Déclaration de M. François Fillon, Premier ministre, sur les enjeux et les objectifs de la réforme de l'administration territoriale de l'Etat, Paris le 16 novembre 2009.

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Circonstance : Discours devant l'ensemble des acteurs de la réforme de l'administration territoriale de l'Etat, à Paris le 16 janvier 2009

Texte intégral


Mesdames et Messieurs, l'Histoire a connu, ces deux dernières décennies, une accélération fulgurante : l'ancien équilibre géopolitique a volé en éclats, des transferts de richesses gigantesques se sont amorcés entre les nations développées et entre les grands pays émergents, et la crise financière majeure que nous venons de connaître ne fait qu'intensifier cette rupture historique. Les réformes que nous avons entreprises doivent mettre la France en capacité de faire face à cette nouvelle donne. Et au coeur de cet effort, il y a évidemment la réforme de notre Etat.
Ça fait longtemps que l'on parle de réforme de l'Etat, et en réalité, ça fait longtemps qu'il se réforme concrètement. Je n'accepte pas cette idée simpliste selon laquelle notre administration n'a pas évolué, notre administration ne s'est pas modernisée. La décentralisation, avec ses étapes successives, les privatisations, la professionnalisation des armées, la LOLF, constituent autant d'avancées significatives. La réforme de la carte judiciaire, la réforme de la carte militaire, l'autonomie des universités, la loi hospitalière, la révision générale des politiques publiques, le prouvent : les moteurs du changement sont loin d'être éteints dans la sphère publique. Et ces adaptations, l'Etat a pu les réaliser grâce à l'engagement humain et professionnel de ses agents ; et je veux, avec Eric Woerth, le saluer.
Mesdames et Messieurs, peu de nations peuvent compter sur une fonction publique d'une telle qualité, que la fonction publique française. Quand certaines lacunes subsistent ici ou là, les fonctionnaires sont les premiers à s'en désoler - et elles sont affaire d'organisation, pas de personnes. Pour autant, l'Etat doit amplifier sa mutation. Il doit le faire pour s'adapter à l'évolution des attentes des citoyens et de ses partenaires, les collectivités locales et les entreprises. Il doit aussi le faire parce que la contrainte budgétaire est une réalité plus pressante que jamais : nous ne pourrons pas continuer longtemps avec des finances publiques aussi déséquilibrées, qui minent nos marges de manoeuvre et nos capacités d'investissement.
L'enjeu dépasse la question des moyens. Fondamentalement, il s'agit de savoir quel rôle nous voulons voir l'Etat jouer dans la République. Cet Etat, qui est au coeur de notre pacte social, est un produit de notre histoire. Il synthétise des siècles de tâtonnements et de drames, mais surtout, aussi, d'intelligence, de volonté, et de raison. Au-delà des vicissitudes, l'Etat est là pour recréer sans cesse le lien social, et pour maintenir l'unité de la Nation. L'Etat, c'est cet arbitre qui nous rassemble et qui nous protège. Assurer la synthèse entre l'efficacité économique et la cohésion sociale, concilier les impératifs du long terme et les pulsions du court terme, sécuriser les populations, aménager le territoire, investir sur des créneaux stratégiques : voilà les responsabilités que nous voulons voir assumer par l'Etat.
Mais pour cela, il doit être encore plus efficace, et encore plus performant. C'est l'ambition de la réforme de l'administration territoriale, dont vous êtes les acteurs, et qui constitue une étape majeure dans la modernisation de l'Etat. Je souhaite d'abord saluer, avec l'ensemble des membres du gouvernement qui sont présents à mes côtés, votre rôle personnel dans ce processus. Vous avez accompli un travail exceptionnel, et je veux vous en remercier personnellement : les préfets, les secrétaires généraux des ministères, les préfigurateurs des nouvelles directions. Vous êtes en quelque sorte des pionniers. Je sais que, tandis que l'on vous demandait de préparer de nouveaux organigrammes, qu'on vous demandait d'intégrer de nouvelles cultures professionnelles, qu'on vous demandait de réunir des services d'origines différentes, de proposer des solutions pratiques à des problèmes d'organisation, de définir des projets de services, on vous demandait en même temps de faire face à la crise économique, de vous mobiliser contre un risque de pandémie, et de répondre à de nouveaux défis environnementaux.
