Déclaration de M. François Fillon, Premier ministre, sur le combat contre les violences faites aux femmes, l'éducation au respect des femmes et la lutte contre les violences conjugales, notamment par le biais de la surveillance électronique, Paris le 25 novembre 2009

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Circonstance : Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, le 25 novembre 2009

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Je voudrais remercier les membres des associations d'avoir répondu à mon invitation, sur un sujet grave qui nous tient tous à coeur.
Pour faire progresser un combat qui n'avance jamais assez vite, nous avons évidemment besoin de l'implication de tous.
Combattre les violences faites aux femmes, c'est pourfendre des cas intolérables de violation des droits fondamentaux et d'atteintes à la personne.
C'est un combat qui concerne toute la société, c'est un combat universel.
Les violences faites aux femmes se manifestent dans l'intimité, elles se manifestent à l'écart des regards, et la douleur qu'elles provoquent est souvent difficile à partager parce que la honte réduit au silence.
La lâcheté de cette violence à huis clos ne doit pas nous tenir à distance ; au contraire, il faut redoubler d'efforts pour donner à cette lutte toute la portée qu'elle mérite, en en faisant l'objet d'une véritable prise de conscience collective.
L'Etat, c'est sa mission, doit veiller à ce que les plus faibles soient protégés par la loi, et que leurs droits fondamentaux, à commencer par le droit à l'intégrité physique, soient respectés.
Ces droits, nous avons à les faire respecter au-delà des portes fermées, par-delà la chape de silence qui entoure des actes de violence ordinaire, soigneusement confinés, par-delà le déni qui masque une souffrance domestique ou professionnelle continue.
Cette année, la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes revêt une dimension particulière.
D'abord, parce que c'est exactement il y a dix ans que les Nations Unies dédiaient ce 25 novembre à un combat injustement méconnu, et consacraient la nécessité de lui donner une visibilité mondiale.
Aujourd'hui, cela fait dix ans que la résolution a été adoptée, dix ans que le combat s'organise et que les consciences s'ouvrent progressivement, très progressivement à sa réalité.
Si cela est possible, c'est d'abord grâce à l'action courageuse de femmes engagées, qui prennent des risques et qui prêtent leur voix à celles qui ne le peuvent ou qui ne l'osent pas.
Pour débusquer et combattre cette violence, nous avons encore beaucoup, beaucoup de progrès à faire.
L'année dernière, dans notre pays, 157 femmes ont perdu la vie sous les coups de leur conjoint. En France, une femme décède tous les deux jours et demi sous ce type de violences. Un meurtre sur cinq est commis par un homme qui tourne sa violence contre sa compagne ou son ex-compagne.
Cette réalité dévastatrice est indifférente aux catégories sociales, indifférente aux âges ou à la géographie. Elle s'exerce au quotidien, dans toutes les classes sociales et sur l'ensemble de notre territoire.
Elle se noue dans le secret des foyers et sur les lieux de travail.
Partout, elle nous met en face d'un des paradoxes les plus incompréhensibles et les plus avilissants de la nature humaine.
Quelle que soit sa manifestation, cette brutalité n'est ni tolérable ni légitime.
Et le Gouvernement a fait de la lutte contre toutes les formes de violences une priorité, qu'il s'agisse des agressions sexuelles, des violences psychologiques, des mutilations sexuelles, des violences physiques ou des mariages forcés.
Ce matin, Nadine Morano a présenté en Conseil des Ministres les mesures destinées à donner une nouvelle impulsion à la protection de la femme.
La semaine dernière, elle était en Espagne pour étudier les nouveaux moyens expérimentés dans ce pays, basés sur un dispositif de surveillance électronique du conjoint violent.
Parce que dans ce domaine, il faut examiner toutes les pistes.
Tout à l'heure, Xavier Darcos réunira la Commission nationale de lutte contre les violences faites aux femmes.
Avant-hier, à Bobigny, Michèle Alliot-Marie, a rappelé que le combat contre les violences conjugales est indissociable des valeurs de notre société démocratique.
Sur le plan judiciaire, je crois qu'on peut faire un constat positif.
La problématique spécifique des violences conjugales a été prise en compte par l'ensemble des cours d'appel sur le territoire national : elles s'attachent à mettre en place des dispositifs de réponse pénale systématique envers les auteurs et de prise en charge des victimes des violences.
Bien sûr, ces dispositifs sont encore perfectibles, et les juridictions d'ailleurs s'attachent à toujours mieux adapter les réponses à ce contentieux particulier.
