Texte intégral
Je remercie l'ensemble des participants à ce colloque sur le droit de la Famille d'avoir répondu à mon invitation. Parlementaires, magistrats, professeurs, responsables d'associations, tous ceux qui, à un titre ou à un autre, s'intéressent de près à la famille et plus particulièrement au droit de la famille.
J'ai le plaisir d'accueillir ma collègue Ségolène ROYAL qui marque, par sa présence, tout l'intérêt qu'elle porte à nos travaux et qui a en charge l'élaboration et la mise en oeuvre des politiques familiales. Celles-ci, en effet, ne sauraient se concevoir sans faire référence aucune au droit de la famille.
Le colloque d'aujourd'hui, centré sur la famille, a son origine dans la communication que j'ai faite en Conseil des ministres, dès le 29 octobre 1997, consacrée à la réforme de la justice. J'y abordais notamment la réforme du droit familial, élément essentiel " d'une justice plus actuelle ".
La nécessité en était alors évidente : la réforme était réclamée par les praticiens, les familles, les juristes. Ce droit, si présent au coeur de la vie de chacun de nous, n'était plus vraiment adapté à un état des moeurs que leur évolution éloignait de plus en plus de la lettre du Code Civil.
Réformer cet ensemble délicat, c'est provoquer des répercussions dans nos vies quotidiennes, parfois dans ce qu'elles ont de plus intime ; c'est aussi dessiner un avenir.
J'ai souhaité recourir à une méthode prenant pour fondement des études menées par des spécialistes :
- Les deux rapports commandés à monsieur Alain Bruel par le Ministère de l'emploi et de la Solidarité, sur "les bases de l'autorité parentale" et sur "l'avenir de la paternité".
- Le rapport, intitulé " Couple, filiation et parenté aujourd'hui " que Martine AUBRY et moi-même avions commandé à Irène THERY le 3 février 1998. Nous lui demandions d'étudier l'évolution de la famille dans notre société, et surtout de décrire les valeurs dont elle était le creuset. Nous souhaitions qu'elle étudie également la fonction de la famille dans une société en mutation, la part de la liberté et de la responsabilité que comportaient les nouveaux modes de vie familiale .
- Enfin, le rapport que j'ai demandé au groupe de travail présidé par Madame DEKEUWER-DEFOSSEZ intitulé " Rénover le droit de la famille ", m'a été remis le 14 septembre 1999.
Le groupe était composé notamment de professeurs d'université, de magistrats, d'avocats, de notaires...Il lui était demandé d'articuler ses travaux autour de deux axes fondamentaux: la filiation qui fonde la parenté et le couple qui repose aujourd'hui sur le respect accru de la volonté individuelle. Ce sont d'ailleurs ces deux axes qui structureront les travaux de cet après midi après que nous aurons réfléchi de manière plus générale à la part du droit dans la famille.
La Chancellerie a mené un travail approfondi de consultation en direction des associations familiales, des professions judiciaires, des élus et des grandes familles de pensée. J'ai pour ma part consulté des parlementaires et réuni deux fois les représentants de tous les groupes parlementaires. J'ai également consulté les grandes associations et les représentants des courants de pensée.
Ce colloque est un moment important de cette concertation. Ici, aujourd'hui des personnalités d'origine diverse, qui toutes s'intéressent au droit de la famille, professionnels ou politiques, vont confronter leurs points de vue.
Certes, il s'agit bien d'une part d'adapter le droit aux évolutions actuelles.
Mais, d'autre part je voudrais d'entrée de jeu insister sur la fonction spécifique du droit. Le droit de la famille a évidemment une dimension symbolique et normative. Il donne des repères. Il dit ce qui doit être. Il autorise et interdit. A travers lui, la société énonce ses choix, pose des valeurs et donne à ses croyances un sens civil, politique et anthropologique. Et si le droit de la famille est profondément un droit de caractère civil, c'est parce que la famille n'est pas une simple collection d'individus. Au contraire, et c'est Levi-Strauss qui le soulignait le plus vigoureusement dans "Les structures élémentaires de la parenté", il faut constamment avoir présent à l'esprit que la famille est le lieu symbolique où se construisent les rapports sociaux. Dans la famille, un individu s'inscrit dans des liens qui n'ont pas commencé avec lui et qui ne cesseront pas avec lui. Le monde ne commence pas à chaque naissance et ne finit pas avec la mort de chaque personne. C'est la raison pour laquelle la famille n'est pas une affaire purement privée. En son sein se construisent les rapports entre les générations, les rapports entre les sexes, mais aussi les rapports entre l'autorité et la liberté.
C'est la raison pour laquelle le droit de la famille n'est pas seulement un droit privé mais c'est aussi un droit public. Cela veut dire une chose très simple dans mon esprit : la société politique ne peut pas se désintéresser du droit de la famille.
Bien sur, il y a une part privée mais il y aussi des enjeux sociaux. Des enjeux en termes de liberté, d'égalité et de solidarité. S'il y a un droit de la famille qui doit être rénové, c'est en tenant la balance égale entre le respect dû aux choix des personnes et la nécessité de donner des repères qui font parfois cruellement défaut.
Après avoir été longtemps un terrain d'affrontements idéologiques entre des conceptions, pour les unes traditionnelles, et pour les autres plus libérales, la famille paraît susciter aujourd'hui un débat plus apaisé, même si les enjeux restent chargés parfois de passion et de prises de position radicales dans un domaine qui ne peut laisser personne indifférent. C'est aussi en cela que le droit est vivant.
Aussi, je voudrais vous dire brièvement ce que sont, à mes yeux, les rapports de la famille et du droit, au regard des évolutions récentes, de façon à dégager les principes fondamentaux à partir desquels pourrait se construire une réforme du droit de la famille.
I. LES RAPPORTS DU DROIT ET DE LA FAMILLE
Je crois que les rapports du droit et de la famille peuvent se penser à partir de deux éléments :
- En premier lieu, le droit de la famille ne peut pas être étranger à l'évolution des moeurs. En cela le droit doit s'adapter aux personnes pour lesquelles il est fait.
