Texte intégral
Mesdames, messieurs les parlementaires,
Mesdames, messieurs les représentants d'association,
Mesdames, messieurs,
Si la construction des politiques publiques est un exercice difficile, exigeant, c'est parce qu'elle ne supporte pas l'approximation, l'à peu près. Elle supporte encore moins les simplifications, les raccourcis, les préjugés. Les préjugés sont l'inverse de la loi qui ne connaît que des citoyens égaux entre eux, qui ont les mêmes droits et les mêmes devoirs.
En étant avec vous cet après-midi, je suis venu saluer une initiative parlementaire importante, car elle vise à mettre un terme à la confusion concernant la question des gens du voyage ; confusion qu'est venu très récemment alimenter un « guide pratique » qui, dans la pratique, ne solutionne rien. Au contraire, il pourrait induire les élus locaux en erreur ! Pire, il véhicule des préjugés. Ce guide, c'est donc l'inverse de l'esprit qui anime nos institutions républicaines.
Ce guide a été expertisé par les services du ministère de l'Intérieur. Il apparaît clairement qu'il est source de nombreuses confusions entre les différents types de procédures (administrative, pénales et civiles) dont il ne précise ni les champs et conditions d'application, ni les voies de recours, ni leur caractère suspensif, le cas échéant. Il entretient, en particulier, des amalgames choquants entre les occupations illégales de gens du voyage, celles de populations non sédentaires sans résidence mobile (de nationalité étrangères ou non) ou de squatteurs.
Plus dangereux encore, ce guide encourage des mesures attentatoires aux libertés publiques si elles ne respectent pas un cadre juridique précis. Pour exemple, les dispositifs de videoprotection ne peuvent être déployés sans aval de la commission départementale de videoprotection et ils ne sauraient concerner des espaces privés. De même, les arrêtés municipaux doivent être dûment motivés et respecter des règles de proportionnalité. Enfin, les polices municipales ne peuvent agir que dans la stricte limite de leurs pouvoirs.
S'agissant des gens du voyage, le guide évoque a minima les obligations légales des collectivités en matière d'habitat et d'accueil ( sans évoquer le caractère lui-même illégal de l'absence de conformité à la loi ) pour considérer qu'en tout état de cause, « malgré l'existence des aires, les populations non sédentaires ne souhaitent pas les intégrer ».
Disons les choses simplement : ce guide cache bien mal ses visées politiciennes !
Notre pays traverse une crise sans précédent. Crise économique, sociale, morale. Crise également de l'autorité. Ne sous-estimons pas les doutes d'une partie de nos concitoyens quant à la capacité des pouvoirs publics à agir.
Face à cela, notre responsabilité est double : elle est celle d'assurer le respect de loi, elle est aussi celle de veiller à l'unité de notre pays en évitant les outrances ( nous en avons trop connues par le passé ) qui ne font qu'entretenir des divisions au sein de notre Nation.
Assurer le respect de loi : c'est, pour les gens du voyage, s'assurer que des aires d'accueil adaptées sont proposées. C'est aussi ne pas accepter quand elles existent, qu'elles soient dédaignées, ou que leur absence puisse servir de prétexte à des comportements ou à des occupations de terrains inacceptables. Je mesure, au fil de mes déplacements sur le terrain, le découragement, la fatigue, d'élus locaux de bonne volonté et qui se sentent parfois démunis, abandonnés par les pouvoirs publics. Ce n'est pas acceptable et j'aurai l'occasion d'y revenir tout à l'heure.
Assurer le respect de la loi, mais aussi ne pas alimenter par des discours agressifs ou des amalgames, les divisions et les rancœurs : l'apaisement que le président de la République a appelé de ses vœux, c'est la fin des stigmatisations, des anathèmes, des raccourcis qui font mal à notre pays.
Et l'apaisement ne peut venir que de l'application avec discernement mais avec fermeté de la loi.
Je suis donc venu saluer ici tous ceux qui savent que l'honneur de la politique, en ces moments difficiles où notre pays s'interroge sur son avenir, est de demeurer fidèle à une parole publique lucide et ferme.
Je vous remercie, et plus particulièrement Dominique RAIMBOURG, initiateur de ce travail et de ce colloque, de cette invitation qui me donne l'occasion de vous livrer ma vision sur la question des gens du voyage ; une vision qui s'est d'abord traduite par la façon dont nous avons travaillé ensemble, jusqu'à ce jour, au sein du gouvernement et avec les parlementaires et les associations.
Vous l'aurez compris, je considère que mon rôle est d'être le garant de l'ordre républicain, en rassemblant autour d'une vision responsable, tous ceux qui depuis plusieurs années ont largement contribué à faire avancer la réflexion.