Vous avez mené des processus de concertation extrêmement difficiles ; vous avez parfois rencontré l'incompréhension ; vous avez désamorcé beaucoup de conflits ; vous avez recherché l'innovation, et relevé le défi du changement. Eh bien, je veux vous dire qu'en faisant tout cela, vous avez tout simplement incarné l'administration, dans ce qu'elle a de plus noble. Et cela restera à votre actif. Je veux vous en exprimer ma reconnaissance personnelle, et celle de tout le gouvernement.
Je veux aussi saluer le rôle des administrations transversales, qui se sont mobilisées sur la réforme. Je pense à la Direction générale de l'administration et de la fonction publique ; je pense à la Direction générale de la modernisation de l'Etat, sous l'autorité de François-Daniel MIGEON. Et je tiens, enfin, à mentionner l'exceptionnel travail interministériel réalisé à Matignon par Yves COLCOMBET, avec notamment l'appui précieux de l'Inspection générale de l'administration.
Cette réforme de l'administration territoriale de l'Etat, elle est fondamentale. Elle est la mise en oeuvre concrète de pistes évoquées depuis longtemps. Certaines avaient d'ailleurs déjà connu un début d'application par le passé ; mais il s'agit aujourd'hui d'un effort global, d'un effort qui est inédit par son ampleur et par sa cohérence. Je sais bien qu'il était plutôt d'usage, dans notre tradition administrative, de procéder par étapes - ce qui n'était d'ailleurs que faussement rassurant, puisque cela obligeait en fait à perturber régulièrement l'équilibre du système pour progresser. Tout traiter en même temps est, je crois, au contraire un gage de succès, même si naturellement, cela exige une concentration d'efforts et une mobilisation exceptionnelles.
Cette réforme est aussi le terreau de bouleversements profonds, qui touchent à toutes les dimensions de la vie de notre Etat, et qui vous permettent d'inventer l'administration de demain. Alors pour mener à bien un tel chantier, il faut d'abord des principes clairs. Le pilotage des politiques publiques est désormais régional, et sa mise en oeuvre se fait à l'échelon départemental, au plus près du terrain, au contact des administrés. Ces principes figuraient déjà dans la loi de 1992 sur la déconcentration, mais ils se traduisent désormais dans les faits. Avec des conséquences considérables pour l'échelon central : n'ayant plus à gérer en direct une centaine d'entités cloisonnées, mais 22 interlocuteurs renforcés, il va pouvoir enfin se concentrer sur sa fonction d'orientation stratégique.
Le préfet aura auprès de lui une équipe resserrée. Le corps préfectoral et les directeurs départementaux interministériels, forment enfin le véritable état-major pluridisciplinaire à la disposition du préfet. Les responsabilités des préfets restent d'assurer la permanence et la continuité de l'Etat sur l'ensemble du territoire de la République, et de veiller à la mise en oeuvre locale de l'ensemble des politiques publiques. La sous-préfecture, de son côté, deviendra progressivement une administration de mission, tournée vers le développement local, et venant en appui à l'action de proximité menée par le sous-préfet.
La modularité est un principe essentiel de la réforme. Nous avons refusé le systématique dans l'organisation au niveau local. Cela va se traduire par des organigrammes internes qui seront adaptés aux besoins locaux, sous le pilotage des préfets. C'est un principe révolutionnaire, puisque dorénavant il n'y aura plus une organisation unique sur l'ensemble du territoire. Et c'est justement en raison de son caractère inédit, qu'il faut ??tre prudent dans sa mise en oeuvre. Il s'agit maintenant de l'appliquer de façon précise et cadrée.
Je suis d'ailleurs frappé, pour cette réforme comme pour beaucoup d'autres, d'entendre les invitations à aller plus vite, plus loin, plus fort, parfois de ceux-là mêmes qui n'auraient jamais osé en entreprendre une infime partie. Mais il est vrai que dans le même temps, fleurissent les recommandations d'aller plus lentement, et de faire une pause. Je sais, en réalité, que ces invitations contradictoires, vous les vivez aussi, sur le terrain, dans la mise en oeuvre des décisions que nous sommes en train, ensemble, de prendre ; et que vous comprenez, pour le rechercher au jour le jour, combien est délicat l'équilibre entre la rapidité d'exécution, et le respect des femmes et des hommes qui composent les services. Je veux que vous sachiez l'attention que je porte à cette question du rythme de la réforme. Pas une décision centrale n'a été prise sans une considération attentive de cet équilibre ; aucune n'aurait pu l'être sans une attention soutenue aux messages qui me remontent régulièrement des acteurs de terrain.