C'est d'ailleurs le point de vue auquel s'est placé le législateur, il y a plus de quarante ans. Il a accompli une uvre d'adaptation considérable du droit de la famille, en adoptant un réalisme sociologique érigé en méthode ; c'est ce qui lui a permis de combler la distance entre les réalités sociales et l'état du droit.
Cependant, cet ensemble de réformes, qui s'est étendu sur plusieurs années et qui a concerné successivement le divorce, l'autorité parentale, la filiation, les incapacités, l'adoption, a lui-même vieilli. Les évolutions sociales qu'elles avaient prises en compte et traitées, se sont poursuivies.
Pour les prendre en considération, les tribunaux ont souvent infléchi, parfois de manière importante, les directions indiquées par les textes. D'autre part, des événements imprévus qui résultent des progrès des sciences et des techniques, - en particulier en matière de filiation -, sont venus bouleverser certaines données du droit.
- En second lieu, le droit de la famille ne se pense pas seulement comme adaptation mais aussi comme orientation. A cet égard, rien ne serait plus éloigné de ma pensée que de croire que le droit est une simple boîte à outils où chacun serait autorisé à se servir en fonction des aspirations qu'il cherche à satisfaire.
Le droit ne se borne pas à adapter les règles aux moeurs, il indique les choix sociaux faits à un moment donné de son histoire par une collectivité qui délibère librement des règles qu'elle entend se donner. Nous ferons cette réflexion à propos des biotechnologies car tout ce qui est possible n'est pas également admissible. Nous devons le faire aussi avec le droit de la famille .
Autrement dit, je conçois qu'entre le possible et le faisable, s'étend tout l'espace du droit comme normatif. Ce qui est et ce qui est possible ne se confondent pas avec ce qui doit être.
Que le droit s'adapte ou qu'il oriente, une chose est certaine : il n'y a pas ou il n'y a plus de modèle unique d'organisation de la vie familiale. Toutes les études et tous les rapports qui m'ont été remis font le constat de différentes formes de famille. Celles-ci fonctionnent d'ailleurs moins comme des solutions alternatives que comme des formes successives. Dorénavant, au cours d'une existence un individu peut connaître le concubinage, le mariage, la séparation, le divorce, la famille recomposée.
Malgré cette pluralité des formes de vie, je crois cependant que la famille doit garder un caractère structurant. D'ailleurs, l'idée de famille traditionnelle continue à fonctionner comme un idéal même s'il est parfois hors d'atteinte. La représentation " idéale " de la famille " n'a en fait pas changé. Il est exclu de la minorer. Le mariage est l'institution qui traduit cette représentation symbolique. Il ne peut donc être fragilisé.
En somme la représentation traditionnelle de la famille unie est adoptée par les couples, pour toujours, ou pour un temps, comme si cette promesse d'éternité venait buter sur des obstacles imprévus. Ce qui veut aussi dire que la notion même de norme légale n'est pas disqualifiée.
Une chose est donc certaine : toute tentative d'uniformisation les modes de vie familiaux est vouée à l'échec. Elle ne correspondrait pas aux besoins du temps et de la société. Une telle tentative de restauration du modèle familial matrimonial n'est pas possible car même lorsque les couples font le choix de ce mode de vie, c'est encore un choix individuel qu'ils font, marqué par des préférences qui ne sont pas imposées par des normes sociales.
Le mariage retrouve ainsi une dignité qu'il avait peut être perdu. On ne se marie plus par routine ou pour faire comme tout le monde mais par choix réfléchi.
En tout état de cause, il faut compter avec la variété des situations qui nous obligent à partir des évolutions sociales, qui sont des tendances lourdes. Celles-ci sont connues et je ne les développerai pas longuement. Nous connaissons un profond mouvement d'individualisation des aspirations. Nous connaissons aussi un mouvement vers la privatisation qui fait apparaître comme une sorte d'immixtion scandaleuse toute norme non consentie. Enfin, et je viens d'en parler, un mouvement vers la pluralisation des modèles familiaux. Ces transformations se caractérisent aussi par un appétit de liberté et d'autonomie individuelle, d'égalité, par une revendication de dignité. On voit ainsi apparaître de nouvelles formes de solidarité entre les générations qui complètent l'aide que les parents apportent à leurs enfants par une aide que les enfants apportent à leurs parents.
Ce sont des valeurs de notre temps. Ce sont des valeurs pleinement républicaines. Rien d'étonnant, donc, à ce qu'elles s'imposent dans la vie privée au moment précis où l'on constate une élévation générale du niveau d'éducation. Celui-ci éclaire les choix des individus. L'élévation du niveau de vie, qui allège le souci matériel quotidien, rend les êtres plus disponibles à eux-mêmes.
Cependant, je voudrais ajouter que l'analyse ne peut pas en rester à ces trois formes de l'individualisation, de la privatisation et de la pluralisation. Je crois que le mouvement vers plus d'individualisation ne remet pas en cause l'existence de la famille comme groupe de référence. Même si elle a changé, la famille reste à l'évidence pour nos concitoyens une valeur sûre.
Je pense aussi que la privatisation de la famille est d'un certain point de vue une illusion d'optique. Jamais autant qu'aujourd'hui les responsables publics, les experts, les assistants sociaux ne se sont autant préoccupés du devenir des enfants mais aussi des parents au sein de la structure familiale.
Il y a là un enjeu de protection et de sécurité pour l'enfant. Mais il y a aussi un enjeu de protection pour les femmes qui sont parfois victimes de violences au sein des couples. Cette privatisation est donc loin d'être l'alpha et l'oméga de la vie de la famille.
Par conséquent, si les valeurs dont je parlais, qui vont dans le sens de l'autonomie et de l'épanouissement individuel sont des valeurs qui doivent être inscrites dans la loi , il convient de ne pas sous-estimer les valeurs de solidarité qui continuent d'irriguer notre vie collective et doivent trouver une égale expression dans notre droit.
