Déclaration de Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement, sur le "rôle fondamental des régions dans le pilotage stratégique de l'aménagement durable", la nécessité de documents régionaux opposables et les principes qui devront régir le futur exercice de la contractualisation, à Lyon le 18 octobre 2012.

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Circonstance : 8e Congrès de l'Association des régions de France (ARF), à Lyon les 18 et 19 octobre 2012

Texte intégral

Monsieur le Président du Sénat, cher Jean-Pierre,
Monsieur le Président de l’ARF,
Mesdames messieurs les Présidents et élus des Régions
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Mesdames et messieurs les élus,
Mesdames et messieurs,
Je vous remercie de m’avoir invitée à parler aujourd’hui, et vous comprendrez que je suis particulièrement heureuse de m’exprimer devant des conseillers régionaux.
Nous nous sommes déjà vus à plusieurs reprises, en quelques mois, notamment pour parler de logement. Et je sais à quel point la question du logement, et en particulier du logement des jeunes est un sujet qui vous préoccupe vos régions, sur lequel elles sont engagées et sur lequel la mobilisation de toutes les collectivités est indispensable pour lutter, face à la crise que nous connaissons.
Monsieur le président du Sénat, Jean-Pierre Bel, l’a dit : les états généraux de la démocratie territoriale ont été un grand moment d’échanges. Et je veux souligner à quel point il est agréable de travailler sous votre présidence au Sénat.
Lors de ce moment particulier, le président de la République a prononcé un discours important, qui donne le cap qui va être celui de notre travail commun pendant les cinq ans qui viennent.
Et le Premier ministre l’a rappelé : en matière de décentralisation, la méthode est décisive. Celle du gouvernement est simple : c’est d’agir avec et pour les territoires. C’est seulement à partir de votre expérience, de vos savoir-faire que nous pourrons dessiner la décentralisation de demain. Vos travaux, vos propositions, vos actions seront donc au coeur de l’action publique.
Le Président de la République a souhaité placer son action sous le signe du redressement mais aussi sous celui de l’égalité des territoires. Ce beau mot, c’est une volonté, qui va notamment s’incarner dans la troisième étape de la décentralisation, et qui constitue aussi un nouveau pas dans la territorialisation des politiques publiques.
Je suis heureuse de pouvoir vous dire comment j’envisage pour cela une alliance nouvelle, une répartition des rôles plus clarifiée entre de l’État et des territoires, avec la région comme pivot, c’est assez naturelle.
Comment l’architecture de la contractualisation à venir pourrait illustrer de manière très claire ce pacte nouveau.
Dans la tradition républicaine française, les politiques volontaristes de cohésion entre les territoires ont toujours été très grandes. C’est une façon d’agir pour qu’aucune classe sociale, aucun groupe, aucune catégorie générationnelle, ne soit durablement mis à l’écart de la production et de la redistribution de la richesse nationale.
L’égalité des territoires est un support, un vecteur, un autre nom évident de l’égalité tout court.
C’est ainsi que l’aménagement des territoires a assuré, depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, la transition d’une société paysanne vers la société industrielle, et le passage d’une majorité de la population du rural vers l’urbain.
C’est ensuite ainsi qu’ont été accompagnés la modernisation de notre agriculture, les adaptations successives des bassins d’emplois aux évolutions scientifiques et techniques, la montée en puissance, plus récente, de la société de l’information, et bien entendu les évolutions démographiques et les changements dans les comportements de consommation.
Ces évolutions ne sont jamais allées d’elles-mêmes.
Nous avons pu maintenir notre cohésion nationale, sociale et démocratique depuis une cinquantaine d’années, en combinant trois grandes sortes d’outils ou d’instruments :
- d’abord, la redistribution fiscale aux collectivités et l’appui aux grands opérateurs économiques ;
- ensuite, les transferts sociaux aux populations par le biais de l’État, les aides aux personnes, les revenus de transfert, les retraites ;
- et enfin, la politique, qui a été très marquante pour notre pays, de grands équipements et de grands réseaux.
Vous avez discuté ce matin des conditions d’une nouvelle « croissance ». Nous le savons tous, et dans cette période de crise qui touche l’ensemble de l’Europe et l’ensemble du monde, la donne a changé, c’est uniquement en partant des territoires que nous pourrons aller vers ce que j’appellerais plutôt « un nouveau modèle de développement ».
Chacun sent bien que les outils dont je viens de parler, pour maintenir ou reconquérir la cohésion et l’égalité, doivent être revisités. Les méthodes des années 1970 ne sont plus adaptées à un monde qui bouge, à un pays décentralisé où les élus locaux et les collectivités ont pris la place qui était la leur.
Je ne détaillerai pas la liste des changements que nous avons connus depuis un quart de siècle.