L'année 2010 va être l'année de mise en place des nouvelles directions interministérielles. Il faut que les communautés humaines de ces directions prennent forme, notamment par de nouvelles instances représentatives du personnel. Il faut que se forme une vraie cohésion culturelle. Je sais que cela ne peut pas se faire en un jour ; cela prendra du temps. Nous allons donc vous donner le temps, de construire et de mettre les choses en place.
Je demande également aux services centraux de vous aider dans cette phase délicate. Il faut que les administrations centrales accélèrent la convergence de leurs façons de travailler, en matière de fonctions support, en matière de ressources humaines, en matière de systèmes d'information. Là encore, la question essentielle est celle du rythme. La réforme de l'administration territoriale de l'Etat rend inéluctables de nombreuses évolutions, toujours retardées ; elle rend insupportables certaines contradictions jusqu'ici tellement difficiles à résoudre.
Bien sûr, je veux le redire, tout ne pourra pas se faire d'un coup. Vous-mêmes, dans la construction de vos nouveaux services, vous commencez par réunir les agents, vous les rassemblez physiquement lorsque cela est possible, puis vous travaillez sur les structures, sur les interfaces, sur les synergies, pour résoudre les contradictions les plus immédiates, et ensuite mettre en oeuvre les référentiels communs. Eh bien, de la même façon, l'échelon central doit séquencer ces évolutions. Il est normal d'en ressentir parfois de la frustration : pourquoi, en effet, ne pas aller plus vite sur la convergence de tel ou tel aspect du fonctionnement des services, en matière de temps de travail, en matière d'astreintes ? Tout simplement parce que ce pilotage d'ensemble exige justement une vision d'ensemble, qui dépasse même parfois le cadre territorial, et qui doit se faire dans le dialogue, dans la concertation, à tous les niveaux.
Mais une chose doit être claire : il n'y aura pas de retour en arrière, que ce soit à des structures que la réforme a modifiées, ou que ce soit à des modes de fonctionnement que la réforme a proscrites. Et les seules stratégies qui seraient systématiquement perdantes, seraient celles du blocage ou celles de l'attentisme. Je le dois non seulement à la réussite de ce chantier majeur, mais je le dois, au fond, d'abord à vous tous, qui êtes engagés pour le mettre en oeuvre.
Mesdames et Messieurs, la réforme de l'administration territoriale de l'Etat préfigure l'administration de demain. Celle-ci doit d'abord s'organiser en fonction des attentes des citoyens ; c'est bien l'objectif de la réforme de l'administration territoriale, qui n'est pas seulement une réforme de structure, mais qui est d'abord un changement d'état d'esprit. L'administration est parfois trop refermée sur elle-même ; beaucoup la considèrent comme une forteresse distante, inaccessible. Les usagers demandent à avoir un seul interlocuteur, bien identifié, proche d'eux. Et c'est la raison pour laquelle le niveau départemental de l'administration de l'Etat doit être préservé. Les usagers ne veulent pas être renvoyés d'une administration à une autre. Ils trouvent anxiogène et déstabilisant de ne pas savoir à quelle porte frapper. J'entends parfois dire que la réforme déstabiliserait les citoyens dans leurs habitudes ou dans leur compréhension globale du système. La vérité, c'est que, pour citer le cas des directions départementales, il me semble au contraire que les termes de protection des populations, de cohésion sociale, ou de territoires, sont non seulement faciles à comprendre, mais qu'ils expriment d'une manière extrêmement claire ce que sont les missions de l'Etat moderne.
Je suis certain que les élus, les citoyens, et les partenaires de vos services, ne seront pas longs à savoir où s'adresser, et que les agents seront à juste titre fiers de travailler sous de telles dénominations. Cette réforme va d'ailleurs dans le même sens que celle des collectivités locales, puisqu'elle consiste à mettre fin à l'enchevêtrement des compétences et au labyrinthe des circuits administratifs. Cette réforme rendra l'Etat local plus souple, plus lisible, plus modulable, y compris dans sa relation essentielle avec les collectivités locales.
