Interview de M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur, à RTL le 12 mars 2014, sur l'affaire de la mise sur écoutes de Nicolas Sarkozy par la justice.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

LAURENT BAZIN
Jean-Michel APHATIE, nous recevons donc ce matin le ministre de l’Intérieur, Manuel VALLS.
JEAN-MICHEL APHATIE
Bonjour Manuel VALLS.
MANUEL VALLS
Bonjour Jean-Michel APHATIE.
JEAN-MICHEL APHATIE
Nicolas SARKOZY a fait l’objet d’une écoute téléphonique à partir d’avril 2013, à la demande de deux juges d’instruction enquêtant sur un supposé financement libyen de la campagne électorale 2007. Ces écoutes téléphoniques ordonnées par la justice ont été réalisées par des policiers, c’est-à-dire par des fonctionnaires qui travaillent sous votre autorité, Manuel VALLS. A quel moment avez-vous été informé de ces écoutes téléphoniques ?
MANUEL VALLS
A l’occasion des révélations du MONDE, s’agissant des écoutes de l’ancien président de la République et de son avocat.
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous l’avez appris par la presse comme nous ?
MANUEL VALLS
Absolument. Je savais qu’il y avait une enquête concernant Nicolas SARKOZY, sur le financement ou la présomption de participation d’un Etat étranger, la Libye, et dans le financement d’une campagne électorale, celle de Nicol as SARKOZY en 2007, en décembre, j’avais été informé des seules interceptions concernant Brice HORTEFEUX, à l’occasion de la convocation du directeur de la PJ parisienne par le procureur de la République de Paris, parce que ce directeur de la PJ parisienne avait conseillé monsieur Brice HORTEFEUX, la presse s’en est fait l’écho. Et j’ai décidé d’ailleurs, au mois de décembre, de démettre de ses fonctions le directeur de la police judiciaire…
JEAN-MICHEL APHATIE
Christian FLAESCH.
MANUEL VALLS
Voilà, les choses sont aussi simples que cela.
JEAN-MICHEL APHATIE
Ceci veut dire, Manuel VALLS, que le 26 février, au plus tard, la ministre de la Justice a été informée des écoutes téléphoniques concernant Nicolas SARKOZ, elle en a parlé au Premier ministre, on l’imagine, puisque le Premier ministre disait que lui aussi avait été informé le 26 février, même s’il n’a pas précisé qui lui avait donné l’information, et cela veut dire qu’au sein du gouvernement, l’information s’est arrêtée là, et que vous, ministre de l’Intérieur, vous n’avez rien su des écoutes téléphoniques ?
MANUEL VALLS
Bien sûr, et chacun reste dans son rôle, et ne faisons pas insulte aux magistrats, ni aux policiers, les officiers de police judiciaire qui agissent sous l’autorité de ces magistrats, des magistrats indépendants, des juges d’instruction. Et dans des affaires, et sur des actes d’investigation de cette nature, ces professionnels du droit, je parle aussi bien des magistrats que des policiers…
JEAN-MICHEL APHATIE
Des policiers, de la police judiciaire…
MANUEL VALLS
Savent parfaitement prendre leurs précautions qui s’imposent pour préserver l’enquête, même à l’égard de leur ministre de tutelle…
JEAN-MICHEL APHATIE
On a du mal à…
MANUEL VALLS
Les temps, Jean-Michel APHATIE, ont changé, ainsi que la conception des conduites des enquêtes. Je réponds…
JEAN-MICHEL APHATIE
On a du mal à croire, Manuel VALLS, pour être très clair, que, en admettant que les fonctionnaires agissent comme ils doivent le faire, on a du mal à croire que la ministre de la Justice ou le Premier ministre, quand ils ont eu cette information, qui n’est pas mince, ne vous en aient pas parlé…
MANUEL VALLS
Mais il faut le croire !
JEAN-MICHEL APHATIE
On a du mal à le croire !
