Interview de Mme Nadine Morano, secrétaire d'Etat à la famille et à la solidarité, à RMC le 21 octobre 2009, sur l'affaire Clearstream, la protection de l'enfance face aux nouveaux médias et l'afflux de commandes de tests ADN de paternité.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

G. Cahour.- On va d'abord balayer l'actualité. D'abord, E. Besson qui annonce qu'un vol va atterrir à Kaboul dans quelques heures. Est-ce digne de la France de renvoyer des Afghans dans leur pays en guerre ?
 
C'est digne de la France dès lors qu'à partir du moment où vous avez tout un arsenal législatif qui permet une immigration fondée sur l'humanité, sur la responsabilité mais en même temps sur des textes, on ne peut pas venir de n'importe quelle manière en France. Si ces personnes étaient en situation illégale, si ils ne correspondaient pas aux critères de l'asile politique, il est normal, et E. Besson dont c'est le domaine de compétence, fait appliquer la loi et renvoie chez eux ceux qui ne sont pas en situation régulière sur notre territoire.
 
Dans les critères de l'asile politique, le fait de renvoyer un homme dans un pays en guerre, où il peut risquer sa vie, ce n'est pas dans les critères de l'asile politique ?
 
Dans ce cas là, si je vous écoute, on n'a plus qu'à dire à tous les Afghans, à toutes les personnes qui habitent dans un pays où il y a la guerre de venir en France. Ce serait totalement irresponsable. On ne peut pas accueillir, comme vous le savez, non seulement toute la misère du monde mais également toute les personnes qui vivent sur un territoire en guerre. Nous n'en aurions pas les moyens ni même la capacité. Donc il y a des critères très précis. Et si ces critères ne sont pas remplis, ils sont renvoyés dans leur pays. Mais pour cela, il faut inviter E. Besson, il vous répondra beaucoup mieux que moi.
 
L'actualité, c'est également l'actualité politico-judiciaire, avec le procès Clearstream. N. Sarkozy a tenu sa promesse de me pendre à un croc de boucher", ce sont les mots, hier soir, de D. de Villepin après le réquisitoire dans le procès Clearstream. Dix-huit mois de prison avec sursis requis contre l'ancien Premier ministre. Il y aura toujours un doute dans ces plaidoiries et peut-être dans le jugement. Ensuite, le doute que la justice n'a pas pu travailler de manière indépendante.
 
Mais pourquoi ? Pourquoi ? Moi, je constate que cette affaire est en ce moment entre les mains de la justice, que le procès suit son cours, qu'il y a eu des plaidoiries de part et d'autre, que le procureur a requis. Ensuite, il faut laisser le verdict arriver. Je constate simplement qu'il y a eu des victimes dans cette affaire et victimes, c'est d'abord le président de la République - il ne l'était pas à l'époque des faits - qui s'est porté partie civile dans cette affaire. Eh bien maintenant, elle est entre les mains de la justice, il y a au une instruction longue. Je constate aussi par ailleurs que D. de Villepin, à chaque fois, a utilisé une espèce de posture de victimisation à la fois lorsqu'il est arrivé avec sa famille de manière très théâtrale, hier, en s'exprimant...
 
Il a fait de ce procès une tribune politique ?
 
Je pense qu'il en a fait une tribune politique de victimisation de sa personne en essayant de retourner les rôles et je pense qu'il faut que la justice fasse sereinement son travail. Donc, voilà, la dignité...
 
Pour parler purement politique, au-delà du fait que N. Sarkozy en tant que citoyen voulait peut-être justement aller jusqu'au bout de cette affaire... Je pense qu'il a raison par ailleurs ! Pour parler purement politique, le clan Sarkozy, dont vous faites partie, n'avait pas prévu, n'avait pas calculé que D. de Villepin se servirait de ce procès pour en faire une tribune politique qui se retourne contre vous. Purement politiquement, il se retourne contre N. Sarkozy ce procès.
 
Mais ce n'est pas du tout la réflexion qui est celle du président de la République, comme ceux qui sont ses proches. Il y a eu atteinte à la dignité de N. Sarkozy, voulant le traîner dans la boue dans une affaire de comptes faux en Suisse (sic), où son nom a été inscrit pour le salir...
 
Mais aujourd'hui, D. de Villepin est encore plus le premier opposant de France aux yeux des Français, c'est ce qui ressort dans les sondages.
 
Ecoutez, non. Je pense simplement qu'il y a eu une affaire tendant à salir N. Sarkozy. Voilà. Il s'est porté partie civile, il est allé en justice pour cette affaire, et ensuite, il y a des victimes et il y a des personnes qui doivent répondre par rapport à cette situation. Je constate que D. de Villepin s'inscrit dans cette démarche, à chaque fois, d'une espèce de victimisation et donc de retourner les rôles mais c'est à la justice de parler, ce n'est pas à N. Morano. La justice est en cours, il faut laisser la justice passer.
 