L'administration de demain, c'est aussi une administration qui valorise l'interministérialité. Le décret du 31 mars 2009 relatif aux emplois de direction de l'administration territoriale de l'Etat, le démontre. C'est un texte sans précédent : il organise un statut d'emploi unique, interministériel, ayant vocation à couvrir l'ensemble des emplois de direction de l'administration territoriale. Il vient remplacer plusieurs dizaines de statuts d'emplois spécifiques. C'est un formidable vecteur pour la promotion de la mobilité des compétences au niveau local. Les directeurs départementaux interministériels ne seront pas des chefs de services techniques de l'Etat ; ce seront de véritables managers d'équipes pluridisciplinaires. Je pense que c'est un aspect extrêmement novateur de leur fonction, qui lui donne une dimension nouvelle.
Je veux préciser, à cet égard, que le niveau départemental ne doit pas être pénalisé par des logiques ministérielles qui privilégieraient de façon excessive les mutualisations au niveau régional. Certes, il est souhaitable que le niveau régional continue de s'affirmer, avec notamment la possibilité croissante pour le préfet de région de donner des instructions aux préfets de département. Mais le niveau départemental doit conserver des effectifs en rapport avec les missions qui restent de sa compétence : il doit contribuer à l'équilibre des territoires ; il doit fédérer les actions concourant à la cohésion sociale ; il doit garantir la sécurité sanitaire et économique ; il doit assurer l'interface avec les politiques locales.
L'administration de demain, c'est aussi une vision nouvelle de l'autorité, qui passe par plus de transversalité. L'Etat ne doit plus être un ensemble de citadelles séparées. Les organisations les plus efficaces, nous le savons bien, sont celles qui savent combiner les compétences métiers et les équipes projets. Or, il n'est pas toujours facile de sortir de la vision verticale. Dans nos schémas traditionnels, l'autorité paraît simple, mais vous savez bien qu'elle n'est souvent que virtuelle. La réforme que nous menons va la rendre en apparence plus complexe, mais en fait plus réelle. Il faut que nous sortions du modèle hiérarchique ancien. Il faut faire travailler en réseau, pour améliorer l'adéquation entre les compétences et les attentes. Il faut professionnaliser les fonctions, et mettre les compétences au service des responsables. Il faut aussi développer la collégialité, notamment à travers le comité de l'administration régionale, où se fait la liaison entre le vertical et le transversal.
Les directeurs régionaux, porteurs de leur culture et de leur technicité, siègent dans ce comité pour enrichir et pour compléter le point de vue des préfets. Cette transversalité et cette nouvelle vision de l'autorité se développent partout : on le voit bien dans le domaine de la santé, avec la mise en place des agences régionales de santé. Eh bien elle doit aussi progresser au niveau national. Il faut que les échelons supérieurs se parlent davantage. Il faut que les ministères se concertent mieux pour concevoir les textes. Je sais que les agents n'en peuvent plus d'être soumis à un déluge de circulaires toutes censées être prioritaires. La réforme territoriale permettra d'ailleurs de faire apparaître les doublons qui subsistent entre administrations centrales en raison de l'insuffisance de leur dialogue et qui devront être supprimés.
Il en va de même en matière de dialogue de gestion: il faut que les responsables des budgets opérationnels de programme se parlent entre eux, il faut que les ministères échangent. Et même si la construction de la décision au niveau national est plus collective et plus concertée, elle n'en exige pas moins un vrai pilotage. C'est la raison notamment pour laquelle les directeurs départementaux interministériels seront nommés par le Premier ministre. Et c'est surtout le sens de la mise en place de l'adjoint au Secrétaire général du Gouvernement, François SENERS, qui constituera auprès de moi une structure pérenne, la mission interministérielle pour la réforme de l'administration territoriale de l'Etat étant la mission de transformation initiale.
Davantage de transversalité, Mesdames et Messieurs, cela implique aussi pour l'administration de demain, davantage de déconcentration. La réforme doit aboutir à de nouvelles façons de travailler ; la réforme doit aboutir à une véritable mise en oeuvre de la charte de déconcentration de 1992 ; elle doit aboutir à la systématisation du principe de subsidiarité. Les administrations centrales ne doivent pas chercher à tout faire. Elles doivent se concentrer sur trois fonctions précises : donner des directives, évaluer et gérer les cas exceptionnels. Pour le reste, elles doivent s'appuyer sur les administrations déconcentrées.
