Déclaration de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, sur la mise en oeuvre de la stratégie nationale pour la biodiversité, à Paris le 28 juin 2011.

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Circonstance : Session ordinaire du Conseil économique, social et environnemental (CESE) consacrée au thème "La biodiversité : relever le défi sociétal", à Paris le 28 juin 2011

Texte intégral

Monsieur le Président, madame la Présidente de la section environnement, monsieur le rapporteur, Mesdames et Messieurs, je voudrais remercier Jean-Paul Delevoye et vous tous qui m’accueillez dans cette enceinte. J’espère, par mon propos, convaincre ceux qui ne seraient pas encore convaincus, étant entendu que vous me répondrez par votre vote. Une fois partie, je laisserai derrière moi mon conseiller en charge de la biodiversité, Patrick Vauterin, qui me rapportera fidèlement vos débats.
Je souhaite vous remercier d’avoir accepté ce défi particulier de vous saisir, pour votre première grande saisine environnementale, du sujet de la biodiversité, sujet le plus difficile.
Il y a tout dedans. Vous le disiez à l’instant, monsieur le Président, il n’est pas forcément très bien compris, ni dans sa dimension internationale, ni dans sa dimension nationale. Localement, il concentre toutes les pressions, toutes les tensions. C’est un sujet très difficile et en relevant ce défi qui vous était lancé par le Premier ministre, qui vous a fait cette saisine, vous placez tout de suite la composante environnementale du CESE à son très haut niveau.
C’est dans un esprit partenarial que j’ai présenté la stratégie nationale pour la biodiversité le 19 mai dernier. C’est dans cet esprit que je comprends les travaux que vous avez menés, cette idée que ce n’est pas l’affaire de quelques-uns et que de toute façon si l’on n’est que quelques-uns à s’y intéresser, on n’a aucune chance de réussir quelque chose. L’ambition de la stratégie nationale pour la biodiversité est de réussir l’implication de tous. Elle est en phase avec votre objectif, relever le défi sociétal.
Je ne reviens pas sur les constats que vous avez envisagés dans votre projet d’avis, je voudrais me concentrer sur les priorités et sur les propositions et mesures.
Première des priorités : la prise en compte de la biodiversité ne progressera pas sans une action forte de l’État et des moyens dédiés. Soyez certains que j’en suis moi-même convaincue et que je m’emploie à convaincre tout le monde. Je relève d’ailleurs que la stratégie nationale de la biodiversité a été publiée sous le timbre du Premier ministre. Je ne l’ai pas vécu comme une dépossession, mais comme une chance, car c’est l’engagement, derrière le timbre du Premier ministre, de tous les ministères, c’est la garantie d’avoir plus de moyens pour mobiliser les ministères qui peut-être seraient moins motivés d’emblée.
La deuxième priorité concerne la recherche, notamment la recherche fondamentale, pour qui la biodiversité constitue aujourd’hui une nouvelle frontière.
La troisième est l’éducation et la formation, qui me semblent indissociables, gages de décisions publiques et individuelles cohérentes avec l’importance des enjeux.
La quatrième priorité est la mobilisation de tous les acteurs, qui est au coeur de la construction participative de la stratégie nationale de la biodiversité.
Il y a de très nombreuses propositions. Vous en avez cité quelques-unes, monsieur le rapporteur à l’instant. Je vais me concentrer sur les plus emblématiques.
D’abord, sur le sujet des engagements internationaux. Compte tenu de toute la biodiversité que la France condense en métropole et dans ses Outre-mers, il importe que nous soyons exemplaires. Je souhaite que dès le 20 septembre prochain, à New York, la France signe le protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage des avantages issus de leur utilisation dite APA. La version française vient enfin d’être adoptée par les Nations-Unies. Nous avons quelques problèmes de traduction. C’était compliqué. Nous préparons la ratification de ce texte et pour porter une position française ambitieuse, en cohérence avec cette ratification, nous travaillons dans les instances communautaires.
