Déclaration de M. jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur la réforme de la politique commune de la pêche notamment la gestion des ressources, la prise en compte de la dimension régionale de la pêche et la politique de concertation responsabilisant les élus locaux sans compromettre la politique commune, Bordeaux le 28 juin 2001.

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Circonstance : Conférence des régions périphériques maritimes d'Europe "Les régions maritimes et la réforme de la politique commune de la pêche" à Bordeaux le 28 juin 2001

Texte intégral

La pêche européenne est aujourd'hui confrontée à de nombreux défis. Mais le principal, celui qui mobilise et souvent inquiète les pêcheurs, est celui de la pérennité même de cette activité économique.
Le livre vert sur l'avenir de la politique commune de la pêche, présenté par la Commission, dresse un diagnostic sans concession, parfois sans nuances, des problèmes auquel est confronté ce secteur. Mais surtout, il n'ouvre guère de perspective mobilisatrice et c'est ce déficit politique là qu'il convient aujourd'hui de combler.
La pêche n'est pas, et ne sera jamais, une activité économique banale. Elle est riche d'une multitude de facettes, de particularités, qui doivent toutes être prises en compte à leur juste mesure.
Dans ces conditions, la réforme de la politique commune de la pêche ne pourra se résumer seulement à des adaptations techniques de mesures de gestion même si celles-ci sont parfois nécessaires mais devra poser clairement les objectifs politiques qu'on entend assigner à cette activité.
Pour que la réforme réussisse il faudra concilier tous ces objectifs plutôt que les hiérarchiser.
Selon moi, les principes essentiels qui doivent guider la réforme de la PCP sont les suivants :
assurer une gestion durable des ressources, seule garante du maintien de l'activité de l'ensemble de la filière,
mieux prendre en compte la dimension socio-économique et territoriale, et donc régionale, de la pêche,
promouvoir une politique de concertation qui responsabilise les acteurs locaux sans compromettre la cohérence globale du cadre commun.
I - UNE GESTION DURABLE DE LA RESSOURCE SEULE GARANTE DE L'ACTIVITE DE L'ENSEMBLE DE LA FILIERE
Gérer durablement la ressource n'est pas un slogan de circonstance mais constitue un impératif politique
Pour y parvenir, il convient de rendre toute sa place au rôle que jouent les TAC et quotas.
Ainsi je souhaite que la gestion par les TAC et quotas soit l'instrument privilégié autour duquel tout s'organise.
Cette gestion doit être néanmoins rénovée. Je considère nécessaire et urgent que nous mettions en place une approche pluriannuelle dans la fixation des TAC et que nous élargissions à de nouvelles espèces ces mécanismes de régulation des captures.
Le mode de fixation des TAC doit être amélioré. Cette amélioration exigera notamment une meilleure implication de l'ensemble des acteurs et un dialogue renforcé entre scientifiques et gestionnaires. De même rend-t-elle indispensable une vraie refondation des avis scientifiques. On ne peut plus se permettre de décider de la vie ou de la mort d'une activité économique sur la base de données scientifiques mal établies et seulement invoquer dans ce cas, par défaut, le principe de précaution. L'exemple récent de l'anchois est à cet égard révélateur.
Cette gestion rigoureuse de la ressource doit s'accompagner de deux volets essentiels : une attention croissante aux mesures techniques qui permettent de parvenir à une meilleure sélectivité et donc à une réduction importante des rejets et un renforcement et une harmonisation des politiques de contrôle.
Mais là aussi il convient de se garder d'approches et simplificatrices. Les exemples récents concernant les mesures techniques qui avaient été proposées en Mer du Nord dans le cadre du plan de reconstitution du cabillaud sont illustratifs de ce qu'il ne faut plus faire.
L'adéquation entre l'effort de pêche de la flotte communautaire et le niveau des ressources halieutiques disponibles ne ressort pas, à mon sens, d'une politique administrée, mais d'un choix économique qui relève de la seule responsabilité de chaque armateur.
En d'autres termes, je suis convaincu, et l'expérience des dernières années l'a abondamment démontré, que l'on ne régulera pas le niveau des captures par une politique d'encadrement de la flotte, sauf à imaginer de mettre en place des mécanismes encore plus lourds, encore plus complexes, bref, ingérables.
