Interview de M. Patrick Devedjian, ministre en charge de la mise en oeuvre du plan de relance, à La Chaîne Info LCI le 17 novembre 2009, sur la suppression de la taxe professionnelle, la réforme des collectivités territoriales et les objectifs du grand emprunt.

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Circonstance : 92ème Congrès des maires, du 16 au 19 novembre 2009

Média : La Chaîne Info

Texte intégral

C. Barbier.- P. Devedjian, bonjour.
 
Bonjour.
 
Fronde des départements hier, des maires aujourd'hui. Est-on au bord d'une grande révolte territoriale contre la réforme des collectivités ?
 
Je ne le crois pas, pour une raison d'ailleurs très simple : c'est que le Parlement est saisi de cette réforme, or il est constitué à 80% de ses parlementaires, d'élus locaux. Cce sont des élus locaux, et donc dans la réforme, il n'y aura rien qu'en définitive les élus locaux n'aient consenti.
 
En conséquence, demandez-vous aux maires aujourd'hui de ne pas huer le Premier ministre ?
 
Je leur demande surtout de l'écouter, parce que le dispositif est en cours de calage, il est en cours de confection, notamment au Sénat. Avant de crier, il faut écouter.
 
Pourquoi le président de la République ne vient-il pas devant les maires pour les rassurer, pour leur expliquer ce qui est son projet ?
 
Non, mais d'abord, il les recevra à l'Elysée...
 
Une sélection...
 
700, ce n'est pas rien...
 
Ça sera les plus tranquilles, les plus UMP...
 
Non, je ne crois pas...
 
La gauche va boycotter sans doute...
 
Eh bien, elle a tort. Et ensuite, le Président a des obligations internationales aujourd'hui, il faut quand même accepter que la France joue son rôle sur la scène internationale, d'autant que le président de la République se débrouille pas mal sur le plan international.
 
Le ministre de l'Intérieur, B. Hortefeux, a constitué une task force, comme on dit, d'élus pour aller au-devant des collectivités locales, les rassurer, leur expliquer ; le Gouvernement a donc bien peur d'un malentendu ?
 
Bien sûr, malentendu il y a. D'abord, l'opposition fait flèche de tout bois, avec pas mal de cynisme, parce que la réforme de la taxe professionnelle, je rappelle que c'est la gauche qui l'a engagée, elle a eu raison d'ailleurs de l'engager, il faut lui reconnaître ça. Mais aujourd'hui, elle a tort de s'opposer à ce qu'on continue ce qu'elle avait commencé.
 
C'est plus qu'une réforme désormais, c'est une suppression. Si vous oubliez que vous êtes ministre, vous êtes président de Conseil général, est-ce que vous pouvez sincèrement vous dire ravi de cette suppression de la TP ?
 
Mais oui, d'une certaine manière, oui, bien sûr, parce que la TP, d'abord, c'est un mécanisme aveugle, et qui chasse les entreprises de notre territoire. Le but de la réforme, elle s'inscrit d'ailleurs dans la politique de relance, la réforme de la taxe professionnelle, elle consiste à permettre à nos entreprises, qui sont les seules au monde, à part le canton de Genève, à subir un tel impôt, d'être plus compétitives sur la scène internationale. Et si elles sont plus compétitives, les collectivités locales auront aussi davantage de recettes fiscales.
 
Les collectivités locales prendront ce qu'elles ne trouveront pas dans la poche des entreprises dans la poche des ménages. 20 points d'impôt en plus, prévient L. Fabius.
 
Non, mais ce n'est pas vrai, ce n'est pas vrai. La réforme qui est aujourd'hui concoctée par le Sénat montre bien que la réforme de la taxe professionnelle va maintenir le lien économique avec les entreprises, on ne va pas prendre chez les ménages ce qu'on enlèverait aux entreprises, on va le répartir autrement, c'est-à-dire qu'on ne va plus pénaliser l'investissement, on ne va plus pénaliser l'emploi, comme la taxe professionnelle le faisait, mais en revanche, on va tenir compte de tout ce qui est l'activité économique développée sur un territoire.
 
"On va tenir compte", c'est l'Etat qui va tenir compte, qui va collecter et redistribuer avec un système très complexe. On assiste bien à une recentralisation, c'est la fin de la décentralisation.
 
Je ne le crois pas, mais c'est tout l'enjeu de la réforme, et c'est tout le débat, et je vous le disais, les parlementaires qui sont des élus locaux ne sont pas décidés à laisser re-centraliser un dispositif qui effectivement doit maintenir une autonomie financière pour les collectivités locales.
 
250 euros de cotisation minimale pour les entreprises de plus de 500.000 euros de chiffre d'affaires. Les sénateurs ont voté cette disposition, pour qu'il y ait quand même un reliquat ; le Gouvernement laissera faire, c'est une bonne idée ?
 
Je pense qu'en tous les cas, ça mérite un débat approfondi, ce n'est pas une initiative inintéressante.
 
