Interview de Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement, à France Inter le 24 juin 2013, sur le projet de loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR), les leçons de l'élection partielle de Villeneuve-sur-Lot, la montée du Front national et le rôle des Verts au gouvernement.

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Média : France Inter

Texte intégral

PATRICK COHEN
Quelles leçons tirez-vous de la partielle de Villeneuve-sur-Lot, l’UMP qui gagne de justesse face au Front national ?
CECILE DUFLOT
Je crois que c'est un très gros coup de semonce politique, c'est-à-dire que je pense absolument nécessaire, et aujourd'hui autant qu’hier, de, en tant que démocrate, dire qu’il faut appeler à faire battre le Front national, et voter pour un candidat de droite quand il n’y a plus que ce duel-là, mais je pense que ça n'est pas une réponse suffisante.
PATRICK COHEN
Ça n'est pas ce que vous avez fait pour cette partielle, à Europe Ecologie les Verts.
CECILE DUFLOT
Bien sûr que si.
PATRICK COHEN
Ah, j’ai votre communiqué, c'est un peu alambiqué…
CECILE DUFLOT
Ah non, non, pas du tout.
PATRICK COHEN
« Les électeurs sauront trouver l’attitude la plus conforme à leurs convictions ».
CECILE DUFLOT
Non, non, non, pas du tout, pas du tout, vous vous trompez, ça a été très clair, je crois quand même que le Secrétaire national a parlé du nom du candidat UMP, monsieur COSTE, donc il n’y a aucune ambigüité sur la position des écologistes.
PATRICK COHEN
Donc ressusciter le Front républicain, c'est ce que vous dites ce matin.
CECILE DUFLOT
Ça n'est pas... il ne s'agit pas de ressusciter, je vous dis, c'est nécessaire, c'est nécessaire parce que simplement, quand on est démocrate, on choisit, et on choisit entre un candidat d’extrême droite et un candidat de la droite républicaine, même si, et je le dis, ça n'est pas suffisant, parce qu’il faut apporter des réponses de fond au problème qu'est la progression du Front national dans notre pays, ce que ça signifie une forme, je crois, de désespoir et d’écoeurement, et d’écoeurement.
PATRICK COHEN
Progression à laquelle des électeurs de gauche ont forcément participé...
CECILE DUFLOT
C'est pour ça que je…
PATRICK COHEN
7 000 voix gagnées d’un tour à l’autre, par le candidat du Front national.
CECILE DUFLOT
C'est pour ça que je vous parle d’écoeurement. Moi je pense qu’il y a une crise économique et sociale, elle est connue et il faut y apporter les réponses, et vous m’avez invité pour parler des solutions, en matière de logement, la question du logement qui est une question qui devient crique pour un certain nombre de personnes aujourd'hui, simplement se loger c'est un besoin fondamental de l’être humain, devient une grande difficulté, il faut y apporter des réponses, mais il faut aussi apporter des réponses à la crise démocratique que connait notre pays, cet écoeurement vis à vis des politiques, qui existe, je le dis, ça existe et ça fait très longtemps que les écologistes demandent de la transparence, demandent de l’exemplarité, demandent que le non cumul des mandats s’applique, que l’on puisse refaire confiance aux personnels politiques, c'est indispensable
PATRICK COHEN
Vous, pour vous, les réponses passent d’abord par la… le changement des pratiques politiques.
CECILE DUFLOT
Non, je vous ai dit, c'est les deux, il faut conduire ces deux chemins simultanément, et puis surtout, il faut parler de l’avenir, parce que je crois que l’on est dans un moment, et quand on voit ce qui se passe en Turquie et au Brésil en ce moment, on voit bien que c'est quelque chose qui traverse l’Europe, mais pas seulement, c'est-à-dire que l’on se demande quel va être l’avenir dans lequel les générations futures vont vivre, quelle planète on prépare, quelles solutions ont porte, dans un monde où l’énergie va couter de plus en plus cher, où le dérèglement climatique fait peser un risque sur l’avenir, donc il faut l’affronter sans dire que les temps vont être plus difficiles, en disant que l’on a des solutions, qui nous permettent de bâtir l’avenir. Je crois qu’il faut redonner tout son sens, tout son vrai sens à la politique. La politique, ce n'est pas de la tactique pour le lendemain ou pour les élections suivantes, la politique c'est préparer l’avenir.
PATRICK COHEN
Et la politique économique du gouvernement, l’absence de résultats, qui convainc de moins en moins vos propres adhérents, vous vous posez, vous, régulièrement la question de votre maintien, de votre participation au gouvernement ?
CECILE DUFLOT
C'est une question permanente, je suis venue vous voir il y a un an, la question se posait déjà, c'est une interrogation, là aussi, qui est logique, je suis une femme écologiste, dans un gouvernement qui est majoritairement socialiste, donc c'est un dialogue, mais je crois que la question qui nous est posée, c'est de savoir si on est utile. Est-ce qu’on est utile, est-ce qu’on fait avancer un certain nombre de débats, est-ce que l’on apporte des solutions ? Et quand on s’attaque, par exemple, à la lutte contre l’augmentation des factures d’énergie, par un vrai plan de rénovation thermique, c'est un petit caillou, mais un petit caillou indispensable.