Pour cela, nous allons mettre en place un groupe de travail qui élaborera d’ici mi-2012 une proposition de cadre juridique nationale cohérente avec nos engagements internationaux et européens.
Ce cadre tiendra compte des spécificités institutionnelles et des dispositifs APA existants en outre-mer. Ce protocole APA a mis beaucoup de temps à aboutir. Entrent dans les débats des questions de souveraineté, des représentations de ce que sont ceux que l’on appelle dans d’autres langues des populations autochtones. Bref, nous avons dû beaucoup travailler sur les représentations pour avancer sur ces questions internationales. Les choses sont maintenant assez mûres.
Ce soir même, lors d’un colloque à Paris, réalisé en visioconférence, nous présenterons avec les représentants d’Outre-mer l’étude exploratoire faite pour bien intégrer les spécificités de l’Outre-mer qui sont, en la matière, notre passerelle vers les autres pays.
Toujours au plan international, je voudrais que le travail que nous menons pour trouver des financements innovants puisse profiter à la biodiversité. Ce n’est pas gagné. Quand on parle de taxe sur les transactions financières, dans le G20 en ce moment, on pense financement des Objectifs du Millénaire en matière de pauvreté et lutte contre le changement climatique.
La biodiversité a aussi besoin de bénéficier de moyens. L’idéal serait pour moi que le fonds vert, à terme, qui a été créé par les Accords de Cancun sur la lutte contre le changement climatique, puisse être étendu au financement de tous les biens publics globaux et puisse être récipiendaire de cette taxe sur les tractations financières et les autres financements innovants qui pourront être levés. La mondialisation doit financer les problèmes issus de la mondialisation afin que la biodiversité puisse ainsi profiter de financements pérennes et internationaux.
Cela me semble pouvoir trouver une concrétisation à l’occasion du vingtième anniversaire du Sommet de la Terre à Rio, en juin 2012. C’est le sommet du quitte ou double. Il peut ne rien se passer, juste une discussion sans contenu. Au contraire, il peut y avoir une concrétisation, un parachèvement d’années de discussions dans le cadre des différentes conventions : la convention climat, celle sur la diversité biologique. Beaucoup dépendra à cet égard de ce que nous parvenons à faire dans le G20 sur la mise en place des financements innovants.
Si nous ne parvenons pas, nous, les pays du G20, à nous mobiliser sur la mise en place de financements innovants, nous aurons des difficultés à être crédibles vis-à-vis des pays du Sud aussi bien concernant le changement climatique que la lutte pour la préservation de la biodiversité. Dans le cas contraire, nous pourrons créer une dynamique.
Au niveau international, la contribution de la France au grand succès, et ce n’était pas facile, que constitue la décision de l’Assemblée générale des Nations-Unies en décembre 2010 sur l’IPBES est reconnue. Il ne s’agit rien de moins que de créer un GIEC de la biodiversité prenant appui sur ce grand succès. Je parle, sous le regard de Jean Jouzel, de ce grand succès qu’est le GIEC, le vrai, celui sur le changement climatique, et de faire faire à la biodiversité le même parcours qu’a vécu le changement climatique qui, en dix ans, est passé d’une problématique d’experts à une problématique mondiale.
La France a été à la pointe de cette lutte. Nous poursuivons nos efforts avec la perspective de la mise en place d’une plate-forme intergouvernementale de l’IPBES en octobre 2011. Nous serons force de propositions. Le retour d’expérience de la Fondation pour la recherche en biodiversité mise en place dans le cadre du Grenelle de l’Environnement sera utile.
Voilà pour l’international, étant entendu que je ne parlais pas d’international pour fuir les responsabilités nationales. Revenons aux autorités publiques françaises. Nous poursuivons la mise en oeuvre du Grenelle de l’Environnement dans lequel les engagements en matière de biodiversité étaient solides. Cette semaine verra la publication très attendue de deux décrets, l’un sur la création du Comité national sur la trame verte et bleue, et l’autre des comités régionaux. C’est important car il y a un là un enchaînement de décrets, dont la sortie de l’un autorise la sortie de l’autre. C’est cette semaine que cet enchaînement s’engage.
