Déclaration de M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur, sur les fondements de la politique de sécurité et de lutte contre la délinquance, par le développement conjoint de la prévention, de la police de proximité et de l'accès à la citoyenneté des jeunes issus de l'immigration, Montpellier le 18 mars 1999.

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Circonstance : Rencontres nationales des acteurs de la prévention de la délinquance à Montpellier les 17 et 18 mars 1999

Texte intégral

Madame et monsieur les ministres,
Mesdames messieurs,
Je vous remercie, monsieur le ministre de la ville, de mavoir invité à mexprimer à loccasion de ces rencontres, sur un sujet majeur, non seulement pour la politique de la ville, mais pour toute la politique du gouvernement.
1) Sécurité = prévention + sanction + réinsertion :
La sécurité est, avec lemploi, la priorité du gouvernement. Elle est, après lemploi, et non sans lien avec lui, la principale préoccupation de nos concitoyens. Elle est aussi un facteur dinégalité, tant il est vrai que la sûreté des biens et des personnes nest pas également donnée à tout le monde. Linsécurité nest malheureusement pas un fantasme. On est mieux servi, à cet égard, dans les beaux quartiers du centre des grandes villes que dans les banlieues. Un gouvernement de gauche ne saurait sen satisfaire. La sécurité est un droit et il y a, par conséquent, nécessité pour lEtat, de faire en sorte que ce droit soit garanti pour tous, aussi également que possible.
Telle a été la volonté qui a été affirmée au colloque de Villepinte, en même temps que quelques idées simples, banales en apparence, encore que souvent contestées. Et par exemple celle-ci : la prévention de la délinquance ne suffit pas à garantir la sécurité de tous. Celle-ci requiert aussi la dissuasion, qui est une forme particulière de la prévention ce quon appelle traditionnellement la peur du gendarme - ; elle ne peut non plus se passer toujours de la sanction, cest-à-dire de la répression. Il est absurde dopposer la prévention et la sanction. Ce sont deux moments indispensables de la sécurité.
La prévention, si souhaitable quelle soit, aussi large que possible, ne se suffit pas toujours à elle-même. La sanction aussi a une valeur éducative. Le fait de sanctionner est, pour une société, le moyen de fixer des limites, dindiquer des repères inséparables de toute société tant soit peu policée. La sanction fait ainsi partie, comme la prévention, de toute politique de sécurité bien comprise. A condition, bien sûr, et cest la troisième composante de la sécurité, dune sécurité durable, de ne pas oublier ceci : si lon veut que la sanction porte ses fruits, quelle produise les effets quon en attend, elle doit être suivie dun effort de réinsertion en faveur de ceux qui ont été sanctionnés. On doit les aider à retrouver leur place dans la société et surtout dans la cité. Ainsi la fermeté na de sens quà lintérieur dun projet qui donne à chacun ses droits et la possibilité dépanouir ses capacités et ce quil a de meilleur en lui.
Parmi les apports de Villepinte, je rappellerai que la sécurité ne peut résulter que dun effort collectif, dont témoigne la variété des thèmes de vos ateliers et dont vous témoignez vous-mêmes par votre présence : élus, magistrats, fonctionnaires, militants associatifs, bailleurs sociaux, transporteurs publics, et tant dautres. Si la répression et la sanction sont essentiellement laffaire des policiers et des magistrats, la prévention et la réinsertion sont laffaire de tous. La prévention, cest dabord la fonction de léducation, et donc des parents et de tous ceux qui peuvent les aider à assumer cette responsabilité. Là est la base de tout : rien ne remplacera jamais le rôle dun père et dune mère. Cest ensuite celle de lEcole qui doit faire partager à tous quelques valeurs élémentaires, quelques règles de base, qui font la civilité et sans lesquelles il ny a pas de vie sociale possible. Nous devons sur ce point être exigeants, car si lEcole ne prolonge pas leffort des parents, à défaut de pouvoir y suppléer, nous aurons failli nous-mêmes dans la prévention et nous devrons déployer dautant plus les moyens de la répression, qui ne sont jamais que ceux de la réparation.