En somme, chaque valeur trouve sa contrepartie et à chacun des droits correspondent des obligations: la liberté ne va pas sans le respect de la dignité de l'autre, l'égalité sans les responsabilités, l'autonomie sans des devoirs à l'égard des individus.
Au fond la réforme que je voudrais conduire a pour but, dans cette optique, de conjuguer plus de libertés et de responsabilités, d'harmoniser le mouvement parce que la société change et la norme qui fixe les repères nécessaires.
II LES PRINCIPES FONDAMENTAUX D'UNE REFORME
Si je compte beaucoup sur les réflexions qui vont animer cette journée pour définir des modalités d'une réforme, je souhaite vous faire part des principes que je considère comme essentiels pour assurer leur mise en uvre.
Il s'agit d'assurer, comme je l'ai dit, à la fois le mouvement, c'est à dire l'innovation et l'adaptation du droit à une réalité familiale nouvelle et la référence, c'est à dire l'affirmation de quelques repères compris de tous qui permettent la vie en société.
1/ Le mouvement
Il a pour effet d'affirmer l'autonomie individuelle, de prendre en compte l'aspiration à l'égalité toujours plus forte, de remettre en cause les discriminations qui n'ont pas d'autre fondement que leur lointaine origine historique.
Le développement de l'autonomie individuelle s'impose non seulement dans la vie sociale, mais aussi dans la vie de couple : dès lors que l'égalité tend à s'y instaurer, que la division des rôles sociaux dans le ménage disparaît peu à peu, les situations de dépendance entre les membres du foyer s'atténuent. Ce sentiment d'autonomie individuelle a donné une valeur de référence au couple plus qu'au foyer où les individualités se confondent, et dans le couple, à l'épanouissement personnel.
* La loi peut répondre à cette aspiration, en s'intéressant, en premier lieu, plus aux relations entre les personnes qu'au groupe qu'elles constituent. Elle doit leur permettre de vivre ce qu'elles ont choisi de vivre, sans poser des obstacles juridiques dont l'efficacité est douteuse. Autrement dit, des personnes qui ont choisi le mariage doivent pouvoir aussi le rompre, sans que des procédures compliquées, longues, difficiles et douloureuses les en empêchent. La volonté initiale est toujours de réussir le mariage. Le divorce, lui, est un constat d'échec. Il faut donc, autant que faire se peut, éviter les traumatismes supplémentaires .
La loi doit donc permettre de garantir une séparation dans des conditions acceptables pour tous ; cela passe par une simplification et une dédramatisation des procédures de divorce; il ne faut plus que la procédure, par sa complexité et sa rigidité, soit l'occasion d'entretenir un conflit qui pourrait aller vers son apaisement.
* Ensuite, la loi peut favoriser l'aspiration à la liberté en faisant prédominer l'intérêt de l'enfant sur les intérêts passionnels des parents, au sein du couple qui se sépare. L'enfant est vraiment un élément structurant du droit de la famille. Chaque enfant a droit, quel que soit son âge, à ses deux parents. Quelle que soit l'instabilité familiale, personne ne parlera jamais de son " ex-mère " ou de son " ex-père ".
La liberté a trouvé déjà son expression pour l'enfant, dans les dispositions de la convention internationale de New York. Elle vise à reconnaître des droits à l'enfant, l'autonomie de sa personne par rapport au foyer parental et lui donner un espace de liberté. Sur ce point, la loi doit parvenir à équilibrer la prise en compte des aspirations légitimes de l'enfant avec les impératifs de son éducation.
Ceux-ci comportent, de la part des parents, l'exercice d'une autorité nécessaire à la construction de la personnalité du mineur, de façon à assurer sa socialisation. C'est aussi une façon de répartir les rôles entre les générations.
De la liberté, le principe d'innovation, d'adaptation, nous conduit à l'égalité.
Car, la notion de droit contient en elle-même l'idée d'égalité. Le droit de la famille connaît une évolution constante vers cette idée: entre les hommes et les femmes, entre les statuts des couples, entre les statuts des enfants.
L'égalité suppose la disparition des discriminations entre les personnes, par la naissance et pour les seules circonstances tenant à la personne du père ou de la mère. L'enfant ne choisit jamais le statut de ses parents et rien ne justifie que celui-ci pèse sur lui. Le principe d'égalité entre les enfants me semble conduire à effacer du code les dernières discriminations entre enfant naturel et enfant légitime. Ainsi sera conclue une longue évolution de notre droit commencée en 1972.
L'égalité conduit à retenir que chaque enfant ait, à l'égard de son père et de sa mère la même position, les mêmes droits, les mêmes qualités que tout autre enfant à l'égard de ses propres père et mère. Elle amène encore à reconsidérer l'attribution de l'autorité parentale, différente entre enfants nés d'un mariage, et ceux nés hors mariage, et encore, entre enfants nés hors mariage, suivant que leurs parents vivent en couple ou non dans l'année de la naissance.
Enfin, la modification du statut social de la femme, qui reçoit la même éducation, est appelée aux mêmes professions, et a vocation à assumer les mêmes responsabilités sociales que les hommes dans la vie professionnelle ou publique est un puissant facteur d'égalité et de transformation de toute la société.
Les modes de vie actuels évoluent vers une disparition de la division des rôles entre hommes et femmes au sein du foyer, et une nouvelle répartition des responsabilités : elles sont partagées autant pour ce qui concerne la vie courante que les rapports avec les enfants. Le droit de la famille ne l'ignore pas et participe comme la Constitution à la parité.
Mais le droit de la famille ne peut se borner à enregistrer ou encourager les changements sociaux qui appellent leur reconnaissance normative. Il est conçu pour affirmer et fournir des références.
2- La référence
Le droit de la famille affiche, affirme et appelle l'énoncé de quelques références simples comprises de tous qui marquent ce qu'est la famille dans notre société.
