Déclaration de Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication, sur le projet de loi relatif aux musées, notamment leur rôle face aux attentes de la société, la décentralisation, l'amélioration de la protection des collections et l'harmonisation de leur statut, à l'assemblée Nationale le 10 mai 2001.

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Circonstance : Présentation du projet de loi relatif aux musées de France, à l'Assemblée Nationale le 10 mai 2001

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les Députés,
André Malraux, dont nous célébrons cette année le centenaire, écrivait dans le musée imaginaire, je cite : " le rôle des musées, dans notre relation avec les oeuvres d'art est si grand, que nous avons peine à penser qu'il n'en existe pas, qu'il n'en exista jamais ".
En réalité, les musées dans notre pays sont une institution de la Révolution : la volonté exprimée par les Constituants était de montrer les collections devenues nationales pour contribuer à l'éducation du peuple ; c'est un objectif qui demeure prioritaire aujourd'hui encore et qui est présent dans plusieurs articles du projet de loi. Après 1793, il aura fallu attendre 1945 pour que les musées soient dotés d'un statut dans le cadre d'une ordonnance provisoire toujours en vigueur en 2001.
Il est donc indispensable d'adapter les textes juridiques des musées en tenant compte des nouvelles pratiques culturelles des Français.
Je ne rappellerai que quelques chiffres : en 2000 plus de 50 millions de visiteurs se sont rendus dans les musées, dont 15 millions dans les musées nationaux. Depuis le début des années 80, sous l'impulsion de l'attention personnelle que le Président de la République François Mitterrand, portait à la politique culturelle, le paysage des musées a profondément changé. Les institutions muséales sont devenues des acteurs culturels, économiques et touristiques de premier plan. Elles ont contribué à redessiner l'aménagement culturel du territoire. Ce sont plus d'une centaine de chantiers de rénovation et de construction qui ont été menés à bien depuis cette date.
Au titre des derniers contrats de plan, les projets concernant les musées ont représenté près d'un milliard de francs d'investissements. Les chantiers en cours des musées de Montpellier, Aix-en-Provence, Rennes, Angers, Vitry, Rodez, Albi et Mulhouse, pour ne citer que quelques-uns, démontrent que le dynamisme se poursuit.
C'est pourquoi, j'ai souhaité présenter ce projet de loi sur les musées au plus vite.
Je veux souligner le rôle décisif joué par votre assemblée dans l'élaboration de ce projet. Je tiens à rendre hommage à la qualité des travaux menés, à l'initiative de la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales, par la mission d'information sur les musées présidée par M. Alfred Recours, dont les réflexions ont conforté sur de nombreux points nos analyses tout en les enrichissant, et ont inspiré la rédaction de ce texte.
J'ajouterai une remarque concernant le champ retenu par ce projet de loi. Ce texte reflète bien, je le crois, la convergence de vues avec les propositions du rapport de votre mission. Mais son Président allait plus loin dans certaines propositions, celles-ci relevant plus, à mon sens, du pouvoir réglementaire. Elles n'en demeurent pas moins importantes pour l'évolution des musées et j'entends bien m'en inspirer pour les réformes que j'engagerai parallèlement au projet de loi.
J'ajoute que de nombreux articles du texte renvoient au décret d'application dont je tiens à préciser que l'élaboration est en cours et prend en compte nombre de recommandations de votre Commission.
J'insiste sur le fait qu'il ne s'agit pas de lire la politique du gouvernement en matière de musées seulement dans les articles de ce projet de loi. Ainsi le développement des réseaux intermusées que le rapport d'Alfred Recours a préconisé de soutenir, renforcera le dispositif proposé par la présente loi. Cette disposition résultera non de la loi mais de partenariats librement consentis.
Le gouvernement a souhaité inscrire son projet dans le respect des grands principes reconnus par notre constitution de la libre administration des collectivités locales et de la liberté d'association.
Le projet comporte quatre ambitions principales :
- intégrer et approfondir la logique de décentralisation,
- mieux préciser le rôle et la position du musée face aux attentes de la société, en tant qu'acteur au service du développement de la démocratisation de la culture,
- améliorer la protection des collections,
- harmoniser le statut des musées reconnus par l'Etat, et reconnaître le rôle des musées privés, de manière à fédérer, dans le respect de leurs spécificités, les différents "musées de France".
