Interview de M. Michel Mercier, ministre de la justice et des libertés, à France Inter le 23 novembre 2011, sur la lutte contre la récidive, la création de postes dans la justice, la délinquance des mineurs et la question de l'indépendance de la justice.

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Circonstance : Présentation en Conseil des ministres du projet de loi de programmation relative à l'exécution des peines, Paris le 23 novembre 2011

Média : France Inter

Texte intégral

PATRICK COHEN Vous présentez ce matin en conseil des ministres, un projet de loi de programmation relative à l’exécution des peines, projet qui a été amendé après le drame du Chambon-sur-Lignon, le meurtre de la jeune Agnès MARIN. C'est la 8ème ou la 9ème fois qu’on légifère sur la récidive depuis 2004. Qu'est-ce que ça peut changer ?
 
MICHEL MERCIER Il y a deux grands problèmes que nous avons, parmi d’autres, d’ailleurs, parce que la justice, il y a beaucoup de problèmes, mais deux problèmes qui sont extrêmement parlants pour nos concitoyens. Un, c'est l’exécution des peines, et deux, éviter la récidive. Cette loi, elle repose sur des expériences qui ont été constatées, le président de la République l’a annoncé à Réau il y a quelques semaines, et elle sera discutée ce matin au conseil des ministres. Elle prévoit d’avoir notamment, dans notre parc carcéral, une différenciation entre les établissements, beaucoup de personnes sont condamnées à des courtes peines, et c'est ces courtes peines qui ne sont pas exécutées aujourd'hui, qui sont vraiment quelque chose qui fait un délit de justice pour nos concitoyens.
 
PATRICK COHEN Donc il y aura des établissements spécialisés dans les courtes peines, 7 500 places, mais à quel horizon ?
 
MICHEL MERCIER Ça va aller très vite. On va utiliser par exemple d’anciennes casernes existantes, on va essayer d’aller rapidement sur la création d’au moins quelques-uns de ces établissements. Et puis, la seconde, eh bien, chose qui... le vrai problème, c'est la récidive. Il faut donc que l’on puisse évaluer la dangerosité, l’éventualité de la récidive, par des moyens plus scientifiques et pas simplement laisser à un seul expert, le choix d’évaluer cette éventuelle capacité de récidive...
 
PATRICK COHEN Mais...
 
MICHEL MERCIER Il existe déjà un centre, à Fresnes, et on va... le président de la République a annoncé la création d’un deuxième centre à Réau, on va en faire un troisième à Lille. Il s’agit d’observer pendant six à sept semaines, les détenus les plus dangereux avant leur sortie, et de les faire évaluer par des psychiatres, des psychologues, des gardiens de prison, des agents d’insertion, des médecins, et de les regarder vivre et de voir, pendant ce temps qui est assez long, s’il y a un danger de récidive ou non, et c'est au bout de ces six à sept semaines, qu’un rapport sera établi sur cette éventualité plus ou moins sûre.
 
PATRICK COHEN Mais, évaluer la dangerosité des criminels, c'est ce que font les experts tous les jours, ils le font, bien ou mal, mais ils le font. Qu’est-ce qu’on peut améliorer ? Et puis si la psychiatrie était une science prédictive, ça se saurait, non, Michel MERCIER ?
 
MICHEL MERCIER Ah ben ça se saurait. D’abord c'est bien pour ça qu’il n’y aura pas que des psychiatres dans les équipes pluridisciplinaires qui regarderont vivre, simplement. On ne verra pas simplement la personne, pendant deux heures, on la verra pendant six à sept semaines, vivre, évoluer, et cette période plus longue, le caractère pluridisciplinaire des observateurs nous donnera de meilleurs rapports.
 
PATRICK COHEN Iront dans ces centres, des personnes condamnées ou éventuellement, simplement, mises en examens, là je pense à ce qui s’est passé au Chambon-sur-Lignon et le meurtre d’Agnès.
 
MICHEL MERCIER Il y aura des personnes condamnées, avant leur sortie, et il y aura, pour les auteurs qui ont reconnu des crimes particulièrement graves en matière sexuelle, avant leur jugement, il y aura également des centres pour ces personnes-là, comme pour le jeune mineur du Chambon.
 
PATRICK COHEN Alors, vous avez obtenu, pour ce projet de loi de programmation, des moyens supplémentaires, mais je vous avoue que j’ai du mal à m’y retrouver dans ce qui pourra être mis en place tout de suite, dans les postes créés immédiatement, dès le budget 2012 et dans ce qui est programmé en 2013/2014/2015, ça va jusqu’à 2017, puisque, pour l’élargissement et l’agrandissement du parc pénitentiaire. Est-ce que vous pouvez nous dire ce qui sera fait dans l’immédiat et ce que vous avez obtenu en plus pour le budget 2012 de la Justice ?
 