MANUEL VALLS
J’ai répondu à ces questions, et je répondrai à toutes vos questions, mais moi, je veux dire stop au fond à ce climat d’hystérisation collective, dans ce contexte, chacun doit assumer ses responsabilités, puisque les Français nous regardent, nous écoutent, ils sont attentifs à ce que nous faisons et à ce que nous disons. Dans notre démocratie, il y a des principes fondamentaux, l’indépendance de la justice, la séparation des pouvoirs, qui transcendent les clivages politiques, l’indépendance des magistrats ou la présomption d’innocence nécessitent là aussi d’être profondément respectées. Et la justice, dans notre pays, a besoin plus que jamais de sérénité. Nous assistons à une opération grossière, politique, qui vise à mettre en cause – et c’est ça qui m’inquiète – la justice ; il y a une volonté systématique de fragiliser la magistrature, d’affaiblir la justice, et ça n’est pas acceptable, ce sont des pratiques qu’il faut renvoyer, Jean-Michel APHATIE, au passé.
JEAN-MICHEL APHATIE
Une information…
MANUEL VALLS
Ce gouvernement pose en principe fondamental l’indépendance de la justice. Je vous rappelle que le président de la République souhaite une réforme du Conseil supérieur de la magistrature pour assurer encore davantage son indépendance. Cette réforme nécessite une révision constitutionnelle, que refuse aujourd’hui l’opposition. Ce gouvernement, ce président de la République veulent l’indépendance de la justice. Et les procédures ont été pleinement respectées.
JEAN-MICHEL APHATIE
Une information aussi importante qu’un ancien président de la République, sur écoute, est connue par le Premier ministre, le 26 février, et il n’en dit rien à son ministre de l’Intérieur. Vous le regrettez ?
MANUEL VALLS
Non, pas du tout.
JEAN-MICHEL APHATIE
Ça vous parait normal ?
MANUEL VALLS
Chacun reste dans son rôle, ça me parait tout à fait normal.
JEAN-MICHEL APHATIE
Et le président de la République a été informé quand ?
MANUEL VALLS
Le président de la République…
JEAN-MICHEL APHATIE
C'est quand même une information qu’il faut bien partager.
MANUEL VALLS
Laissons de côté le président de la République.
JEAN-MICHEL APHATIE
Pourquoi ?
MANUEL VALLS
Il est garant de l’indépendance de la justice.
JEAN-MICHEL APHATIE
LE PARISIEN…
MANUEL VALLS
Il a dit lui-même, il a dit lui même qu’il recevrait ou répondrait aux magistrats et aux avocats. Il lui appartient, dans sa fonction de chef de l’Etat, de préserver l’indépendance de la justice.
JEAN-MICHEL APHATIE
Le journal LE PARISIEN, écrit ce matin que le président de la République a été informé de l’existence de l’écoute téléphonique concernant Nicolas SARKOZY, le 4 mars, donc, de l’existence de l’écoute.
MANUEL VALLS
C'est-à-dire le jour de la perquisition…
JEAN-MICHEL APHATIE
Le jour de la perquisition du cabinet de l’avocat et du magistrat, qui sont concernés par…
MANUEL VALLS
Mais oui, mais vous avez raison, Jean-Michel APHATIE…
JEAN-MICHEL APHATIE
La violation…
MANUEL VALLS
… de rappeler ces faits, parce que les juges travaillent…
JEAN-MICHEL APHATIE
Et vous confirmez que le président de la République a été informé à ce moment-là de… de l’écoute.
MANUEL VALLS
Je crois que cette information est juste, mais les juges travaillent en ce moment…
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous l’avez vérifié ?
MANUEL VALLS
… en tout cas depuis quelques mois.
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous l’avez vérifié ces derniers jours, je veux dire, puisque vous-même vous ne saviez pas qu’il était sur écoute.
MANUEL VALLS
Les juges travaillent en ce moment sur deux dossiers, et voilà ce qu’il faut souligner, et je le répète, une présomption de participation d’un Etat étranger, dans le financement d’une campagne électorale, une présomption de trafic d’influence et de violation du secret de l’enquête, qui impliquerait un haut magistrat de la Cour de cassation. Ce sont des présomptions graves, voilà la réalité, et arrêtons la machine à diversion et laissons encore une fois la justice travailler en toute sérénité.