I - Le présent projet de loi est un texte décentralisateur et il s'agit d'un objectif fondamental de la politique du Gouvernement de Lionel Jospin. Le projet de loi prend acte des changements qui se sont produits depuis l'ordonnance de 1945. Il crée la catégorie "Musées de France", précise le champ du contrôle scientifique et technique, et propose des mesures concrètes qui renforcent la décentralisation.
Le texte fixe pour la première fois la " règle du jeu " applicable aux relations entre l'Etat et les collectivités locales en matière de contrôle des musées par l'Etat. Il limite le contrôle technique aux seuls musées labellisés, il instaure un organe collégial nouveau : le Conseil des "Musées de France". Le projet de loi offre des garanties en particulier dans le domaine de la protection du patrimoine et des mesures en faveur des publics des "Musées de France", qu'ils appartiennent à l'Etat ou aux collectivités territoriales.
Dans le respect du principe de la libre administration des collectivités locales, le texte met en avant, au-delà de la notion de contrôle, le rôle de conseil de l'Etat, et il prévoit, à la seule exception de l'article 8, des procédures, non pas d'autorisation, mais de simples avis préalables.
Prenant acte de l'engagement des partenaires territoriaux, le projet de loi prévoit que l'ensemble des dépôts anciens de l'Etat dans les musées classés et contrôlés, effectués jusqu'en 1910, soit plus de 15.000 oeuvres, deviennent propriété des collectivités locales si elles le souhaitent. Cette mesure garantit l'unité et l'intégrité des collections locales, dont les dépôts anciens sont considérés comme des éléments constitutifs et emblématiques des "musées de France".
Dans les mois qui viennent, je demanderai aux musées nationaux et aux établissements publics, comme le musée du Louvre et le Centre national d'art et de culture Georges Pompidou, de me présenter un programme cohérent et concerté de dépôts possibles dans les musées en région.
Le texte s'inscrit aussi dans la dynamique de la loi sur la coopération intercommunale. Il favorisera les collaborations entre tous les niveaux de collectivités locales en matière de musées ; des possibilités innovantes et originales de cessions de biens entre personnes publiques devraient, en autorisant notamment la reprise d'un musée par une autre collectivité locale ou par des groupements de collectivités territoriales, contribuer à l'aménagement culturel du territoire, accroître la cohérence des collections et offrir de nouvelles garanties au maintien et au développement du rayonnement des musées territoriaux.
Enfin, et c'est un point essentiel, la présence, au sein du Conseil des "musées de France", de représentants des collectivités territoriales, et de l'ensemble des catégories de "musées de France" renforceront le rôle et les missions des musées dans le cadre d'une politique culturelle équilibrée sur le territoire.
II - Le musée se doit d'être au service de la société et au service des publics ; si les missions de conservation et d'enrichissement des collections demeurent une priorité, le texte précise les missions des "musées de France" à travers notamment la définition de l'article 1, complété par les articles 4 et 6 : il s'agit de conserver des collections destinées à être exposées, dans le cadre d'une mission d'intérêt général, garantie par le statut (public, ou privé à but non lucratif) du propriétaire des collections.
Les articles 4 et 6 précisent la portée de ces principes généraux en inscrivant dans la loi l'objectif de démocratisation culturelle par l'accès du public le plus large. L'affirmation des missions, non seulement patrimoniales, mais aussi d'éducation et de diffusion, est soulignée. Enfin l'obligation d'inscrire la politique tarifaire dans le cadre d'une politique culturelle contribuera à la mise en uvre de ces objectifs.
III - Le projet de loi assure une meilleure protection du patrimoine ; ainsi l'article 11 vise à garantir la protection des collections en précisant qu'elles ne pourront être gérées et restaurées que par des professionnels qualifiés, en précisant que les acquisitions et les restaurations seront soumises à l'avis préalable de l'Etat, en prévoyant des procédures de mise en demeure inspirées du régime des monuments historiques en cas de risque de péril des uvres.