PATRICK COHEN
Donc vous continuez à être ministre pendant qu’on entend Jean-Vincent PLACE ou d’autres dirigeants d’Europe Ecologie les Verts répéter que la politique n'est pas la bonne, que François HOLLANDE va dans le mur, etc.
CECILE DUFLOT
Ecoutez, moi j’ai répondu à cette question et la question que je me suis toujours posée en tant que militante politique, en tant que dirigeante, puisque j’ai longtemps dirigé ce parti, c'est : comment faire en sorte que les écologistes soient utiles ? Où est ma place ? Est-ce que je suis utile, en portant l’encadrement des loyers, je crois que oui. Est-ce que je suis utile en faisant en sorte qu’on lance ce plan d’économie d’énergie qui va faire baisser les factures, d’énergie et lutter contre le dérèglement climatique ? Je crois que oui. Voilà, un jour peut-être je répondrai non à cette question, mais tant que je peux y répondre oui, alors je continuerai à me relever les manches et à travailler.
PATRICK COHEN
L’Europe, est-ce que vous pensez, comme votre collègue Arnaud MONTEBOURG, que la principale cause de la montée du FN, c'est la façon dont l’Europe fonctionne, que monsieur BARROSO, président de la Commission européenne, est, a dit Arnaud MONTEBOURG « le carburant du Front national » ?
CECILE DUFLOT
Ecoutez, moi je suis de ceux qui refusent absolument que les responsables politiques rejettent sur l’Europe la responsabilité de leurs difficultés. Ça c'est un principe de base. Ensuite, je pense qu’il faut faire en sorte de réorienter l’Europe, il faut redonner à l’Europe un vrai projet, qui soit un projet collectif. On a fondé l’Europe sur la paix, et puis aussi sur la mise en commun d’un certain nombre de ressources pour bâtir un continent, et aujourd'hui on peut avoir le sentiment que l’Europe c'est une forme de gendarme qui regarde de haut les pays et qui ne bâtit pas l’avenir. L’Europe c'est le lieu où on peut avoir une politique énergétique. L’Europe c'est le lieu où on doit avoir de vrais investissements en matière industrielle, pour gérer la transition, pour faire en sorte qu’on ait d’autres niveaux d’activités, d’autres emplois.
PATRICK COHEN
Ça c'est votre Europe rêvée, mais…
CECILE DUFLOT
Non, justement, parce que tout le principe de mon engagement c'est de faire en sorte que les rêves ne soient pas que des rêves, c'est qu’ils deviennent un jour des réalités.
PATRICK COHEN
Bon. Et la responsabilité de monsieur BARROSO, la Commission européenne, l’Europe éloignée des citoyens, des décisions qui semblent s’imposer aux pays démocratiques ?
CECILE DUFLOT
C'est assez drôle, parce qu’en 2009, la campagne des écologistes, vous vous souvenez de son succès, avait commencé avec une campagne européenne, qui s’appelait « Stop BARROSO », justement en disant que la ligne libérale, extrêmement aussi autoritaire, et un peu méprisante, qui était portée par le président de la Commission, était néfaste pour l’Union européenne.
PATRICK COHEN
Et depuis il a été reconduit par tous les gouvernements.
CECILE DUFLOT
Et je crois que 5 ans après, on peut se dire la même chose. Donc la réalité, c'est qu’il faut réorienter l’Europe, et pour ça, il y a une bonne échéance, ce sont les prochaines élections européennes, voilà.
PATRICK COHEN
Où le FN risque d’être le premier parti de France, c'est une inquiétude ?
CECILE DUFLOT
C'est pour ça qu’il faut combattre, pied à pied. Vous savez, quand on a un adversaire, en tout cas moi, quand j’ai un adversaire, je ne mollis pas, je veux combattre et je veux combattre le Front national sur le fond, pas en me cachant les yeux et par des petites manoeuvres tactiques, mais en disant, sur le fond, que leurs solutions sont mauvaises, qu’elles sont porteurs de dangers pour notre pays et qu’il en existe d’autres.
PATRICK COHEN
Le logement, Cécile DUFLOT, vous présenterez mercredi en Conseil des ministres, un projet baptisé ALUR, pour Accès au logement à urbanisme rénové, texte qui prévoit de réduire les frais d’agences et qui met en fureur les agents immobilier, comme si, disent-ils, le problème numéro 1, c'est-à-dire l’insuffisance de l’offre de logement c’était la faute des agents.
CECILE DUFLOT
Pas de faux débat. Moi, vous savez, ça fait un an que j’ai adopté comme principe de base, la concertation avec l’ensemble des acteurs, et avec les professionnels de l’immobilier, on se rend compte très régulièrement, je les ai vus, pour la dernière fois il y a moins de dix jours…
PATRICK COHEN
Ils ne sont pas contents.
