Déclaration de Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, sur l'intérêt des entreprises à intégrer un système productif local pour la création d'emplois et le développement durable des régions et sur la nécessité de coopérations inter-entreprises au niveau international, Paris le 23 janvier 2001.

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Circonstance : Congrès mondial des systèmes productifs locaux (SPL) sur le thème "Des territoires et leurs réseaux d'entreprises ouverts sur le monde", organisé par la DATAR et l'OCDE les 23 et 24 janvier 2001 à Paris

Texte intégral

Madame la Ministre, Monsieur le Ministre, Mesdames et Messieurs,
Avant toute chose, je voudrais, au nom du gouvernement français, souhaiter la bienvenue aux participants venus de quarante pays étrangers.
Je tiens également à remercier l'OCDE et la DATAR et l'ensemble des personnes qui ont concouru à l'organisation de cet événement.
Je suis très heureuse d'ouvrir ce Congrès consacré aux systèmes productifs locaux. Pendant deux jours, il va nous permettre de débattre et d'échanger sur ce qui caractérise une démarche singulière de développement à partir du local dans le contexte de la mondialisation. Je me félicite du caractère international de cette rencontre : il enrichit l'étendue des expériences qui seront mutualisées ici et soulève la question de la pertinence de cette dynamique d'organisation, notamment pour les pays en développement.
Ce rendez-vous avec la mondialisation tranche avec d'autres, plus médiatisés :
Vous allez par vos témoignages, donner pendant ces deux jours des contenus intéressants et nouveaux à la relation entre global et local. Une certaine conception de l'économie voit tout aujourd'hui à travers le développement et l'hégémonie de quelques firmes multinationales se partageant les marchés. Une économie en quelque sorte purement " nomade ", " standard ", sans attache ni avec les territoires ni les hommes qui les font vivre !
Ce n'est pas le moindre des paradoxes que d'observer au contraire que le contexte de la globalisation rend plus nécessaire que jamais le besoin d'un rassemblement plus intense autour d'une identité et d'une réalité locales. Il constitue une incitation supplémentaire pour tous les acteurs locaux à coopérer, à participer et à s'investir ensemble.
Les systèmes productifs locaux s'inscrivent clairement dans cette dynamique. L'exemple du nouveau SPL du Sentier à Paris, qui regroupe des entreprises de la net économie, illustre de manière symbolique l'interface stimulant entre le local et le global. Les entreprises trouvent un avantage économique à appartenir à un système productif local et elles sont les premières concernées par ce mode d'organisation. Les synergies résultant de la coopération inter-entreprises, dans un même domaine et sur un territoire donné, sont confirmées par les faits. Cela concerne aussi bien la veille technologique et environnementale, la gestion des ressources humaines que la possibilité de se positionner sur des marchés extérieurs pour lesquels les investissements immatériels, en matière d'échanges d'informations et de savoir faire, sont essentiels.
Les SPL relèvent pourtant d'une approche plus large et participative du développement local. En effet, indissociables du tissu de petites et moyennes entreprises qui jouent un rôle essentiel dans nos économies, ils contribuent à fonder un projet collectif qui engage toute une communauté locale.
Ce que vous, acteurs et partenaires des systèmes productifs locaux, (représentants d'entreprises, syndicats, associations, etc.) défendez à travers cette forme de développement, c'est une façon de vivre ensemble sur un espace de proximité, une manière d'envisager conjointement les rapports de production et une certaine solidarité.
La force du SPL, c'est bien le territoire, ses valeurs culturelles et patrimoniales, ses acteurs, son projet. Accrocher la production à des territoires représente un formidable atout pour intervenir sur des marchés qui sont de plus en plus segmentés, individualisés, adaptés à des demandes ciblées.
La question de l'ancrage territorial d'une entreprise, qui constitue souvent un enjeu important de l'implantation d'une entreprise nouvelle, est consubstantielle à l'idée même de système productif local. Une telle organisation se bâtit sur ces liens croisés entre tous les éléments qui constituent l'environnement de l'entreprise. Je songe, plus particulièrement, à la formation, la gestion foncière par les collectivités locales, la politique d'accompagnement et l'ingénierie financière. Elle en retire sa force et sa créativité, elle en retire aussi sa solidité avec des emplois plus durables.
De plus en plus se confirme la relation forte entre la qualité de la démarche locale, de la coopération professionnelle, de la relation sociale au sein du tissu économique et l'impact, la durabilité du produit, du service et de l'emploi.
Une politique d'appui en France riche d'enseignement...
Ce diagnostic sans équivoque nous a conduit en France à soutenir l'émergence de systèmes productifs locaux et à encourager leur développement. C'est l'objectif des appels à projets que nous avons lancés avec la DATAR depuis 1998. Ils ont permis de sélectionner 96 projets de SPL, dans des secteurs d'activités très différents, répartis sur tout le territoire.
