Déclaration de M. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement, sur la prévention des expulsions de locataires pour impayés de loyers, Paris le 26 mars 1999.

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Circonstance : Réunion de préfets au ministère de l'intérieur, le 26 mars 1999

Texte intégral

Mesdames,
Messieurs les Préfets,
Je me réjouis de la possibilité que me donne le Ministre de lintérieur de madresser directement à vous sur la prévention des expulsions locatives pour impayés de loyers.
La loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 dorientation relative à la lutte contre les exclusions comprend un important volet sur le logement. Nombre de ces mesures logement font appel à votre intervention. Mais, sur la question très sensible des expulsions, le rôle nouveau que vous confère la loi et que précise la circulaire interministérielle du 17 février 1999, est véritablement central.

I - Les expulsions sont une question sensible sur laquelle votre
intervention était jusquà présent deffet limité car tardive
1) Cette question est sensible, dabord à cause de son ampleur : permettez-moi de vous rappeler quelques chiffres. En 1997, 113 000 assignations pour paiement de loyer ont abouti à 88 000 décisions dexpulsion, suivies de 48 000 commandements de quitter les lieux. Ceux-ci ont débouché sur 32 000 demandes de concours de la force publique, dont 14 500 ont été accordés et
4 700 effectivement mis en uvre.
Le décalage entre ce dernier chiffre, objectivement faible, et limaginaire collectif selon lequel de nombreuses expulsions seraient conduites manu militari peut surprendre. Il sexplique cependant.
2) lexpulsion du logement est en effet une mesure dont les conséquences sont graves pour les ménages concernés surtout lorsquils sont de bonne foi. Elle risque daccentuer le processus dexclusion dans lequel les impayés cumulés les ont engagés, ou de les faire basculer vraiment dans lexclusion, de lhébergement provisoire avec retrait des enfants jusquà parfois- lerrance
3) La procédure dexpulsion était jusquà présent traitée selon une logique profondément insatisfaisante.
Une fois en cours, après lassignation en justice, elle se déroulait sans écoute de lopinion du locataire, sans véritable analyse des causes qui étaient à lorigine de limpayé, sans que des solutions soient rapidement recherchées, sans que le juge ait un vrai pouvoir dappréciation. Il devait ainsi dans la plupart des cas seulement constater la résiliation du bail.
La personne pouvait certes sexprimer à laudience, mais cest un cadre peu propice à lexposé de difficultés personnelles, et statistiquement- elle ny assistait que dans moins dun cas sur deux.
Quant à votre intervention, elle nétait sollicitée quen fin de processus, après léchec du commandement davoir à quitter les locaux, et souvent dans un contexte local de forte tension sociale. Il ne vous restait quun pouvoir dappréciation de lexistence dun risque de trouble à lordre public, même si déjà la circulaire interministérielle du 15 octobre 1997 vous demandait dêtre spécialement attentifs aux situations les plus difficiles.
Vous nétiez sollicités que très tard, trop tard, et après avoir fait examiner la
situation, vous naviez le choix quentre accorder le concours de la force
publique ou ne pas le faire et indemniser le propriétaire. Bref entre coût humain
ou coût pour lEtat : les crédits du ministère de lintérieur pour indemnisation
des propriétaires ont été ces dernières années supérieurs aux crédits dEtat
pour le FSL. Le coût de léchec plus élevé que le coût de la prévention
Labsence de distinction entre les situations de bonne foi et de mauvaise foi, une distinction que va permettre un vrai travail social préventif, fait que vous naviez pas le beau rôle, alors que cette logique insatisfaisante nourrissait souvent une sensibilisation de lopinion publique et un militantisme associatif parfois vif, désignant souvent « lEtat « , vous en loccurrence, comme responsable de cette situation. La fin de la trêve hivernale relance chaque année ces interpellations à légard du Gouvernement et des représentants de lEtat que vous êtes.