CECILE DUFLOT
Et monsieur BUET, oui, il a exprimé un certain mécontentement, mais je sais qu’ils ont été très constructifs, d’ailleurs un certain nombre de propositions, je pense au Haut conseil des professions immobilières, est une proposition qui vient des agents immobiliers. Cela dit, cette loi, et depuis le début c'est un projet sur lequel nous travaillons, est une loi juste, c'est-à-dire qu’elle vise à remettre de la régulation, dans un secteur qui a connu trop d’excès, ça vaut pour le montant des loyers sur certaines zones, ça vaut aussi pour certains, je dis bien certains professionnels de l’immobilier, ce qui a contribué à dégrader globalement l’image de ces professionnels. Je pense qu’en remettant du professionnalisme, de la formation, de la régulation, ce sera utile aussi pour les professionnels de l’immobilier. Je sais qu’une fois ces petits évènements médiatiques passés, un certain nombre d’entre eux sont, sur le fond, d’accord.
PATRICK COHEN
Petits évènements médiatiques, apparemment il y a un mouvement qui vise à ne plus faire remonter les données des prix du marché, ce qui empêcherait vos mesures d’encadrement des loyers.
CECILE DUFLOT
Ecoutez, ce que je constate, c'est qu’il y a beaucoup de professionnels qui continuent de travailler sur la mise en place des observatoires des loyers, qui sont utiles pour tout le monde, y compris pour les professionnels, en Ile-de-France, c'est le modèle de l’organisme que l’on veut voir se déployer sur l’ensemble du territoire, l’OLAP, qui rassemble les associations de locataires, les professionnels, et l’Etat, travaillent très bien, depuis des années, c'est l’intérêt de tout le monde les observatoires des loyers, je dis bien de tout le monde, je pense que ça se mettra en place et de toute façon, cette transmission d’informations, dans la loi est prévue comme étant obligatoire, donc la question sera réglée.
PATRICK COHEN
Et vous êtes d’accord, Cécile DUFLOT, pour dire que le problème numéro 1 c'est bien le manque d’offre de logement en France ?
CECILE DUFLOT
Je suis consciente qu’il y a un manque de logement, et d’ailleurs…
PATRICK COHEN
Combien de logements seront construits cette année ?
CECILE DUFLOT
Et d’ailleurs, c'est ce que nous avons commencé par faire, puisque nous avons, le président de la République l’avait annoncé le 21 mars, adopté des ordonnances, le projet de loi a été voté il y a quelques jours à l’Assemblée, la première ordonnance, sur la limitation des recours mafieux qui se sont développés en France, sera effective à la mi juillet, c'est-à-dire moins de 4 mois après l’annonce par le président de la République, donc la priorité à la construction, et les professionnels de la construction et aussi le monde HLM le savent, elle est d’ores et déjà en oeuvre, nous avons libéré beaucoup de moyens. Je sais aussi et je suis très heureuse, que l’Union sociale pour l’habitat, qui regroupe tous les organismes HLM, a décidé de la mutualisation des moyens pour construire davantage et pour atteindre l’objectif de construction, je l’espère dès cette année, de manière très importante, c'est une mobilisation extrême, qui doit avoir lieu, de 150 000 logements sociaux par an. Bien sûr qu’il faut construire davantage, il faut aussi transformer les logements… les immeubles de bureaux vides en logements, il y a beaucoup de choses à faire, mais il faut le faire dès maintenant.
PATRICK COHEN
Mobilisation extrême, dites-vous, mais on table, là on parle de 250 000 logements construits cette année en France, seulement.
CECILE DUFLOT
Ecoutez, on verra, on constatera les résultats.
PATRICK COHEN
Ce serait le chiffre le plus faible depuis la guerre.
CECILE DUFLOT
Oui j’ai entendu, c'est …
PATRICK COHEN
C'est ce que dit le président de l’UNPI.
CECILE DUFLOT
C'est un argumentaire du président de l’UNPI, que j’ai entendu, qui est à la fois de mauvaise foi…
PATRICK COHEN
Ce n'est pas vrai ?
CECILE DUFLOT
… et qui… Non, d’abord on ne connait pas les résultats, on peut aussi dire, pourquoi pas, 200 000, moi j’espère que nous allons vers l’objectif de 500 000 logements, nous continuons de tenir cet objectif, et nous allons nous donner les moyens de l’atteindre.
PATRICK COHEN
Avec les…
CECILE DUFLOT
Avec la mobilisation de la construction de logement social…
PATRICK COHEN
Avec le dispositif existant.
CECILE DUFLOT
Avec le dispositif qui aide à l’investissement locatif et qui commence à fonctionner, avec la TVA à 10 % pour le logement intermédiaire, pour recréer…
PATRICK COHEN
La cession de terrains publics ?
CECILE DUFLOT
Pour recréer ce type de logements qui manque, avec la cession de foncier public, dont la première a eu lieu à Caen il y a quelques jours avec le président de la République, il y a beaucoup de mesures qui ont été mises en place, qui visaient quand même aussi à s’attaquer à une crise qui s’aggravait depuis quelques années.
Source : Service d'information du gouvernement, le 24 juin 2013