JEAN-MICHEL APHATIE
Donc, si on résume, Manuel VALLS, vous me direz si c'est correct, le 26 février, le Premier ministre et la garde des Sceaux ont été informés de l’existence des écoutes, le 4 mars le président de la République l’a été, et de mémoire, le papier du MONDE paru le 11 mars, vous, vous ne l’avez su qu’à ce moment-là.
MANUEL VALLS
Le papier du MONDE parait le 7 mars, pour être précis.
JEAN-MICHEL APHATIE
Le 7 mars.
MANUEL VALLS
Et c'est normal, et nous respectons les procédures.
JEAN-MICHEL APHATIE
Et vous, vous l’avez appris qu’à ce moment-là.
MANUEL VALLS
Et quel intérêt d’être mis au courant ? Puisque de toute façon, et le Premier ministre et la garde des Sceaux l’on rappelé, personne n’était au courant sur le contenu de ces écoutes, nous respectons le travail de ces magistrats, de ces juges d’instruction qui agissent, encore une fois, de manière tout à fait indépendante.
JEAN-MICHEL APHATIE
Pourquoi la ministre de la Justice a nié, lundi soir, avoir eu connaissance, avant la presse, de l’existence de ces écoutes ? C’est une faute ?
MANUEL VALLS
Mais, la ministre de la Justice ne pouvait pas être au courant avant le 26 février, puisque le Parquet lui-même…
JEAN-MICHEL APHATIE
Mais elle l’a été le 26 février…
MANUEL VALLS
… ne disposait pas de l’information, et depuis le 26 févier…
JEAN-MICHEL APHATIE
Pourquoi ne l’a-t-elle pas reconnu ?
MANUEL VALLS
… et l’ouverture, soyons précis, d’une nouvelle information judiciaire, le Premier ministre hier soir a rappelé que personne au gouvernement n’a eu accès au contenu de ces écoutes. C'est évidemment toujours le cas aujourd'hui et il faut s’en tenir aux faits et aux principes.
JEAN-MICHEL APHATIE
Christiane TAUBIRA a-t-elle commis une faute, en ne disant pas, lundi soir, « je l’ai su, dès le 26 février » ?
MANUEL VALLS
Mais enfin, pas du tout !
JEAN-MICHEL APHATIE
C'est un mensonge d’Etat, disent certains.
MANUEL VALLS
Non, ces accusations sont grotesques.
JEAN-MICHEL APHATIE
Mais elle a menti.
MANUEL VALLS
Ecoutez, ça fait, Jean-Michel APHATIE…
JEAN-MICHEL APHATIE
Elle a menti. On peut convenir, on peut faire ce constat tous les deux, elle a menti.
MANUEL VALLS
Non, ça fait depuis dix jours, Jean-Michel APHATIE…
JEAN-MICHEL APHATIE
Elle a menti.
MANUEL VALLS
Depuis dix jours, la vie politique vit au rythme de ce que l’on appelle l’affaire COPE, c'est-à-dire la surfacturation d’un certain nombre d’éléments de la campagne présidentielle, de 2007. Nous vivons au rythme des révélations…
JEAN-MICHEL APHATIE
Oui, enfin, des révélations éventuelles.
MANUEL VALLS
Eventuelles, nous vivons au rythme, pas éventuel, cette fois-ci, des enregistrements pratiqués par un collaborateur venant de l’extrême droite, proche de l’ancien président de la République. Nous vivons au rythme de cette enquête concernant le présumé financement d’une campagne électorale par un Etat étranger, la Libye, et on voudrait nous faire croire que c'est ce gouvernement qui est en faute et qui n’a pas respecté les règles et les principes de la République ? Ça suffit.
JEAN-MICHEL APHATIE
On aura l’occasion de poursuivre cette discussion avec les auditeurs de RTL, dans un moment.
LAURENT BAZIN
Toutes vos questions au 32 10, au ministre de l’Intérieur, à tout à l'heure, Manuel VALLS.
MANUEL VALLS
A tout à l'heure.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 12 mars 2014