Il est en outre indispensable que ces réponses soient cohérentes sur l'ensemble du territoire national, parce que si la délinquance n'est pas identique et si le réseau associatif diffère en fonction des moyens de chaque département et des problématiques locales, il ne faut pas que les disparités entre les politiques pénales ajoutent une forme d'injustice à une autre.
Les parlementaires se sont également saisis du sujet.
Je veux d'abord citer les travaux menés par les délégations aux droits des femmes des deux Assemblées ces dernières années.
Je pense aussi à la mission de l'Assemblée nationale présidée par Danièle Bousquet, et dont Guy Geoffroy a été le rapporteur.
Ses travaux ont été très largement salués. Ils se prolongent aujourd'hui même par le dépôt d'une proposition de loi qui reprend les principales propositions de la mission.
Je veux dire que le Gouvernement est totalement ouvert à cette proposition de loi qui recouvre d'ailleurs largement les préoccupations que nous avons exprimées.
L'année dernière, j'avais souhaité consacrer l'année 2009 à la lutte contre les violences faites aux femmes en l'élevant au rang de "Campagne d'intérêt général".
En attribuant ce premier label, j'avais invité les associations à s'organiser encore davantage pour que la lutte contre les violences puisse être la prochaine
"Grande cause nationale" en 2010.
Eh bien, je vous annonce aujourd'hui que la "Grande cause nationale" de 2010, ce sera bien la lutte contre les violences faites aux femmes.
Et l'attribution de ce label, c'est d'abord la reconnaissance de l'importance que le Gouvernement accorde à cette cause.
Mais c'est aussi la reconnaissance du travail effectué par vos associations. Sans votre action de terrain, la mobilisation des services de l'Etat ne pourrait pas porter ses fruits.
Cette reconnaissance officielle, je pense qu'elle va offrir au combat des associations une visibilité accrue et un accès qui est essentiel aux medias pour poursuivre ce qui est d'abord une oeuvre de sensibilisation.
Depuis 2008, nous avons engagé un deuxième plan d'action triennal ciblé sur les violences faites aux femmes.
La stratégie que nous avons choisie a permis des avancées sur trois fronts.
D'abord en matière de prise en charge des victimes.
J'ai souhaité que soit créé un véritable parcours d'orientation pour les femmes victimes de violences. A côté du rôle prépondérant joué par les associations, nous avons voulu constituer un réseau de référents locaux.
Pour les femmes victimes, ce référent est un interlocuteur unique de proximité. Depuis un an, ils se sont largement développés et c'est un progrès.
Mais il nous faut aller plus loin. Il faut que nous arrivions à un maillage encore plus pertinent du territoire en lien avec les associations.
Parallèlement, nous avons renforcé les moyens de la plate-forme d'écoute téléphonique du 3919 ; ils permettent désormais de répondre à près de 80.000 appels par an.
Enfin, nous avons continué nos efforts pour améliorer l'accueil et l'hébergement des femmes en détresse, en particulier en Centre d'Hébergement et de Réinsertion Sociale (CHRS).
Nous avons désormais un parc total de près de 39.000 places qui permettent aux femmes victimes de violences, dans la plupart des cas, d'avoir la possibilité de s'y mettre à l'abri de façon immédiate, parfois même dans des structures, pas toujours, qui sont spécialement dédiées à cet effet.
Pour répondre au deuxième impératif qui est la prise en charge des auteurs de violences, nous avons élaboré, en lien avec les acteurs du terrain et l'ensemble des ministères concernés, une charte destinée aux structures de prise en charge et de suivi des auteurs de violences.
En 2006/2007, nous avions recensé une soixantaine de structures de ce type. En signant cette charte, nous souhaitons que toutes les structures intervenant auprès des auteurs de violences au sein du couple s'engagent à respecter un certain nombre de grands principes fédérateurs.
Prendre en compte les auteurs des violences, c'est d'une certaine façon, une approche novatrice dans notre lutte. De façon toute naturelle, dès le départ, c'est vers les victimes que cette approche s'est structurée.
Mais les violences dont nous parlons ont ceci de particulier qu'elles concernent des victimes et des auteurs qui sont - ou qui ont été - liés de façon très étroite par des liens très intenses.
Et à partir de là, il est souvent difficile de traiter les uns sans prendre en compte les autres.
L'implication des associations dans la prise en charge des auteurs est une évolution notoire de la gestion du problème ; nous l'intégrons désormais à notre logique d'action, d'autant plus que cette prise en charge participe à la lutte contre la récidive.
Enfin, pour toucher et responsabiliser un public aussi large que possible, il faut que les esprits changent.