MICHEL MERCIER Alors, en 2012, on va créer des postes. On va créer des postes de magistrats, et des postes de greffiers et des postes dans l’exécution des peines, 85 postes de magistrats, 379 postes de greffiers, et un certain nombre de postes dans la pénitentiaire. Aujourd'hui, nos écoles sont pleines et une fois que l’on crée les postes, pourquoi faut-il former les gens ? C'est-à-dire, on crée les postes mais on verra les magistrats dans trois ans, c'est toute la difficulté de l’affaire.
 
PATRICK COHEN Moi, j’ai vu dans le budget 2012, tel qu’il a été présenté il y a quelques semaines, 515 créations de postes...
 
MICHEL MERCIER 515 créations de postes...
 
PATRICK COHEN Mais la moitié, ais-je vu, ira dans les prisons, ce sont des personnels pénitentiaires, et l’autre moitié, 255, seront absorbés par la mise en place des jurés populaires dans deux juridictions test au 1er janvier. Chacun sait que la justice manque de juges, manque de greffiers, d’auxiliaires de justice, est-ce que c’était vraiment la priorité, ces jurés populaires ?
 
MICHEL MERCIER Non, mais je pense que là, vous simplifiez un peu les choses...
 
PATRICK COHEN Ah non...
 
MICHEL MERCIER  ... pour votre démonstration c’est très bien, mais ce n'est pas exact.
 
PATRICK COHEN Ce n'est pas exact ?
 
MICHEL MERCIER Ce n'est pas exact, non.
 
PATRICK COHEN Vous êtes sûr ? Les 255 autres magistrats, hors pénitentiaire, ça ne sera pas pour les jurés populaires ?
 
MICHEL MERCIER Eh bien, bien sûr que non. D’abord parce qu’en 2013... en 2012, pardon, seules deux Cour d’appel seront concernées. On va faire l’expérimentation sur le territoire de la Cour d’appel de Dijon et de la Cour d’appel de Toulouse. Il n’y a pas besoin de 200 et quelques magistrats, comme vous le dites. Il y a aura bien sûr des magistrats qui seront affectés là, mais une fois que les magistrats sont nommés, ils sont nommés sur un ressort donné. Je vais vous donner un exemple tout simple, c'est qu’au 1er août, une réforme autrement plus preneuse de tant de magistrats a été mise en oeuvre, sans qu’il y ait eu le moindre problème, c'est tout ce qui concerne l’hospitalisation d’office. 70 000 affaires à juger dans une année. Les magistrats l’on fait, parce que les magistrats travaillent, et sont responsables, et c'est normal qu’on crée des postes, parce qu’il en manque, il manque encore plus de greffiers que des magistrats, et le but, et nous arriverons cette année, en 2012, c’est d’avoir un greffier pour un magistrat.
 
PATRICK COHEN Ça sera fait, dès la fin 2012...
 
MICHEL MERCIER En 2012.
 
PATRICK COHEN Là-dessus, sur le nombre de greffiers. Sur les postes d’éducateur pour les centres éducatifs fermés, ça, ça ne sera pas dans l’immédiat...
 
MICHEL MERCIER Si, on va créer 110 postes d’éducateurs cette année, ça veut dire que quand on crée ces postes, c'est à l’école qu’on les crée, et pour que les gens se forment, et 110 postes sont créés cette année.
 
PATRICK COHEN Donc, d’accord. Et les centres éducatifs fermés, supplémentaires, ça c'est pour 2013.
 
MICHEL MERCIER C’est pour 2012 et 2013.
 
PATRICK COHEN Oui. Est-ce que le... Pour 2012 et 2013, donc il y a aura des centres supplémentaires et des places en centres...
 
MICHEL MERCIER Bien sûr, et des places supplémentaires. Aujourd'hui il y a 476 places et l’idée c'est d’augmenter de 50 % le nombre de places.
 
PATRICK COHEN D’accord. Quel type de mineurs pourrait-on envoyer en centres éducatifs fermés, Michel MERCIER ?
 
MICHEL MERCIER Si vous voulez, s’agissant des mineurs, depuis toujours, à la République, on essaie d’avoir des réponses pour les types de délinquance. Aujourd'hui, si on part du plus grave, le mineur peut être mis en prison, dans une prison normale, dans un quartier pour mineurs. Ensuite, toujours dans un système fermé, il peut être mis dans un établissement pour mineurs. Toujours dans un système fermé, il y a ensuite le centre éducatif fermé. Ensuite, il y a d’autres centres qui sont, eux, en milieu ouvert, trois ou quatre sortes, encore. L’idée c'est d’avoir une palette, la plus développée possible, pour s’adapter à la personnalité de chaque mineur. Le Conseil constitutionnel a appelé au mois d’août dernier quel était le principe fondamental que retient la République en matière de droit pénal des mineurs, c'est la question, bien entendu, de l’excuse de minorité, mais aussi c'est le fait que l’éducatif doit primer et le répressif. Et c'est cette palette-là que les juges pour enfants doivent répondre à la situation de chaque mineur.
 