A mes yeux, les programmes opérationnels pluriannuels ont donc vécu.
En tout état de cause je conteste, pour ma part, l'analyse présentée dans le livre vert et qui conduit à préconiser la suppression de 40 % de la flotte communautaire.
Pour autant, si comme l'affirme la Commission des ajustements sont nécessaires, la résorption de cet excédent devra s'effectuer sur une base volontaire dans le cadre d'incitations financières fixées au niveau européen et sans pré-répartition par Etat membre : car la réalité objective c'est que les flottes européennes n'en sont pas au même point ; certaines se sont déjà restructurées, d'autres pas. Et il n'y a pas de raisons équitables à ce que les premières payent le retard des autres
II - MIEUX PRENDRE EN COMPTE LA DIMENSION SOCIO-ECONOMIQUE ET TERRITORIALE DE LA PECHE
La pêche comporte une dimension importante en matière d'aménagement du territoire et plus particulièrement, vous le savez bien, dans la vie économique des régions littorales.
Pour ces raisons, la réforme de la PCP ne devra pas conduire à des bouleversements socio-économiques traumatisants .
C'est ce souci qui justifie mon attachement tant au principe de la " stabilité relative " qu'au maintien des règles actuelles en matière d'accès à la ressource.
Plus concrètement, je considère que la stabilité relative et les clés de répartition des TAC qui lui sont associées, ont permis d'assurer une certaine visibilité en matière d'activité aux différentes flottilles de pêche européenne. Cette stabilité doit, selon moi, être maintenue car elle garantie l'activité économique des différentes régions littorales européennes.
Pour les mêmes raisons, je suis favorable à la reconduction des dispositifs actuels en matière d'accès à la ressource et, tout particulièrement, au régime applicable dans la zone des 6/12 milles.
Ces mesures permettent, notamment, de conforter la place et le rôle de la petite pêche côtière en terme d'aménagement du territoire et d'économie littorale.
Dans le même ordre d'idée je suis favorable à ce que la PCP prenne en compte les spécificités régionales. Je pense très précisément aux particularités de mers comme la Méditerranée. Une close sans marée et surtout sans zone économique exclusive des 200 miles. Ce n'est pas une mer comme les autres.
Je souhaite également que des régimes spécifiques, plus protecteurs, soient mis en place en faveur des régions les plus fragiles.
A cet égard, un régime spécifique en faveur des régions ultra-périphériques de l'Union européenne, me paraît indispensable.
La prise en compte de la dimension socio-économique de la pêche c'est, bien sûr, la reconnaissance de son volet social.
C'est pourquoi, malgré les importantes lacunes sur ce sujet dans le livre vert, je souhaite qu'un véritable volet social soit introduit dans la future réforme de la PCP.
Deux axes de réflexion et de proposition doivent, à mes yeux, être poursuivis :
une plus grande harmonisation des règles sociales auxquels les marins doivent pouvoir légitimement prétendre. Je pense, notamment, aux règles relatives aux conditions de travail, au temps de travail et à la protection sociale. Une telle harmonisation permettrait aussi de rétablir une plus juste concurrence entre les différentes pêcheries européennes.
une attention toute particulière au problème de sécurité qui passe par l'amélioration tant des conditions de travail des marins que de leur niveau de formation professionnelle, et qui justifie par ailleurs, à mes yeux, une totale remise en cause des paramètres sur lesquels se fonde la politique d'encadrement de la flotte de pêche communautaire, je veux parler des kiloWatts et de la jauge. Je l'ai dit et je le redis surtout dans une année où la pêche française a été particulièrement endeuillée par les naufrages. La jauge et la puissance sont des éléments de sécurité incontournable, jouer avec ces 2 éléments c'est jouer avec la sécurité des marins. J'insiste, c'est fondamental.
III - PROMOUVOIR UNE POLITIQUE DE CONCERTATION QUI RESPONSABILISE LES ACTEURS LOCAUX SANS COMPROMETTRE LA COHERENCE GLOBALE DE LA PCP
Si je suis convaincu de la nécessité de préserver le caractère communautaire de la politique des pêches européennes, en revanche, je suis tout autant persuadé qu'une bonne politique, c'est-à-dire une politique acceptée et appliquée, ne peut s'élaborer sans une concertation étroite au plus proche des réalités locales et avec le concours de l'ensemble des acteurs concernés.