2) La police de proximité :
Si la police nest pas seule en charge de la sécurité des Français, je me garde de sous-estimer son rôle en ce domaine et je mapplique à mener à bien une importante réforme de son organisation et de ses méthodes de travail, afin quelle soit en mesure de répondre aux attentes légitimes de nos concitoyens. Les formes de linsécurité évoluent. Nous sommes confrontés aujourdhui aux violences urbaines, à la délinquance des mineurs, à léconomie souterraine des petits trafics, aux agressions visant tout représentant des institutions, non pas seulement les forces de lordre, mais aussi bien les pompiers, les postiers ou les professeurs. Nous voyons se développer aussi un sentiment dinsécurité, qui excède largement la réalité de linsécurité, et qui se nourrit de la multiplication des incivilités ; nous devons en tenir compte. Cest contre tout cela que la police doit lutter.
Cest pourquoi nous entreprenons de développer progressivement la police de proximité, en commençant par les circonscriptions de sécurité publique des vingt-six départements les plus sensibles et les quartiers où le besoin sen fait le plus sentir.
Depuis trop longtemps, la dominante de laction policière a été celle dune police dordre. Une police dordre sera toujours nécessaire. LEtat et ses institutions doivent être protégés contre ceux qui les combattent par la force ; dautre part le terrorisme na pas complètement disparu du champ de notre horizon. Mais les menaces séditieuses sont sans doute moindres aujourdhui quelles ne létaient hier. En matière de sécurité publique, où se manifeste désormais le plus gros des besoins, la police a été aussi trop longtemps essentiellement réactive, multipliant les patrouilles motorisées et les unités spécialisées, cherchant à éteindre les incendies quand ils se sont déclarés plutôt quà les prévenir ou à les circonscrire dès le départ. Les forces mobiles, les unités spécialisées restent indispensables. On est bien content de les trouver quand on na pas su ou pu prévenir la violence urbaine. Et puis, il y a limprévu, quun Etat soucieux de la sécurité publique doit garder à lesprit.
Il nous faut cependant aujourdhui une police plus présente et plus visible sur la voie publique, plus territorialisée, plus proche des citoyens, avec un meilleur accueil des victimes, plus sensible aux préoccupations de nos concitoyens et à leur perception de linsécurité, plus conforme à limage de notre société, en particulier dans les quartiers où elle déploie son activité, plus créative et plus dynamique dans sa démarche partenariale avec les élus, les associations et les autres administrations. La police doit sadapter pour améliorer à la fois sa capacité danticipation et dintervention.
Sur le terrain, cette adaptation se traduit par le lancement immédiat dexpériences de police de proximité dans les cinq circonscriptions de sécurité publique de Nîmes, Chateauroux, Garges-lès-Gonesse, Beauvais et Les Ullis, puis dans plus de quarante autres sites dans les départements les plus sensibles à partir du 15 mai.
Ces expériences de police de proximité sont fondées sur la territorialisation de laction policière. Sur un territoire déterminé, dans un quartier, un secteur, une rue ou autour dun îlot, des unités seront responsables de lensemble de laction policière, y compris en matière judiciaire pour le recueil des plaintes et les premières investigations. Le policier de proximité ne sera pas seulement un îlotier ; il nouera avec la population de son secteur des liens étroits, il apprendra à connaître ses besoins en matière de sécurité ; il en tirera les conclusions qui simposent sur la nature des interventions les plus utiles, sur le type de service adéquat à la situation ; il lassociera pleinement à son propre travail. Et il sera comptable de ses résultats en procédant lui-même aux enquêtes de victimation et en recueillant les indices de satisfaction des habitants de son quartier.