PATRICK COHEN Dernier sujet polémique, enfin, dernier de cette première partie, parce qu’on reviendra sur d’autres sujets avec les auditeurs d’INTER, dans INTER-ACTIV, tout à l'heure, la nomination attendue, imminente, de votre propre directeur de Cabinet, François MOLINS, au poste très sensible de Procureur de Paris. Trouvez-vous normal et ne trouvez-vous pas, comme disent plusieurs syndicats de magistrats, symboliquement choquant que votre plus proche collaborateur soit nommé au poste de procureur de Paris ?
 
MICHEL MERCIER Quand il sera nommé, d’abord, il ne sera plus mon plus proche collaborateur. J’espère que vous vous êtes posé la même question, lorsque monsieur BRONCHWEK (phon) a quitté le Cabinet de monsieur BADINTER pour aller présider la chambre criminelle de la Cour de cassation, vous vous êtes posé la même question lorsque monsieur DINTILHAC, directeur de Cabinet de monsieur NALLET, a été nommé par madame GUIGOU, procureur de Paris, que vous pouvez vous poser la même question, parce que ce matin je vais proposer en Conseil des ministres la promotion, dans un très beau Parquet général, d’un procureur général qui a tenu toutes les nominations sous un gouvernement de gauche et que ce soir, même...
 
PATRICK COHEN ...
 
MICHEL MERCIER Et que ce soir... mais laissez-moi finir ! Et que ce soir même je vais proposer au Conseil supérieur de la magistrature, la promotion d’un procureur général, qui a été conseiller pénal de madame GUIGOU, parce que c'est un très bon magistrat. Ce que je retiens, c'est : est-ce que c'est un bon ou un mauvais professionnel ? Il n’y a que ça qui compte. Deuxièmement, le ministère de la Justice est un ministère spécifique. Si on n’a pas des magistrats judiciaires qui viennent au cabinet du ministre de la Justice, on aura des préfets, des conseillers d’Etat, des inspecteurs des finances, ils gèreront très bien la justice, elle sera banalisée. L’indépendance de la justice, c'est aussi qu’il y ait des magistrats qui gèrent la justice et qu’après on prenne, on prend bien sûr les meilleurs, et s’ils n’ont pas le droit de faire carrière, eh bien on en aura plus du tout. Donc je crois qu’il faut aussi faire confiance. Monsieur MOLINS a été à Bobigny, un Parquet qui est remarquable, et qui a bien travaillé, tout le monde le reconnaît, de droite comme de gauche, et il travaillera bien à Paris, de droite comme de gauche. Quant aux affaires sensibles...
 
PATRICK COHEN Mais ça, personne...
 
MICHEL MERCIER Quant aux affaires sensibles, quelqu’un que j’aime beaucoup, qui est le premier président TRUCHE, il a dit : « Les affaires sensibles, il faut les traiter comme les autres » et vous savez bien que les affaires sensibles, c’est plus vous qui les traitez, que moi.
 
PATRICK COHEN Bon, et je signale qu’on apprend à l’instant, on n’avait pas le JOURNAL OFFICIEL entre les mains, que l’arrêté est paru ce matin, François MOLINS a bien été nommé Procureur de la République de Paris, sa personne n’est pas en cause, c'est ce que disent les syndicats de magistrats, mais l’ancien procureur de Paris, Jean-Claude MARIN, lui-même, désormais procureur général auprès de la Cour de cassation, a dit à propos de cette histoire, qu’il souhaitait qu’il y ait une réforme du système de nomination et que le système actuel n’était pas ça.
 
MICHEL MERCIER Il n’a pas dit ça du tout, il l’a même votée au CSM.
 
PATRICK COHEN Et alors, je vais vous sortir la citation puisque vous m’incitez à le faire...
 
MICHEL MERCIER Bien sûr.
 
PATRICK COHEN Jean-Claude MARIN a dit...
 
MICHEL MERCIER Il a dit qu’il était pour le changement de statut du Parquet.
 
PATRICK COHEN Exactement, c'est donc bien une réforme du système de nomination.
 
MICHEL MERCIER Mais je vous signale, monsieur, que depuis que je suis ministre, j’ai fait comme si la réforme existait.
 
PATRICK COHEN Bon.
 
MICHEL MERCIER Ben oui. Je m’en suis tenu, chaque fois, à l’avis du CSM.
 
PATRICK COHEN Jean-Claude MARIN, sur FRANCE INFO, « je suis de ceux qui pensent qu’il faut faire évoluer ce statut vers un avis qui s’imposerait », c'est bien une réforme du système de la nomination.
 
MICHEL MERCIER Eh bien c'est ce que je fais déjà, depuis plus d’un an.
 
PATRICK COHEN Dans la pratique, mais pas dans les statuts et pas dans la réforme.
 
MICHEL MERCIER Vous savez, la réforme c'est une pratique, ce n'est pas un discours.
 Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement le 24 novembre 2011