Dans ce contexte, je suis favorable à la tenue de conférences régionales qui pourraient étudier les problèmes qui peuvent se poser tant en termes d'aménagement littoral, d'environnement ou de gestion de la ressource et qui auraient une capacité de propositions en terme règlementaire.
En effet, qui mieux que les acteurs locaux, pêcheurs, élus, scientifiques, peuvent appréhender les contraintes et les besoins ?
Doit-on, depuis Bruxelles, décréter ce qui est bon tout à la fois en Ecosse, en Grèce, en Finlande, aux Antilles ou tout simplement en région Aquitaine ?
Bien au contraire, n'est-il pas indispensable de laisser, au plus près des réalités locales, des marges de manuvre, des marges d'adaptation à la disposition des gestionnaires. En un mot, a-t-on la réelle volonté d'appliquer à notre politique commune de la pêche le principe de la subsidiarité qui est pour moi un principe essentiel de la construction européenne.
Pour autant, et au risque de décevoir une partie de mon auditoire, je ne souhaite pas que ces enceintes régionales puissent disposer d'un pouvoir décisionnel autonome car, alors, nous prendrions un risque important d'éclatement de notre politique commune.
Le ciment de notre politique commune des pêches c'est aussi le fonds structurel IFOP. La pérennité de ce fonds me paraît indispensable.
Comme dans d'autres domaines économiques, l'aide publique est nécessaire pour orienter, conforter ou infléchir des actions de développement.
Certes, l'utilisation de ces fonds n'est pas immuable. Bien au contraire, elle doit s'adapter en permanence aux besoins qui se font jour.
Mais, là aussi, laissons jouer la subsidiarité afin que leur utilisation soit la plus pertinente.
La politique des pêches, que je veux promouvoir au niveau européen, se veut une politique équilibrée, pragmatique et réaliste. Je tiens à me garder de deux écueils : le statu-quo et une libéralisation outrancière.
En effet, les problèmes auxquels est confrontée la pêche européenne, sont réels et il convient d'y répondre. A cet égard, toute approche purement conservatrice est à proscrire.
Dans le même temps, les approches fondées sur des dogmes nous conduiraient dans une impasse : le dogme libéral, destructeur des règles et pilleur de la planète comme le dogme écologiste. Je suis un écologiste ! C'est une question de survie pour l'humanité. Mais je me méfie de l'intégrisme écologique. Car il est souvent aveugle.
Vouloir à tout prix introduire des concepts d'économie ultra libérale où tout s'achète et tout se vend, y compris les biens collectifs, je veux parler de la ressource halieutique, nous conduit tout droit à des phénomènes de concentration capitalistique et de productivisme qui sont à la fois destructurants en terme de tissu social et à l'opposé des attentes du citoyen d'aujourd'hui.
La dimension environnementale est essentielle en matière de politique des pêches mais elle doit être juste et objective.
Elle ne peut, comme c'est malheureusement trop souvent le cas, désigner le pêcheur comme le premier, sinon le seul danger, pour la préservation des écosystèmes marins. Allez en Bretagne et demandez aux Bretons ce qui menace le plus la mer ! La pêche ou Erika et Iévoli Sun ? Les chaluts ou les nitrates dans les rivières ?
Une telle analyse serait bien courte tant elle ignorerait les nombreux facteurs qui, jour après jour, détériorent l'environnement marin.
Dans la réflexion qui s'engage, et qui doit aboutir fin 2002 à la réforme de la PCP, la France cherchera sans cesse à être une force de proposition résolument constructive. Mais elle sera également très vigilante, Monsieur le Commissaire, vous le savez.
Elle veillera à ce que la réforme parvienne à concilier l'ensemble des objectifs que j'ai esquissé, sans en oublier aucun.
A défaut nous prendrions le risque de répéter les erreurs que nous avons connus dans d'autres secteurs.
Le succès de la réforme ne sera acquis que si elle sait s'inspirer des principes fondamentaux de toute politique publique : réalisme, pragmatisme, ambition et adhésion.
Sur ce telles bases, soyez assurés que l'on pourra compter sur nous.

(Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 29 juin 2001)