Ainsi la plus grande autonomie laissée aux membres du couple qui illustre l'individualisation ne doit pas conduire pourtant à sacrifier l'une des deux personnes. L'individualisme c'est la liberté mais c'est aussi le risque de l'oppression. La société ne peut pas laisser le faible face au fort, ce qui serait un encouragement donné à la politique du fait accompli. C'est protéger la liberté de choix des individus que de leur permettre de vivre face au partenaire choisi sans craindre la rupture d'un lien lorsqu'il ne sera plus désiré. Mais c'est aussi protéger celui qui n'a pas voulu la rupture de ce lien.
De même, je crois qu'il est important pour les rapports entre les générations que chacun joue son rôle: que l'enfant ait le droit d'être un enfant et que sa parole soit prise pour ce qu'elle est.
Mais en même temps, que les parents assument leur rôle de parents, c'est à dire l'autorité qui est la leur.
L'égalité entre parents implique donc que l'enfant ait droit à une éducation par l'un et par l'autre, et que chacun des parents soit dans une situation identique dans ses droits d'exercice de l'autorité parentale : la stabilité de l'enfant dans son cadre de vie entraîne des contraintes pour l'un des parents ; ces contraintes peuvent être atténuées, sinon la loi peut aider à les surmonter ; il doit être fait en sorte que chacun des parents puisse prendre sa juste part et des peines et des responsabilités qui découlent de l'éducation des enfants. Là encore l'évolution amorcée avec la substitution de l'autorité parentale à l'autorité paternelle peut être parachevée en donnant un contenu substantiel à cette notion récente que les nécessités de la vie courante privent souvent d'efficacité.
Mais la première des références que peut apporter le droit de la famille, c'est l'affirmation en toute circonstance et dans tous les rôles familiaux d'une base de responsabilité intangible.
Ainsi, la liberté ainsi conquise par les couples et les familles trouve son contrepoint dans une responsabilité personnelle accrue : responsabilité de l'organisation de sa propre vie, et responsabilité à l'égard de ceux qui y ont participé ou en sont les prolongements.
Cette responsabilité concerne aussi le couple qui se sépare et ceci de deux manières :
- En premier lieu par la responsabilité dans l'établissement et la permanence du lien de filiation : le père et la mère ont la charge d'assumer la filiation au -delà de la durée de leur relation commune ; le premier acte de cette prise de responsabilité réside dans l'établissement de la filiation, d'une filiation vraie, d'une filiation stable.
La loi doit absolument faciliter l'établissement de la filiation tant paternelle que maternelle, à la naissance et dès avant. Elle doit encore marquer clairement, en définissant les conditions de reconnaissance et de contestation de filiation qu'il est absolument essentiel que l'enfant puisse se connaître et se reconnaître dans le nom qu'il porte.
La loi doit faire en sorte qu'il ne puisse être le jeu et l'enjeu des conflits et des changements qui se font dans la vie de ses parents : que sa vie ne soit pas soumise aux aléas de la vie de ceux qui doivent lui assurer la stabilité et la permanence d'une relation confiante.
- En second lieu, par la responsabilité dans les conditions mêmes de la séparation : toute séparation est, d'une manière ou d'une autre, pour l'un ou pour l'autre, la reconnaissance d'une impasse. La loi qui fixe les conditions de la séparation et l'organisation de ce qui reste d'intérêts communs, ne doit pas ajouter l'échec d'un épisode procédural à l'échec du couple.
Nous devons mettre en place les dispositifs qui permettent d'assurer la pacification des conflits, que ce soit par une incitation institutionnelle et judiciaire à la conclusion d'accords, ou par un recours plus systématique à la médiation.
C'est à cette condition que la procédure judiciaire cessera d'apparaître comme le stade ultime d'une épreuve de force et pourra devenir, plus encore qu'elle ne l'est actuellement, le lieu naturel de l'élaboration de solutions négociées et acceptées par toutes les parties.
CONCLUSION
Pour conclure, je voudrais placer le droit de la famille sous la marque de la dignité. Assurons à chacun, père, mère, enfant, sa pleine dignité. Cela s'impose dans la séparation : je ne peux pas méconnaître que le contentieux familial est caractérisé par les déchirements passionnels, par des blessures profondes au plus intime de la personnalité de chacun.
L'objectif de dignité est primordial. C'est une évidence, pour les enfants pris dans le conflit parental comme pour le couple qui se défait. Il doit être atteint par la mise en place de dispositions qui permettront aux parents séparés d'exercer l'autorité parentale conjointe.
Cela doit aussi être recherché dans la solidarité entre les générations et celle découlant de la vie du couple. Je veux parler des droits du conjoint survivant. Au terme d'une vie commune rompue par la mort d'un conjoint, il est nécessaire que l'autre se voie reconnaître par la loi, la place qui demeure la sienne dans l'ensemble familial.
Il faut consacrer une juste place au conjoint survivant, pour exprimer les droits qui découlent naturellement d'une vie commune, et concrétiser la solidarité existant entre les membres de la cellule familiale qui a été centrée autour du couple.
Je me réjouis que notre rencontre d'aujourd'hui, à laquelle je serai particulièrement attentive, nous permette de progresser vers la formulation des solutions qui répondent aux différents problèmes que je viens d'évoquer.
Ce matin, nous allons consacrer nos travaux à une approche sociologique et anthropologique de la famille avec les trois interventions de Madame Hervieu léger, Irène Thery et Martine Segalen.
Ces trois interventions seront suivies d'une table ronde animée par M. Alain Etchegoyen. Madame la professeur Catherine Labrusse Riou fera la snthèse de la matinée et assurera la transition avec une approche plus juridique.
L'après-midi sera introduite par Segolène Royal, ministre délégué à la famille et à l'enfance.
Après la synthèse des travaux de la Commission présidée par Mme Dekeuwer-Défossez, nous consacrerons deux tables rondes, respectivement à la filiation et au couple.