Nous commençons à mettre en oeuvre les engagements de la Stratégie nationale de la biodiversité actés le 19 mai. Pour tout cela, il faut des moyens. Il faut motiver, mobiliser les acteurs locaux. La voie d’avenir, la voie pérenne est de substituer une fiscalité écologique à des éléments de fiscalité existants. Nous avons commandé, avec Mme Lagarde, une mission conjointe de l’Inspection générale des finances et du Conseil général de l’environnement et du développement durable, qui doit nous remettre rapidement son rapport sur les nouvelles pistes de travail identifiées lors de la préparation de la Stratégie nationale de la biodiversité. L’idée est que les premières évolutions puissent être inscrites dès la loi de finances pour 2012 à l’automne.
Vous mettez en avant dans vos travaux la question émergente des liens entre la santé et la biodiversité. Je crois beaucoup à cette porte d’entrée. Je l’ai dit à la Ligue Roc qui a tenu il y a quelques jours avec l’association Santé environnement France, un premier colloque sur ce sujet. J’y crois beaucoup car les questions de santé environnementale sont un moyen de mobiliser autour des questions environnementales, ceux de nos concitoyens qui n’y seraient pas spontanément portés, mais qui se préoccupent de santé car chacun s’en préoccupe.
En la matière, nous devons aller au-delà des actions déjà inscrites dans le deuxième Plan national santé et environnement, et je proposerai au ministre de la Santé une mission exploratoire commune sur ce sujet pour envisager d’ores et déjà l’étape suivante.
Je reviens aux autorités publiques. Les collectivités territoriales se sont déjà beaucoup investies sur la préservation de la biodiversité, par exemple au travers des espaces naturels sensibles pour les départements, ou des réserves naturelles pour les régions. Nous devons nous appuyer sur ce travail et les accompagner pour aller plus loin. Je soutiens la volonté de l’Association des Régions de France que soient mises en place des stratégies régionales pour la biodiversité avec une gouvernance dédiée. Elle devra s’appuyer, selon moi, sur les comités régionaux de la trame verte et bleue, afin que tout cela soit cohérent.
En matière de recherche, la mise en place de la Fondation pour la recherche en biodiversité, que j’ai évoquée, nous permet d’accentuer, de coordonner et d’augmenter les moyens, à l’exemple du programme qui a été lancé en 2010, pour trois ans, sur la modélisation et les scénarios de la biodiversité. C’est une interface science-société qui va tout à fait dans le sens de l’esprit de votre travail.
Vous avez évoqué des actions en faveur de l’éducation et de la formation. Je voudrais dire un mot des avancées effectuées depuis le Grenelle. Il y a eu l’intégration dans les programmes scolaires des questions relatives à la biodiversité, dès 2008 en primaire, 2009 en collège et enfin, en 2010, au lycée. Cela procédait aussi de l’entrée du sujet dans la Charte constitutionnelle de l’environnement en 2005, qui réclame la mise en place de l’éducation à l’environnement.
Du point de vue théorique, à la suite de ce double mouvement, la formation à l’environnement et l’éducation à l’environnement existent. Honnêtement, du point de vue pratique, dans les programmes, c’est encore très récent et, dans la formation des professeurs, c’est en train de se mettre en place. Mais il faut attendre que les professeurs formés arrivent dans les établissements. Dans la pratique, cela dépend beaucoup des établissements et beaucoup de l’engagement des professeurs. C’est un mouvement que nous devons poursuivre pour que ces actions soient bien visibles et effectives partout.
S’agissant de la mobilisation des acteurs, nous allons mettre en place, comme vous nous y appelez, la possibilité pour tous les citoyens d’adhérer aux objectifs de la SNB. La boucle sera ainsi bouclée, chacun entraînant ses propres institutions, chacun pouvant aussi appeler à la mobilisation des associations, des entreprises avec lesquelles il est au contact. Les citoyens doivent pouvoir se faire acteurs de la préservation de la biodiversité ; c’est l’un des enjeux.