Certains ont été voulus et constituent autant de progrès réels : la construction européenne, la gouvernance des populations par elles-mêmes et la défiance de ce qui vient trop d’en haut, la volonté de n’être plus enfermés dans des formes de consommation standardisées, la recherche de diversité, dans tous les temps de la vie…
D’autres changements, voulus ou subis, se sont imposés à nous : l’ouverture au monde, les mobilités professionnelles, les changements familiaux, l’aspiration à la propriété de son logement, désormais l’usage autant que la propriété.
D’autres, enfin, touchent aux graves effets pervers désormais avérés de notre modèle antérieur : l’extrême dépendance de notre appareil productif à des facteurs purement extérieurs, la fragilité de l’emploi, l’explosion du coût des matières premières, les effets et les coûts sanitaires massifs des pollutions, l’insécurité urbaine...
À la différence des mutations antérieures, l’accumulation de ces facteurs bouleverse en profondeur notre géographie et la répartition des activités et des populations sur nos territoires.
Ils relancent des spirales où les inégalités au sein même des régions viennent à grandir alors que, jusqu’ici, nous étions parvenus à les réduire.
Ils aggravent les fractures au sein même des régions, sur les territoires que vous connaissez bien.
Certains territoires s’en sortent, d’autres font face à des difficultés croissantes. Et leurs élus ont parfois à porter des responsabilités extrêmement lourdes et font face à des populations dans des situations de plus en plus difficiles.
Ces territoires subissent le maintien du chômage à un haut niveau dans certains quartiers, l’émergence de poches de pauvreté réelle et importante dans le rural lointain, le surendettement des familles dans des zones périurbaines, par ailleurs parfois enclavées et privées d’accès au service public.
Avec le sentiment fort, ici ou là, d’être devenus invisibles aux yeux de l’État, ce qui fait parfois naître la tentation de l’extrémisme. C’est aussi la leçon des dernières élections : nous souhaitons que le gouvernement travaille à mettre, pas seulement dans les discours mais dans les actes, cette notion d’égalité des territoires.
Parce que la réponse ne peut plus être celle que nous avons entendu de fait ces dix dernières années : on aménagerait plus le territoire, on s’occuperait en priorité des territoires les plus performants, qui allaient vont tirer en avant tout le pays, et on se contenterait pour tous les autres d’une politique de compensations.
Nous devons, au contraire, définir ensemble des politiques qui concernent tous les territoires et toutes les populations.
Trois grands objectifs doivent être partagés pour ces politiques :
Le premier est de mettre chaque territoire en capacité d’agir : cela signifie réparer, rattraper. Mais cela signifie avant tout anticiper, remettre de l’égalité des chances, reconstituer l’armature des territoires, valoriser la culture de projet.
Cela a pour nom, dans la politique du gouvernement de Jean-Marc Ayrault : traitement des situations d’urgence en matière d’hébergement, rénovation de l’habitat, mais aussi emplois d’avenir, réexamen de la géographie prioritaire, retour et modernisation des services publics avec une présence humaine renforcée sur les territoires et avec la reconnaissance que le contact humain est primordial dans la délivrance des services publics ; banque publique d’investissement, maisons ou réseaux de santé, cartes scolaires de l’enseignement supérieur, de la recherche.
Le second objectif est de penser les solidarités entre territoires dans un monde mobile : l’aménagement du territoire ne peut plus se faire segment par segment, il procède d’une vision cohérente de la place de chacun dans le système, de sa relation aux autres territoires, et de ses frontières.
Cela a pour nom dans la politique du gouvernement : villes durables, politiques métropolitaines, construction équilibrée de logements, mixité sociale et parcours résidentiel, bon usage du foncier public, maîtrise du périurbain, aménagement numérique et réseaux.
Le troisième objectif est de valoriser les biens communs : je le constate et m’en réjouis, même s’il reste quelques progrès à faire, la transition écologique est un cap majeur, qui nous a été donné à tous par le président de l’a République, qui a rappelé que l’écologie n’est pas l’ennemi de l’emploi mais bien une chance sur laquelle la France doit s’appuyer pour construire un modèle de développement du XXIe siècle.
Ce lexique commun de la politique du gouvernement se décline bien dans la feuille de route issue de la conférence environnementale.
Il a pour noms « rénovation énergétique des logements », « recyclage », « énergies décarbonées», « nouveaux usages et nouvelles politiques industrielles de l’automobile », « biomasse », « verdissement de l’agriculture », « circuit court », « éco matériaux »…
Ces trois objectifs forment un trait d’union puissant entre les actions que vous menez en propre dans vos régions, les priorités européennes pour la nouvelle génération de fonds structurels et nos politiques nationales.