Je vous remercie.
(Source http://www.justice.gouv.fr, le 5 mai 2000)
J'ai le plaisir d'accueillir ma collègue Ségolène ROYAL qui marque, par sa présence, tout l'intérêt qu'elle porte à nos travaux et qui a en charge l'élaboration et la mise en oeuvre des politiques familiales. Celles-ci, en effet, ne sauraient se concevoir sans faire référence aucune au droit de la famille.
Le colloque d'aujourd'hui, centré sur la famille, a son origine dans la communication que j'ai faite en Conseil des ministres, dès le 29 octobre 1997, consacrée à la réforme de la justice. J'y abordais notamment la réforme du droit familial, élément essentiel " d'une justice plus actuelle ".
La nécessité en était alors évidente : la réforme était réclamée par les praticiens, les familles, les juristes. Ce droit, si présent au coeur de la vie de chacun de nous, n'était plus vraiment adapté à un état des moeurs que leur évolution éloignait de plus en plus de la lettre du Code Civil.
Réformer cet ensemble délicat, c'est provoquer des répercussions dans nos vies quotidiennes, parfois dans ce qu'elles ont de plus intime ; c'est aussi dessiner un avenir.
J'ai souhaité recourir à une méthode prenant pour fondement des études menées par des spécialistes :
- Les deux rapports commandés à monsieur Alain Bruel par le Ministère de l'emploi et de la Solidarité, sur "les bases de l'autorité parentale" et sur "l'avenir de la paternité".
- Le rapport, intitulé " Couple, filiation et parenté aujourd'hui " que Martine AUBRY et moi-même avions commandé à Irène THERY le 3 février 1998. Nous lui demandions d'étudier l'évolution de la famille dans notre société, et surtout de décrire les valeurs dont elle était le creuset. Nous souhaitions qu'elle étudie également la fonction de la famille dans une société en mutation, la part de la liberté et de la responsabilité que comportaient les nouveaux modes de vie familiale .
- Enfin, le rapport que j'ai demandé au groupe de travail présidé par Madame DEKEUWER-DEFOSSEZ intitulé " Rénover le droit de la famille ", m'a été remis le 14 septembre 1999.
Le groupe était composé notamment de professeurs d'université, de magistrats, d'avocats, de notaires...Il lui était demandé d'articuler ses travaux autour de deux axes fondamentaux: la filiation qui fonde la parenté et le couple qui repose aujourd'hui sur le respect accru de la volonté individuelle. Ce sont d'ailleurs ces deux axes qui structureront les travaux de cet après midi après que nous aurons réfléchi de manière plus générale à la part du droit dans la famille.
La Chancellerie a mené un travail approfondi de consultation en direction des associations familiales, des professions judiciaires, des élus et des grandes familles de pensée. J'ai pour ma part consulté des parlementaires et réuni deux fois les représentants de tous les groupes parlementaires. J'ai également consulté les grandes associations et les représentants des courants de pensée.
Ce colloque est un moment important de cette concertation. Ici, aujourd'hui des personnalités d'origine diverse, qui toutes s'intéressent au droit de la famille, professionnels ou politiques, vont confronter leurs points de vue.
Certes, il s'agit bien d'une part d'adapter le droit aux évolutions actuelles.
Mais, d'autre part je voudrais d'entrée de jeu insister sur la fonction spécifique du droit. Le droit de la famille a évidemment une dimension symbolique et normative. Il donne des repères. Il dit ce qui doit être. Il autorise et interdit. A travers lui, la société énonce ses choix, pose des valeurs et donne à ses croyances un sens civil, politique et anthropologique. Et si le droit de la famille est profondément un droit de caractère civil, c'est parce que la famille n'est pas une simple collection d'individus. Au contraire, et c'est Levi-Strauss qui le soulignait le plus vigoureusement dans "Les structures élémentaires de la parenté", il faut constamment avoir présent à l'esprit que la famille est le lieu symbolique où se construisent les rapports sociaux. Dans la famille, un individu s'inscrit dans des liens qui n'ont pas commencé avec lui et qui ne cesseront pas avec lui. Le monde ne commence pas à chaque naissance et ne finit pas avec la mort de chaque personne. C'est la raison pour laquelle la famille n'est pas une affaire purement privée. En son sein se construisent les rapports entre les générations, les rapports entre les sexes, mais aussi les rapports entre l'autorité et la liberté.
C'est la raison pour laquelle le droit de la famille n'est pas seulement un droit privé mais c'est aussi un droit public. Cela veut dire une chose très simple dans mon esprit : la société politique ne peut pas se désintéresser du droit de la famille.
Bien sur, il y a une part privée mais il y aussi des enjeux sociaux. Des enjeux en termes de liberté, d'égalité et de solidarité. S'il y a un droit de la famille qui doit être rénové, c'est en tenant la balance égale entre le respect dû aux choix des personnes et la nécessité de donner des repères qui font parfois cruellement défaut.
Après avoir été longtemps un terrain d'affrontements idéologiques entre des conceptions, pour les unes traditionnelles, et pour les autres plus libérales, la famille paraît susciter aujourd'hui un débat plus apaisé, même si les enjeux restent chargés parfois de passion et de prises de position radicales dans un domaine qui ne peut laisser personne indifférent. C'est aussi en cela que le droit est vivant.
Aussi, je voudrais vous dire brièvement ce que sont, à mes yeux, les rapports de la famille et du droit, au regard des évolutions récentes, de façon à dégager les principes fondamentaux à partir desquels pourrait se construire une réforme du droit de la famille.
I. LES RAPPORTS DU DROIT ET DE LA FAMILLE
Je crois que les rapports du droit et de la famille peuvent se penser à partir de deux éléments :
- En premier lieu, le droit de la famille ne peut pas être étranger à l'évolution des moeurs. En cela le droit doit s'adapter aux personnes pour lesquelles il est fait.