Cet échelon de la mise en oeuvre concrète n'est pas moins noble que celui de la conception stratégique. Je pense que c'est un travers typiquement français de penser cela ! Si le niveau de la mise en oeuvre ne fonctionne pas, alors les politiques publiques n'ont aucun sens. Et s'il ne permet pas la remontée des attentes des populations, alors la conception des politiques publiques ne peut être qu'inadaptée. Je crois à l'administration déconcentrée. Vous êtes l'administration. Je souhaite que l'on fasse davantage confiance au niveau territorial.
L'administration de demain, c'est aussi une administration qui profite de sa diversité pour être plus créative. La réforme va favoriser la connaissance mutuelle des services, la réforme doit favoriser le rapprochement des cultures. Je sais bien que certains craignent une sorte de dilution des spécificités, un brouillage des objectifs propres à chaque administration. En réalité, je suis convaincu que la confrontation des approches constitue un processus éminemment fécond. C'est d'ailleurs de mon point de vue une des clés de la réforme.
Auparavant, la principale raison pour agir d'une certaine manière, c'était : on a toujours fait comme cela. Eh bien désormais, le réflexe devra être de penser : eux font autrement, pourquoi pas nous ? Le partage des approches va être une source de créativité nouvelle pour chacun. Je vais prendre un exemple en matière d'inspection. Même si ce n'est pas exclusif, la jeunesse et les sports faisaient traditionnellement davantage de conseil et d'accompagnement, les services vétérinaires faisaient davantage de prévention et de contrôles, et la concurrence et la consommation du juridictionnel et du contentieux. Ces cultures ne se connaissaient guère, elles se parlaient peu, elles coopéraient peu. Désormais, elles pourront s'enrichir mutuellement par la proximité, par le dialogue et par l'échange.
Je crois que ce progrès dessine le visage d'une administration plus ouverte, d'une administration plus inventive, d'une administration qui a suffisamment confiance en ses atouts pour chercher dans les pratiques des autres ce qui peut l'améliorer. Enfin l'administration de demain s'appuie sur une fonction publique rénovée. Il faut que les agents de l'Etat soient formés tout au long de leur carrière et il faut que leurs mérites soient reconnus et récompensés. Outre les qualités qui leurs sont toujours reconnues - la loyauté, la compétence, la rigueur, le désintéressement - il faut développer en eux ce que le monde moderne rend plus nécessaires que jamais, c'est-à-dire la souplesse, la curiosité, la créativité, la réactivité.
Nous menons depuis deux ans avec Eric WOERTH une réforme de la fonction publique qui met en oeuvre les orientations annoncées par le Président de la République le 19 septembre 2007 : des fonctionnaires moins nombreux et mieux payés, un nouveau dialogue social, de meilleures conditions de travail, une véritable mobilité et de meilleures perspectives de carrière. Eh bien la réforme de l'administration territoriale doit être un formidable catalyseur pour amplifier ces avancées.
La gestion des ressources humaines à l'échelon territorial sera marquée par le renforcement du rôle des SGAR et par la mise en place de plateformes régionales d'appui à la gestion des ressources humaines comme par l'adoption d'une charte de gestion des ressources humaines. Je sais bien que là encore ces réformes peuvent inquiéter. C'est normal. Le changement du cadre habituel de travail force à affronter l'inconnu, à l'inventer et cela demandera un effort personnel, réel, d'adaptation. Je veux citer le cas des directeurs actuels qui n'ont pas démérité mais qui, pour un certain nombre d'entre eux, vont perdre leurs fonctions actuelles. Ils ne sont pas mis en dehors du système, ils pourront d'ailleurs y revenir. Et le dispositif de sauvegarde de leur rémunération sur trois ans manifeste toute la reconnaissance que nous leur devons. Il ne faut pas que certains cadres soient privés de responsabilités opérationnelles à un moment-clé de leur carrière. Ce sujet, nous allons devoir l'approfondir dans les prochaines semaines avec les ministères, pour que des fonctions intéressantes leur soient confiées de nouveau, même si ce sont des fonctions sont différentes.
Nous voulons une nouvelle forme de management local, nous voulons une gestion beaucoup plus souple des ressources humaines. Il faut sortir des déroulements de carrières systématiques qui sont certes rassurants mais peu qui sont bien peu épanouissants. Pouvoir devenir cadre dans une autre administration que celle d'où l'on vient, offre un enrichissement humain et professionnel certain. Et même si la transition vers le nouveau système est nécessairement ardue, et si des mécanismes de soutien sont indispensables, c'est bien cette perspective-là que nous devons ensemble poursuivre.