Alors, il y a la taxe professionnelle, et il y a aussi la réforme qu'on appelle des conseillers territoriaux. La gauche dit : les conseillers territoriaux, ils vont se battre pour leurs cantons, uniquement leurs cantons, les régions, c'est fini.
 
Attendez, c'est déjà le cas, les conseillers généraux - j'en sais quelque chose, et c'est normal d'ailleurs - se battent...
 
Oui, c'est pour ça qu'on a fait les régions au-dessus des départements...
 
... se battent pour leurs cantons. Quant aux conseillers régionaux, aujourd'hui, ils sont justement parfois hors sol, le fait d'être élu sur des listes proportionnelles sur de vastes territoires fait que très souvent, on se demande - et eux-mêmes se demandent - quels intérêts ils doivent défendre. Ce n'est pas mal, vous savez, de défendre le territoire sur lequel on est élu, ce n'est pas un reproche à faire.
 
Et au passage, cette réforme vise aussi à favoriser les résultats électoraux de l'UMP. La gauche a fait une simulation : si les cantonales de 2008 avaient eu lieu avec le nouveau système, 90% des résultats qui auraient basculé auraient basculé en faveur de la droite...
 
Non, mais attendez, la gauche fait toujours des simulations bidons, comme ça, mais quand on regarde les résultats électoraux, on s'aperçoit qu'ils sont équilibrés, en tous les cas, qu'ils sont objectifs, et même après, la gauche ne continue pas à protester quand les élections ont eu lieu.
 
Le rapport Juppé/Rocard sera remis jeudi, rapport sur le grand emprunt ; un grand emprunt à 35 milliards - c'est le chiffre qui circule -, est-ce que ça ne serait pas finalement une goutte d'eau ?
 
Ah non, ça, ce n'est pas une goutte d'eau, c'est un investissement important qui devrait permettre à la France, sur des secteurs bien choisis, d'être beaucoup plus compétitive.
 
Lesquels, par exemple, vos choix à vous, si vous deviez faire la liste des secteurs ?
 
Oui, j'en ai parlé d'ailleurs avec la Commission, moi, je pense qu'il y a plusieurs sujets. Par exemple, dans le domaine des nanotechnologies, la France a un peu d'avance ; eh bien, il faut l'approfondir, il faut l'accentuer. Dans le domaine du très haut débit, c'est-à-dire cent mégabits, et qui est indispensable pour créer derrière toute une industrie qui vient derrière la très haute définition de la télévision, eh bien, là aussi, il y a des investissements à faire. Si je prends par exemple, moi, je crois qu'un certain nombre de lignes de TGV doivent être prioritaires parce qu'elles permettent le développement des territoires. Regardez comment Marseille s'est développée avec un TGV qui est à trois heures de Paris...
 
Ça va vite 35 milliards avec des lignes TGV, on n'en fera pas beaucoup.
 
Non, mais il y a quelques priorités.
 
Vous ironisez souvent sur la suppression de votre ministère concomitante avec la sortie de la crise, alors c'est pour quand ?
 
Je pense que... de toute façon, le budget est prévu : c'est deux années. Mon ministère il a été prévu pour deux années. Et je pense que les résultats que nous avons peuvent permettre d'espérer une sortie de crise en 2010.
 
Les Français ne vous croient pas, ils sont beaucoup plus pessimistes que les autres nations.
 
En tous les cas, c'est eux qui auront les meilleurs résultats sur la politique de relance. Je rappelle : la projection de croissance pour cette année 2009, la moyenne européenne c'est moins 5, ce n'est pas brillant, moins 4, pardon ; la moyenne allemande c'est moins 5, et la moyenne française c'est moins 2,2.
 
Alors pourquoi les Français sont pessimistes alors ?
 
Les Français sont pessimistes, parfois ils le sont trop aussi. Je me souviens, au début de la politique de relance, on m'expliquait que le mois suivant serait catastrophique ; maintenant, on m'explique que le mois prochain sera merveilleux. La vérité est entre les deux.
 
Vous plaisantez aussi parfois sur les difficultés de votre successeur à la tête de l'UMP, X. Bertrand, en terme d'adhésions notamment. Pourquoi ces difficultés selon vous ? X. Bertrand est mauvais, N. Sarkozy est moins populaire ?
 
Non, non, je ne dis pas ça. Simplement, comme j'avais essuyé quelques critiques sur ma gestion, eh bien, je dis que je suis tout à fait prêt...
 
Arroseur arrosé...
 
...Je suis tout à fait prêt à accepter une comparaison, et je vois que, aux dires mêmes de X. Bertrand, les effectifs sont stables. Donc on n'a pas fait 500.000 adhérents depuis que je suis parti.
 
Et ça doit rester l'objectif ?
 
Ah ben, si on peut faire mieux, il ne faut pas s'en priver.
 
P. Devedjian, merci. Bonne journée.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 17 novembre 2009