Le rapport de Michèle Reiser sur l'image des femmes dans les medias a montré combien certains stéréotypes souvent odieux ou dégradants sont encore prégnants et combien nous devons les combattre et être vigilants sur ces sujets.
C'est la raison pour laquelle je lui ai demandé de poursuivre sa mission, afin que cette fonction de vigie continue d'être exercée sur le terrain des préjugés, qui peuvent avoir des conséquences absolument dramatiques.
Dans le prolongement de la campagne 2008, nous allons lancer une campagne de communication sur l'image des femmes et sur les violences verbales.
A partir d'aujourd'hui, un spot télévisé sur l'importance de l'éducation au respect des genres dès le plus jeune âge va être diffusé sur l'ensemble des chaînes de notre pays.
Nous allons également cibler des publics sensibles comme les jeunes, en étendant l'opération menée l'an dernier avec la brochure "Respect les filles" diffusée à l'ensemble des filles âgées de 18 ans.
Cette fois-ci, l'opération va cibler les garçons et les primo-arrivants.
Une plaquette d'information destinée aux bénéficiaires du contrat d'accueil et d'intégration leur sera diffusée en 2010 pour les sensibiliser aux questions relatives à l'égalité des droits et à la prévention des violences au sein de la famille.
Je pense que ce volet éducatif est absolument capital si l'on veut efficacement relayer l'idée essentielle que, dans le domaine des violences, il n'existe aucune fatalité.
Notre action d'information ciblera également les professionnels, et notamment ceux qui accueillent les étrangers primo-arrivants sur les plates-formes de l'Office français pour l'immigration et l'intégration.
Nous diffuserons auprès d'eux le "Guide de l'égalité entre les femmes et les hommes issus de l'immigration", qui accorde une place toute particulière à la lutte contre les mariages forcés, aux mutilations sexuelles féminines.
Parallèlement au plan triennal, nous avons enclenché d'autres chantiers gouvernementaux qui ont une incidence sur le sujet qui nous rassemble.
Je veux citer ici trois exemples, ceux que nous avons lancés avec Fadela Amara sur la "Dynamique espoir banlieue" :
Des Points d'Accès aux Droits ont été mis en place dans les quartiers sensibles ;
98 Centres d'Information sur les Droits des Femmes et des Familles ont été financés via l'Agence nationale pour la Cohésion Sociale et l'Egalité des chances ;
On a mis en place 4.200 adultes-relais qui pratiquent des actions de médiation sur les territoires de la politique de la ville. Ce sont souvent des partenaires très précieux pour favoriser l'accès aux droits des femmes.
Nous avons aussi organisé avec le ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, le maillage du territoire par des Ateliers Santé-Ville, qui garantissent aux femmes victimes de violences une offre de soins de proximité et une prise en charge médicale et psychologique.
Enfin, dans le cadre du Plan Interministériel de Prévention de la délinquance, le Gouvernement s'est mobilisé pour installer 150 intervenants sociaux dans les commissariats de police et les unités de gendarmerie.
Et j'ai eu l'occasion moi-même de constater il y a quelques jours à Thionville que cet intervenant social avait un rôle considérable dans le déclenchement de la démarche en matière de dénonciation des violences faites aux femmes.
Aujourd'hui, il s'agit de donner au plan triennal 2008-2010, avec vous, une nouvelle impulsion.
? D'abord, nous voulons mieux protéger les femmes victimes de violences en renforçant le cadre juridique.
* En matière civile, il faut d'abord répondre à l'urgence des situations en protégeant les femmes en danger. Afin qu'elles bénéficient sans délai de mesures de protection. Un régime juridique de référé-protection va être créé, qui interviendra donc en amont du dépôt de plainte ou indépendamment du dépôt de plainte.
Ensuite, il s'agit d'éloigner le conjoint violent.
Pour cela, nous allons étendre la procédure d'éviction de l'auteur de violences prévue par le Code civil, actuellement applicable aux conjoints mariés. Elle sera désormais applicable aux personnes liées par un Pacte Civil de Solidarité et aux concubins. Cela mettra un terme à des inégalités absurdes dans la protection accordée aux victimes.
* En matière pénale, le délit de violences psychologiques au sein du couple va être consacré par le législateur. C'est une avancée considérable parce que la création de ce délit va permettre de prendre en compte les situations les plus sournoises, ces situations qui ne laissent pas de traces à l'oeil nu mais qui mutilent l'être intérieur des victimes.
L'ensemble de ces modifications sera introduit dans notre droit avant l'été 2010, si toutefois les parlementaires travaillent à un rythme suffisant.