Dans mes services, le responsable qui gérera les directeurs départementaux interministériels sera aussi celui qui organisera le vivier des cadres de l'Etat. C'est bien l'amorce d'un changement profond dans notre haute administration : la territoriale sera un vivier particulier pour les cadres supérieurs de l'Etat.
Dans cette fonction publique modernisée, ce qui rassemble les hauts fonctionnaires, ce ne sont plus tant leurs filières métiers que le fait qu'ils sont tous des fonctionnaires d'autorité. Et c'est d'ailleurs bien votre caractéristique commune : vous partagez une mission fondamentale, c'est la mission d'exercer l'autorité de l'Etat. Cette mission, elle vous distingue de toute autre profession beaucoup plus que vos métiers d'origine. Certes, il faut organiser, il faut maintenir le réseau des métiers parce qu'il faut garder la technicit?? et qu'il faut garder la compétence. Mais la priorité, c'est le service de l'Etat. Il faut donc savoir dépasser leur logique en matière de gestion des ressources humaines. Les régimes ont vocation à s'harmoniser autour de cette caractéristique de l'exercice de l'autorité. Il faut notamment que nous soyons capables de mettre en oeuvre une convergence des rémunérations pour les fonctions qui sont des fonctions comparables. Je sais bien que l'harmonisation est parfois très complexe - j'ai évoqué par exemple les régimes de temps de travail ou le régime des astreintes - c'est difficile, il faudra pourtant que nous soyons capables de réaliser cette convergence. C'est bien une particularité de cette grande réforme aux aspects multiples : tous les chantiers ne peuvent pas progresser au même rythme, mais tous doivent se poursuivre et tous doivent aboutir.
Alors je ne sous-estime pas le chemin qu'il reste à parcourir pour mettre en place cette administration de demain. L'Etat a notamment besoin d'une nouvelle gestion de son immobilier. La nécessité de loger les nouvelles directions dans des locaux fonctionnels accroît cet impératif. Je sais le travail que vous avez déjà effectué sur les schémas immobiliers avec FRANCE DOMAINE. D'ores et déjà, je veux dire que les résultats sont positifs. Ils prouvent tout à la fois le potentiel gigantesque de cette réforme et la capacité de tous à se mobiliser, à évoluer et à rendre aujourd'hui possible ce qui était hier à peine imaginable. Eh bien nous allons vous aider à progresser, notamment en mobilisant tout de suite une partie du compte d'affectation spéciale « immobilier » sous la forme d'un « fonds d'amorçage ». Les décisions sont déjà en cours de notification aux préfets de région.
Le principe de la mutualisation des loyers à l'échelle régionale, qui facilitera sensiblement les réorganisations immobilières des services, a été arrêté et sa mise en oeuvre sera effective au début de 2011. Par ailleurs, plus de 60 projets de réinstallations de services sont en cours de validation définitive. En matière informatique, il va falloir combiner les réseaux informatiques ministériels. Là encore, c'est un travail interministériel délicat qu'il faut poursuivre, avec la même méthode que celle utilisée jusqu'ici : une concertation permanente, la fiabilité du diagnostic, la recherche constructive de solutions partagées. Là aussi, j'ai mis en place dans mes services, auprès du secrétaire général adjoint, une mission dirigée par Henri SERRES pour accomplir cette tâche et pour préfigurer un fonctionnement pérenne de cette interministérialité qui est tellement indispensable.
Il faut réussir le déploiement de CHORUS. Sa mise en place initiale se fonde sur une logique de « blocs ministériels », logique qui privilégie l'impératif de rapidité. Mais il ne faut pas perdre de vue l'objectif final, et l'objectif final c'est celui d'une organisation qui doit être intégralement interministérielle, y compris dans son pilotage central. Cette perspective est en effet une condition sine qua non de l'efficacité de la réforme et du retour sur investissement. C'est un des aspects cruciaux de la cohérence qui est recherchée avec la réforme actuelle.