Mais la mesure essentielle à cet égard est la définition d'un régime d'inaliénabilité renforcée pour les musées publics, et la mise en uvre d'une logique, applicable à la fois aux musées publics et aux musées privés, qu'on pourrait qualifier d'affectation perpétuelle, non pas à tel musée particulier, mais à l'ensemble formé par les "musées de France".
L'amendement adopté par votre Commission tendant à créer un délai de trente ans pour les oeuvres d'art contemporain, avant de leur conférer le caractère d'inaliénabilité, remet en cause le fondement même de la notion de collection publique. Au moment où trop peu de musées dans notre pays investissent le champ de l'art contemporain, cette mesure m'apparaît plus dissuasive qu'incitative pour les politiques menées tout particulièrement en région. Un tel dispositif reviendrait à créer un "doute légal" sur la pertinence des acquisitions, de la création et donc des artistes.
Le projet améliore sensiblement la protection des collections des musées de droit privé, qui acceptent de devenir "Musée de France" ; je pense notamment à la plupart des fondations, des écomusées, des musées de société, sous statut associatif. Quasi inexistante jusqu'ici, la protection de leurs collections sera enfin assurée dans les mêmes conditions que celles des musées publics : le nouveau régime leur accordera le caractère imprescriptible, insaisissable, et elles seront assimilées aux collections publiques pour l'application des lois de 1992 et de 1995 sur la circulation des biens culturels ainsi qu'au regard de la répression du vandalisme culturel.
IV - Cette volonté de fédérer sans uniformiser se traduit notamment à trois niveaux :
- le texte vise à définir le corpus de règles communes applicables à tous les musées de France, y compris bien entendu les musées nationaux, au-delà des différences statutaires ou thématiques,
un corpus minimum afin de respecter la liberté des acteurs et la spécificité de leur statut ou de leurs collections,
des règles communes afin d'harmoniser ce qui doit l'être et mettre fin aux disparités injustifiées, notamment entre " musées de France " de droit public et de droit privé, ces derniers voyant pour la première fois, je le rappelle, leur statut défini et protégé par le législateur.
- le projet crée un Conseil des "musées de France" qui permettra de réunir les représentants des musées et des diverses catégories d'acteurs qui y jouent un rôle dans un cadre commun, afin d'être un lieu de dialogue et d'échange sur la politique nationale des musées.
- le texte prévoit, pour la mise en uvre concrète des principes posés par la législation, de confier au ministre de la culture un rôle, non pas hégémonique ou centralisateur, encore moins de gestion, mais de coordination afin de veiller, avec l'aide du Conseil des "musées de France", à accroître la cohérence et l'efficacité de la politique nationale de ces institutions.
Je n'oublie pas qu'au-delà de ces structures de concertation, d'autres acteurs de terrain participent, chacun dans son rôle, à l'action et au développement de nos musées. Je veux citer les sociétés d'amis des musées et tous les donateurs qui ne ménagent pas leurs efforts pour accompagner le travail des conservateurs nationaux et territoriaux. Ils participent aux côtés des pouvoirs publics à la construction d'une politique nationale à laquelle je suis très attachée.
Votre Commission a souhaité compléter le texte par un volet fiscal afin de favoriser l'enrichissement de notre patrimoine. Le Gouvernement a décidé de retenir certains de vos amendements, de prévoir la révision du régime des fondations d'entreprises et d'engager parallèlement une réflexion sur la question d'un prélèvement sur les jeux de hasard.
Voici, Mesdames, Messieurs les Députés, les orientations de ce projet de loi sur les musées de France dont chacun connaît l'urgence. Comme je l'ai rappelé, il y a un instant, le projet de loi ne cherche pas à répondre à toutes les ambitions légitimement exprimées par les élus et les professionnels ; mais je serai très attentive aux propositions que vous formulerez tout au long de ce débat.
Nos musées sont la première de nos institutions patrimoniales. Ils contribuent efficacement à la diffusion de la culture et, comme le montrent les millions de touristes étrangers qui les fréquentent, au rayonnement international de notre pays.
Sachez, Mesdames, Messieurs les Députés, que je souhaite ardemment que ce texte donne enfin les moyens juridiques indispensables à leur développement.
(source http://www.culture.gouv.fr, le 10 mai 2001)