Des parlementaires, de gauche comme de droite, se sont d'ores et déjà saisis du sujet, bien en amont du travail qui vous a été présenté aujourd'hui. Ainsi, Didier QUENTIN a rendu, en mars 2011, un rapport cosigné avec ses collègues députés Charles DE LA VERPILLERE et Dominique RAIMBOURG à la suite de leur « Mission d'information sur le bilan et l'adaptation de la législation relative à l'accueil et l'habitat des gens du voyage ». En juillet 2011, le sénateur Pierre HERISSON a remis à son tour un rapport intitulé « Gens du voyage : vers un statut de droit commun ». Enfin, en avril 2012, la Cour des comptes a publié un rapport d'enquête dont nous ne pouvions éluder le constat sévère mais lucide : mise en oeuvre partielle de l'obligation d'accueil telle que posée par la loi Besson du 5 juillet 2000, mobilisation limitée des acteurs publics pour l'aménagement, la gestion des aires et l'habitat adapté, des politiques d'accueil peu pilotées.
Aussi, lorsque nous avons reçu les représentants associatifs des gens du voyage au ministère de l'Intérieur, dès l'été 2012, au-delà même de la question de la loi de 1969 et du statut des gens du voyage, j'ai souhaité que nous abordions ce sujet de façon globale. Il n'était plus envisageable que nos concitoyens soient confrontés à un message morcelé émanant de l'Etat : le statut, au ministère l'Intérieur, l'habitat et l'accueil, au ministère du Logement, la scolarisation, au ministère de l'Education etc.
C'est d'ailleurs le second pilier de ma démarche : je suis garant de l'ordre républicain, mais je suis également attaché à la cohérence de l'action publique, de son sens, en privilégiant toujours une démarche interministérielle sans laquelle, lorsqu'elles arrivent sur le terrain, nos décisions sont incompréhensibles car non articulées entre elles.
J'ai donc souhaité remettre à plat toute la réflexion engagée en associant mes collègues du gouvernement : Cécile DUFLOT, ministre de l'Egalité des territoires et du Logement, et Marie-Arlette CARLOTTI, ministre déléguée chargée de la Lutte contre l'exclusion.
Cette volonté de travail concerté au sein du gouvernement a été concrétisée, vous le savez, par la désignation, par le Premier ministre, d'un préfet en mission auprès du DIHAL, Hubert DERACHE, chargé de faire des propositions concrètes, répondant non seulement aux préoccupations des associations mais aussi de la Cour des comptes.
Ce rapport vous a été présenté tout à l'heure et Cécile DUFLOT vous a exposé la façon dont elle allait désormais agir, avec l'ensemble du secteur associatif, afin de structurer la conduite des politiques d'accueil et d'habitat. Nous allons, par ailleurs, entreprendre une refonte de la commission consultative des gens du voyage.
En ce qui me concerne vous m'avez interrogé, parlementaires et représentants des gens du voyage, dès les premières rencontres, sur le devenir de la loi de 1969.
A cette époque ( nous étions dans l'attente de la décision du Conseil constitutionnel du 5 octobre 2012 ), j'ai fait le choix d'attendre la réponse de cette haute autorité, de façon à adosser notre réflexion à une architecture constitutionnellement garantie.
Je sais que cette décision du Conseil constitutionnel vous a déçus car la loi de 1969 n'a pas été abrogée dans sa totalité, les Sages considérant que le livret de circulation, le seuil démographique des 3% ou encore le principe de rattachement à une commune n'étaient pas des mesures discriminatoires.
Nous avons échangé sur ces questions. Les associations comme les parlementaires ont été entendus et vous avez su me convaincre. L'abrogation totale de la loi de 1969, que le conseil constitutionnel n'exigeait pas, recueille ainsi mon plein accord. Elle a un vrai sens politique ; elle représente une marche supplémentaire pour la reconnaissance des gens du voyage comme citoyens à part entière.
L'abrogation c'est donc celle du livret de circulation, parce que les voyageurs ont droit à la Carte Nationale d'Identité ; celle de la commune de rattachement, parce que l'élection de domicile de droit commun doit leur être appliquée ; celle du seuil maximal de 3% de gens du voyage dans une commune, parce qu'il ne repose sur aucune raison objective. Au contraire, il est un reliquat de ces représentations frileuses sur lesquelles nous ne pouvons rien construire de solide.
Au-delà d'une position minimaliste qui passe par la suppression des seules mesures discriminatoires, ma volonté est de faire bénéficier les gens du voyage, comme tous nos concitoyens, des dispositifs de droit commun. C'est un point que leurs représentants ont souligné, dans leur grande majorité, durant les échanges avec le groupe de travail interministériel : le désir d'être considérés comme des citoyens à part entière. Cette demande légitime doit être impérativement entendue.