Je mesure les contraintes qui subsistent à court terme pour vous qui êtes les acteurs directs de la réforme. Ce que vous faites est d'autant plus difficile que plusieurs réseaux se réforment en même temps - je pense par exemple à celui de la DGFIP, ou à la mise en place des agences régionales de santé. Je sais aussi que la réforme est parfois plus difficile sur le terrain avec le non remplacement d'un agent partant à la retraite sur deux. Mais la réforme de l'administration territoriale offre justement un moyen constructif de respecter cette norme qui vous le savez, est par ailleurs indispensable pour le rétablissement de nos finances publiques.
Enfin je sais que comme pour toute réforme profonde, les réflexes anciens ne disparaissent pas du jour au lendemain. Certaines logiques ministérielles ont la vie dure. Par exemple, la désignation de certains préfigurateurs de directions régionales se heurte parfois à des tergiversations et à des dissensions entre cabinets. La mise en place des secrétaires généraux dans les directions ne se fait pas toujours de manière satisfaisante. L'inertie, le doute et l'attentisme ne sont pourtant pas tolérables. Quant à l'obstruction, elle est impossible à envisager de la part de serviteurs de l'Etat qui se font une haute idée de leur mission. Les querelles aux niveaux supérieurs sont d'autant moins pardonnables que la réforme doit être portée par la majorité des agents de l'Etat qui voient bien comment elle peut les aider à améliorer le service public.
Je vous le confirme, Mesdames et Messieurs, il n'y aura aucun retour en arrière. La réforme doit se poursuivre avec pour seul objectif l'intérêt de l'Etat qui se confond avec celui de l'intérêt général.
Mesdames et Messieurs, cette réforme de l'administration territoriale de l'Etat va permettre plus de déconcentration, elle va permettre plus de fonctionnement en réseau, de transparence, elle va favoriser le goût de l'innovation, de l'ouverture vis-à-vis de l'extérieur. Elle annonce donc l'administration de demain dont notre pays a impérativement besoin. En effet plus que jamais, l'unité de la République nécessite un Etat fort et un Etat respecté, y compris au niveau local. Plus que jamais, la concurrence internationale nous commande d'accentuer l'efficacité de nos structures et de nos politiques publiques. Plus que jamais, la France doit être en capacité d'investir pour préparer l'avenir et donc être en mesure de se libérer du poids de ses déficits. Et cela ne sera possible que si notre administration est encore plus réactive, si elle est mieux organisée et si est toujours plus motivée.
Je sais que je vous demande beaucoup, mais si je vous demande beaucoup c'est parce que je me fais une haute idée de l'Etat. Moi je n'ai jamais cédé au vertige du moins d'Etat. Je pense que la colonne vertébrale de la République doit être solide. Cette haute conception de l'Etat, elle est exigeante parce que la force de notre Etat ne se décrète pas. La force de notre Etat, elle trouve sa légitimité dans sa capacité à se remettre en cause en permanence, avec pour objectif permanent d'agir efficacement pour l'intérêt général. C'est pour l'intérêt général que vous servez la République, c'est pour l'intérêt général que vous consacrez, je le sais bien, le meilleur de votre engagement. C'est là votre devoir mais c'est aussi la noblesse de votre charge.
Vous la vivez par référence aux principes qui fondent votre vocation, celle qui fait de l'Administration une véritable conscience de l'Etat selon le mot de Michel DEBRE, celle-là même qui inspire les fonctionnaires de manière constante en France depuis plus de mille ans, depuis les légistes de Philippe LE BEL jusqu'aux temps de la bureautique et des réseaux. Jamais la fonction publique et l'administration n'ont autant changé, au point d'ailleurs que certains sans doute, cherchent des repères. Et pourtant les fondamentaux demeurent. La France a besoin de l'Etat, parce qu'il n'y a eu de France que grâce à l'Etat, selon une vérité historique que rappelait le Général de GAULLE devant les membres du Conseil d'Etat en 1960. Cette permanence de la nécessité publique est un fait, un fait qui légitime l'Etat par delà toutes les controverses politiques sur son rôle. Elle n'enlève rien bien sûr à l'ardente obligation qui s'impose à l'Etat républicain, et donc à l'administration, d'agir non pas en souverain lointain, mais en serviteur proche des préoccupations des Français. Sans rien renier des traditions séculaires de l'Etat, c'est cette conception du service public qui motive notre action de réforme et c'est au nom de cette philosophie politique que je vous invite à réussir cette rénovation de l'Etat territorial.Source http://www.gouvernement.fr, le 17 novembre 2009