Je retiens de cette expérience un certain nombre d'enseignements :
Sur le plan économique et social, tout d'abord, les territoires qui bénéficient de la présence d'un système productif local organisé se distinguent par une aptitude meilleure à créer des emplois par comparaison aux données qui caractérisent leur secteur d'activité au plan national. Je songe notamment à l'exemple du SPL consacré à la valorisation des produits de la mer en Vendée à Saint-Gilles-Croix-de-Vie qui regroupe 15 entreprises allant du pêcheur au distributeur, dont la croissance de l'emploi a été de + 87 % entre 93 et 98 portant l'effectif total à 425 emplois (par comparaison à - 20 % s'agissant des statistiques nationales pour le secteur).
La coopération inter-entreprises s'est trouvée confortée par l'appel à projets et l'implication de structure d'animation a permis de mettre en lumière le potentiel des accords entre PME. Le SPL textile habillement de la vallée de l'Adour illustre ce point avec notamment la création d'une structure commune de prospection commerciale.
L'appel à projets a mis en exergue le bénéfice des groupements d'employeurs en termes de flexibilité pour les employeurs et de sécurité du contrat de travail pour les salariés, avec notamment l'exemple du SPL textile à Roanne.
Sur le plan politique, l'appui aux systèmes productifs locaux s'inscrit en France dans le cadre de la politique d'aménagement durable du territoire. Il s'agit de valoriser les potentialités du tissu économique local, de fédérer toutes les ressources locales, de dégager des perspectives nouvelles pour les territoires.
Il existe une forte convergence entre cette logique et celle que j'ai voulu promouvoir au plan législatif en terme d'organisation territoriale avec les pays. Les entreprises doivent être à mon sens pleinement associées à l'élaboration et la mise en oeuvre de sa stratégie de développement. J'insisterai notamment sur le rôle des représentants de salariés pour poser à l'échelle pertinente les questions liées à leurs conditions de vie et de travail, au développement de leurs compétences, à la gestion de leur temps individuels et collectifs.
Un SPL peut parfois constituer le coeur même du projet de Pays, même s'il ne faut pas laisser croire qu'ils puissent correspondre à l'armature économique de tous les pays. C'est le cas néanmoins du SPL d'Aurillac dans le domaine de la filière bois dont l'activité regroupant 300 entreprises constitue le projet économique central du futur Pays en cours de création autour de la structure intercommunale d'Aurillac.
Au plan pratique, je souhaiterais insister enfin sur quelques précautions de méthode que l'on peut tirer de notre expérience mais également d'expériences étrangères notamment italiennes : les SPL ne se décrètent pas, ils résultent d'un processus conduisant au premier chef des acteurs économiques à prendre conscience de leur appartenance à une communauté d'intérêt. Les pouvoirs publics peuvent favoriser cette prise de conscience, ils peuvent faciliter l'information, l'anticipation technologique et les échanges d'expériences, c'est d'ailleurs l'un des objectifs de la manifestation qui nous réunit. Ils ne peuvent pour autant se substituer aux acteurs économiques ni réinventer le tissu économique.
Avec les aides à l'investissement, les aides à l'innovation, les actions en faveur de l'emploi et de la formation continue, les incitations à la protection de l'environnement, les pouvoirs publics disposent néanmoins de moyens significatifs pour encourager les initiatives et privilégier celles qui s'inscrivent dans une logique de développement durable.
L'idée de pouvoir capitaliser sur les meilleures pratiques me paraît enfin répondre à la fois au souci de pédagogie de l'exemple et de besoin de concret manifesté par tous les acteurs intéressés. Cela nous a conduit au regard de notre propre expérience à formaliser des études de cas représentatifs des différentes catégories de SPL : mature ou émergent, à animation publique ou privée, etc.
Elle a conduit à l'idée judicieuse de retenir, dans le cadre de l'organisation de ce Congrès, le principe d'une bourse d'échange d'expériences.
Je me réjouis que ce Congrès soit l'occasion de confronter ces projets et d'en inspirer de nouveaux, tout particulièrement par la présentation des projets venus de l'étranger dont certains ont une avance remarquable.
A ce propos, je salue la présence du Ministre de la Région Toscane, venu présenter l'expérience du district de Santa Croce (district spécialisé dans le cuir et engagé dans une politique de récupération des déchets), ainsi que le représentant du projet du district de Kalundborg au Danemark (district organisé sur le principe de la valorisation des déchets).
Ces expériences italiennes et danoises nous montrent de façon exemplaire que projet écologique et progrès économique se renforcent l'un l'autre. Les exigences du développement durable, portées par les populations et les gouvernements, sont un levier de l'innovation.
Echanges internationaux et champ potentiel de coopération...
Je me réjouis de l'intérêt fort porté au thème des SPL. La présence, ici, de représentants de plus de quarante pays, prouve combien est grand le besoin d'échange et d'information.
Bien entendu, selon les pays, les territoires, les filières d'activité, les approches des SPL sont différentes. Et il serait bien hors de propos ici, de chercher à élaborer un modèle ou même un vocabulaire unique...
