Déclaration de M. Bruno Le Maire, ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche, sur les derniers ajustements sur le projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, au Sénat le 13 juillet 2010.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Conclusions de la commission mixte paritaire du projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, au Sénat le 13 juillet 2010

Texte intégral

Madame la présidente, monsieur le président de la commission de l'économie, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux, comme Charles Revet vient de l'indiquer lui-même, de pouvoir clore ces débats sur le projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche.
Je commencerai mon propos en vous remerciant de la qualité des échanges que nous avons eus, aussi bien en commission de l'économie qu'en séance publique. Ils correspondent parfaitement à l'idée que je me fais d'une démocratie constructive. Ce texte de modernisation de l'agriculture et de la pêche est aussi votre production, mesdames, messieurs les sénateurs, il est le fruit des discussions que nous avons menées ensemble au service de l'agriculture et de la pêche françaises.
Je voudrais remercier tout particulièrement les rapporteurs, Charles Revet pour la pêche, et Gérard César pour le volet agricole, du travail de concertation préalable, d'échanges et d'auditions qu'ils ont accompli. Je sais que cela représente des centaines d'heures passées à écouter les professionnels, les responsables agricoles et les représentants syndicaux, pour essayer de comprendre quelles étaient les attentes de l'agriculture et de la pêche françaises. Grâce à eux - en tout cas je l'espère -, nous avons répondu à ces attentes.
Je remercie aussi tout particulièrement le président de la commission de l'économie, Jean-Paul Emorine, qui a veillé à ce que ce texte arrive à bon port dans les meilleures conditions possibles. Il l'a fait avec toute la compétence et toute l'autorité que chacun lui reconnaît.
Ce texte marque, à mon sens, un tournant majeur dans l'histoire de l'agriculture et de la pêche françaises. Il doit permettre, au sortir de la crise terrible qu'ont connue les agriculteurs et les pêcheurs en 2009, de redonner un élan à celle qui reste la première agriculture en Europe.
Ce texte fixe pour la première fois une direction politique à l'agriculture et à la pêche françaises. Cette direction, c'est celle de la sécurité alimentaire de tous les Français. L'alimentation revient de ce fait au coeur des objectifs politiques de notre agriculture et de notre pêche. Il était temps de l'écrire et de prendre les dispositions nécessaires. C'est ce que vous avez fait à travers ce projet de loi.
Ce texte marque un tournant majeur parce qu'il met fin à un certain nombre d'exceptions françaises qui étaient autant de faiblesses de notre modèle, pour renforcer les véritables valeurs de notre modèle de développement de l'agriculture et de la pêche.
Jusqu'à présent, les contrats étaient l'exception dans les filières agricoles françaises, ce qui laissait les agriculteurs et les pêcheurs seuls face aux variations et à la volatilité croissante des prix. Désormais, avec cette loi, les contrats seront la règle. Ils seront obligatoires pour les industriels vis-à-vis de leurs producteurs. Ils permettront de sécuriser le prix, la durée et le volume de la production agricole en France. Ils permettront d'atteindre ce que nous souhaitons tous : un revenu stable et décent pour tous les agriculteurs en France.
Les outils dont disposait l'agriculture française contre des risques croissants, risques sanitaires, environnementaux ou économiques, étaient tous lacunaires, la plupart des filières agricoles ne disposant d'aucun moyen pour se prémunir contre ces menaces. Grâce au présent projet de loi, nous avons opéré une refonte totale des outils de protection des agriculteurs et des pêcheurs. Désormais, face à chaque risque, qu'il soit sanitaire, environnemental ou économique, les agriculteurs de France disposeront des réponses dont ils ont besoin, des garanties qui leur sont nécessaires, des protections qui leur permettront de parer aux menaces.
La création du Fonds national de gestion des risques en agriculture, qui, pour la première fois, couvre les dispositifs assurantiels, les fonds de prévention et les dispositifs de soutien de l'État contre les calamités agricoles, permettra de répondre à tous les risques auxquels les agriculteurs sont confrontés.
Je sais que M. le président de la commission de l'économie y était particulièrement attaché. Je tiens à le remercier, car je crois qu'il s'agit là d'un pas important dans la voie de la sécurisation du revenu des agriculteurs.
Je répondrai d'un mot à Gérard César en ce qui concerne la question de l'épargne forêt. Je sais que les sénateurs, dans leur grande générosité, voulaient ouvrir ce compte épargne forêt à l'investissement. Le Gouvernement, dans sa grande rigueur, a préféré qu'il ne concerne que l'épargne. L'essentiel - nous pouvons tous en convenir ici, me semble-t-il - c'est qu'aucune filière agricole, y compris la forêt, ne soit laissée sans un dispositif assurantiel pertinent face aux risques.