L’année 2010 a été une année de mobilisation avec l’année mondiale de la biodiversité. De grandes choses ont été réalisées et, en même temps, il nous faut bien reconnaître qu’à la fin de l’année 2010, la prise de conscience au niveau mondial sur les sujets de biodiversité restait très en deçà de la prise de conscience sur les questions de changement climatique. Nous devons poursuivre les actions de communication et de mobilisation.
L’année 2011 est l’année des Outre-mer, et les liens entre biodiversité et outre-mer sont bien connus. Nous poursuivrons le soutien des actions organisées par des associations comme les refuges LPO ou la Ligue ROC, et nous continuerons à participer à des recensements dans le cadre des sciences participatives comme l’Observatoire de la biodiversité dans les jardins de Noé Conservation, initiative tout à fait intéressante et curieuse, que j’invite ceux qui ne la connaissent pas à découvrir.
Evidemment, tout cela doit concerner les acteurs économiques. On fait trop souvent appel au citoyen et à sa bonne volonté en portant le soupçon de fuir la mobilisation, la question difficile de la mobilisation, des acteurs économiques.
Le ministère s’y emploie, à travers la mise en oeuvre d’outils méthodologiques, par exemple EBEvie, qui aide les entreprises à entrer dans la démarche de l’autodiagnostic, ce qui est le premier pas vers l’action. D’autres outils sont prévus dans l’année qui vient.
De manière générale, tous les travaux qui sont en cours actuellement pour chiffrer les bénéfices en matière de biodiversité nous aident puisque l’on sait bien que, pour entrer dans le monde de l’entreprise, il faut, et c’est normal, quelques chiffres.
Pour finir, un mot sur une entreprise particulière : la ferme France. Le domaine agricole a un lien particulier avec la biodiversité, qui constitue le principal facteur de production de l’agriculture. J’ai souhaité que l’évaluation économique des services rendus par la biodiversité soit un sujet prioritaire de travaux pour le ministère. C’est indispensable, il faut pouvoir trouver des chiffres précis sur ce sujet. Il faut construire sur l’existant, bien sûr, mais aussi pouvoir dépasser les chiffres habituels, qui sont toujours un peu les mêmes. Il faut pouvoir aller plus loin, entrer dans un chiffrage un peu global et, en même temps, précis.
Il s’agit de poursuivre les travaux entrepris en interne ou en partenariat, par exemple avec des partenaires de la profession agricole comme Coop de France. Un comité de pilotage va être mis en place durant les années à venir sur l’évolution des services écosystémiques rendus par les cultures de légumineuses. C’est régulièrement un sujet de débat. Regardons les choses de près et mettons-nous d’accord sur des chiffres consensuels.
Vous souhaitez également que les agriculteurs puissent être les acteurs de la mise en oeuvre des mécanismes de compensation environnementale. C’est déjà le cas, d’une certaine manière, puisque ces mesures sont déjà prises pour partie, mais ce n’est pas forcément suffisamment entré dans les moeurs dans la durée, et cela nécessite une valorisation économique qui n’est pas toujours parfaitement menée.
Je demanderai à mes services que cette dimension soit particulièrement intégrée à l’appel à projets que je viens de lancer pour identifier de nouveaux opérateurs pour la mise en oeuvre d’opérations de compensation. Nous avons besoin d’un partenariat dans la durée sur ce sujet avec la profession agricole, et pas seulement d’opérations au coup par coup qui, en fait, ne remplissent pas notre objectif.
Je voudrais encore une fois vous remercier pour votre mobilisation rapide. Je retiens votre proposition finale de situer le Conseil économique, social et environnemental dans le processus continu d’élaboration et d’évaluation des politiques de la biodiversité. Je vous propose déjà que la présidente de la section de l’environnement puisse venir au comité de suivi de la SNB présenter votre avis, ce qui initiera une collaboration entre nous, et je vous promets pour les mois à venir beaucoup de travail et beaucoup d’interpellations sur les sujets qui nous intéressent.
Je vous remercie.
Source http://www.lecese.fr, le 30 juin 2011