Les unités territorialisées de la police de proximité fonctionneront en relation avec les autres dispositifs de création récente comme les référents police-jeunes, les unités de traitement judiciaire en temps réel, mais aussi avec des forces dédiées à lintervention comme les brigades anti-criminalité, et bien sûr aussi avec les services de voie publique et avec les services dinvestigation et de recherches.
Pour réussir dans cette nouvelle voie, il convient de disposer de policiers bien
formés en plus grand nombre là où ils sont nécessaires. Cest notamment lobjet
des redéploiements de forces de sécurité décidés lors de la dernière réunion du
Conseil de sécurité intérieure, le 27 janvier. Pour cette seule année, ce sont
1200 fonctionnaires qui seront ainsi affectés dans les départements les plus
sensibles, auxquels viendra sajouter la plus grande partie des 8300 adjoints de
sécurité en cours de recrutement. Mais il faut aller plus loin. Nous devons réfléchir à un meilleur emploi des forces mobiles pour quelles nous aident à mieux relever les défis daujourdhui, ceux de la délinquance de masse et des violences urbaines.
Cette réforme prendra du temps. On ne change pas le visage dune grande institution ni ses manières de faire par un claquement de doigts. Cela doit se concevoir, se préparer et surtout, si lon veut que la réussite soit au bout du chemin, cela exige un effort de concertation, dexplication, de conviction de tous les personnels. Après quoi il faut encore compter avec les délais que comporte la formation initiale ou continue. Mais lorientation est arrêtée : il sagit impérativement de faire reculer la délinquance et de rétablir la sécurité dans ceux de nos quartiers où la loi est trop souvent ignorée ou bafouée. Cette orientation débouchera sur des mesures concrètes et sera mise en uvre progressivement, mais avec une détermination sans faille.
3) Laccès à la citoyenneté :
La sécurité nest pas seulement laffaire de la police. Elle est laffaire de tous. Elle résultera dun bon dosage de prévention, de sanction et de réinsertion, mais non pas seulement de cela. Elle passe par la mobilisation des acteurs locaux, mais cela non plus ne suffit pas. Elle exige aussi que soit traité à la source le problème posé par un sentiment dextériorité que beaucoup de jeunes éprouvent par rapport à la citoyenneté, par rapport à la République. Trop de jeunes trouvent, sur leur chemin, et souvent très tôt, dès lenfance, des raisons de douter que la République soit capable de faire vivre ses idéaux dégalité et de fraternité. Trop dentre eux doutent que le talent et le mérite personnels sont les ingrédients de la réussite. Et devant léchec, devant le chômage, devant linjustice, ils perdent espoir et senfoncent dans limpasse de la contestation irrationnelle dune société qui les rejette. Cest en particulier le cas de certains jeunes issus de limmigration qui ajoutent aux handicaps sociaux de la pauvreté des handicaps culturels qui leur sont propres. Rien nest plus horripilant que de confondre une poignée de délinquants souvent récidivistes avec « les jeunes » en général. Gardons-nous des amalgames. Les délinquants sont une minorité, mais une minorité qui peut empoisonner la vie dune cité ou dun quartier. Je ne les excuse pas ; je ne les justifie pas. Rien ne justifiera jamais lagression, le vol, linsulte gratuite. Mais nous devons traiter le problème à la racine si nous voulons mettre fin à une violence suicidaire qui fait le lit de tous les extrémismes et accélère la ghettoïsation de certains quartiers. Une politique de mixité sociale, que vise à permettre le projet de loi créant les communautés dagglomération, ne portera ses fruits que dans la longue durée.
On ne mettra pas fin durablement aux violences urbaines et à la délinquance quand deux millions de jeunes se sentent trop souvent exclus des mécanismes de lintégration et de lascension sociale. Je pense en particulier aux jeunes dorigine maghrébine. Beaucoup dentre eux ne se sentent pas de plain pied avec la France, qui est pourtant leur patrie ou qui a vocation à le devenir. Il faut quils sachent que leur avenir est dans la nation française ; il faut le leur dire, et il faut le leur dire en leur ouvrant les bras, en leur donnant laccès à la citoyenneté à laquelle ils ont droit.