Mesdames, messieurs les sénateurs, voyons le côté positif de cette mesure, et je sais que c'est exactement ce qu'a fait Gérard César lors de la réunion de la CMP : pour la première fois dans l'histoire agricole de la France, il n'existera plus une seule filière dépourvue de dispositif de protection face aux risques !
Les circuits commerciaux présentaient un défaut de transparence. Nous avons, sur votre initiative, mesdames, messieurs les sénateurs, renforcé considérablement l'Observatoire des prix et des marges, à la tête duquel nous placerons - j'en prends ici l'engagement - une personnalité disposant de toute la compétence et de toute l'autorité nécessaires pour mettre fin à un certain nombre d'abus.
En effet, nous ne pouvons pas continuer à accepter qu'un kilo de fruits ou de légumes, dont le coût de revient pour le producteur est de 60 centimes d'euro, soit vendu à perte par celui-ci à 40 centimes d'euro et se retrouve ensuite commercialisé, dans la grande distribution ou ailleurs, à 1,60 euro, 1,70 euro, voire 2 euros, ce qui ne permet pas à l'agriculteur de couvrir son propre coût de production. Ce n'est pas possible !
La profession agricole était éclatée entre des interprofessions qui manquaient d'autorité et des organisations professionnelles divisées. Vous avez prévu, dans ce texte de modernisation de l'agriculture et de la pêche, de renforcer les organisations de producteurs et les interprofessions. Dans le domaine agricole plus qu'ailleurs, l'union fait la force !
Or, cette union, c'est vous qui l'avez mise en place, à travers les dispositifs de cette loi de modernisation de l'agriculture. C'est vrai en particulier pour la pêche puisque le présent texte préfigure la mise en place d'une véritable interprofession dans ce domaine. Pour la première fois, il existera - d'ici à la fin de l'année 2010, je l'espère - une interprofession de la pêche, qui permettra de défendre au mieux les intérêts des pêcheurs en France. Vous le voyez, ce projet de loi vise tout entier à permettre à nos agriculteurs et à nos pêcheurs de mieux défendre leurs intérêts, de mieux défendre la qualité de leur production ainsi que, tout simplement, de mieux défendre leur travail, face à une concurrence accrue en Europe et ailleurs.
Ce texte renforce la compétitivité de l'agriculture française et permet de préserver le modèle, auquel nous sommes tous attachés, qui est fondé sur la présence d'agriculteurs et de pêcheurs sur l'ensemble du territoire.
Il répond également à des préoccupations très concrètes. Il vous revient d'ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs, d'avoir pointé ces dernières et d'avoir su y apporter des réponses pertinentes.
Je pense à certaines dispositions, qui ont peut-être échappé au grand public, mais certainement pas aux professionnels agricoles qui les attendaient depuis longtemps. Ainsi, la création du GAEC, le groupement agricole d'exploitation en commun, entre époux, est une manière de reconnaître très concrètement la valeur du travail accompli par les conjoints.
Je pense également à la suppression des remises, rabais et ristournes, qui a été décidée sur votre initiative. Le Gouvernement était moins ambitieux sur ce point, et c'est vous qui avez demandé la suppression totale des remises, rabais et ristournes, afin de mieux équilibrer les relations commerciales.
Je pense à la taxe sur la spéculation sur les terres agricoles, qui a été affectée à l'installation des jeunes agriculteurs.
Mesdames, messieurs les sénateurs, si vous n'aviez pas réclamé une telle mesure, elle n'aurait sans doute pas existé. Les jeunes agriculteurs vous doivent beaucoup ! Je pense à la réassurance publique. Voilà des décennies que les gouvernements successifs essayaient de mettre en place un tel dispositif, afin de créer les outils assurantiels qui n'existent pas aujourd'hui.
Les éleveurs de France - je le dis devant Jean-Paul Emorine, qui a été le maître d'oeuvre de cette réassurance publique - ne disposent à ce jour d'aucun outil assurantiel, parce que, faute de réassurance publique, les assureurs privés ne veulent pas leur proposer d'instrument pertinent.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c'est parce que vous avez exigé une telle réforme et insisté auprès de Bercy, de Matignon et des différents ministères intéressés que la réassurance publique est désormais une réalité. Elle favorisera la création d'outils assurantiels, y compris pour l'élevage et les fourrages, ce qui permettra de doter l'ensemble des filières agricoles d'une assurance. Il s'agit là pour vous d'un véritable succès et pour les agriculteurs d'une avancée majeure.