II - La loi exclusions change de logique sur le traitement des demandes
dexpulsions
1) Avec la loi exclusions, nous avons décidé de « changer de logique « , en mettant en uvre une logique préventive et sociale pour les personnes impécunieuses de bonne foi :
· une logique préventive. Il faut comprendre les raisons de limpayé et en cas de bonne foi trouver des solutions avant laudience, avant la décision de justice.
Plus on agira tôt, plus les impayés resteront limités, plus il sera possible
déviter un jugement destabilisant, voire traumatisant, et de trouver une solution
satisfaisante à la fois pour le bailleur et pour le locataire.
· une approche sociale. Dans la plupart des cas (pas dans tous ), limpayé na pas pour origine un refus de payer malgré des revenus suffisants. Au contraire la faiblesse des ressources, le chômage, lemploi précaire, les ruptures familiales et lévolution de la structure familiale en sont les causes principales.
2) Cette nouvelle logique a deux traductions concrètes.
1 - Pour les locataires du parc HLM, bénéficiaires daides au logement, la loi exclusions a rendu obligatoire, avant lassignation au tribunal, la saisine de la SDPAL ou de la CAF.
Cette phase, qui dure 3 mois, doit faciliter la recherche de solutions entre le bailleur et le locataire par des plans dapurement ou lorientation vers des aides telles que le FSL. A ce stade, vous êtes concernés dans la mesure où vos services sont présents dans les SDAPL.
2 Ensuite pour tous les locataires (dans le parc social ou privé, quils soient ou non bénéficiaires dune aide au logement), un délai de 2 mois sépare maintenant obligatoirement lassignation pour résiliation de bail et lexamen de laffaire par le juge. Votre rôle est alors central. Vous devez mettre à profit ce délai pour faire conduire une enquête sociale (la personne sera alors contactée, donnera son point de vue, exposera sa situation) et faire trouver une solution.
Examen des droits en matière daide au logement, plan dapurement de la dette, aides financières, relogement dans un logement plus adapté, dans le cadre du PDALPD ou sur votre contingent de logements réservés, accompagnement sociale, saisine du FSL ou de tout autre dispositif, : toute la palette des outils existants doit, en cas dimpécuniosité dorigine sociale, être utilisée, pour trouver une solution et la mettre en place.
Le juge disposera à laudience de lensemble de ces informations que vous lui aurez transmises. Si une solution a été trouvée, il est vraisemblable que lexpulsion sera évitée. Si une solvabilité a été rétablie et quun plan dapurement de la dette de loyer a été arrêté, le juge pourra, même doffice, accorder des délais de paiement.
Vous voyez à quel point la loi fait reposer sur vous le cur de la nouvelle logique mise en uvre. Il vous revient donc de prendre les dispositions pour que lenquête soit menée très vite et que des solutions soient recherchées et mises en place. Deux mois constituent une durée courte et il faut dans ce laps de temps être performant.

Il vous appartient, en fonction des réalités départementales darrêter le service
social qui mènera ce travail : vous organiserez les modalités de sa saisine avec
les autorités compétentes (conseil général, CAF, MSA, associations). Selon
le nombre dassignations que vous aurez à faire traiter, vous pouvez, dans le cadre du PDALPD, proposer ces missions de diagnostic et recherche de solutions à un ou plusieurs organismes ou associations agréés à cette fin.
Les crédits du FSL augmentent globalement de 44 % en 1999 et ont doublé en 2 ans : ceci doit largement faciliter lélaboration de plans dapurement et le financement des missions denquête sociale confiées à des organismes ou associations agréés.
Lefficacité de cette approche préventive repose sur la mobilisation de nombreux acteurs et dispositifs. Jinsiste à ce sujet sur lamélioration de la coordination de tous les partenaires, principalement par la mise en place dans tous les départements, dune charte de prévention des expulsions. Vous devez y veiller : ces chartes doivent être élaborées dans un délai de 2 ans à compter de la promulgation de la loi.
III - Etendre cette logique sociale aux personnes pour lesquelles le jugement dexpulsion a déjà été rendu.
La loi exclusion a été votée le 29 juillet 1998. Plusieurs mesures concernant les expulsions sont donc applicables depuis cette date : par exemple les nouveaux pouvoirs du juge, et le délai de 2 mois entre lassignation et laudience.
Toutefois la mise en uvre concrète, sous votre responsabilité, du dispositif de prévention sociale (avec enquête sociale et recherche de solution) na probablement réellement avancé que depuis la circulaire du 17 février 1999, même si vous avez pris vos dispositions, dès avant cette date, pour rendre rapidement ce dispositif opérationnel.
Lesprit de la loi nouvelle doit donc prévaloir lorsquest demandé le concours de la force publique, y compris pour la mise en uvre de décisions de justice déjà rendues (depuis longtemps parfois) et applicables depuis le 15 mars.
Cette problématique sociale nest pas nouvelle pour vous, mais je vous demande de la faire désormais jouer pleinement.
Lefficacité de cette réforme fondée sur le triptyque « enquête sociale+écoute+solutions « se mesurera à laune de deux critères :
· une baisse significative du nombre des jugements dexpulsion, lidéal étant que ne demeurent sanctionnés que les cas de mauvaise foi sans impécuniosité, cas ne justifiant pas de différer le concours de la force publique lorsquil est demandé.
· une baisse, par voie de conséquence progressivement significative elle aussi, des crédits que le ministère de lintérieur consacre à lindemnisation des propriétaires, lorsque le concours de la force publique leur est refusé.
Nous ferons donc un suivi régulier des résultats obtenus, tout en restant à votre disposition pour évoquer et traiter les difficultés que vous rencontreriez. Votre rôle est décisif. Le Gouvernement sait pouvoir compter sur vous.
(Source http ://www.interieur.gouv.fr, le 6 avril 1999)