Ces jeunes sont très souvent victimes de discriminations. Il nest pas tolérable que tel ou tel établissement de loisir soit de fait interdit aux jeunes nés de limmigration, ou que telle entreprise soit réputée refuser toute embauche de cadres ou demployés dorigine maghrébine. Une récente note de lINED faisait apparaître que le taux de chômage pour la tranche dâge de 20 à 29 ans était de 50% chez les jeunes originaires dAlgérie dépourvus de diplômes (contre un peu plus de 20% parmi lensemble), et que ce taux était encore le double de la moyenne (plus de 30%, contre 15%) parmi les jeunes diplômés de lenseignement supérieur de la même origine. Cette situation est révoltante. Nos concitoyens doivent comprendre que les comportements à courte vue qui y conduisent ont des conséquences extrêmement graves pour lavenir de notre société. Sans doute nexiste-t-il en France quune poignée de racistes. Mais, sous des formes plus ou moins avouées, plus ou moins camouflées, le racisme existe et ses ravages sont dévastateurs : petite cause et grands effets. Une République qui ne porte pas à sa jeunesse la considération quelle mérite, quelle que soit son origine, et qui ne lui offre pas un avenir digne de ses capacités injustement ignorées ou méprisées, ne mérite pas son nom.
Les mentalités doivent évoluer. La volonté politique doit y contribuer. Cest par là et par là seulement que les initiatives locales, individuelles ou collectives, dans le cadre dun quartier ou dune association, peuvent sépanouir et uvrer efficacement pour lintérêt général, qui est lintérêt de chacun.
Cest pourquoi jai donné des instructions précises aux préfets pour que soit créée, dans chaque département, une commission départementale daccès à la citoyenneté, la CODAC. Les CODAC ont pour mission de recenser et de lutter concrètement contre toutes les formes de discrimination dont sont victimes aujourdhui les jeunes issus de limmigration, et plus largement, lensemble de nos concitoyens.
A ce jour, 92 CODAC ont été officiellement installées et je saisis loccasion qui mest offerte ici, à Montpellier, pour vous annoncer que le préfet de lHérault, préfet de la région Languedoc-Roussillon, monsieur Constantin, présidera la première réunion plénière de la CODAC de ce département le 22 mars prochain.
Les CODAC témoignent que la lutte contre les discriminations et laccès à la citoyenneté sont au cur des préoccupations des pouvoirs publics. Cest du respect des valeurs républicaines quil sagit.
Dans le même esprit, les administrations et, au premier chef, la police nationale, doivent montrer lexemple. Sans quil soit question dimposer des quotas ou des discriminations positives, tout sera fait pour que désormais la police soit recrutée à limage de la population française, comme on a commencé de le faire avec succès pour les adjoints de sécurité. LEtat doit lancer une politique ambitieuse de communication, dinformation et de pré-recrutement en direction des jeunes nés de limmigration.
De ce point de vue, je me réjouis de laccord passé entre le fonds daction sociale pour les travailleurs immigrés et leurs familles dune part, lANPE et le ministère de lemploi et de la solidarité dautre part, pour faciliter laccès aux services et à lemploi des demandeurs demploi issus de limmigration, favoriser leur accès à la formation et lutter contre les discriminations raciales. Cest un accord qui vient à point et qui converge précisément avec la création des CODAC.
Dans ce domaine plus encore que dans dautres, une saine émulation de tous ceux qui détiennent une part de responsabilité peut seule conduire au succès.
Et sur le fond, qui peut contester que la solution de ce problème trop longtemps occulté commande la réussite de toutes nos politiques, quil sagisse de la ville ou de la sécurité ? Cela passe certes par une action de terrain, mais aussi par une prise de conscience et par une action nationales. Il me semble quil y a là deux dimensions complémentaires quil faut savoir mener de front.
(Source http ://www.intérieur.gouv.fr, le 6 avril 1999)