Il importe au contraire d'échanger les savoir-faire, en tenant compte du contexte particulier qui les voit émerger. Les bonnes pratiques, comme celles qui seront présentées demain dans la Bourse d'échange, n'ont de sens que si on les adapte aux territoires spécifiques qui les voient naître et aux réalités économiques qui les caractérisent.
Le caractère international de ce Congrès, dont le sous-titre " des territoires et leurs réseaux d'entreprises ouverts sur le monde " reflète une réalité et un état d'esprit, répond à une demande d'échanges et de partenariat à cette échelle. Le club des districts industriels français s'est manifesté dans ce sens, il n'est pas le seul.
Des expériences de partenariat entre SPL existent d'ores et déjà dans ce domaine. Au nombre de celles-ci on peut citer :
- le partenariat de la Cité de l'initiative à Roubaix (SPL-habillement) avec le Maroc ; qui permet notamment aux entreprises marocaines de faire appel à la cité textile roubaisienne pour des taches nécessitant des appareils coûteux (patronage, gradation, prototype) ;
- le partenariat de la région des Marches en Italie dans le domaine de la chaussure avec l'Etat du Leon au Mexique (Guadalajara), qui a permis de mettre au point des co-entreprises de conclure des accords de vente et de distribution et d'organiser des transferts de technologie.
Les systèmes productifs locaux français savent combien de telles coopérations sont utiles pour le développement de leurs activités. Plusieurs configurations sont envisageables :
- le partenariat international entre SPL positionnés de manière identique, qui table sur le bénéfice de l'ouverture à d'autres cultures et d'autres pratiques comme source de progrès ;
- le partenariat international qui s'inscrit dans une logique de débouché ou d'approvisionnement commercial, qui répond à un objectif de consolidation d'une filière de l'amont vers l'aval et qui parfois peut conduire à de véritables transferts d'activité comme l'a montré le district de la maille de Carpi en Italie qui a transféré de l'ordre de 15 à 20 % de sa production au profit du Maroc, de la Tunisie et la Roumanie conservant la création et les fabrications les plus sophistiquées.
Les SPL sont porteurs de ces opportunités d'ouverture à l'international motivées par la recherche de nouveaux marchés.
Au-delà de cette dimension du partenariat international, la représentation de nombreux pays du Sud à ce Congrès (Maroc, Algérie, Turquie, Sénégal, Cameroun, Congo, Madagascar, Maurice, Inde, Chili, Colombie, Argentine, Venezuela, Brésil...) dont je salue les ressortissants, incite à réfléchir aux nouvelles de formes de coopération sur lesquelles pourraient déboucher cette manifestation.
Le soutien au développement des très petites entreprises (TPE) et des PME-PMI constitue un axe fort de la politique de coopération de la France. Promouvoir la densification des liens entre les PME d'un même secteur, dans la logique de constitution progressive d'un réseau productif local, revêt à cet égard un caractère complémentaire.
L'information, la sensibilisation auxquelles contribuent ce Congrès est l'occasion de voir naître une demande de différentes régions du monde à laquelle nous ne saurions nous dérober.
Il m'a paru important, à l'occasion de ce Congrès, d'arrêter le principe d'un appel pilote à propositions destiné aux pays de " la zone de solidarité prioritaire ".
Cet appel à propositions mobilisera aux côtés du ministère de l'Aménagement du territoire et de l'environnement, la Banque mondiale. Certains SPL français pourront utilement contribuer, j'en suis sûre, par leur expérience à la réussite de cette action.
Je formule le souhait que le prochain Congrès mondial des SPL soit l'occasion de dresser le bilan concret de cette initiative avec le témoignage direct des porteurs de projet retenus. Cette initiative pilote, si elle porte les fruits que nous escomptons, devrait pouvoir être relayé dans le cadre de la politique européenne de coopération.
Mesdames et Messieurs,
Le développement durable ne doit pas rester un slogan de congrès ou de colloque. Cette notion nous amène au contraire à revisiter dans la pratique notre façon de faire de l'économie dans le sens d'une économie plurielle : privé, public, tiers secteur, doivent y trouver une place équilibrée, de même que grandes entreprises et PME, production de masse et artisanat. Il s'agit de tourner le dos à un modèle où 5 % des territoires, à l'échelle de la planète, des continents, des nations ou des régions, produisent ou concentrent 80 % de la richesse. De refuser que 95 % doivent se contenter des niches et des petits créneaux, quand ce n'est pas de la redistribution ou de la charité des plus puissants.
Cette autre répartition de la richesse, plus solide et plus équitable appelle à son tour des formes, innovantes de circulation de l'information et de l'intelligence économiques, une forte volonté de diffuser et d'essaimer, plutôt que de tout ramener au centre à un petit nombre de modèles, une vision transversale de la culture d'entreprise plutôt que de la verticalité.
Je suis certaine que vos travaux sur les SPL vous permettront d'avancer dans cette direction et que vos échanges seront fructueux.

(source http://www.datar.gouv.fr, le 27 juin 2001)