Les associations fournissent une remontée d'information importante sur la question des mariages forcés. Il faut que le Gouvernement s'en saisisse à son tour. Et à ce sujet, la mission parlementaire dont Guy Geoffroy a été le rapporteur, a fait une proposition de création d'un nouveau délit.
Le Gouvernement est prêt à examiner les façons d'assumer un meilleur encadrement pénal du mariage forcé.
? Notre deuxième axe d'action portera sur la prévention de la récidive.
Au-delà des dispositifs existants, il faut réfléchir à des nouvelles structures.
Sur la base de l'exemple espagnol, nous allons lancer l'expérimentation d'un dispositif de surveillance électronique pour contrôler l'effectivité de la mesure d'éloignement du conjoint violent.
Dès le début de l'année 2010, elle sera testée comme une alternative aux poursuites ou comme une modalité d'exercice de la peine, dans le cadre d'obligations de la peine d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve, ou de suivi socio-judiciaire. Cette initiative sera inscrite dans la loi.
? Nous allons aussi faire des efforts particuliers pour améliorer le repérage et la prise en charge des victimes.
Nous prévoyons d'offrir systématiquement à tous les professionnels susceptibles d'avoir à traiter des situations de violences au sein du couple, comme dans le domaine de la protection de l'enfance, une formation spécifique.
La formation initiale des professionnels de santé, - les médecins, les infirmiers, les sages-femmes -, qui intègre déjà les mutilations sexuelles féminines, inclura aussi à l'avenir la gestion des victimes de violences intrafamiliales.
Le Ministère chargé de l'Intégration soutient également l'offre de formation destinée aux acteurs de terrain et aux professionnels de la plate-forme d'écoute du 3919, autour de la problématique des mariages forcés et des mutilations sexuelles. Et en 2010, je lui ai demandé de les développer encore.
* Dernier chantier : nous devons nous donner les moyens de mieux mesurer l'ampleur du phénomène des violences faites aux femmes.
Dès 2010, nous allons lui consacrer une nouvelle enquête en nous basant sur les travaux engagés par l'Institut National d'Etudes Démographiques.
Et nous allons nous concentrer en particulier sur le phénomène des mariages forcés afin de mieux les combattre.
Cette année, Mesdames et Messieurs, l'Organisation des Nations Unies a décidé de placer la commémoration du 10e anniversaire de cette Journée Internationale sous le triple signe de "l'engagement, de l'action et de l'exigence".
Si les prises de conscience se multiplient, il nous revient encore et encore d'élever la voix et d'agir parce que partout dans le monde, des femmes continuent à être exploitées, à être battues, à être violées, à être tuées.
Une femme sur deux est victime d'actes de violence de la part de son compagnon, et une sur cinq, dans le monde, est victime ou menacée d'agression sexuelle.
En plus des souffrances qu'elles engendrent, ces violations des droits fondamentaux perpétrés contre les femmes compromettent leur insertion dans la vie sociale, dans la vie économique et dans la vie politique.
Et, par là même, compromettent le développement et la sécurité de toute la société qui les tolère.
Si la violence envers les femmes se décline sous de multiples formes, elle a partout les mêmes effets, et elle est fatale au principe d'égalité des hommes et des femmes ; elle est fatale en réalité à la dignité de l'humanité.
Nous devons, pour que cette violation des droits de l'homme prenne fin, la dénoncer avec de plus en plus de force et publiquement.
Nous devons empêcher qu'elle ne se déroule impunément, à l'abri des regards.
Nous devons la sortir du silence dans laquelle elle se retranche, protégée par la honte qui souvent accable des victimes injustement culpabilisées par des faits qui en réalité déshonorent leurs auteurs.
Nous devons déclencher une prise de conscience telle que chacun dans la société se sente investi d'une responsabilité, dans un domaine qui a été beaucoup trop longtemps cantonné à la sphère privée.
La vérité, c'est qu'en la matière, il n'y a pas de sphère privée !
Le combat contre la violence faite aux femmes, c'est l'affaire de tous.
Le combat contre la violence faite aux femmes, nous commande d'agir partout où la dignité, la morale et la loi l'exigent.
Et je veux vous remercier, vous les responsables des associations, à la fois pour avoir été les premiers ou les premières à tirer le signal d'alarme et pour conduire sur le terrain ce combat si difficile contre l'indifférence, l'habitude, les traditions qui font qu'on refuse de voir des choses qui, quand on les observe dans les pays plus éloignés, nous apparaissent comme intolérables et totalement contraires à l'image que nous nous faisons de notre société et de l'humanité.
Je vous remercie.
Source http://www.gouvernement.fr, le 1er décembre 2009