Et cela dans un contexte où, chacun le sait, nous devons retrouver les marges d’action budgétaire pour faire les investissements nécessaires massifs du premier tiers de notre XXIe siècle.
Autrement dit, rompre avec un processus massif d’endettement afin de ne pas peser sur les générations futures.
Nous n’avons donc pas d’autre choix que de mener une action résolue contre les gaspillages, de parvenir à une efficacité sociale plus grande de la dépense publique, à la définition claire des rôles, au partage des priorités, à la coopération et à la mutualisation plutôt qu’à la compétition.
Je sais que Marylise Lebranchu travaille avec vous à la redéfinition des compétences qui vont aller dans ce sens qui a été présenté par le président du Sénat et il lui reviendra de présenter l’architecture de ses propositions lors de la clôture de votre congrès.
Pour ce qui est de l’urbanisme et de la planification territoriale, je confirme ce qu’a dit le président du Sénat.
J’ai déjà dit combien la région doit jouer un rôle fondamental dans le pilotage stratégique de l’aménagement durable de ce pays. Vous êtes la bonne échelle pour élaborer des documents structurants nécessitant une cohérence spatiale mais aussi entre les différentes politiques thématiques.
Un certain nombre de ces documents sont déjà élaborés au niveau régional, mais sans avoir ni la même portée, ni la même opposabilité, et souvent sans bonne articulation avec d’autres documents. Oui, le débat est ouvert, la question sera posée de l’opposabilité des documents régionaux. J’ai entendu les craintes en matière de tutelle mais on ne peut pas penser une stratégie cohérente si on refuse d’aborder cette question. Le travail autour des Scot et autour des schémas régionaux a montré qu’il était aussi utile pour les élus locaux, et en particulier pour les élus municipaux, d’avoir cette ligne directrice portée de manière plus collective.
Je crois profondément qu’inscrire une tradition plus lisible des stratégies régionales plutôt qu’un foisonnement désordonné sera plus utile au portage des politiques publiques.
Le débat aura lieu au premier semestre 2013, lors de la discussion sur le projet de loi qui traitera largement des sujets de logement et d’urbanisme. Et je souhaite qu’on puisse travailler sur les modalités d’intégration de l’ensemble de ces plans et schémas dans un document dont la portée sera décisive pour les documents de portée géographique plus limitée.
Pour ce qui est du plan de rénovation énergétique de l’habitat, je voudrais saluer les régions qui ont souvent été à l’initiative sur ces questions et qui ont porté, au travers d’outils et de politiques, des démarches exemplaires de lutte contre le dérèglement climatique, d’efficacité énergétique, de création d’opérateurs dédiés et pertinents.
Je souhaite que ces actions puissent être renforcées, accompagnées au mieux. Le plan de rénovation énergétique qui porte sur un million de logements par an, dont 500 000 logements rénovés, s’appuiera sur le travail que vous avez déjà mené, verra des traductions régionales. Et il se déploiera de la manière la plus adaptée aux territoires puisqu’évidemment, la question de la rénovation thermique ne se pose pas de la même manière sur l’ensemble du territoire français, le climat n’étant pas le même, les types d’habitat n’étant pas les mêmes.
Votre expérience et votre connaissance du terrain fait que ce pari de la transition écologique se gagnera dans les faits si vous y êtes engagés, comme vous l’êtes déjà aujourd’hui.
Au-delà de ces questions qui concernent le logement et l’urbanisme, je voudrais cependant m’arrêter sur l’exercice de contractualisation à venir.
Non pas dans ses modalités concrètes, qui doivent nourrir une discussion approfondie avec tous les élus et feront l’objet d’arbitrages du Premier ministre.
Mais dans ses principes, tels qu’ils découlent en particulier des indications données à ce sujet par le Président de la République.
Le renouvellement de l’exercice doit répondre aux quatre objectifs suivants :
- Afficher une vision de long terme, et pas seulement des idées un peu générales au moment de la signature : il me semble nécessaire de contractualiser sur des priorités, et non pas seulement sur une simple approche budgétaire.
- S’adapter aux contextes régionaux et interrégionaux, en acceptant, je le dis avec simplicité mais solennité, une contractualisation différenciée et peut-être même, sans dissoudre les responsabilités, des modes de gouvernance différenciées
- Intégrer les priorités européennes en les articulant aux priorités nationales et régionales
- Identifier des espaces à enjeux sociaux, et économiques et écologiques particulièrement forts.
En clair : construire un partenariat durable, équilibré et adapté entre l’État et les régions.
Nous pourrions par exemple envisager :
D’une part, des contrats régionaux proprement dits, qui pourraient comporter des thématiques communes à toutes les régions, et des thématiques spécifiques à chacune, en fonction de vos besoins ou des politiques que vous souhaitez mener.