Je n'ignore pas les craintes, l'hostilité même que suscite une telle position. Mais je l'assume. Mais rien ne peut se faire sans le sens des responsabilités, des gens du voyage, des élus locaux, de l'Etat, de nos concitoyens.
Je m'explique : nous ne pouvons plus accepter, 13 ans après sa publication, qu'au regard des objectifs fixés dans les schémas départementaux, la loi Besson demeure en grande partie lettres mortes. La Cour des comptes l'a établi, sans conteste : le taux de réalisation des aires d'accueil est à peine de 52% ; il est de 29% pour les aires de grand passage.
Nous nous devons d'agir, parce que l'autorité de l'Etat est toujours en cause lorsque la loi ne s'applique pas. Les aides incitatives de l'Etat ont montré leurs limites : le renforcement des pouvoirs des préfets, autorisés à prendre les mesures nécessaires à la réalisation effective des aires, est donc une nécessité. Bien entendu, nous nous garderons de tout systématisme. Mais j'ai confiance dans les représentants de l'Etat, dans les départements, qui sauront, aux côtés de nos élus, construire les équilibres nécessaires.
La proposition de loi relative aux gens du voyage vise à donner des droits réels, effectifs aux voyageurs. Elle leur donne aussi des devoirs, tout aussi réels.
Ainsi, face à un dispositif contraignant pour les élus locaux, la contrepartie nécessaire est l'extension des pouvoirs du maire qui a satisfait à ses obligations légales. Je tiens à ce que tous les élus locaux, qui ont le souci d'offrir à tous un accueil digne - et ils sont nombreux -, ne soient pas pris au piège de leur engagement.
Que les choses soient claires : si nous devons contraindre à la réalisation d'aire d'accueil, nous le ferons ; mais si nous devons contraindre au respect de la loi par les gens du voyage qui s'en affranchiraient, nous le ferons aussi.
Ainsi, j'approuve la volonté des rédacteurs de cette proposition de loi d'ouvrir aux élus locaux qui ont construit une aire d'accueil, la possibilité d'obtenir plus facilement du préfet l'évacuation des occupants d'un campement illicite de gens du voyage. Ainsi, selon ce projet de texte, cette faculté est offerte, non seulement si le stationnement est de nature à porter atteinte à l'ordre public - ce qui est actuellement le cas - mais aussi s'il existe, dans un périmètre légalement fixé, une aire d'accueil très proche rendant possible la mise en demeure d'évacuer les lieux occupés.
Nous devons poser cette question, pour poursuivre son expertise mais aussi pour avancer dans la recherche d'un nouvel équilibre entre droits et devoirs. Pour reprendre les termes du conseil constitutionnel, nous devons repenser la question de la proportionnalité de l'atteinte aux droits de chacun, dès lors que manifestement, malgré le respect par les élus des obligations légales destinées à garantir les droits des gens du voyage, malgré l'existence de cette nouvelle et forte contrainte de l'état pour garantir le respect de ces même droits (la consignation de fonds dans le budget communal), malgré les délais et les avertissements accordés, malgré tout cela, l'occupation illicite de la propriété d'autrui est choisie.
De même, j'approuve toute initiative qui permettra dans l'intérêt de tous, gens du voyage comme élus locaux, à la justice administrative et judiciaire de statuer à très bref délai, afin de ne pas laisser s'envenimer des situations dont on connait par avance l'issue, qui attisent les divisions, accroissent les risques et les dangers. Dès aujourd'hui d'ailleurs, dans le cadre de mes fonctions, j'ai demandé aux préfets d'être très attentifs à cette question et présents aux côtés des élus pour garantir le respect de la loi.
Je veux enfin, saisir l'occasion de notre rencontre, pour évoquer la question des grands rassemblements, distincte de celle des aires accueil et de grands passages. Elle présente, en cette période estivale, une grande acuité et le gouvernement fera à ce titre des propositions dans les jours qui viennent.
Cette problématique des grands rassemblements a été soulevée à plusieurs reprises durant les travaux qui ont précédé cette journée. Il me paraît nécessaire de traiter ce sujet de façon autonome. Je souhaite donc confier à des parlementaires de la majorité et de l'opposition - une mission spécifique avec pour objectif de construire un cadre stable et pérenne, nécessaire pour anticiper et préparer ces événements de grande ampleur, qui peuvent bouleverser momentanément la vie des habitants dans les territoires concernés.
J'en appelle donc aujourd'hui aux élus et aux représentants des gens du voyage, afin que nous puissions, ensemble, surmonter les peurs et les défiances réciproques. Nous devons avancer de manière responsable, et avec le souci permanent du respect des lois, vers un partage apaisé de l'espace public.
Source http://www.localtis.info, le 23 juillet 2013