C'est d'ailleurs le point de vue auquel s'est placé le législateur, il y a plus de quarante ans. Il a accompli une uvre d'adaptation considérable du droit de la famille, en adoptant un réalisme sociologique érigé en méthode ; c'est ce qui lui a permis de combler la distance entre les réalités sociales et l'état du droit.
Cependant, cet ensemble de réformes, qui s'est étendu sur plusieurs années et qui a concerné successivement le divorce, l'autorité parentale, la filiation, les incapacités, l'adoption, a lui-même vieilli. Les évolutions sociales qu'elles avaient prises en compte et traitées, se sont poursuivies.
Pour les prendre en considération, les tribunaux ont souvent infléchi, parfois de manière importante, les directions indiquées par les textes. D'autre part, des événements imprévus qui résultent des progrès des sciences et des techniques, - en particulier en matière de filiation -, sont venus bouleverser certaines données du droit.
- En second lieu, le droit de la famille ne se pense pas seulement comme adaptation mais aussi comme orientation. A cet égard, rien ne serait plus éloigné de ma pensée que de croire que le droit est une simple boîte à outils où chacun serait autorisé à se servir en fonction des aspirations qu'il cherche à satisfaire.
Le droit ne se borne pas à adapter les règles aux moeurs, il indique les choix sociaux faits à un moment donné de son histoire par une collectivité qui délibère librement des règles qu'elle entend se donner. Nous ferons cette réflexion à propos des biotechnologies car tout ce qui est possible n'est pas également admissible. Nous devons le faire aussi avec le droit de la famille .
Autrement dit, je conçois qu'entre le possible et le faisable, s'étend tout l'espace du droit comme normatif. Ce qui est et ce qui est possible ne se confondent pas avec ce qui doit être.
Que le droit s'adapte ou qu'il oriente, une chose est certaine : il n'y a pas ou il n'y a plus de modèle unique d'organisation de la vie familiale. Toutes les études et tous les rapports qui m'ont été remis font le constat de différentes formes de famille. Celles-ci fonctionnent d'ailleurs moins comme des solutions alternatives que comme des formes successives. Dorénavant, au cours d'une existence un individu peut connaître le concubinage, le mariage, la séparation, le divorce, la famille recomposée.
Malgré cette pluralité des formes de vie, je crois cependant que la famille doit garder un caractère structurant. D'ailleurs, l'idée de famille traditionnelle continue à fonctionner comme un idéal même s'il est parfois hors d'atteinte. La représentation " idéale " de la famille " n'a en fait pas changé. Il est exclu de la minorer. Le mariage est l'institution qui traduit cette représentation symbolique. Il ne peut donc être fragilisé.
En somme la représentation traditionnelle de la famille unie est adoptée par les couples, pour toujours, ou pour un temps, comme si cette promesse d'éternité venait buter sur des obstacles imprévus. Ce qui veut aussi dire que la notion même de norme légale n'est pas disqualifiée.
Une chose est donc certaine : toute tentative d'uniformisation les modes de vie familiaux est vouée à l'échec. Elle ne correspondrait pas aux besoins du temps et de la société. Une telle tentative de restauration du modèle familial matrimonial n'est pas possible car même lorsque les couples font le choix de ce mode de vie, c'est encore un choix individuel qu'ils font, marqué par des préférences qui ne sont pas imposées par des normes sociales.
Le mariage retrouve ainsi une dignité qu'il avait peut être perdu. On ne se marie plus par routine ou pour faire comme tout le monde mais par choix réfléchi.
En tout état de cause, il faut compter avec la variété des situations qui nous obligent à partir des évolutions sociales, qui sont des tendances lourdes. Celles-ci sont connues et je ne les développerai pas longuement. Nous connaissons un profond mouvement d'individualisation des aspirations. Nous connaissons aussi un mouvement vers la privatisation qui fait apparaître comme une sorte d'immixtion scandaleuse toute norme non consentie. Enfin, et je viens d'en parler, un mouvement vers la pluralisation des modèles familiaux. Ces transformations se caractérisent aussi par un appétit de liberté et d'autonomie individuelle, d'égalité, par une revendication de dignité. On voit ainsi apparaître de nouvelles formes de solidarité entre les générations qui complètent l'aide que les parents apportent à leurs enfants par une aide que les enfants apportent à leurs parents.
Ce sont des valeurs de notre temps. Ce sont des valeurs pleinement républicaines. Rien d'étonnant, donc, à ce qu'elles s'imposent dans la vie privée au moment précis où l'on constate une élévation générale du niveau d'éducation. Celui-ci éclaire les choix des individus. L'élévation du niveau de vie, qui allège le souci matériel quotidien, rend les êtres plus disponibles à eux-mêmes.
Cependant, je voudrais ajouter que l'analyse ne peut pas en rester à ces trois formes de l'individualisation, de la privatisation et de la pluralisation. Je crois que le mouvement vers plus d'individualisation ne remet pas en cause l'existence de la famille comme groupe de référence. Même si elle a changé, la famille reste à l'évidence pour nos concitoyens une valeur sûre.
Je pense aussi que la privatisation de la famille est d'un certain point de vue une illusion d'optique. Jamais autant qu'aujourd'hui les responsables publics, les experts, les assistants sociaux ne se sont autant préoccupés du devenir des enfants mais aussi des parents au sein de la structure familiale.
Il y a là un enjeu de protection et de sécurité pour l'enfant. Mais il y a aussi un enjeu de protection pour les femmes qui sont parfois victimes de violences au sein des couples. Cette privatisation est donc loin d'être l'alpha et l'oméga de la vie de la famille.
Par conséquent, si les valeurs dont je parlais, qui vont dans le sens de l'autonomie et de l'épanouissement individuel sont des valeurs qui doivent être inscrites dans la loi , il convient de ne pas sous-estimer les valeurs de solidarité qui continuent d'irriguer notre vie collective et doivent trouver une égale expression dans notre droit.