D’autre part, des contrats territoriaux : certains pouvant décliner les contrats régionaux, d’autres s’appliquant sur des territoires particuliers, je pense aux territoires de montagnes, aux littoraux, à des espaces ayant subi un choc particulier ou marqués par une très grande pauvreté.
Au fond, il s’agirait, sur un nombre limité de territoires, d’afficher clairement le souci d’égalité, de solidarité et de cohésion.
Ces contrats territoriaux auraient évidemment vocation à réintégrer certains dispositifs qui s’empilent aujourd’hui sans qu’on en voie bien les avantages comparatifs.
La question pour certains services publics de la circonscription territoriale qu’est le département, se pose aussi dans l’esprit présenté par le président de la République et qui consiste à respecter les missions des uns et des autres en pensant l’articulation.
L’ensemble de ces contrats devront répondre à un objectif qui les dépasse tous : prendre en charge prioritairement la rénovation des services publics ou au public, et l’accès des populations à ces services. Trente ans après le début de la décentralisation, il est temps de réfléchir le lien entre l’Etat et l’ensemble des collectivités locales, et en, particulier le lien entre l’Etat et les régions.
Nous avons conservé, bon an mal an, des services déconcentrés ou des missions ; je pense par exemple à une mission aussi basique que celle de l’instruction des permis de construire. Il est légitime de s’interroger sur leur pertinence aujourd’hui, alors même que depuis 1982 celle-ci est pleinement décentralisée et confiée aux communes.
Mais pour d’autres politiques, l’État peut parfois agir comme un concurrent et penser à la place des territoires. Il est absolument nécessaire de revisiter ces relations entre l’État et les régions.
On ne peut pas non plus croire que l’État se réduise à un rôle de prospectiviste, d’observateur ou d’évaluateur.
Garant de la solidarité nationale, de l’égalité des territoires ; c’est ça, le rôle régalien de l’État.
Il doit donc devenir, au quotidien, un animateur, un négociateur et aussi un intervenant, un acteur et un régulateur de premier rang. Sur les prérogatives qui sont les siennes, et seulement celles-ci.
Le président du Sénat a précisé ce que seraient les contours du Haut conseil des territoires, qui serait un lieu d’échanges et de dialogue entre les différents niveaux de collectivités locales et l’État.
Cela indique donc de repenser le rôle de l’État. Et la mission que j’ai confiée à monsieur Thierry Wahl sur la proposition de création d’un « Commissariat général à l’égalité des territoires » va dans ce sens.
Nous ne pourrons plus doublonner les régions. En revanche, nous ne pouvons accepter que l’État s’exonère de sa responsabilité en matière d’égalité des territoires et de son rôle de garant de l’égalité, dans un monde qui subit des crises et où les territoires sont parfois très meurtris.
Ce « Commissariat général à l’égalité des territoires », placé sous l’autorité du Premier ministre, pourra disposer de capacités d’action très différentes de ce qui existe aujourd’hui et qui a été développé dans les années 1960 et 1970.
Mon propos n’est surtout pas de me livrer à un énième mécano administratif dont les élus et, je dois dire également sans doute les fonctionnaires, ont largement soupé, mais au contraire de repenser le rôle de l’État et les collectivités locales, et tout particulièrement les régions. L’État assumera donc pleinement le renforcement de la décentralisation.
Mesdames messieurs,
On entend parfois dire que les nouvelles politiques ne seraient nécessitées que par la contrainte ou la menace de désordres supplémentaires.
Parce que la ressource deviendrait rare,
Parce que l’État, de toute façon, aurait perdu des moyens ou de sa superbe,
Parce que les menaces de catastrophes et les nuages s’accumuleraient,
Parce qu’on n’aurait pas le choix,
Parce que la France serait en déclin.
J’entends tous ces discours chagrins mais je ne les partage pas.
Si nous devons bouger et réformer, si nous devons faire évoluer l’organisation de notre pays, c’est aussi parce que l’occasion nous est donnée de montrer que la politique sert vraiment à améliorer la vie au quotidien et aussi sur le long terme.
Parce que les aspirations, les qualifications de nos populations et la diversité de nos territoires ouvrent une grande variété de possibles.
Parce que trente ans après ce grand moment qu’a été la décentralisation, cette invention au quotidien sur les territoires, cette proximité de la démocratie, cette efficacité dans l’action publique sont largement reconnues.
Je souhaite que notre mission commune et notre plaisir partagé à exercer des responsabilités soit l’ambition de ré-ouvrir, pour les années qui viennent et dans l’action, la promesse de la démocratie et de l’égalité.
Je vous remercie.
Source http://www.territoires.gouv.fr, le 23 octobre 2012