En tout cas, vous n'avez pas fini d'en entendre parler, parce que s'il est condamné, ce sera donc dans les six mois, avec, ensuite, probablement l'appel, éventuellement la cassation. Bref, le procès Clearstream, on en a encore pour deux ou trois ans.
 
Mais cela fait partie de la justice. Très concrètement, je pense que ça n'intéresse pas les Français.
 
La protection de l'enfance : vous annoncerez ce matin des mesures sur les nouveaux médias. Qu'est-ce que c'est ? Qu'est-ce que vous intégrez dans la notion de "nouveaux médias" ? Parce que jusqu'à présent, on parlait Internet et purement Internet.
 
Non, il n'y a pas qu'Internet. Je dirais tout simplement que les médias, les écrans, ont envahi la vie des familles de manière importante...
 
C'est Internet, les téléphones portables...
 
Les téléphones portables, les jeux vidéo, les consoles de jeu, les téléphones mais également les iPhone, avec toutes les technologies que comportent ces nouveaux instruments. Ce sont des technologies performantes et intéressantes, auxquelles il ne faut pas tourner le dos. Mais en revanche, il faut apprendre à les utiliser. On voit bien qu'aujourd'hui, presque 90 % des adolescents surfent tous les jours sur Internet, que 60 % des petits d'ailleurs, des 6-11 ans, vont quasiment tous les jours aussi sur leur ordinateur. Et donc, face à cela, face à l'ensemble des programmes de télé, face à l'utilisation des jeux vidéo sur Internet, au fait d'aller aussi sur tous les réseaux sociaux, on voit qu'il fallait réfléchir à une éducation aux médias parce que les familles sont très demandeuses.
 
Ça va être un plan à l'Education nationale ?
 
D'abord, j'ai chargé A. Vincent-Deray, qui était membre du CSA, qui s'est occupée de la signalétique sur la télé, sur l'ensemble des programmes, de diriger une commission, avec des experts, des psychologues mais aussi avec des journalistes - je pense à P. Amar par exemple.
 
Qu'est-ce qui va en ressortir, quelles seront les nouvelles mesures ?
 
Très concrètement, ils doivent me rendre leur rapport ce matin à 11 heures, le rapport de cette commission qui a travaillé six mois, qui a fait beaucoup d'auditions et qui a travers ces auditions démontre ces nouveaux comportements, où, bien souvent, les familles se retrouvent larguées face au comportement de leurs enfants et de ces nouveaux médias. On voit bien d'ailleurs, que L. Chatel est obligé aussi de prendre des mesures sur l'utilisation du téléphone dans les écoles.
 
Vous nous parliez de iPhone et des Smart Phone, est-ce qu'il faut des logiciels de protection, comme il y en a sur les ordinateurs ?
 
Bien sûr, ça existe déjà. Nous travaillons avec les fournisseurs d'accès à Internet. Mais très concrètement, la commission va me rendre des propositions. Sur ces propositions, il y en a qui me semble extrêmement intéressantes, notamment la création d'une fondation "Education famille médias", qui permettrait, en englobant une fondation avec des financements privés, et sans doute aussi un apport public, puisque je souhaiterai, en tant que ministre de la Famille, y apporter ma participation, a ce que nous arrivions à définir des actions et un politique commune, à la fois en terme d'observatoire mais également en terme de politique à définir.
 
Je n'ai toujours pas compris ce que cela va changer pour les familles...
 
Attendez. Pour y arriver, à travers cette fondation, il faut qu'on puisse expliquer aux familles, éduquer les familles sur l'utilisation de ces nouveaux médias. Mais pour cela, il faut l'implication, par exemple de toutes les chaînes TV, notamment celles qui concernent les enfants. Je pense à Gulli, à toutes les TV du groupe Lagardère, qui déjà...
 
Donc vous pensez à des programmes télé éducatifs ?
 
A des programmes télé, mais également à une signalétique beaucoup plus importante dans les médias sur la qualité des programmes qui seront diffusés. Mais également sur Internet, avec des signalétiques aussi concernant les jeux vidéo à utiliser. Et donc, pour pouvoir arriver à des vrais programmes à définir en partenariat, il faut que les pouvoirs publics mais également les chaînes télé, les FAI - et là, je pense par exemple à Orange qui est très intéressé pour être partie prenante dans cette fondation -, je pense au groupe Lagardère, je pense aussi à Bolloré TV, à France Télévisions qui pourrait aussi faire partie de cette fondation.
 
Franchement, une fondation, c'est pas un grand principe qui va terminer en queue de poisson ? Dans trois ans, on va se rendre compte qu'on a investi quelques millions qui n'ont servi à rien...
 
