le savez, le texte que vous examinez en seconde lecture nest quune partie dun ensemble, adopté par le comité interministériel de la sécurité routière du 26 novembre 1997, qui comporte 25 mesures dont la plupart ne relèvent pas de la loi et qui sont mises en oeuvre sous limpulsion de Mme Massin, Déléguée interministérielle à la sécurité routière. Il faut considérer tous les éléments constitutifs de cet ensemble pour apprécier en connaissance de cause la politique du Gouvernement dans ce domaine.
En effet, la règle de base qui conditionne lefficacité de la lutte contre linsécurité routière, cest la capacité de maintenir un équilibre entre la prévention et la répression. Elles sont lune et lautre indispensables et doivent être conçues et appliquées en cohérence. Il ne sagit pas, comme voudraient le faire croire certains, dopposer dune part léducation, la formation et la communication et dautre part, les contrôles et sanctions. Il sagit encore moins de laisser croire quil faudrait choisir une voie au détriment de lautre, ce qui nous condamnerait inévitablement, jen suis convaincu, à limpuissance.
Cest dans cet esprit que nous avons pris, dans la période récente, deux séries de mesures, dont je tiens à vous rappeler ici la teneur.
Dabord, des actions qui impliquent directement les jeunes et qui font appel à leurs capacités créatrices.
Par exemple :
- sous limpulsion des trente préfectures qui se sont portées volontaires et grâce aux efforts des sociétés dassurances et dopérateurs compétents, tant dans le domaine de la sécurité routière que dans celui de lapprentissage de la conduite automobile, des formations spécifiques pour les conducteurs titulaires du permis de conduire depuis moins dun an se mettent en place et vont se développer tout au long de lannée 1999.
Dans le même esprit, des rendez-vous dévaluation vont être également proposés en 1999 aux conducteurs détenteurs du permis de conduire depuis plus de 10 ans
- La table ronde sur le thème de la « mobilisation des jeunes pour la sécurité routière », que jai organisée le 18 janvier dernier avec mes collègues Marie-George Buffet, ministre de la Jeunesse et des Sports, et Ségolène Royal, ministre déléguée à lEnseignement Scolaire, a permis la mise en place de deux groupes de travail, lun avec les Fédérations Sportives, lautre avec la Fédération Nationale de lHôtellerie dont les propositions seront examinées au cours prochain Comité Interministériel de la Sécurité Routière.
- Lopération « label vie », qui a pour but de susciter la réalisation de projets relatifs à la sécurité routière de la part des jeunes de 14 à 28 ans est lancée ; nous espérons que 1500 projets pourront ainsi être élaborés et nous avons pris les dispositions nécessaires pour aider financièrement ceux qui seront distingués par le jury.
- Madame Ségolène Royal, ministre déléguée à lenseignement scolaire, a indiqué que les « initiatives citoyennes » organisées dans les établissements scolaires en octobre 1999 porteront sur la sécurité, et en particulier sur la sécurité routière.
Ainsi, vous le voyez, se mettent en place les pièces de la mosaïque qui permettront progressivement dorganiser des formations pour tous les âges de la vie, de la maternelle à lâge adulte, dans le but de modifier durablement et en profondeur les comportements sur la route.
Par ailleurs, jai adressé le 15 janvier aux préfets, une circulaire signée par le ministre de lintérieur, le ministre de la défense et par moi-même, afin quils prennent les initiatives nécessaires pour renforcer les contrôles routiers quantitativement et qualitativement.
Il sagit à mes yeux dune nécessité pour améliorer à court terme les bilans de sécurité routière.
Il est primordial en effet dintensifier la présence des forces de lordre sur les routes et de mieux orienter les stratégies de contrôle en fonction des exigences de la sécurité routière.
Cette action nest pas que répressive : elle comporte un volet pédagogique puisquil est demandé dinstaurer une réelle concertation sur ces problèmes, notamment avec les jeunes, tout en multipliant les contrôles préventifs la nuit, le week-end et à la sortie des boîtes de nuit.
Le Comité Interministériel de la Sécurité Routière qui se tiendra dans les tout prochains jours permettra de compléter ces mesures dans le même esprit déquilibre et de recherche dune politique globale cohérente.
Jen viens maintenant au projet de loi que vous examinez en seconde lecture.
Je voudrais demblée souligner le travail accompli par les deux Assemblées, qui a conduit à améliorer, compléter, préciser le projet du Gouvernement tout en confortant ses objectifs et la philosophie qui linspire.
Plusieurs dispositions fondamentales ont été votées conformes par lAssemblée Nationale en première lecture et le Sénat en seconde lecture, ou bien ne sollicitent aujourdhui de votre part que des décisions dordre rédactionnel.
Jévoquerai dans ce cadre :
- la création dun délit en cas de récidive dans lannée pour un excès de vitesse de plus de 50 km/h par rapport à la vitesse limite réglementaire, qui traduit notre volonté commune de réprimer des comportements dautant plus inadmissibles quils risquent de provoquer un effet dentraînement.
- Linstauration de la responsabilité pécuniaire des propriétaires de véhicules dès lors que le conducteur na pu être identifié
Je salue à cet égard les apports fait par les deux Assemblées qui ont permis de clarifier et de préciser ce texte et de mieux expliciter sa portée, levant ainsi déventuelles ambiguïtés qui auraient pu susciter des interprétations caricaturales de nature à en déformer la réalité.