Je pense également - je manque malheureusement de temps pour évoquer tous les débats que nous avons menés -, aux échanges concrets et très passionnants qui ont été les nôtres sur la reconnaissance de la truffe, sur la clairette de Die, sur les viandes d'Aubrac et de Salers en Lozère. Cher Jacques Blanc, j'aurais manqué à tous mes devoirs si je n'avais pas cité la Lozère en votre présence !
Toutes ces mesures confirment que vous restez, mesdames, messieurs les sénateurs, les meilleurs spécialistes du monde agricole.
Je participais lundi dernier au conseil des ministres de l'agriculture à Bruxelles. Cette réunion m'a conforté dans l'idée que ce texte de loi n'était pas un achèvement, mais plutôt un début, celui d'un nouvel élan pour notre agriculture.
Il y a moins d'un an, les positions françaises sur la régulation européenne des marchés agricoles étaient totalement isolées en Europe. Elles suscitaient des réactions négatives de l'ensemble de nos partenaires de l'Union et de la Commission européennes. Après un an de travail, de discussions, de pédagogie et de convictions, elles sont le point d'équilibre des discussions en Europe !
Le rapport Lyon qui a été adopté par le Parlement européen reprend mot pour mot les propositions formulées par la France et par l'Allemagne en juillet et en août derniers sur la régulation des marchés agricoles. Le rapport du groupe à haut niveau qui a été remis lundi dernier au conseil des ministres de l'agriculture reprend mot pour mot les propositions françaises formulées en juillet et en août derniers et présente nombre de dispositions que vous avez votées, mesdames, messieurs les sénateurs, dans le cadre de la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche !
Je pense à la mise en place des contrats entre industriels et producteurs, qui est recommandée par la Commission européenne et par les États membres comme la solution pour la stabilisation du revenu des producteurs. Je pense à la transparence sur les volumes et sur les circuits commerciaux, qui correspondent mot pour mot aux dispositions que vous avez adoptées dans le cadre de la loi de modernisation de l'agriculture et la pêche. Je pense au renforcement des organisations de producteurs et des interprofessions. Je pense à la modification du droit de la concurrence, pour permettre aux producteurs de mieux négocier leurs prix avec les industriels.
Mesdames, messieurs les sénateurs, toutes ces mesures, vous les avez voulues, avec un temps d'avance sur les autres pays européens, dans le cadre de la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche. Il s'agit d'un véritable succès pour les représentants du peuple français !
Je le répète, ce texte de loi n'est pas un achèvement, il est un début. Il devra être prolongé par la mise en place de plans de développement des filières. Celles-ci ont toutes besoin de soutien pour se moderniser, innover, investir, se restructurer, être toujours plus compétitives, de façon à maintenir l'activité agricole sur l'ensemble du territoire. Je présenterai ces plans de développement à partir du mois de septembre prochain pour ce qui concerne le lait, l'élevage, les fruits et légumes, puis les grandes cultures, de façon à accompagner chacune de ces filières dans son nécessaire développement.
Je pense également aux choix sur la politique agricole commune qui se dessineront d'ici à la fin de l'année 2010. Je le répète, nous avons gagné en persuasion. Nous avons fait de nos positions le point d'équilibre des discussions européennes. Il faut maintenant transformer l'essai, poursuivre nos efforts.
Nous le ferons, notamment, en présentant une position commune franco-allemande au mois de septembre prochain. L'agriculture, qui divise depuis vingt ans nos deux pays au plus haut niveau, qui a provoqué des crises politiques majeures entre eux depuis vingt ans, sera désormais un point d'entente entre la France et l'Allemagne.
Je pense enfin aux négociations internationales, sur lesquelles il n'est pas question de baisser la garde. Nous ne pouvons accepter que l'agriculture soit la variable d'ajustement systématique des discussions internationales, que ce soit avec le Mercosur ou dans le cadre de l'OMC !
Pour conclure, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais rappeler combien défendre ce texte devant vous a été pour moi un plaisir et un honneur. J'ai beaucoup appris de cette discussion, et je tenais à vous en remercier.
Mon dernier mot sera évidemment pour les agriculteurs et pour les pêcheurs de France, pour leur dire toute ma confiance dans leur avenir et dans leur talent.
Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 20 juillet 2010