En somme, chaque valeur trouve sa contrepartie et à chacun des droits correspondent des obligations: la liberté ne va pas sans le respect de la dignité de l'autre, l'égalité sans les responsabilités, l'autonomie sans des devoirs à l'égard des individus.
Au fond la réforme que je voudrais conduire a pour but, dans cette optique, de conjuguer plus de libertés et de responsabilités, d'harmoniser le mouvement parce que la société change et la norme qui fixe les repères nécessaires.
II LES PRINCIPES FONDAMENTAUX D'UNE REFORME
Si je compte beaucoup sur les réflexions qui vont animer cette journée pour définir des modalités d'une réforme, je souhaite vous faire part des principes que je considère comme essentiels pour assurer leur mise en uvre.
Il s'agit d'assurer, comme je l'ai dit, à la fois le mouvement, c'est à dire l'innovation et l'adaptation du droit à une réalité familiale nouvelle et la référence, c'est à dire l'affirmation de quelques repères compris de tous qui permettent la vie en société.
1/ Le mouvement
Il a pour effet d'affirmer l'autonomie individuelle, de prendre en compte l'aspiration à l'égalité toujours plus forte, de remettre en cause les discriminations qui n'ont pas d'autre fondement que leur lointaine origine historique.
Le développement de l'autonomie individuelle s'impose non seulement dans la vie sociale, mais aussi dans la vie de couple : dès lors que l'égalité tend à s'y instaurer, que la division des rôles sociaux dans le ménage disparaît peu à peu, les situations de dépendance entre les membres du foyer s'atténuent. Ce sentiment d'autonomie individuelle a donné une valeur de référence au couple plus qu'au foyer où les individualités se confondent, et dans le couple, à l'épanouissement personnel.
* La loi peut répondre à cette aspiration, en s'intéressant, en premier lieu, plus aux relations entre les personnes qu'au groupe qu'elles constituent. Elle doit leur permettre de vivre ce qu'elles ont choisi de vivre, sans poser des obstacles juridiques dont l'efficacité est douteuse. Autrement dit, des personnes qui ont choisi le mariage doivent pouvoir aussi le rompre, sans que des procédures compliquées, longues, difficiles et douloureuses les en empêchent. La volonté initiale est toujours de réussir le mariage. Le divorce, lui, est un constat d'échec. Il faut donc, autant que faire se peut, éviter les traumatismes supplémentaires .
La loi doit donc permettre de garantir une séparation dans des conditions acceptables pour tous ; cela passe par une simplification et une dédramatisation des procédures de divorce; il ne faut plus que la procédure, par sa complexité et sa rigidité, soit l'occasion d'entretenir un conflit qui pourrait aller vers son apaisement.
* Ensuite, la loi peut favoriser l'aspiration à la liberté en faisant prédominer l'intérêt de l'enfant sur les intérêts passionnels des parents, au sein du couple qui se sépare. L'enfant est vraiment un élément structurant du droit de la famille. Chaque enfant a droit, quel que soit son âge, à ses deux parents. Quelle que soit l'instabilité familiale, personne ne parlera jamais de son " ex-mère " ou de son " ex-père ".
La liberté a trouvé déjà son expression pour l'enfant, dans les dispositions de la convention internationale de New York. Elle vise à reconnaître des droits à l'enfant, l'autonomie de sa personne par rapport au foyer parental et lui donner un espace de liberté. Sur ce point, la loi doit parvenir à équilibrer la prise en compte des aspirations légitimes de l'enfant avec les impératifs de son éducation.
Ceux-ci comportent, de la part des parents, l'exercice d'une autorité nécessaire à la construction de la personnalité du mineur, de façon à assurer sa socialisation. C'est aussi une façon de répartir les rôles entre les générations.
De la liberté, le principe d'innovation, d'adaptation, nous conduit à l'égalité.
Car, la notion de droit contient en elle-même l'idée d'égalité. Le droit de la famille connaît une évolution constante vers cette idée: entre les hommes et les femmes, entre les statuts des couples, entre les statuts des enfants.
L'égalité suppose la disparition des discriminations entre les personnes, par la naissance et pour les seules circonstances tenant à la personne du père ou de la mère. L'enfant ne choisit jamais le statut de ses parents et rien ne justifie que celui-ci pèse sur lui. Le principe d'égalité entre les enfants me semble conduire à effacer du code les dernières discriminations entre enfant naturel et enfant légitime. Ainsi sera conclue une longue évolution de notre droit commencée en 1972.
L'égalité conduit à retenir que chaque enfant ait, à l'égard de son père et de sa mère la même position, les mêmes droits, les mêmes qualités que tout autre enfant à l'égard de ses propres père et mère. Elle amène encore à reconsidérer l'attribution de l'autorité parentale, différente entre enfants nés d'un mariage, et ceux nés hors mariage, et encore, entre enfants nés hors mariage, suivant que leurs parents vivent en couple ou non dans l'année de la naissance.
Enfin, la modification du statut social de la femme, qui reçoit la même éducation, est appelée aux mêmes professions, et a vocation à assumer les mêmes responsabilités sociales que les hommes dans la vie professionnelle ou publique est un puissant facteur d'égalité et de transformation de toute la société.
Les modes de vie actuels évoluent vers une disparition de la division des rôles entre hommes et femmes au sein du foyer, et une nouvelle répartition des responsabilités : elles sont partagées autant pour ce qui concerne la vie courante que les rapports avec les enfants. Le droit de la famille ne l'ignore pas et participe comme la Constitution à la parité.
Mais le droit de la famille ne peut se borner à enregistrer ou encourager les changements sociaux qui appellent leur reconnaissance normative. Il est conçu pour affirmer et fournir des références.
2- La référence
Le droit de la famille affiche, affirme et appelle l'énoncé de quelques références simples comprises de tous qui marquent ce qu'est la famille dans notre société.