- Les dispositions visant à assainir le fonctionnement des établissements denseignement de la conduite et à améliorer la qualité de leurs prestations sont particulièrement importantes et attendues par toute une profession et par les consommateurs.
- Enfin, la première partie du projet, qui vise à rendre obligatoire le suivi du stage de sensibilisation aux causes et conséquences des accidents de la route pour les conducteurs novices auteurs dinfractions graves a été, après un débat particulièrement intéressant, voté dans les mêmes termes par les deux Assemblées.
La cinquième partie du projet de loi, qui concerne le dépistage systématique des stupéfiants pour les conducteurs impliqués dans des accidents mortels, a été votée conforme en première lecture. Cependant, une difficulté est créée du fait de larticle additionnel voté par le Sénat en seconde lecture, qui prévoit une incrimination identique à celle qui existe en cas de délit dalcoolémie.
Nul ne saurait aujourdhui sous-estimer les graves conséquences de la consommation de drogues illicites et il est légitime de penser quelle peut avoir de réels effets sur la conduite automobile. Conscient de cette réalité, le Gouvernement, en sappuyant sur les conclusions du livre blanc élaboré sous lautorité du professeur Lagier, a proposé de procéder à un dépistage systématique dont lobjectif premier est de connaître scientifiquement le phénomène et dévaluer le rapport exact qui existe entre la consommation de tel ou tel type de drogue et le comportement au volant.
Nos connaissances en la matière sont insuffisantes, comme elles létaient pour lalcool au début des années 1960.
Rappelons nous la démarche qui fut la nôtre en la matière : la loi du 15 avril 1954 a autorisé la recherche du taux dalcoolémie dans le sang pour les conducteurs impliqués dans des accidents graves, le juge restant souverain pour apprécier lopportunité de sanctionner ; puis, lordonnance du 15 décembre 1958 a créé un délit pour conduite dun véhicule en état divresse ou sous lemprise dun état alcoolique ; ensuite, des travaux de recherche systématiques ont été entrepris, ce qui a permis de parvenir à une bonne connaissance scientifique des relations entre lalcoolémie et le risque daccident. Cest alors qua pu se mettre progressivement en place une réglementation précise et bien fondée, aujourdhui unanimement admise dans son principe.
Cest une approche de même nature que nous proposons dadopter concernant les stupéfiants, qui soulèvent dailleurs des questions encore plus complexes que lalcool.
Nous avons donc, dans un premier temps décidé de procéder à un dépistage sur un échantillon suffisamment important, puisque les conducteurs impliqués dans des accidents mortels sont au nombre de 12000 par an environ. Ce nest que sur la base des résultats de ce dépistage que nous pourrons examiner ultérieurement, en toute connaissance de cause, sil y a lieu dinstaurer une sanction spécifique pour conduite sous lempire de substances ou plantes classées comme stupéfiants.
En létat actuel de nos connaissances, il serait tout à fait prématuré de prévoir une telle incrimination, que nous aurions dailleurs les plus grandes difficultés à mettre en oeuvre. Je souhaite donc quen supprimant cet article additionnel, lAssemblée confirme la position quelle avait prise en première lecture.
Je souhaiterais enfin évoquer quelques points importants, qui ont fait lobjet dobservations en première lecture.
- Sur la question des garanties de bonne fin des contrats de formation, la voie appropriée paraît consister à rendre obligatoire dans le contrat passé entre lélève et lauto-école, une clause qui indique la souscription ou la non-souscription dune assurance ou dune garantie financière couvrant le remboursement des sommes versées initialement et correspondant à des prestations non effectuées.
Cette obligation figurera dans le décret que le Gouvernement prendra en application de la présente loi. Lélève sera ainsi clairement informé de la garantie prise par lauto-école et pourra en faire un élément de sa décision lorsquil procédera au choix de lauto-école.
- Je vous confirme également mon accord pour réexaminer les règles actuelles de détermination du nombre de places offertes aux examens du permis de conduire. Il sagit dune question complexe, mais il faut effectivement améliorer le système actuel pour en accroître lefficacité et léquité.
- Je voudrais évoquer enfin la question de la formation des conducteurs aux « gestes élémentaires de survie », qui a été longuement débattue aussi bien au Sénat quà lAssemblée Nationale. Ils sont, je vous le rappelle, au nombre de cinq : appel des secours, balisage, bouche à bouche, arrêt des hémorragies et mise en position de sauvegarde.
Le problème de la formation de tous les conducteurs à ces actes relève indéniablement dune préoccupation louable, mais pose de redoutables questions, notamment quant aux risque que pourraient faire courir aux victimes des gestes mal pratiqués. Il y a là néanmoins un sujet important. Aussi, ai-je demandé à mes services dexaminer comment compléter ce qui existe déjà dans le programme national de formation.
Voilà, mesdames et messieurs les députés, le contexte dans lequel vous êtes conviés à débattre et je voudrais une nouvelle fois souligner lexcellent travail de la commission des lois de lAssemblée Nationale et de son Rapporteur, Monsieur Dosière.
Le texte que vous allez adopter est un élément essentiel dans la situation qui est la nôtre aujourdhui. Il constitue une contribution importante à cette grande cause nationale qui est la lutte contre linsécurité routière.