Non. Ce serait un grand principe si nous ne définissions pas des actions très concrètes. Et je peux vous dire que si vous avez une fondation où il n'y aurait pas toutes les chaînes télé, tous les FAI et les pouvoirs publics, nous n'arriverions pas à mener de concert des actions concrètes à disposition des familles. Parce que, en plus, quand je vous parle de pouvoirs publics, on est là dans l'interministériel. Il y a l'Education nationale, il y a le ministère de la Famille, il y a l'Economie numérique. Et donc, c'est ensemble que nous allons définir des programmes d'action à destination des familles pour les aider, pour gérer tous ces nouveaux médias qui sont entrés dans nos vies. Je vous rappelle, et j'en terminerai par là, qu'aujourd'hui en moyenne, chez les Français, il y a six écrans tout confondu : écran de télévision, écran d'ordinateur, console de jeux. Et on voit bien que cela a complètement bouleversé la vie des familles, à la fois dans la façon d'avoir par exemple une télé dans sa chambre, eh bien, il n'y a plus de discussion pour regarder le même programme. Donc il y a tout cela à revoir, comment on s'organise dans la vie de tous les jours, avec tous ces nouveaux médias qui sont entrés dans nos vies.
 
Sur le boum des tests ADN de paternité, 10 à 20.000 Français effectuent chaque année dans des laboratoires étrangers des tests ADN pour vérifier s'ils sont bien le papa de leurs enfants et s'ils n'ont pas été trompés. Est-ce qu'il faut légaliser les tests ADN en France ?
 
Je trouve cela dangereux, en ce moment, ce qui se passe parce qu'on voit qu'il y a un afflux de commandes de test de paternité dont on ne connaît pas la fiabilité et dont on peut voir les ravages qu'il peut y avoir dans les familles. Et donc, je trouve cela...
 
C'est-à-dire que de nombreux laboratoires n'ont pas d'agréments.
 
C'est-à-dire qu'on commande à l'étranger. Quand vous commandez à l'étranger et que vous ne savez pas exactement quel est l'interlocuteur que vous avez en face, on sait très bien que même sur Internet - et c'est pour cela, d'où la régulation et l'éducation aussi sur l'utilisation d'Internet - on sait très bien qu'il peut y avoir de la vente de médicaments qui sont des médicaments qui ne sont pas des vrais médicaments.
 
Donc pour l'ADN c'est pareil ?
 
Et donc, pour les tests ADN, je trouve cela extrêmement dangereux.
 
Et justement, est-ce qu'il ne faut pas légaliser en France avec des laboratoires agréés en France ?
 
Il y a déjà la possibilité d'avoir recours à tests ADN mais par le biais de la justice. Mais enfin, vous vous rendez compte, si à chaque fois que vous attendez un enfant, le premier réflexe c'est la suspicion : est-ce que je suis bien le père de cet enfant ?
 
Oui, surtout si on passe par la justice, il faut prévenir la maman. On a peut être envie de le faire discrètement sans pour autant risquer de faire exploser le couple.
 
Si vous passez par la justice, c'est qu'il y a un problème qui concerne vraiment l'organisation de cette famille. Mais si à chaque fois, on est entrain de faire entrer dans les familles le doute et la suspicion, je trouve que c'est quand même un peu léger.
 
Donc, c'est plus un test de fidélité qu'un test de paternité ?
 
Je trouve que l'utilisation de ces technologies au service des familles...
 
Il aurait fallu un test de fidélité plutôt qu'un test de paternité ?
 
Non ça reste un test de paternité. Evidemment, par définition, ça devient aussi un test de fidélité ou d'infidélité.
 
C'est des objectifs plutôt.
 
Oui mais je crois que très honnêtement entrer dans une société de suspicion...
 
Donc, vous préférez qu'on fasse simplement à l'étranger, avec éventuellement la possibilité que cela se passe mal, plutôt que de manière compliquée en France ?
 
Je pense qu'il ne faut pas le faire à l'étranger par le biais d'achat de tests ADN sur Internet dont on ne connaît pas la fiabilité. Je crois qu'il faut garder la sérénité.
 
Vous êtes pour le statu quo en fait.
 
Non, je pense qu'on peut en parler au cours des lois bioéthiques qui viendront en discussion au Parlement en 2010.
 
On peut en parler mais vous ne voulez pas que ça change.
 
Attendez ! On verra ce qu'on pourrait faire changer, mais pour ma part, je crois qu'il faut dans l'intérêt des familles et dans l'intérêt des enfants ne pas avoir à l'esprit, tel que cela devient une espèce de mode, de créer la suspicion dans les familles. Je veux dire, dès qu'on va attendre un bébé, on ne va pas commencer à se mettre en tête - enfin, je plains tous les papas qui vont commencer à se mettre en tête - : "est-ce que je suis bien le père de l'enfant qui va arriver ?".
 
C'est le cas dans un cas sur 30 dans le monde. C'est un test qui avait révélé cela. Dans un cas sur 30, pour 1 enfant sur 30, le papa officiel n'est pas le vrai papa.
 
C'est quand même très difficile à savoir puisque par définition on le sait pas. (.../...)
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 22 octobre 2009