Ainsi la plus grande autonomie laissée aux membres du couple qui illustre l'individualisation ne doit pas conduire pourtant à sacrifier l'une des deux personnes. L'individualisme c'est la liberté mais c'est aussi le risque de l'oppression. La société ne peut pas laisser le faible face au fort, ce qui serait un encouragement donné à la politique du fait accompli. C'est protéger la liberté de choix des individus que de leur permettre de vivre face au partenaire choisi sans craindre la rupture d'un lien lorsqu'il ne sera plus désiré. Mais c'est aussi protéger celui qui n'a pas voulu la rupture de ce lien.
De même, je crois qu'il est important pour les rapports entre les générations que chacun joue son rôle: que l'enfant ait le droit d'être un enfant et que sa parole soit prise pour ce qu'elle est.
Mais en même temps, que les parents assument leur rôle de parents, c'est à dire l'autorité qui est la leur.
L'égalité entre parents implique donc que l'enfant ait droit à une éducation par l'un et par l'autre, et que chacun des parents soit dans une situation identique dans ses droits d'exercice de l'autorité parentale : la stabilité de l'enfant dans son cadre de vie entraîne des contraintes pour l'un des parents ; ces contraintes peuvent être atténuées, sinon la loi peut aider à les surmonter ; il doit être fait en sorte que chacun des parents puisse prendre sa juste part et des peines et des responsabilités qui découlent de l'éducation des enfants. Là encore l'évolution amorcée avec la substitution de l'autorité parentale à l'autorité paternelle peut être parachevée en donnant un contenu substantiel à cette notion récente que les nécessités de la vie courante privent souvent d'efficacité.
Mais la première des références que peut apporter le droit de la famille, c'est l'affirmation en toute circonstance et dans tous les rôles familiaux d'une base de responsabilité intangible.
Ainsi, la liberté ainsi conquise par les couples et les familles trouve son contrepoint dans une responsabilité personnelle accrue : responsabilité de l'organisation de sa propre vie, et responsabilité à l'égard de ceux qui y ont participé ou en sont les prolongements.
Cette responsabilité concerne aussi le couple qui se sépare et ceci de deux manières :
- En premier lieu par la responsabilité dans l'établissement et la permanence du lien de filiation : le père et la mère ont la charge d'assumer la filiation au -delà de la durée de leur relation commune ; le premier acte de cette prise de responsabilité réside dans l'établissement de la filiation, d'une filiation vraie, d'une filiation stable.
La loi doit absolument faciliter l'établissement de la filiation tant paternelle que maternelle, à la naissance et dès avant. Elle doit encore marquer clairement, en définissant les conditions de reconnaissance et de contestation de filiation qu'il est absolument essentiel que l'enfant puisse se connaître et se reconnaître dans le nom qu'il porte.
La loi doit faire en sorte qu'il ne puisse être le jeu et l'enjeu des conflits et des changements qui se font dans la vie de ses parents : que sa vie ne soit pas soumise aux aléas de la vie de ceux qui doivent lui assurer la stabilité et la permanence d'une relation confiante.
- En second lieu, par la responsabilité dans les conditions mêmes de la séparation : toute séparation est, d'une manière ou d'une autre, pour l'un ou pour l'autre, la reconnaissance d'une impasse. La loi qui fixe les conditions de la séparation et l'organisation de ce qui reste d'intérêts communs, ne doit pas ajouter l'échec d'un épisode procédural à l'échec du couple.
Nous devons mettre en place les dispositifs qui permettent d'assurer la pacification des conflits, que ce soit par une incitation institutionnelle et judiciaire à la conclusion d'accords, ou par un recours plus systématique à la médiation.
C'est à cette condition que la procédure judiciaire cessera d'apparaître comme le stade ultime d'une épreuve de force et pourra devenir, plus encore qu'elle ne l'est actuellement, le lieu naturel de l'élaboration de solutions négociées et acceptées par toutes les parties.
CONCLUSION
Pour conclure, je voudrais placer le droit de la famille sous la marque de la dignité. Assurons à chacun, père, mère, enfant, sa pleine dignité. Cela s'impose dans la séparation : je ne peux pas méconnaître que le contentieux familial est caractérisé par les déchirements passionnels, par des blessures profondes au plus intime de la personnalité de chacun.
L'objectif de dignité est primordial. C'est une évidence, pour les enfants pris dans le conflit parental comme pour le couple qui se défait. Il doit être atteint par la mise en place de dispositions qui permettront aux parents séparés d'exercer l'autorité parentale conjointe.
Cela doit aussi être recherché dans la solidarité entre les générations et celle découlant de la vie du couple. Je veux parler des droits du conjoint survivant. Au terme d'une vie commune rompue par la mort d'un conjoint, il est nécessaire que l'autre se voie reconnaître par la loi, la place qui demeure la sienne dans l'ensemble familial.
Il faut consacrer une juste place au conjoint survivant, pour exprimer les droits qui découlent naturellement d'une vie commune, et concrétiser la solidarité existant entre les membres de la cellule familiale qui a été centrée autour du couple.
Je me réjouis que notre rencontre d'aujourd'hui, à laquelle je serai particulièrement attentive, nous permette de progresser vers la formulation des solutions qui répondent aux différents problèmes que je viens d'évoquer.
Ce matin, nous allons consacrer nos travaux à une approche sociologique et anthropologique de la famille avec les trois interventions de Madame Hervieu léger, Irène Thery et Martine Segalen.
Ces trois interventions seront suivies d'une table ronde animée par M. Alain Etchegoyen. Madame la professeur Catherine Labrusse Riou fera la snthèse de la matinée et assurera la transition avec une approche plus juridique.
L'après-midi sera introduite par Segolène Royal, ministre délégué à la famille et à l'enfance.
Après la synthèse des travaux de la Commission présidée par Mme Dekeuwer-Défossez, nous consacrerons deux tables rondes, respectivement à la filiation et au couple.
Je vous remercie.
(Source http://www.justice.gouv.fr, le 5 mai 2000)